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Hades Glory

Le premier jour où je rencontrai Hadès fut celui de ma naissance. Quelle étrangeté de voir le visage de la mort alors que l’on vient à peine de naître.
La légende veut que peu avant ma naissance, l’oracle d’Ananke annonça au grand Zeus qu’il aurait un enfant qui mettrait fin à son règne. Le dieu du ciel avait à l’époque pour concubine la déesse Métis, incarnation de la ruse, qui l’avait subtilement aidé dans sa lutte contre Cronos.
Mon père aurait alors dévoré ma mère pour se prémunir du danger que représentait l’enfant qu’elle portait, renouvelant ainsi les crimes de Cronos qui avait dévoré ses enfants pour ne pas vieillir. Nombreux furent ceux qui crurent par la suite que je m’étais purement et simplement extraite du crâne de mon père, adulte et armée, sans chercher à comprendre le véritable sens de cette légende.
En toute personne il y a la lumière et les ténèbres. Nous tendons tous naturellement vers la lumière mais nous perdons souvent en chemin dans les ténèbres car le libre arbitre est plus une malédiction qu’autre chose. Conscient de cela, le dieu du ciel, alors qu’il était encore jeune et bon, avait formé le rêve d’avoir un enfant qui continuerait son œuvre. Un être sensible qui ne se lasserait pas d’aimer ce qui est beau et dont le cœur déborderait de cette générosité dont il regrettait que la Nature ne l’ait pas doté. Comme Hadès avait fait le rêve d’Elision, Zeus avait fait le rêve d’Athéna, la projection de la partie la plus lumineuse de son être, de tous les souhaits qu’il avait fait et ne s’étaient jamais réalisés. Zeus me conçut en rêve et la Big Will fit de moi une réalité. En ce sens je suis bien sortie de la tête de mon père.
Le jour où je pris forme au réveil du dieu suprême, la confusion envahit son esprit en voyant devant lui une déesse d’âge adulte déjà parée d’un casque. Ayant reconnu mon ascendance à mes yeux verts que je tenais de ma mère, il inventa alors la fable de l’ouverture de son crâne par Héphaïstos pour les simples d’esprit mais en lui-même il jubilait devant la magnificence de son rêve concrétisé.
Ce jour même je fus présentée aux dieux qui avaient été invités à se rendre sur le mont Olympe. Je reçus des vœux plus ou moins sincères ou intéressés de la plupart d’entre eux mais tous me témoignèrent cependant une certaine sympathie car tous connaissaient la fierté d’être père, de tenir son enfant dans ses bras et de le présenter à ses pairs. Tous sauf le dieu de la mort, le seul d’entre tous qui s’étant marié par amour n’avait pu concevoir aucun enfant.
Lorsqu’il se pencha légèrement vers moi pour déposer sur mon front un baiser du bout des lèvres, il me présenta ses vœux d’une manière curieuse.
« Jeune déesse, je te souhaite de réaliser tout ce que tu pourras, tout ce que tu voudras et tout ce que tu dois car le pouvoir n’est rien sans la volonté. »
Je dus répondre avec une certaine candeur que je ne souhaitais rien pour moi-même que d’être entourée de bonheur et de joie.
Le dieu des ténèbres eut alors un mouvement de recul de tout son corps. Ce que je vis dans ses yeux si profonds ce fut d’abord de la surprise, ensuite je ne me souviens plus. Il se tourna cependant vers mon père.
« Mon frère, veillez bien sur cette enfant. Elle est la meilleure chose que vous avez jamais conçue. Vous lui ferez voir le meilleur et moi le pire. Elle vous aimera pour cela et me haïra, c’est dans l’ordre des choses.
- J’accueille tes vœux avec faveur mon frère et regrette de n’en pouvoir former de pareils pour ton héritier qui n’est point encore venu. »
Hadès salua sèchement et quitta l’Olympe avec humeur tandis que les dieux réunis s’écartaient précipitamment sur son passage de peur de ternir leur aura à son contact.
Ce jour je découvris que la malice existe chez les dieux mais si intelligent que fut mon oncle je ne pense pas qu’il aurait jamais pu deviner quel serait le dénouement de ma vie.
***
Ce fut lors de notre seconde rencontre que mûrit la pomme de la discorde. A cette époque la plupart des dieux s’intéressaient aux humains d’une façon souvent peu innocente. La race débile qu’avait modelée Prométhée commençait à se sédentariser et à domestiquer la nature. Voyant cela, les olympiens comprirent vite le profit qu’ils pouvaient en tirer et leurs incursions fréquentes sur Terre étaient l’occasion d’inspirer des prophètes qui promettaient monts et merveilles aux rois qui ordonneraient l’érection d’un temple en l’honneur de tel ou tel dieu. Bientôt on vit ployer des boeufs  sous le poids des immenses blocs de pierre qu’ils devaient tirer tandis que des charpentiers experts déboisaient les forêts pour consolider leurs édifices. Je participai moi-même à ce mouvement en disputant victorieusement la souveraineté de l’Attique à mon oncle Poséidon.
La tradition du culte voulait alors que lors d’un sacrifice seule une partie de la viande de l’animal soit offerte aux dieux, le reste étant consommé par les fidèles. Les cérémonies étaient traditionnellement l’occasion de libations et de réjouissances. Peut-être est-ce le mépris d’Hadès pour ces conventions qui motiva notre rencontre.
Le dieu de la mort n’avait que peu de temples en Grèce, tout au plus un autel lui était-il consacré à Elis et un autre à Samothrace. Les cérémonies se déroulaient toujours en plein air et frappantes de noirceur. Tous les fidèles devaient en effet garder les yeux rivés sur le sol tandis que le grand prêtre égorgeait silencieusement un animal à la peau noire et le laissait se vider de tout son sang avant de l’ensevelir sans qu’une once de sa chair ne fut concédée aux fidèles. Ces sacrifices se déroulaient uniquement de nuit et jamais je n’entendis le prêtre prononcer le nom de mon oncle plus d’une fois et encore le faisait-il en tremblant de peur d’attirer une malédiction sur lui. Hadès, qui signifiait « celui qui ne peut être vu »,  était un nom lourd de sens qui ne devait pas être prononcé à la légère.
Il arrive que lorsque l’on pense très fortement à une personne, elle apparaisse à vos côtés. C’est ce qui se produisit ce jour où je me promenais insouciante dans les prairies de l’Attique et qu’à l’ombre d’un chêne je reconnus mon parent.
Ses yeux d’or me renvoyèrent un sourire malicieux.
« Ca fait longtemps n’est-ce pas ? »
Je m’inclinai légèrement en signe de respect puis lui demandai.
« Mon oncle, quel heureux hasard de vous rencontrer ici, sur Terre.
- Il n’y a pas de hasard, Athéna. Je suis venu car tu m’as appelé. Il semble que mon culte te surprenne. »
Relevant le visage, je plongeai dans ces yeux d’une luminosité sans pareille qui contrastait avec la pâleur de son teint et la rougeur sanguinaire de ses lèvres. Sans le vouloir, je rougis légèrement en pensant que j’aurais aimé me perdre dans leur contemplation.
« Oui en effet. Je ne comprends pas pourquoi un dieu aussi puissant que vous se contente de si peu de respect de la part des humains. Vous n’avez presque aucun temple et on ne prononce jamais votre nom et…
- Et la plupart des statues me représentant sont hideuses n’est-ce pas ? Termina-t-il en riant. »
A  cela je préférai ne rien répondre bien que j’aie toujours trouvé très laid ce vieillard barbu aux traits ridés que l’on représentait en train d’enlever Perséphone.
« Peu m’importe que les hommes me vénèrent de leur vivant. Je préfère qu’ils me craignent jusqu’à leur mort. Que ferais-je d’une ville ou d’un pays ? Mon empire est celui de l’éternité. Et puis le fait même de dédier un culte à la mort m’a toujours paru ridicule.
- Vous n’êtes pas la Mort elle-même ! »
Hadès se figea un instant sur lui-même, surpris par la naïveté d’une telle affirmation. Dans sa main droite se forma un globe phosphorescent.
« Les simples d’esprit pensent que je ne suis que le souverain de l’Enfer pour me rendre moins effrayant. Mais bien que la mort ait toujours existé, je suis le seul à en être le maître. Tu me crois doué de bonté à cause de mon visage agréable mais sais-tu quel est vraiment mon royaume ? Connais-tu la noirceur du Meikai ? »
Des ombres macabres se dessinaient autour de mon oncle tandis que son cosmos s’épanouissait. On aurait dit que les âmes égarées à la surface de la Terre avaient toutes afflué vers ce lieu à l’appel de leur maître.
« Il n’y a qu’un seul moyen de se rendre en Enfer pour les mortels, c’est par le Yomotsu Hira. Alors prépare-toi car je vais envoyer sur toi les vagues d’Hadès. Comme tous les humains tu ne souffriras qu’un petit peu. »
Ce fut au contraire très douloureux. J’eus l’impression que toute ma chair m’était arrachée comme si j’avais été expulsée hors de mon corps par une force surnaturelle. Lorsque je rouvris les yeux, je ne sentais déjà plus la douleur mais le monde qui s’étendait devant mes yeux était d’une laideur sans nom. A perte de vue s’étendait un paysage rocheux sans aucune fleur ni forme de vie. Une longue pente menait à un cratère à la profondeur insondable vers lequel se dirigeaient sans broncher des créatures mornes. A mes côtés, la voix de mon oncle retentit.
