Enfance
Du bruit ... Oui du bruit ... Tout commença par du bruit.
Djed Aabet. Les gens étaient inquiets, pourtant l'âtre réchauffait la pièce en cette soirée froide et le feu projetait une lumière bienveillante sur les êtres qui peuplaient la pièce. Puis les visages se tendirent, puis les visages sourirent, et l'homme leva les bras au ciel ... et entre ses mains il tenait un petit être fragile qui criait ... et leurs cris de joie couvrirent les siens ... L'enfant prit peur de ces cris, mais ils n'en avaient cure, jusqu'à ce que soudain leurs visages se tendissent et que la peur surgît sur leurs visages telle une épidémie se répandant dans une cité du Nil, jusqu'à contaminer le cœur de celle-ci, jusqu'à atteindre les traits de l'homme. Celui-ci prit alors peur. Il manqua lâcher le petit être nouvellement né et son visage se fendit d’un rictus terrifiant, ou terrifié ... et une vie s'en alla, et elle me quitta, à tout jamais.
L'homme changea. L'homme dont les mains avaient élevé la vie vers les cieux, en remerciant les dieux de ce présent, apprit à haïr cette vie. Il apprit à haïr les dieux. Et l'enfant grandit. Il apprit ... Il apprit à survivre, et se refugia là où la paix régnait, se réfugia sur le domaine des dieux, là où le ciel était retenu. Mais l'homme ne l’en haït alors que plus pour cela, et l'homme retrouva l'enfant au bord de la falaise, là où se croisaient le ciel, la mer et la terre. Mais cette fois l'enfant ne le suivit pas, cette fois l'enfant regarda l'homme et recula loin de lui, loin de la terre ferme qui ne sut être hospitalière, loin de ce qui fut. Il chuta, libre.
Du bruit ... du bruit ... Au commencement il y avait toujours du bruit. Les vagues se dressèrent inquiètes et crièrent en se déchirant. Elles tentèrent d'engloutir ce qui n'était pas vague, et l'enfant se débattit. Pourtant, il voulait se laisser choir mais la voix gronda : « Tu es à moi, tu ne peux mourir si ce n'est pour moi, tu ne mourras pas »
Et l'enfant sut que la voix disait vrai, l'enfant sut qu'il était enfin né, il était là où il avait toujours été. Il était chez lui.
Seth rouvrit les yeux. Le volcan crachait une nouvelle fois sa lave. Il baissa son regard vers cette mer déchaînée. Non. Pas encore. Il n’allait pas sauter et mourir. Pas encore. « Le désespoir n’est pas une fatalité, c’est une faiblesse d’esprit », songea-t-il en tournant les talons. Avec elle, il était plus fort que le destin.
***
Kosmos
L'eau s'écoulait tranquillement, dans un doux murmure, au milieu de la plaine verdoyante. A peine en quelques endroits, la petite rivière tentait d'imiter les rapides menaçants de ses aînées, mais tout ce qu'elle pouvait emporter, étaient quelques feuilles mortes. Un peu en aval, se trouvait un aplomb rocheux d'où elle tombait, cascade timide, qui n'osait par son bruit troubler le calme ambiant.
Sous celle-ci, se trouvait un être à la mine sombre et songeuse, à la peau tannée par le soleil. Sous celle-ci je me tenais. Moi, Seth, l'Egyptien, je regardais d'un regard doux les feuilles mortes glisser sur l'eau chatoyante, chacune emportant avec elle une pensée sombre, chacune apaisant un peu mon âme.
Ainsi Yolos nous avait montré le Kosmos, ainsi la Pythie nous avait montré une partie du Mystère. Mais cela m'avait plus troublé que soulagé. Où que je cherchais, il n'y avait nulle trace du Kosmos, ni en moi, ni dans les autres élus.
Ils étaient tous différents, et pourtant tous étaient censés le porter en leur cœur. Pallas, jeune homme presque éteint, mais tiraillé dans son cœur entre l’envie de servir celle qui l’avait appelé et celui qui avait veillé sur les siens depuis des générations dans sa cité d’Argos. Harald, écorché de la vie, avide de trouver une famille, tout simplement, mais que le destin poussait une nouvelle fois sur un chemin douloureux, celui des guerriers. Et que dire de Frank ? Le bienheureux Frank, le bon Frank … comment pouvait-on penser que cet être pourrait un jour réveiller un Kosmos que Yolos disait terrible. Nevali, Nekkar ou Séléné, eux étaient certainement de cette trempe, de cette race des guerriers. Artholos aussi. Son âme n’était pas là, il n’était pas là. Mais tout indiquait qu’un jour sa bête se réveillerait. Oui, lui possédait certainement ce Kosmos. Tout comme l’Etranger d’ailleurs. Lui cachait quelque chose de terrible, il faudrait apprendre quoi. Et Darkhan, cet enfant à peine entré dans l’adolescence. Ridicule. Lui ne pouvait rien espérer. Athéna devait être une déesse bien sûre d’elle pour l’avoir choisi. D’ailleurs Mâa était semblable : que faisait ce fils de prêtre ici ? Il n’était que morale, doute. Qu’avait-il de si particulier pour avoir été appelé ? La réponse était plus claire pour Asturias : courage, loyauté, connaissance … non, il n’était pas que cela, Asturias, il l’avait bien vu dans son regard. Peur, doute : il était davantage un ami que l’on pouvait mettre en avant pour se protéger, car il ne dirait jamais non … Et, enfin, Shiro. Le plus insondable, plus encore que l’Etranger. Lui, l’avait déjà peut-être. Leurs corps étaient prêts, le bûcher sur lequel ils brûleraient était là, ça il en était sûr, mais l'étincelle ... Oui, Shiro l’avait peut-être déjà.