« Ils sont pitoyables n’est-ce pas ? Ils ne sont morts que depuis quelques minutes et pourtant, leur volonté s’est déjà évanouie. Il ne leur vient même pas à l’esprit que la porte de la Terre est à quelques mètres d’eux.
- Mais alors qu’est-ce qui les empêche de revenir à la vie ?
- Leurs propres limites d’être humain répondit sombrement mon oncle. A l’origine tous les hommes possédaient l’arayashiki, la capacité d’obéir à sa propre volonté par delà la mort. Certains grands sages arrivaient même à l’atteindre de leur vivant. Mais avec le temps, les hommes ont perdu cette connaissance. La douleur que tu as ressentie lors de la séparation de ton corps n’est pas insurmontable mais elle est suffisante pour détruire la volonté d’un humain. »
Tout en continuant son explication, Hadès me prit la main et quelques secondes plus tard, nous survolions les cercles de l’Enfer pour atteindre la Giudecca.
« Les ombres que tu as vues sur le Yomutsu Hira sont les âmes des défunts. S’ils choisissent de se rendre en Enfer plutôt que sur Terre sous la forme de fantôme, c’est parce qu’ils conservent le souvenir de la douleur de leur mort et pensent que l’Hadès est un lieu de repos pour leurs esprits. Mais ils ont tort. »
D’un regard glacé par l’horreur, j’observe ces pauvres diables subir mille tortures. Qui devra brûler éternellement ou voir sa chaire déchirée par un vent violent… Les tortures du monde des morts sont sans égale mais surtout elles sont éternelles. Je ne prononçai pourtant pas un mot avant d’arriver dans la dernière sphère de l’Hadès.
« Alors que penses-tu de mon royaume, jeune déesse ?
- Il est… troublant. Je m’interroge sur le sens de ces tortures que vous infligez aux défunts. Dans quel but ? « 
Le dieu de la mort sourit légèrement mais cette fois sans ironie.
« Tu es plus fine que les autres dieux, tu sais. Tu aurais pu me poser une infinité de questions sur les sentiments que j’entretiens pour les hommes ou la jouissance que je tire de leurs souffrances. Mais tu as de suite compris que mon but était plus élevé. Aussi je vais te laisser le deviner. »
Mon parent posa nonchalamment sa tête contre son poing serré, simulant la somnolence passagère. Je commençai à penser à voix haute.
« La plupart des dieux recherchent l’ostentation et punissent les hommes de leur impiété plus sévèrement que de raison pour obtenir leur dévotion par la peur. Mais ceux-là se font construire des temples sublimes et commandent des fêtes en leur nom. Votre culte est si peu répandu et impopulaire qu’on le célèbre en cachette. Ce n’est donc pas la dévotion que vous recherchez. »
Les yeux de mon oncle pétillèrent légèrement tandis qu’il m’invitait à continuer d’un hochement de tête.
« Vous punissez les fautes que commettent les hommes de leur vivant après leur mort. Mais vous reconnaissez vous-même que la réincarnation est désormais impossible. Si les défunts ne peuvent plus revenir sur Terre, il ne sert à rien de chercher leur rédemption. »
Cette fois, le maître de la mort ne donna aucun signe extérieur d’approbation mais dans ses yeux d’or si profonds fixés dans les miens, je sentais qu’il me mettait au défi de continuer, comme si j’allais trahir un secret terrible.
« Si votre but n’est ni le respect ni la rédemption. Si vous n’agissez pas par haine ni par amour. Alors c’est que votre but concerne non pas les défunts mais les vivants que vous dédaignez. Votre véritable but c’est de… »
Tandis que je prononçais, cette dernière phrase, mon oncle s’était levé et sans un mot avait découvert une salle située en contrebas de la Giudecca dans laquelle je le suivis sans qu’il m’invitât à entrer. Je restai alors un moment dans la contemplation du relief de ce mur qui représentait à l’évidence deux archanges de profil.
« Tu es vraiment exceptionnelle… mais je t’en prie, termine ta phrase. »
Je pris une inspiration avant de lâcher finalement d’un souffle ma sentence.
« Sauver les humains »
Le dieu de la mort me sembla l’espace d’une seconde plus jeune et vulnérable. Ses yeux pétillèrent de l’éclat de l’enfant qui observe un jouet dont il rêve sans pouvoir se l’offrir. Puis il redevint ce jeune homme au regard triste que je connaissais depuis ma naissance. Posant alors sa main droite sur le Mur dont j’appris plus tard qu’il portait le nom de « Lamentations », il éluda ma réponse.
« Ce mur marque la fin de l’Enfer. Par delà s’écoule le fleuve Léthé qui détruit tout être qui n’est pas d’essence divine et barre ainsi l’accès d’Elysion, la Terre délivrée du mal. Crois-tu que j’ai crée ce paradis consacré pour mes semblables olympiens ? »
Je connaissais déjà la réponse mais jugeai préférable de le laisser poursuivre.
« Ce paradis, je l’ai crée pour une enfant humaine. Une petite fille qui me fit passer les heures les plus joyeuses de ma vie en sa compagnie. Lorsqu’elle est morte, j’ai vu son âme triste qui pleurait de n’avoir nulle part où se rendre. J’ai voulu soulager sa peine en lui permettant de se raccrocher à un souvenir agréable. Elysion était son jardin et le lieu où je revenais pour retrouver mon enfance en sa compagnie.
- Cette enfant n’avait-elle donc commis aucun péché ?
- Son seul péché fut d’être attirée par moi. Elle fut la première et le seul être humain à poser jamais les pieds en Elysion. A partir de ce jour, les âmes des défunts attirées par mon cosmos, se dirigèrent toutes vers ce lieu mais elles s’écrasèrent toutes contre le mur des Lamentations car les péchés qu’elles avaient commis de leur vivant les rendaient indignes d’entrer au paradis.
- Mais si seuls les dieux peuvent franchir ce mur…
- A l’aube des temps, les humains et les dieux n’étaient pas si différents. Nous avions choisi le chemin de la puissance et eux la facilité d’une vie simple. Ces demi-dieux pouvaient tous traverser le Léthé si le cœur leur en disait… Mais les hommes perdirent le souvenir de leur origine divine et leurs âmes souillées ne furent bientôt plus capables de la moindre autonomie après la séparation de leurs corps. »
Le dieu de la mort s’interrompit un instant, son regard s’égara plus qu’il ne se posa sur moi avec une douceur inattendue.
« J’ai perdu toute foi dans ma race. A mesure que notre puissance s’accroît, nous devenons plus égoïstes. Nos âmes détériorées par le poids de l’éternité ne peuvent plus être sauvées. Mais pour les humains c’est différent : leurs âmes peuvent encore être sauvées.
- Mais votre empire ne s’étend que sur les défunts. Le seul moyen qui vous reste de sauver les âmes des humains c’est la peur de la mort…
- Oui, c’est tout à fait cela. Je fais souffrir les défunts pour que leurs successeurs sur Terre comprennent leurs erreurs. Alors peut-être un jour rencontrerai-je un homme au regard pur malgré tout le mal que la vie lui a fait et je l’inviterai à séjourner en Elysion.
- Vous voulez donc sauver les humains d’eux-mêmes par la peur. Mais que se passera-t-il si le chemin pris par l’humanité ne correspond pas à vos attentes, si l’être humain vierge de tout péché n’existe pas ?
- Alors de juge de l’humanité je deviendrai son bourreau. Je la détruirai définitivement.
- Eh bien moi je sauverai les humains d’eux-mêmes non par la peur mais par la vertu et le courage. »
Sans un mot Hadès me prit dans ses bras puis plongeant ses yeux d’or dans mes pupilles mauves dont il semblait se régaler, il articula avec une voix tremblante de colère.
« Le jour même de ta naissance, j’ai su que tu étais différente de ton père. Non, en fait, tu incarnes tout ce qu’il y avait de bon et de généreux en Zeus avant qu’il ne devienne un tyran. Une déesse comme toi pourrait un jour lui succéder et rétablir la paix. Alors je t’en conjure, renonce à ton projet de sauver les hommes ! »
Encore très jeune alors, je sentais mes épaules trembler sous la pression de ce contact viril auquel j’étais si peu habituée. Je ne parvenais pas à détacher mon regard des yeux d’or de la Mort, de ses fines lèvres couleur de sang… Peu de femmes auraient pu lui résister pour peu qu’il se fût donné un peu de mal. Mais malgré mon envie de m’abandonner dans ses bras, je ne pouvais renoncer à ce désir irraisonné de vouloir un monde meilleur pour ces créatures que je connaissais à peine.
« N…Non… je regrette mais… je ne peux pas. Quelque chose au fond de moi fait bondir mon cœur dès que l’on parle des humains, c’est comme si le mal qu’on pouvait leur faire m’était infligé à moi-même. Je ne les connais pas beaucoup mais je sens que je suis venue au monde pour eux. »
Mon oncle relâcha alors la douce pression qu’il exerçait sur mes épaules puis sembla prendre plaisir à promener sa main dans mes cheveux mauves.
« Même comparée à ton père, tu es exceptionnelle. Mais la voie que tu as prise est celle de la souffrance et du malheur. Moi aussi, étant jeune, j’ai voulu croire en ma race, je débordais d’idées généreuses d’un monde meilleur. Mais ces illusions candides de l’enfance se sont estompées avec l’âge adulte et finalement il ne m’est resté que la tristesse et la nostalgie. Il en est de même pour les humains : lorsqu’ils auront atteint la limite de leurs capacités physiques, ils ne croiront plus en rien et même l’amour s’estompera avec le temps. Tu es jeune mais tu as l’éternité devant toi pour le comprendre. »
Je sentis sa main droite qui se retirait de ma chevelure et instinctivement, je la saisis pour la retenir près de moi.
« Je suis sans doute jeune mais je sais ce qu’est l’amour : un sentiment de bienveillance spontanée qui ne demande en retour qu’un peu de chaleur.
- Athéna… ne laisse pas tes sentiments te gouverner. Le jour où l’humanité aura perdu toute grâce à mes yeux, lorsque nous nous ferons face sur un champ de bataille, tu ne devras pas écouter ton cœur. Car si tu éprouves des hésitations, moi je n’en aurai aucune. »
Les yeux d’or du dieu de la Mort s’étaient subitement refroidis comme si toute chaleur les avait quittés. Ils étaient maintenant aussi froids que l’acier et je sentis sa main glacée se retirer de la mienne. Pourtant, je ne pouvais pas accéder à son désir.
« Mais je… je ne pourrais jamais vous haïr…
- La haine ou l’amour n’ont rien à voir dans cela. A l’origine de toute guerre il y a deux points de vue inconciliables. On tue pour que d’autres vivent, pour protéger sa vie ou celle d’autrui. Mais le jour de la bataille, il faut tuer ou être tué. Aujourd’hui, tu ne me hais pas mais qu’en sera-t-il si je menace la vie de ceux que tu veux protéger ? »
La réponse à cette question, je ne la connais qu’aujourd’hui alors que tel un papillon, je m’apprête à disparaître dans la lumière pour sauver une vie, celle de mon ennemi.
***
Une légende du royaume des dieux contait que le jour, où le dieu suprême viendrait à mourir, la mère de toute chose vivante étendrait ses ailes de colombe sur son corps et l’emporterait dans les cieux pour que son essence divine soit répandue sur Terre.
C’est ce qui s’était passé lorsque, armé d’une faucille de fer, le Titan Cronos avait sacrifié le ciel à son ambition. Avant de mourir, le ciel humilié s’était enfui vers la voûte céleste et lorsque son agonie fut terminée, le vent dispersa les morceaux de son corps en nuages qui firent tomber une pluie dorée sur le monde des Titans pendant douze jours et douze nuits. Les Titans, seuls êtres vivants à recevoir la divine substance acquirent ainsi une puissance extraordinaire qui devait leur permettre de soulever des montagnes et leur faire croire, pour leur malheur, qu’ils avaient acquis l’essence divine de leur père. Cronos fut le seul à acquérir ce pouvoir et avec la bénédiction de Gaïa il devint le premier dieu suprême.
Mais le monde des Titans était condamné à la destruction depuis la mort d’Ouranos car nul ne pouvait remplacer le ciel, pas même Cronos. Alors le sombre monarque prit une décision terrible : ayant déjà sacrifié le ciel, il décida de faire de même pour la Terre.
Utilisant son immense pouvoir, il parvint à dévier l’orbite de sa propre planète de façon à la faire dériver dans l’immensité du cosmos, telle une étoile filante. Gaïa, la mère de toute chose souffrit de cette longue traversée de l’univers qui détruisit toute forme de vie à sa surface mais finalement, un jour, la météorite rencontra un éclat de roche perdue dans le cosmos qui avait été miraculeusement touché par la volonté divine ordonnatrice du chaos primitif. Cette planète n’était à l’époque qu’un immense océan nommé Pontos, une étendue d’eau infinie qui possédait en elle-même le potentiel pour donner naissance à la vie mais il lui manquait l’étincelle. Cette flamme ce fut la Gaïa qui la lui apporta. La comète atteignit Pontos en plein coeur et la lutte de ces deux forces primitives permit l’émergence du premier continent unique de pair avec les premières formes de vie. Il fallut très longtemps avant que la roche qui retenait les enfants de Gaïa prisonniers de leur propre mère ne commençât à se fissurer mais finalement un géant émergea de la mer, brisant de son poing le continent unique, gravant ainsi le témoignage de sa renaissance. Cronos revint ainsi à la vie, grâce à la volonté de Gaïa qui avait permis à la roche minérale qu’il était devenu de recouvrer son essence divine. Tel un enfant qui cherche ses jouets, il commença alors à disséminer sa volonté sur Terre et bientôt, les douze dieux titans émergèrent à leur tour de Pontos et commencèrent à ordonner le monde.
Le Régent interrompit là son récit. Utiliser un monde à l’agonie comme un bateau pour naviguer dans l’obscurité de l’espace à la recherche de la Terre Promise avait été une idée de génie de la part de son maître.
Et lorsqu’il contemplait la situation présente, il ne pouvait écarter de son esprit la possibilité que cela se produise à nouveau. Le dieu suprême avait été terrassé aujourd’hui et il ne se relèverait pas. La mort n’était plus et personne ne pourrait remplacer ce concept élémentaire. Sous peu de temps, les humains se trouveraient prisonniers des douleurs qui étaient le tribut de la vie, les animaux s’entretueraient en pure perte et les âmes des morts, privées du havre des Enfers ne pourraient plus jamais se réincarner.
Le ciel lui-même semblait déchiré par une multitude de blessures profondes et les nuages se teintaient d’un rouge sanguinaire qui annonçait un nouveau sacrifice.
Oui, dans peu de temps, ce monde deviendrait tellement instable que même un fils de Cronos serait incapable de le gouverner. Il ne resterait plus d’autre choix aux habitants de cette Terre que de chercher refuge sur une autre planète. Cette vision comblait ses désirs les mieux refoulés et dans les ténèbres sanglantes du Mont Olympe, son aura grandissait de plus en plus. L’apothéose était proche mais pour que s’accomplisse sa destinée, il fallait que le véritable dieu suprême soit réveillé et que ses pâles copies disparaissent. Pour cela il fallait un miracle.
***
Très haut dans les cieux, par delà les limites du sensible, dans ce monde de l’intelligible que les habitants de la Caverne ne pouvaient voir et que Platon nomma Idea, un grand dieu allait à la rencontre de son Destin. Son corps était devenu transparent et l’on n’en distinguait plus qu’une flamme brûlant en son centre. Bien qu’il ne fût plus rien, il se sentait si bien, entouré par les ailes de colombe de la déesse mère. S’il existait un paradis alors l’Idéa était ce qui s’en rapprochait le plus. Mais lorsque l’on arrive au paradis, nul ne peut savoir qui l’y attend depuis si longtemps. C’est pourquoi il demanda à la sublime déesse.
« C’est vous mère ? »
Le sourire de Gaïa était aussi bienveillant que lorsqu’elle avait remis à Hadès le noyau de la nouvelle vie qu’il portait en lui.
« Comme je te l’ai déjà dit, je ne suis pas seulement ta mère mais celle de toute la création. »
Ne ressentant plus la douleur dans ce monde si beau, le défunt dieu put articuler sans malice.
« Ne seriez-vous pas plutôt le messager de la mort ? Quelle ironie que les parents doivent enterrer eux-mêmes leurs enfants.
- Tes forces sont en effet épuisées et le corps humain dont je t’ai fait cadeau n’a plus l’énergie nécessaire pour se mouvoir. Si c’est cela que tu nommes la mort, alors oui je suis son messager. »
Hadès fut alors frappé par sa propre naïveté.
« Un corps humain, vous dites ? Je comprends à présent pourquoi ma défaite a été si totale… Avec une enveloppe aussi débile, je ne pouvais gagner.
Cette fois, ce ne fut pas la voix de Gaïa qui résonna à ses oreilles mais celle d’une personne qu’il avait tuée.
« Ce qui t’a vaincu, dieu de la mort, ce n’est pas Zeus mais toi-même. Tu t’es abandonné aux filets de la mort qui t’attirait comme une amante passionnée au lieu de saisir le flambeau de l’espoir.
- C’est ridicule ! Je suis le maître de la mort et non son amant ! J’ai lutté jusqu’à la limite des mes forces contre Zeus mais j’ai fini par être vaincu !
- Pas son amant dis-tu ? Mais alors quel est le sens de cette marque qui orne ton royal front ? Tu as accepté la mort comme ton destin, tu t’es déclaré son champion comme un chevalier l’aurait fait pour sa dame… »
Hadès commençait déjà à perdre patience à écouter un tel discours.
« Et qui es-tu pour me donner des leçons ? Que sais-tu du désespoir d’un guerrier qui n’a aucune chance de vaincre ? De la souffrance de devoir enchaîner les batailles sans jamais pouvoir reposer sa folie ? »
Pour toute réponse, l’interlocuteur d’Hadès sortit de l’ombre. Il portait une robe de mousseline curieusement noire, un col italien lui faisait relever la gorge, accentuant l’effet de son décolleté. De sa main droite il tenait un masque d’opérette comme on en utilisait souvent lors des bals masqués dans la Venise des Doges.
Mais ce masque avait une signification pour le moins macabre. Bien que la partie inférieure fût absente de façon laisser voir les lèvres et le menton, à la pâleur du front et au vide qui tenait lieu de globe oculaire, on reconnaissait clairement la forme d’un crâne.
« Je suis celle qui t’a le plus aimée. »
Hadès reconnut instantanément le timbre de cette voix, les rides qui sillonnaient le cou de cette femme ainsi que ses longs cheveux couleur de jais. Il sentit à ce moment que quelque chose s’était brisée au fond de lui comme si ses certitudes avaient volé en éclats d’un seul coup. Pourtant, en dépit de la douleur que lui causait ce sentiment, il choisit de continuer à jouer la comédie.