« Mais qu’est-ce que tu racontes ? On dirait que te voilà tel un conquérant qui assiège une cité depuis des lustres et qui, quand les portes s'ouvrent, ne peut entrer ».
Elle m’avait encore parlé. D'une certaine façon j’avais peur de ce qui se trouvait au-delà ; je haïssais cette ignorance. Ma main s'abattit sur une d'entre elles, celle sur laquelle j’avais « posé » ma peur. « Il ne peut y avoir de pardon pour la faiblesse ... Je ne connais pas l'échec ! »
Je me levais et me dirigeais alors vers le volcan. Il m’avait assez attendu pour aujourd’hui. Mon Kosmos m’attendait, quelque part dans cette fournaise.
***
Les flammes de l’espoir
L'Egyptien se sentait bien ... Ou mourant. Il ne savait plus. Les yeux ouverts, il ne voyait que brumes ardentes autour de lui. Pourtant, il se rappelait que les brumes recouvraient seulement le sol. Il se mit à sourire ... Ha oui, c'était sa tête qui se trouvait au sol. Comme il serait doux de se laisser aller à l'inconscience.
A travers les brumes, il se mit à voir des images. Les scènes défilaient, incohérentes, incompréhensibles et, finalement, amusantes. Il sourit en voyant le visage de l'Etranger accusateur ... Et celui de Frank, l'intrépide Frank qui abattait un ancien chevalier furieux. Ce guerrier lui était familier ... C'était Séléné, ou n'était-ce pas lui ?
« Ton futur, c'est ton futur que tu vois là ! »
Que ? Ce n'était pas l'Egyptien qui avait dit ça. Seth se tourna de chaque côté. Rien, que la brume. Tout cela était si irréel. Cela avait-il eu lieu ? Son esprit lui disait que oui, cela avait bien eu lieu, et n'avait pas encore eu lieu. Si doux ... Si doux ... Plus de sens, plus de raison, rien n'était important, rien n'était réel.
Non, le choix. Le destin avait choisi, le destin l'avait choisi ! Il ne pouvait abandonner, il ne pouvait trahir son destin. Il se força à pousser sur ses bras fatigués, pour se relever. Et il resta figé, lorsqu'une voix retentit :
« Tu es a moi, tu n'as toujours été qu'à moi, tu n'es rien ... Rien d'autre que moi !
- Non je suis moi, mon destin est de servir la voix, je suis libre, s'entendit-il riposter d'une voix geignarde.
- Illusion, cela n'a été qu'illusion ... Tu es une illusion ! »
Quand son visage heurta le sol, son visage se couvrit de larmes, et il eut une dernière pensée envers cette terre inhospitalière :
« Toi, dont le sol n'a jamais connu le goût de l'eau, et avait perdu l'espoir de le connaître, je te redonne l'espoir ... Accorde-moi un peu d'espoir en retour ! »
Alors, il vit dans ses larmes un reflet ... Les flammes ... éternelles ... sans cesse renaissantes ... L'espoir.
***
L’Ombre de l’Île
La voix poursuivait son travail de sape. Seth se releva une nouvelle fois, les mains enserrant son crâne prêt à exploser. L’Ombre se remettait en garde. L’Egyptien l’avait pourtant renvoyé une nouvelle fois au sol, néanmoins celle-ci se relevait à chaque fois, simplement de plus en plus furieuse. Et elle revenait à la charge, irradiant de chaleur, déchaînant ses images terrifiantes alors que la voix riait aux éclats. Malgré les nombreux coups qu’il avait portés à son adversaire, les blessures béantes de ce corps pourtant tangible semblaient se refermer sur le liquide blanc qui coulait un instant auparavant à flots. Seth hésitait. Chaque coup porté ne servait à rien. Il fallait trouver autre chose. Il avait pourtant réveillé son Kosmos. Il le sentait parcourir son être, il sentait la voix ivre de colère à chaque fois qu’il le canalisait. L’Ombre le dévisageait. Elle était lente en apparence, mais ses coups étaient toujours justes et si puissants. Du moins, il avait cessé de martyriser son cerveau avec ses illusions. Heureusement, sinon il se serait jeté dans la lave pour y échapper.