« Tu te présentes à moi sous ce masque macabre et tu prétends m’avoir aimé plus que tous ceux qui m’ont détesté et pourtant ont choisi de croire en moi. Je ne te savais pas si impudente.
- Je ne porte pas ce masque pour t’intimider ou te signifier mon hostilité mais pour t’aider à trouver par toi-même la raison de ta défaite.
- La raison de ma défaite dis-tu ? N’est-elle pas aussi évidente que la précédente ? Le pouvoir de Zeus a surpassé le mien et j’ai été vaincu. »
Sans prêter attention à cette réponse attendue, la femme masquée poursuivit.
« Tu es un être complexe, dieu de la Mort. En toi s’affrontent les pouvoirs d’Eros et de Thanatos, ces concepts élémentaires des pulsions de vie et de mort. Les pouvoirs que tu as donnés à tes enfants en sont la preuve : comme Hypnos tu répugnes à la violence et voudrait endormir le monde dans un sommeil éternel pour ne pas avoir à souffrir sa présence…
- C’est vrai : je n’ai jamais été homme de compromis. Athéna voudrait sauver l’humanité car pour un million de pêcheurs, on peut trouver une dizaine de justes et Poséidon voudrait exterminer l’humanité à l’exception de ceux-là. A quoi me serviraient dix justes ? S’ils ne peuvent sauver leur genre à eux seuls alors autant qu’ils périssent avec lui et que Dieu reprenne son œuvre à zéro.
- …comme Thanatos tu es fasciné par la mort mais ne supporte pas qu’elle se manifeste à toi ne serait-ce que sous la forme d’une égratignure. Tu es une masse de contradictions et si tu as perdu face à Zeus, ce n’est pas dû à l’absence d’armure ou à ton corps humain mais au fait qu’avant même de commencer cette bataille, tu avais abandonné l’espoir de la gagner ! En d’autres termes, ta fascination pour la mort l’avait déjà emportée sur ton désir de vaincre. »
Le sentiment de révolte qui couvait en Hadès depuis un moment l’emporta alors face à un jugement aussi injuste.
« C’est faux ! Lorsque Zeus m’a mis hors de combat pour la première fois, j’ai saisi mon épée et l’ai blessé dans un intervalle si court qu’aucun dieu n’aurait pu l’égaler ! »
Le masque ne semblait pas démonté par cet argument.
« Cela est vrai mais pourquoi t’es-tu relevé ? Où as-tu puisé la force de te battre ?
- Pour protéger Pandora bien sûr ! »
La femme leva un doigt inquisiteur vers le dieu des ténèbres.
« Exactement ! Tu t’es battu pour protéger une seule personne alors que Zeus protégeait un empire. Crois-tu qu’Athéna se batte pour protéger ses amis ou ses proches ? Crois-tu que les chevaliers du zodiaque se soient battus pour eux-mêmes ou pour leur fraternité ? Ils se sont battus pour préserver leur monde, pas seulement les personnes qui y vivent mais aussi les forêts, les océans et les montagnes. Toutes ces formes de vie sont respectables pour Athéna alors que les Olympiens ne voient dans la Terre qu’un champ de bataille. »
Le grand Hadès serrait les poings de rage de recevoir une telle leçon, lui le seul dieu juste de l’Olympe, le seul qui ait été toute sa vie un amant de la philosophie de la vérité. Lui qui avait crée la peur de la mort pour récompenser les justes et faire trembler les méchants, voilà que l’on tentait de lui montrer qu’il avait toujours fait fausse route.
Si fort qu’il serrât ses poings, il n’en ressentait aucune douleur comme si son corps lui était devenu étranger, preuve que la mort n’allait pas tarder à le saisir. De désespoir, il se retourna alors vers Gaïa, celle qui l’avait désigné dieu suprême, dans l’espoir de trouver en elle un regard consolateur, une marque d’approbation.
Mais pour la première fois, la mère de la création ne lui souriait pas. Alors il comprit que Dieu n’était pas avec lui. Dans son orgueil il se retourna pourtant pour recevoir son estocade finale.
« Alors dis-moi, toi qui te plais à imiter les paroles de Dieu comme les anges qui détruisirent Sodome et Gomorrhe, qu’est-ce que ces chevaliers ont de plus que moi ? »
Le masque tremblait perceptiblement en énonçant sa terrible sentence.
« Ces chevaliers… ils ne vivaient pas… que pour… protéger une personne seule…. comme toi. Ils vivaient pour protéger toute vie sur Terre. Pour eux… pour Athéna… il n’y a rien qui ne soit important. Zeus savait que la seule personne que tu chérissais par dessus tout était Pandora. Il lui a suffi de te la prendre puis te permettre de la sauver pour que ton désir de victoire s’évanouisse. Dès lors qu’elle fut sauve, ta vie ne comptait plus à tes yeux, tu l’as jetée dans un combat que tu ne voulais pas gagner car tu n’avais plus personne à protéger. Voilà pourquoi tu as perdu. »
Sans un mot, le dieu de la mort s’avança vers le masque. Arrivé à sa hauteur, le dominant de toute sa taille il utilisa ce qui lui restait de fierté pour l’interpeller.
« Même venant d’une personne comme vous, je ne peux supporter un tel affront. Depuis les temps mythologiques, les humains me craignent et me détestent car je suis celui qui mettra fin à leur existence. Même dans l’Antiquité, au temps où les hommes respectaient les dieux, aucun ne voulait comprendre la justesse des punitions que je leur infligeais mais tous me priaient de maudire leurs ennemis. Les hommes sont des loups qui se mangent entre eux et me détestent tous autant qu’ils sont. Pourquoi devrais-je me battre pour protéger une telle race ? »
Le masque ne répondit pas mais il semblait courbé sous le poids de son propre corps ou celui du chagrin. Lentement, doucement, le masque pivota pour découvrir des yeux d’or cernés de petites rides. Une peau très légèrement bronzée accueillait la naissance de fines lèvres dénuées d’attrait. Même les longs cheveux noirs de jais de la déesse ne brillaient plus comme à l’époque où le père des dieux y passait sa puissante main. La grande Rhéa, mère des Olympiens, avait connu les ravages du temps.
Malgré l’émotion qui se lisait dans ses yeux, Hadès se força à adopter un ton ironique.
« C’est donc toi, mère. Je suppose que ta mort n’était qu’un simulacre orchestré par Oblivion et ses comparses d’Utopia.
- Tu te trompes, Hadès. Je suis bien morte et le fait que je me trouve dans la main de Gaïa en est la preuve.
- Comment cela ?
- Te souviens-tu de la légende de la mort d’Ouranos ? Lorsque le corps immortel d’un dieu est détruit, son essence se déverse sur la Terre. Mais depuis ce tragique évènement, la déesse Gaïa, ne pouvant plus supporter de recevoir le sang de ses enfants, est partie vers le ciel et accueille dans ses ailes l’essence divine des dieux défunts, les préservant ainsi du néant. Toute chose qui fut enfantée par Gaïa revient à Gaïa après sa mort, c’est notre loi. Ainsi nos esprits sont éternels. »
Hadès recula d’un pas, quelque peu abasourdi par cette révélation. Lui qui avait pensé que la mort le libérerait enfin de ce combat éternel qu’était sa vie ne pouvait croire à son malheur.
« Ainsi il est donc interdit aux Immortels de mourir. »
Rhéa posa gentiment sa main sur sa joue.
« Détrompe-toi mon fils, le temps des Olympiens est presque révolu. Mais toi, tu ne peux pas mourir car sur Terre, personne n’a renoncé à te revoir et leurs cœurs t’appellent de toutes leurs forces. Regarde. »
Sous les yeux du dieu de la mort, une scène dramatique était en train de se jouer. Les corps inanimés de Hypnos, Thanatos et Elysée gisaient autour d’un vainqueur couvert de sang. Seuls Arès et Athéna tenaient encore tête au sinistre monarque mais la supériorité de celui-ci était évidente. Tandis qu’à l’extrémité de ce champ de bataille, Pandora continuait d’invoquer son cosmos sur le corps de son amant, affectant chaque fois un peu plus ses capacités vitales.
Hadès sentit un vertige le saisir comme si un ennemi sournois avait tenté de l’assommer par derrière. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine mais curieusement cette sensation n’était pas comparable à ce qu’il avait connu auparavant. Son regard n’était pas seulement attiré vers Pandora mais aussi vers ses enfants et Athéna et Arès. Il ressentait leur souffrance comme si elle avait été la sienne, il voulait leur hurler à s’en faire exploser les poumons de cesser de le défendre, que cela était sans intérêt mais aucune de ses cordes vocales ne semblait devoir lui obéir.
« Mère, que se passe-t-il ? Pourquoi ne puis-je rien faire ?
- Les morts ne peuvent pas, non ils ne doivent pas affecter le monde des vivants, mon fils. »
Hadès tomba à genoux en proie à une sorte d’asphyxie, sa bouche s’ouvrait tellement grande que ces mâchoires allaient en être broyées. Et cette horrible douleur qu’il ressentait dans son cœur ne voulait pas cesser. Les visages d’Athéna, Arès, Hypnos, Thanatos et Célesta se superposaient dans son esprit à celui de Pandora.
« Je ne comprends pas… Pourquoi est-ce que je ressens de la peine pour ceux-là ? Pourquoi mon cœur s’agite-t-il dans ma poitrine ? »
Ce fut à nouveau Rhéa qui lui donna la réponse.
« Ton cœur s’agite car toutes ces personnes sont importantes pour toi. Tu ressens de la peine car tu ne peux les protéger alors que tu le voudrais de toutes tes forces. 
- C’est vrai. Il n’y a pas que Pandore désormais… Il y a aussi Athéna et aussi ceux que j’ai laissés sur Terre : Freya, Hilda et Seika qui m’a sauvé la vie. Ils ont tous été là pour me protéger, y compris de moi-même. Alors pourquoi ne puis-je les protéger à mon tour ? »
Le dieu de la Mort tourna alors un regard suppliant puis haineux vers Gaïa qui semblait inaccessible au cycle du destin.
« Donne moi la force de les protéger ! Fais-moi revenir sur Terre !!»
La mère de la Création détourna son visage en signe de réponse. Il se tourna alors vers Rhéa dont le visage affichait la même expression.
« Il n’y a rien que nous puissions faire mon fils. Je ne suis qu’un esprit et la mère de la Création ne peut détruire son œuvre. »
Le dieu de la Mort tomba alors à genoux, les yeux face contre terre.
« Je vous en prie, déesses, permettez-moi de retourner sur Olympe ne serait-ce qu’une minute, une seconde que je puisse les protéger ! »
Le visage fermé de Gaïa, plus qu’un long discours signifiait sa réponse. Le dieu de la mort pleurait des larmes de douleur et d’humiliation.
« Je vous en supplie. S’il le faut, privez-moi de votre protection, soumettez-moi aux supplices de Tartarus, déchiquetez mon corps et éparpillez mon essence divine aux quatre coins de l’univers mais rendez-moi la vie ! »
Ce fut alors au tour de Rhéa de s’agenouiller. Lentement elle prit le visage de son fils aîné entre ses mains et malgré les ravages du temps, son sourire n’avait jamais été aussi beau.
« Tu es le dieu de la Mort, son maître et son amant. La Mort pour toi n’est pas une fin. En vérité, je te le dis, tu n’as pas ta place ici, tu ne l’auras jamais. »
Le sombre personnage resta quelques secondes figé par la surprise où l’avait plongé cette dernière déclaration. Puis ses lèvres s’écartèrent quelque peu pour laisser passer un petit son malsain, un rire. Mais c’était un rire sans joie de la créature qui réalise l’absurdité de son existence. Le regard brillant de larmes contenues, il se releva puis fit quelques pas mal assurés.
Ses yeux étaient fixés vers le ciel. Titubant comme un homme ivre, formant des mouvements maladroits, il ne pouvait s’empêcher de rire.
            « Alors c’est donc cela mon futur ? Combattre éternellement ? Voir mourir les miens ? Les mettre en terre sans jamais pouvoir caresser l’espoir de les revoir dans un monde meilleur ? »
Le roi des ombres se prit à nouveau à rire malgré la douleur qui lui arrachait le cœur au point de lui donner envie de crier son désespoir.
« Qu’ai-je finalement à gagner à revenir à la vie ? Même si je vaincs Zeus, il n’y a pas de paradis ni d’enfer pour moi, point d’amitié et encore moins d’amour pour moi. Le destin de ce dieu de la Mort est de survivre à tous ceux qu’il aime ! »
La grande Rhéa entoura alors son fils de ses bras chaleureux en lui chuchotant à l’oreille la seule vérité qu’il ne voulût point entendre.
« Utopia est ton destin.
- Que m’importe Utopia ?! S’écria le dieu avec violence. »
Le chuchotement de Rhéa à ses oreilles retentit avec la douceur d’une caresse en délivrant ce seul mot.
« Un avenir »
Décontenancé par cette réponse contre nature, la Mort saisit sa mère et plongea intensément ses yeux dans les siens.
« Toi qui connais l’insondable univers des possibles. A quoi ressemble mon avenir ? Quel est l’avenir du dieu qui ne peut mourir ? Quelle est la chose qui se trouve au bout de son chemin et que l’on appelle le salut ? »
Rhéa eut alors un étrange sourire qui reflétait un immense bien-être tandis qu’elle énonçait un proverbe grec depuis longtemps oublié :
 « βάλλ' ἐς μακαρίαν. Le chemin du bonheur »
Le dieu de la mort ne comprit pas de prime abord la signification de cette réponse mais il se sentait attiré par le sol et se retrouva bientôt à genoux comme en proie à un malaise. Ses yeux lui renvoyaient l’image d’un champ de coquelicots. Il embrassa le paysage du regard, tentant d’y percevoir un détail familier lorsqu’il sentit deux petits bras qui l’étranglèrent à demi. De petites boucles de cheveux brun tirant sur le mauve tombaient sur ses épaules tandis que les petites mains cherchaient ses yeux.
Il sentit sa gorge se nouer en entendant un rire d’enfant à ses tympans. Les lèvres de la petite fille cherchaient sa joue tandis que les minuscules mains se refermaient sur ses paupières.
Une voix rieuse lui demanda alors :
« Devine qui c’est ! »
Le dieu de la mort s’entendit alors répondre un nom qu’il n’avait jamais prononcé mais qui résonnait pourtant dans son cœur avec force.
« Μακαρία – Makaria »
Les petites mains quittèrent alors ses yeux avant de venir enserrer son cou.
« C’est pas juste, tu devines toujours ! »
Pris d’un élan irrésistible, le fils de Cronos se saisit des petites menottes plus fort que de raison et se retourna vivement pour contempler sa prisonnière. Mais au lieu d’une enfant, il découvrit une jeune fille d’environ quatorze ans d’une beauté renversante. Grande et mince, l’adolescente avait hérité du teint d’ivoire de sa mère. De longs cheveux noirs et mauves encadraient un visage parfaitement symétrique.
Une voix légèrement anxieuse filtra entre ses lèvres couleur de cerise.
« Tout va bien ? »
Le malaise qui avait frappé le dieu de la mort se manifesta à nouveau avec autant de soudaineté que la première fois. Le visage attentif de Rhéa lui faisait à nouveau face tandis que la grande Gaïa restait imperturbable.
« Qui… qui est Makaria ? 
- Makaria signifie « joie ». C’est ton avenir que tu viens de voir. Tous les hommes convoitent une chose inaccessible que la Mort finira toujours par leur prendre avant même qu’ils l’aient possédée. Mais ce dieu de la Mort est différent, son destin est de rechercher le bonheur sans que rien ni personne ne puisse l’en détourner.
- Makaria… signifie… joie… mais ne serait-ce pas plutôt… l’avenir ? »
Le dieu de la Mort ouvrit alors sa main droite crispée par cette révélation. Un cosmos doré l’entourait à présent. Puis il se releva tout à fait et posa le plat de sa main contre un miroir invisible. Le cosmos doré commença à se répandre par vague sur la toile qui séparait la Gaïa de la réalité, comme des remous sur une rivière tranquille.
« Elysion… l’Idéa… ce ne sont que des paradis artificiels. C’est sur Terre que je suis né, c’est sur cette Terre que je dois vivre. »
Le corps inanimé de celui qui avait été l’adversaire de Zeus apparut alors en face de lui. La paroi qui séparait la Gaïa de la réalité était devenue aussi fine que l’onde du fleuve.
Tandis qu’il prononçait ces mots, le cosmos du dieu de la Mort s’intensifiait terriblement au point que les vagues qu’il générait affectaient la mère de la création.
La grande Rhéa elle-même ne pouvait réprimer le tremblement de tout son corps devant une puissance si terrifiante qu’elle pouvait abolir les frontières entre les dimensions terrestres et divines.
« C’est incroyable ! Son cosmos tend à se développer à l’infini et défie celui de Gaïa qui est pourtant à l’origine de la vie ! Mais on dirait qu’il entre en résonance avec une puissance encore plus gigantesque… le moment serait-il venu pour l’univers d’acclamer le retour du véritable Dieu ? »
Les doigts du dieu commençaient déjà à franchir la fine paroi aqueuse pour pénétrer la dimension olympienne lorsque l’épouse de Cronos sortit enfin de sa torpeur.
« Attends ! Avant de repartir vers cette bataille il me faut te mettre en garde. Pour réintégrer ton corps, tu vas devoir traverser une souffrance qui se situe très au-delà de l’humainement supportable car tes blessures ne se refermeront pas. En fait cette souffrance sera si grande que tu pourrais même en perdre la raison. Es-tu sûr de vouloir cela ?
- Mère, tu me l’as dit toi-même : c’est sur Terre que se trouve la seule chose dont j’ai besoin : un avenir. »
La grande déesse sentit son cœur fondre lorsque son fils s’approcha d’elle pour la prendre tendrement dans ses bras. L’espace d’une seconde, elle eut l’impression de retrouver l’enfant qu’elle avait posé dans ses langes avant de l’offrir en offrande à la folie de Cronos. Et comme l’aurait fait toute mère, elle se pencha sur son fils et déposa un baiser à l’endroit même où l’étoile de la mort avait marqué son front de sa malédiction.
Rhéa accompagna ce geste de quelques mots avant que ses mains ne quittent une dernière fois celles de son enfant.
« Va mon fils, avec ma bénédiction ».
Hadès rendit son baiser à sa mère et accompagna ce geste d’un regard chargé d’une infinie reconnaissance. Quelques secondes plus tard, le dieu suprême aux yeux d’or avait franchi le dernier obstacle. Son âme avait pris le chemin de la dimension des combats et il ne restait plus de lui qu’un soupçon de ce cosmos de lumière et le goût de ce baiser déposé sur les lèvres de sa mère.