« Tu vas perdre … tu es bien trop faible …
- Tais-toi ! vociféra Seth en se tapant la tête.
- Tu deviens agaçant, lança l’Ombre. « Tu parles seul, tu es déjà fou mais tu ne veux pas mourir, accepte la mort comme une délivrance ».
- Ecoute-le, c’est pour ton bien. Regarde-toi, tu es pitoyable. Laisse-toi mourir.
- JE N’ECHOUERAI PAS ! » hurla Seth les bras tendus vers la voûte sombre de la caverne de basalte.
L’Ombre vit alors le Kosmos enflammé de son adversaire irradier l’espace, jusqu’à réveiller la lave en fusion qui coulait en contrebas et se prépara à se dégager de l’assaut imminent. Trop tard, trop lent. Seth venait de libérer une partie de sa puissance à l’état brut en une onde de choc qui partit dans toutes les directions, projetant entremêlés pierres enflammées et lave incandescente. L’Ombre fut emportée par le choc et martyrisée par les assauts incandescents ; il atterrit violemment contre une paroi rocheuse et resta au sol, sonné. Seth concentra les forces qui lui restait dans ses mains et se jeta en avant, saisissant l’Ombre par le cou.
« Regarde-bien, je vais le détruire et te faire taire !
- Ridicule, tu n’y arriveras jamais, tu es bien trop faible, l’Ombre va se relever et t’emporter dans les tourments de la mort !
- JAMAIS ! hurla Seth, les veines de son cou prêtes à exploser de rage.
Le serviteur d’Athéna fit naître entre ses doigts serrés autour du cou de l’Ombre des traits de feu. Puisant dans ses dernières ressources, il intensifia la violence de son assaut jusqu’à un point où aucune créature ne pourrait résister.
- Il en faudra plus, éructa l’Ombre en donnant un violent coup de pied pour se dégager.
- Oui, répliqua Seth, il en faudra plus pour me faire lâcher prise !!! »
Les yeux de Seth brillèrent comme de la lave en fusion et ses bras commencèrent à se desserrer. Il propulsa l’Ombre dans les airs et s’envola à son tour au-dessus de la lave en fusion.
« Que les Ailes du Phénix t’emportent ! »
La déferlante d’énergie incandescente frappa l’Ombre au moment où l’Armure Sacrée vint recouvrir Seth dans un torrent de feu. Seth comprenait enfin le Kosmos. Il avait eu l’étincelle qu’il attendait depuis si longtemps. Contrairement à toutes les fois où il avait réveillé le Kosmos, il sentait cette fois-ci qu’il était capable de le contrôler, de lui faire accomplir les plus grandes choses. Il voyait l’horreur dans les yeux pourtant sans vie de l’Ombre. Surtout, la voix s’était tue.
***
Réveil
La porte infernale qui l’avait vu retrouver ses amis n’était plus qu’un lointain souvenir. La déesse l’avait aidé, mais elle ne pouvait rien pour ses nuits. Seth se réveilla nauséeux. Sa nuit avait encore été troublée par ce rêve étrange. Quoi qu'il fît, il revoyait le visage grimaçant du gardien de l'Île. Pourtant il se rappelait avoir jeté son corps disloqué dans une mare de lave. Il était mort, son corps volatilisé, et son âme faisait maintenant partie de la cohorte de spectres qui hantaient cette Île.
Il essaya de faire passer son mal-être, en avalant le brouet infâme qui servait de déjeuner ici, au Sanctuaire. Il en venait presque à regretter la chair des scarabées de feu. Mais cela était le passé, et le passé n'était rien. Non, aujourd'hui son esprit se tournait vers l'Egypte. Non pas qu'il éprouvât la nostalgie de son pays d'origine, et encore moins de la compassion pour le sort de ses habitants. Non il sentait que quelque chose s'y passait, quelque chose qui était lié à lui.
Il avait promis à Athéna de la servir et au véritable maître de l'Île de s’y tenir à tout prix. Pourquoi pas ? Tant qu'à être au service de quelqu'un, ces maîtres-là en valaient bien d'autres. Mais aujourd'hui sa promesse signifiait-elle son départ vers l'Egypte, ou l'en éloignait-elle ? Il devait parler à Mâa, même si son sentimentalisme forcené allait faire ressurgir sa nausée, il devait en apprendre plus. La voix s’était tue. Il était Seth, Guerrier Sacré du Phénix.