La mère de la Création s’adressa alors pour la première fois à Rhéa.
« Pourquoi lui avoir donné une arme si puissante ? C’est contraire à notre loi. »
Rhéa répondit tout en croisant ses mains sur son cœur.
« Une mère ne peut manifester de préférence pour l’un de ses enfants. Pourtant je l’ai fait en sauvant Zeus plutôt qu’Hadès de la folie de Cronos. Le moins que je pouvais faire était de lui donner les moyens d’affronter ce monstre à nouveau car son adversaire est plus que Zeus lui-même. »
 
***
Le maître du ciel était resté figé dans la posture où le destin l’avait surpris. Dans son bras droit il tenait toujours l’épée des illusions mais son poignet tremblait tellement que c’était un miracle que l’arme ne lui ait pas encore échappé.
Pourtant la résistance que lui opposait le dieu de la mort n’avait rien d’extraordinaire et il lui aurait suffi d’un peu de volonté pour briser ce roseau déjà plié à l’extrême. Rien qu’une légère pression lui aurait suffi pour sectionner le pouce de son adversaire et abattre la lame sur son front.
Mais jamais le pouvoir ne fut rien sans volonté et si grand que fut son pouvoir, il n’était à ce moment soutenu par aucune sorte de combativité.
 Progressivement, son tremblement finit par affecter l’ensemble du corps et l’épée maudite tomba à terre dans un fracas métallique sinistre.
Surpris par sa propre terreur, incapable de surmonter les sentiments contradictoires qui s’étaient emparés de son âme, le fils de Cronos recula de plusieurs pas et ne s’arrêtant qu’en sentant le vide derrière son talon. Sans même s’en rendre compte, il avait reculé jusqu’à l’extrémité de son palais, là où l’écroulement des murs permettait de contempler la Terre si proche.
Honteux de l’attitude de son monarque, le brûlant Uriel s’écria alors à son intention.
« Seigneur Zeus ! Ne voyez-vous pas que le dieu de la Mort est évanoui ? Il n’a pas encore repris conscience et vous fuyez devant lui ! »
Tous les yeux se tournèrent alors vers celui que Pandora tenait toujours dans ses bras. Le bras gauche du dieu qui s’était un instant levé vers le ciel était maintenant retombé à terre, sa bouche ouverte ne donnait aucun signe de respiration, de plus il était toujours courbé en deux dans la position où la mort l’avait surpris. Le plus misérable des vieillards n’était point aussi vulnérable en cet instant.
Tandis que Uriel parlait, les corps inanimés de ceux qui avaient été imprudemment laissés pour morts remuaient légèrement à chaque goutte d’or qui touchait leurs lèvres. Car la pluie d’or qui n’abreuvait que le Mont Olympe n’avait pas cessé et semblait rappeler à la vie ceux qui prenaient le chemin du Meikai un instant plus tôt.
Excédé par l’inertie du maître du ciel, le brûlant Uriel sortit déjà de son fourreau l’épée enflammée dont tous savaient à Utopia que nul ne pouvait lui survivre. Son ami Oblivion lui saisit cependant le bras au moment où il tentait de décider qui de Hadès ou de Zeus il devait attaquer. Bien que sa voix fût aussi douce que celle d’un enfant, la poigne du maître des illusions n’en était pas moins redoutable et son comparse se vit obligé de l’écouter.
            « Ne te laisse pas égarer par la colère, Uriel. Cette pluie d’or n’est pas un phénomène ordinaire.
            - Que veux-tu dire, lui demanda son vis-à-vis avec impatience.
            - Je veux dire que l’effet de ce liquide sur nos ennemis que nous croyions morts et le fait que Hadès ait eu un sursaut de vie, cela ne peut être une coïncidence. Que devons-nous faire si ce miracle est l’œuvre de Gaïa, celle que nous devons révérer ?
            - Tu veux dire qu’Hadès serait en train de ressusciter ici même ? »
A ces mots, le seigneur du ciel sembla enfin sortir de sa torpeur. Une lueur de rage purement bestiale traversa son regard lorsqu’il se posa sur le corps ensanglanté de son frère aîné.
« Non ce n’est pas possible ! Tu ne vas pas encore essayer de me priver de ma victoire et du titre qui me revient ?! Je ne le permettrai pas !! »
Concentrant un cosmos terrifiant dans son poing droit, le dieu du ciel était trop dominé par sa propre folie pour s’apercevoir de l’épanouissement d’une multitude de cosmos autour de lui. Il ne remarqua pas non plus le mouvement de l’eau dorée qui bien loin de se disperser sur l’Olympe semblait refluer vers un objet bien précis, celui de sa haine irascible.
Dans un cri le maître de l’Olympe libéra une gerbe d’éclairs qui déferla sur le corps de son frère aîné avec une violence inouïe. Cette fois le dieu de la mort serait pulvérisé avec tous les espoirs dont il était porteur, cela ne faisait aucun doute. Mais au moment où la foudre allait accomplir le noir dessein de son maître, ce fut comme une explosion de lumière qui aveugla tous les assistants.
La seule déesse dont l’aura brillait aussi fort que le soleil avait finalement pris part à la bataille. Niké, le sceptre de la victoire, dans sa dextre et le bouclier de la Justice de la senestre, la déesse de la Guerre avait imposé son inflexible détermination face à la sauvagerie de son père et avait réduit son espoir de victoire rapide à néant.
D’un ton impérieux, elle s’adressa à la compagne de la Mort qui reprenait difficilement connaissance.
« Pandora, je vais protéger Hadès le temps qu’il retrouve son cosmos. La pluie d’or que Gaïa a fait tomber sur nous ranimera le souffle de la vie mais ne donnera pas la force de combattre. Aussi je vous le demande : ne sacrifiez votre vie pour Hadès, ce rôle est le mien à présent.
- Mais pourquoi ?
- Parce que je l’aime autant qu’il vous aime »
Le dieu du ciel resta quelques instants abasourdi par cette déclaration des plus inattendues. Pourtant, le  temps de l’étonnement passé, il redevint maître de lui-même et tendit la main vers son sceptre abandonné depuis la défaite de son frère. L’arme divine vint se loger dans sa main comme attirée par son cosmos. Ses yeux n’exprimaient plus qu’une profonde lassitude.
            « Les femmes sont de bien étranges animaux… Dans votre cœur, la distance qui sépare l’amour de son opposé, la haine, est épaisse comme un feuille. Aimer celui qui te blesse, je te reconnais bien là, ma fille.
            - Mon père, c’est vous en vérité qui me semblez étrange si vous ne comprenez pas mon cœur. Je me suis battue contre Hadès depuis ma naissance comme tout être humain doit combattre pour vivre. Mais le fait de se combattre n’implique pas de se haïr. S’il est vrai que j’ai été blessée au cours de ces batailles, ce n’est pas le dieu de la mort mais la guerre qui m’a blessée. 
            - Je peux comprendre cela. En revanche, je ne comprends pas pourquoi au terme de tant d’affrontements, tu n’as vraiment voulu tuer ton ennemi que lorsqu’il a lui-même pris la vie de Pégase. »
Tandis qu’elle parlait, la déesse de la Sagesse avait fait brûler autour d’elle un cosmos aussi radieux que le soleil et l’aura qui la recouvrait à présent épousait ses courbes pour former l’armure divine de la divinité.
            « A quoi sert-il de vaincre sans convaincre ? Quel intérêt de tuer si c’est pour déchaîner plus de haine ? Un jour, le dieu de la Mort a confié à l’enfant que j’étais que son but était de rendre les hommes meilleurs par la peur. La seule victoire que je recherchais c’était de lui prouver que l’on pouvait vaincre le mal par l’amitié. Le seul monde sur lequel je désirais régner, c’était sur son cœur. 
            - Je vois. C’est donc par amour que tu n’as jamais pu te résoudre à le tuer. C’est ce sentiment qui te pousse à lui pardonner le mal qu’il t’a fait. Mais pour le dieu suprême, il n’est pas de pardon possible. Alors écarte-toi ! »
Au hurlement du dieu suprême, répondit la foudre punitive. Une gerbe d’éclairs fonça droit vers le dieu de la mort. Ce fut alors comme une explosion de lumière semblable à un lever de soleil étourdissant.
Quand la lumière fut dissipée, la boule de feu acheva de mourir au centre du bouclier de la Justice.
Le dieu du ciel toisait sa fille à la respiration haletante avec froideur.
            « Le bouclier de la Justice… Saga l’usurpateur pensait qu’il le protégerait contre toutes les attaques possibles et lui permettrait de prendre ma place. Je vais en éprouver la résistance ici même. Par la vague de tonnerre ! »
Cette fois, au lieu de descendre du ciel, la foudre avait jailli de la main droite du dieu en décrivant une trajectoire en dents de scie. La déesse de la Sagesse, croyant devoir éviter un assaut frontal, leva son bouclier devant ses yeux. Ce réflexe l’empêcha de voir la vague de tonnerre changer de trajectoire et ce ne fut qu’au dernier moment qu’elle comprit qu’après l’avoir contournée, la foudre allait la surprendre par derrière.
Athéna eut l’impression qu’un long couteau lui avait entaillé le poignet car elle lâcha la seule arme qui aurait pu la protéger. Le bouclier de la Justice s’écroula au sol dans un fracas métallique tandis que le dieu du ciel approchait inexorablement.
« Tu ne fais que retarder l’inévitable. La vague de tonnerre n’a fait que contourner ta protection par le haut et tu as été incapable de prévoir sa trajectoire. Quelle chance crois-tu que tu aurais contre moi si on se battait vraiment ? »
La jeune fille aux yeux se releva péniblement malgré sa main brûlée, soutenant fièrement le regard de son père.
            « Bien que déesse de la guerre, je n’ai jamais réellement combattu. Je suppose que ces blessures sont bien peu de choses en comparaison de celles subies par mes chevaliers…
            - Tes soldats étaient de fiers combattants, leur maîtrise du cosmos était admirable mais ils étaient aussi très limités par leur propre condition humaine. Par toi leur bras devait constamment être guidée et par eux tu devais être protégée. Mais un vrai dieu se doit de combattre aux côtés de ses hommes ! »
Et le puissant monarque ponctua cette sentence d’un violent soufflet sur la joue de sa fille, l’envoyant heurter le sol.
D’un geste nonchalant, il posa alors le pied sur le bouclier de la Justice comme s’il se fut agi d’un vulgaire escabeau.
            « Les armes ne te sont d’aucune utilité si tu ne sais pas en faire un usage convenable, dit-il en appuyant sa pression contre l’airain qui commençait déjà à se fissurer. Dans les temps mythiques, j’ai donné ce bouclier à me fille après y avoir fait incruster la tête de Méduse tranchée par Persée. »
Le buste monstrueux de la Gorgone commençait à se dessiner derrière le métal fissuré et les seigneurs d’Utopia, qu’ils fussent sur Terre ou au ciel dissimulaient difficilement leur excitation devant l’approche de l’évènement qu’ils avaient attendu si longtemps. Bientôt, le dernier rempart qui s’opposait encore à leur libération tomberait.
            « La Justice… c’est la Balance entre le bien et le mal, le seul concept absolument neutre. Le seul qui soit absolument nécessaire.
            - Le seul qui ne puisse être détruit, compléta Athéna.
            - Tu crois ça ? Alors regarde bien de tous tes yeux car je vais te montrer comme la Justice est fragile ! »
D’un geste brusque, le dieu aux cheveux azur planta son sceptre dans le centre du bouclier, à l’endroit même où se trouvait la face de la Gorgone. Une nuée d’éclairs se forma autour de l’arme qui se heurtait à la résistance de l’airain. Des boules de feu partirent en tout sens jusqu’à ce que finalement, le dieu suprême pût lever la tête de Méduse au bout de son sceptre en signe de triomphe.
            « Désormais, la Justice cesse d’exister en tant qu’idéal. Sans critère d’arbitrage entre le Bien et le Mal, le pouvoir et la force seront les seuls critères de la justesse de ma cause ! »
Se relevant, la déesse aux yeux pers fit tomber le casque de son armure, une cascade mauve tomba alors sur ses épaules et son échine. L’espace de quelques secondes, le roi des dieux eut envie de se perdre dans la profondeur de ses yeux émeraude, d’étreindre ces lèvres fines et pourtant si sensuelles.
Nul doute que la déesse de la sagesse aurait pu faire une déesse de la beauté sans pareil si elle avait choisi de se faire aimer des dieux au lieu de les défier.
Pourtant, ses yeux exprimaient une détermination sans faille lorsqu’elle défia une nouvelle fois son père encore perdu dans les brumes du désir.
            « La Justice ne se résume pas à un simple bouclier ou un idéal. C’est un rêve partagé par les faibles comme les puissants. Et les rêves, lorsqu’on leur dédie tout notre cœur, deviennent parfois réalité. Je suis votre rêve, vous ne pouvez me tuer sans vous détruire vous-même. »
A cet instant, la déesse de la victoire qui avait pris l’apparence d’un sceptre commença à briller de tous ses feux au point d’éblouir Zeus lui-même. Le regard de sa fille devint alors plus dur et dans un cri de guerre, elle projeta son arme vers le roi des dieux.
Aveuglé, celui-ci eut l’impression d’assister à une explosion solaire et dans un réflexe de survie, il abattit son propre sceptre devant lui, dans l’espoir d’arrêter son ennemi. Lorsqu’il rouvrit les yeux, des gouttes de sang visqueux souillèrent ses épaules et ses bras sans qu’il en comprenne la provenance.
Par un coup du destin, le sceptre du dieu suprême orné de la tête de Médusa avait heurté le symbole de la déesse de la victoire qui devait transpercer son maître en son centre.
La tête de la Gorgone mortelle émit alors un cri horrible semblable à celui des harpies. Pendant un bref moment, la chevelure de serpents avait repris vie, prête à accomplir son office mortuaire mais avant même que la créature puisse ouvrir les yeux, elle avait été fracassée par une force extraordinaire et c’était son sang que Zeus recevait à ce moment sur son armure divine.
A ce moment, loin, très loin de l’Olympe, dans un désert aride où nul homme ou bête ne pouvait survivre, du sable couleur d’or surgit un amoncellement de couleurs chatoyantes. Au milieu des dunes, sur le lieu même où le héros Persée avait jadis figé Atlas pour l’éternité, dans le désert du Sahara venait d’émerger un arc-en-ciel féerique. Puis les gigantesques dômes et coupoles d’une cité magique commencèrent à émerger du sable. Puis le sable se transforma en une étendue glacée d’une largeur infinie qui semblait devoir englober tout le désert dans son expansion.
Utopia, la terre de nulle part, le dernier vestige de la gloire de Cronos, la cité enchantée et terrible venait d’ouvrir ses portes aux peuples de la Terre après deux mille ans d’absence. Et tous les hommes qui ployaient sous le joug de l’oppression relevèrent les yeux vers cet oasis car Utopia était leur avenir.
En brisant le dernier symbole de la Justice sur Terre, Athéna venait de condamner tous les peuples à chercher cet idéal dans un ailleurs irréel. Succédant à Elision, un nouveau paradis artificiel venait de voir le jour et peu nombreux seraient ceux qui sauraient distinguer le serpent se faufilant entre les pommes du chêne de l’immortalité.
A milles lieues de là, le seigneur Zeus contemplait la tête de Médusa qui venait d’exploser sous la formidable pression du sceptre d’Athéna. Incrédule, il ne put que constater la puissance de cette attaque quand la déesse de la victoire retomba au sol aussi inoffensive que le bâton de Moïse après avoir pris la forme d’un cobra pour effrayer Pharaon.
Il s’entendit dire ces paroles plus qu’il ne les prononça de son gré.
            « Une telle puissance aurait pu… me tuer… Je ne soupçonnais pas un tel pouvoir en toi, pourquoi n’en as-tu jamais fait usage avant ? Pourquoi te contenter d’observer si souvent les évènements alors que tu es si puissante ?
            - La victoire d’un dieu sur une autre divinité n’est rien. Ce sont les hommes qui portent sur leurs épaules l’avenir de la Terre, les batailles, ce sont eux qui doivent les remporter.
            - Sans doute mais tes efforts n’auront finalement servi à rien. Car, tu le vois : la tête de Méduse qui animait ton bouclier est détruite. Aucune justice ne peut plus être trouvée sur cette Terre, rien de bon ne pourra désormais être accompli. Comprends-tu maintenant que tout ce que tu as fait jusqu’à présent était inutile ?
            - Je ne comprends pas quel monde veulent… les dieux ! »
Ayant dit cela, les yeux de la déesse de la guerre se remplirent de larmes de rage et elle voulut se saisir de son sceptre pour défier à nouveau son père mais celui-ci se saisit de l’arme avant elle.
            « Si tu ne peux comprendre le monde dans lequel tu vis, si tu penses que la Justice et le bonheur ne peuvent plus être trouvés dans ta propre race, alors tu n’as plus qu’à devenir sourde, muette et aveugle et si ça ne suffit pas… »
Le roi des dieux appliqua avec douceur sa main droite sur le ventre de sa fille comme s’il avait voulu sonder une vie naissante. Mais la chaleur qui naissait dans sa paume ne laissait aucun doute sur ses intentions réelles. Athéna le comprit si bien qu’elle voulut lui laisser un dernier message avant de disparaître.
            « Si tu me tues, alors tu détruis aussi ton avenir.
            - C’est là toute la différence entre toi et moi : je n’ai jamais cru qu’au bout du chemin, se trouve cette chose que tu nommes le salut. Tu vas constater par toi-même qu’après la mort nous n’allons nulle part !! »
La silhouette d’Athéna disparut totalement dans le déluge de la puissance du dieu suprême. Le cosmos bleu azur du maître du ciel fit disparaître toute chose se trouvant dans son champ d’action. Le soleil lui-même fut gommé de l’horizon par cette lumière blanche. Devant Zeus il n’y avait plus rien, ni passé ni avenir, il n’y avait que la Mort !
Au moment où les rois d’Utopia pensèrent que la Terre elle-même allait disparaître, un minuscule éclat d’or tomba dans l’océan de blancheur. La collision de ces deux forces fut formidable car la matière blanche perdit instantanément sa pureté comme affectée par une maladie foudroyante.
Le monde se réduisit à cet instant à la confrontation de ces deux forces sous les yeux rendus aveugles de milliards d’êtres humains. En quelques secondes, le recul de la matière blanche se transforma en déroute et un nouveau soleil se leva à l’horizon.
Luttant de toutes ses forces pour ne pas être emporté dans ce reflux extraordinaire, le dieu du ciel ne pouvait que constater l’inconcevable : il était écrasé par un cosmos formidable émanant d’un être qu’il ne parvenait même pas à identifier. Ses cheveux balayés par la violence du courant, les yeux brûlant de rage, le corps horriblement contorsionné par l’effort surhumain qu’il accomplissait pour ne pas tomber, il parvint à hurler à son invisible adversaire dont la silhouette se dessinait dans la lumière.
« Pourquoi ? Pourquoi me refuses-tu la victoire ? »
Une voix surnaturelle qui parlait à son esprit et non à ses tympans lui répondit alors.
« Car la seule chose que je ne peux te laisser détruire, c’est l’avenir.
            - Toi ? s’exclama-t-il en reconnaissant son éternel Némésis, Impossible ! »
Mais à ce moment la dernière barrière de son cosmos fut balayée. Le cosmos doré se transforma alors en comète et traversa son divin adversaire de part en part avant de prendre son envol vers les étoiles où son éclat se perdit dans les abysses de l’espace.
Luttant pour ne pas franchir la frontière qui sépare la raison de la folie, la déesse de la sagesse observait sans pouvoir le croire le visage de son sauveur. Ses six ailes angéliques s’enroulaient autour de son corps comme un éclatant linceul couleur d’or. Sa peau hâlée par le soleil s’harmonisait avec la noirceur de jais de sa chevelure mais contrastait avec le rouge écarlate de ses lèvres sanguines. Tout dans son habit divin reflétait l’or mais c’était un reflet particulier de la matière qui vient de sortir d’une mine obscure dans laquelle les ténèbres régnaient en maître.
Lorsque les ailes de l’archange s’ouvrirent, Athéna ne put détacher son regard de la nudité sculpturale de son corps mais une seconde plus tard, le cosmos doré qui flottait autour de lui se forma d’un métal doré indestructible.
La renaissance du dieu des ténèbres avait eu lieu dans la lumière.
Eperdue de bonheur, la déesse de la Sagesse sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Pour la première fois de sa vie, elle eut envie de se pendre au cou de quelqu’un, de l’étreindre, l’embrasser et se perdre dans les profondeurs de son regard.
Les yeux remplis de larmes, elle fut sur le point de céder à son premier élan mais au moment où elle allait saisir sa main, une tornade brune enlaça violemment l’objet de son désir et le dieu de la mort rendait avec volupté chacun des baisers de son amante.
            « Il lui appartient, à elle et à elle seule, pensa-t-elle douloureusement à ce moment. »
Pourtant, un détail interpella la déesse : la main droite du dieu de la mort tâtonnait dans le vide à la recherche d’un point invisible.
Alarmée, Pandora se saisit de cette main, une ombre passa sur son visage, elle parut un instant décontenancée puis guida la main de son amant vers celle d’Athéna en prononçant ces mots énigmatiques.
            « Il souhaite vous parler. »
Athéna saisit alors la main du dieu dans la sienne et entendit une voix désormais familière dans sa tête. Mais cette voix résonnait comme celle d’une personne très affaiblie et elle devait faire un effort pénible pour la comprendre.
            « Athéna ? C’est toi ? Es-tu blessée ?
- Non, grâce à vous mais par quel miracle ?
- Je n’ai pas le temps d’entrer dans les détails. Sache juste que la pluie d’or que tu as vue tomber sur le Mont Olympe était mon essence divine.
- Comment ?
- Je n’étais pas assez puissant pour me réincarner alors que mon corps était mort. Alors il m’a fallu me priver d’une partie de mon cosmos pour lui donner un souffle de vie avant que mon âme ne puisse en reprendre possession.
- Mais cette pluie d’or a touché chacun d’entre nous, même Zeus.
- Je sais. Mais si je n’avais pas agi ainsi, Thanatos, Hypnos, Elisée, Pandora et toi auriez sans doute succombé à vos blessures. »
Athéna se figea un moment, stupéfaite par ce qu’elle venait d’entendre. Inconsciemment, elle posa un genou à terre devant cet homme qu’elle avait tant combattu sans jamais le haïr puis se mit à inonder sa main de ses larmes.
            « Idiot ! Imbécile ! Pourquoi as-tu fait cela ?!
- Si nous ne pouvons protéger ceux que nous aimons, si nous ne pouvons les entourer de notre chaleur, alors notre existence n’a aucun sens. C’est toi qui me l’as appris.
- Je… je…
- Nous n’avons pas le temps de parler. Zeus est blessé mais pas vaincu. Je n’ai pas encore repris le contrôle de mon corps. Ma bouche est muette, mes oreilles sont sourdes et mes yeux aveugles. Mais je vais devoir parler aux hommes et aux dieux et pour cela j’aurai besoin de toi. Répète exactement ce que je vais te dire. »
La déesse de la Sagesse se releva alors en tenant fermement dans sa main, celle du dieu de la mort de façon à ne pas perdre le lien télépathique qui existait entre eux.
La voix d’Athéna comme jadis celle du Créateur ordonna alors le désordre et apporta la lumière au monde mais l’esprit qui lui communiquait ces mots n’était pas le sien.
« Humains, je suis…je suis Hadès, celui qui commande à la Mort. Je m’adresse à tous les peuples du monde. Je sais que mon nom n’évoque pour vous qu’une légende et que vos cœurs sont rongés par la peur. Mais il est des choses que vous devez savoir car votre avenir en dépend.
Mon frère Zeus et moi-même nous livrons actuellement un combat fratricide. Je sais que des millions d’entre vous ont péri par notre faute.
Cependant ce duel n’est pas terminé et il est possible que la Terre n’y survive pas… »
La bouche d’Athéna n’émit plus un son car elle avait senti le cosmos de Zeus s’épanouir. Elle attendit que l’esprit d’Hadès lui communique d’autres pensées mais rien ne vint.
            « Ne vas-tu pas leur indiquer une possibilité de salut ?
- Non. Je voulais juste que l’humanité soit consciente des enjeux de cette bataille. S’il existe une possibilité de salut, c’est aux humains de la trouver par eux-mêmes. Si Utopia est le salut, c’est à eux de le comprendre, à eux de construire leur avenir. Permets-moi de parler à mes enfants maintenant.
- Je comprends, dit Athéna en se tournant vers les rescapés de ce terrible affrontement. 
- Hypnos, Thanatos, Elisée… Je ne suis pas votre père… Cependant, bien que je n’aie rien fait pour mériter votre amour, aucun père n’aurait pu rêver de meilleurs enfants. Je vous dirai seulement ceci : bien que j’aie fait de vous des dieux pour ne plus être seul, votre avenir ne sera pas toujours lié au mien. Votre futur c’est vous-même qui le bâtirez de vos mains. »
Hadès aurait pu retirer sa main de celle d’Athéna car il avait maintenant fini d’épancher ses sentiments tandis que les rois d’Utopia poussaient silencieusement les victimes de Zeus hors de portée des combats à venir, prêts à les protéger. Mais ce geste, il ne le fit pas en dépit de ce que sa langue arrivait maintenant à articuler quelques mots.
            « Athéna, mes yeux ne voient pas encore. Où se trouve Zeus ?
- Il est à environ deux cents mètres devant toi.
- Dans quelle main tient-il son arme ?
- La main droite.
- Et à quelle distance se trouve l’épée des Illusions ?
- A environ trois mètres à ta gauche.
- C’est bien, va te mettre à l’abri maintenant s’il te plaît. Je dois parler à Pandore. »
Athéna commença à s’éloigner en essayant de contenir des larmes que Hadès ne pouvait voir quand elle se rendit compte que le dieu de l’Enfer n’avait pas lâché sa main. Alors qu’elle se retournait pour lui demander la raison de son attitude, elle l’entendit prononcer ces mots avec difficulté.
« Athéna… si je suis en vie aujourd’hui… c’est grâce à toi… et… moi non plus... je n’ai jamais réussi… à te haïr. »
Les doigts de Saori se refermèrent brièvement sur ceux de son oncle tandis que son sourire exprimait une infinie reconnaissance, la récompense de milliers d’années passées à se combattre : l’amour de son ennemi.
Hadès prit ensuite Pandora dans ses bras. Il lui murmura un nom grec à l’oreille et la jeune fille rougit violemment puis se jeta à son cou, éperdue de joie. Puis, sur un signe de son amant, elle ramassa l’épée des illusions et vint la mettre dans sa main. Après avoir longuement caressé son visage, le dieu lui intima doucement l’ordre de se mettre à l’abri.
Zeus était maintenant arrivé à la hauteur de son frère. Son armure divine était détruite au niveau du plastron, là où le cosmos de lumière l’avait atteint. Son visage était défiguré par la douleur et les multiples brûlures solaires qui parsemaient sa peau. En apercevant l’état de son frère, une lueur de compassion passa dans ses yeux. Pour la première fois, il leva les yeux au ciel vers la Gaïa avant d’entamer un dialogue télépathique.
            « Tout cela est de ta faute…
- Comment ?
- As-tu senti la mort de notre famille tout à l’heure ? Celui qui se fait appeler le Régent d’Utopia les a exterminés. Tout cela à cause de la malédiction qui pèse sur notre race et de ton obstination à me disputer mon trône. Pourquoi es-tu donc revenu du lieu où règne Gaïa ?
- Parce que ce n’était pas le paradis que je recherchais, pas plus qu’Elision.
- Un paradis ? Et qu’y a t il au paradis ?
- Un avenir.
- L’avenir ?
- Oui. Ni espoir ni désespoir… seulement le futur. Et rien d’autre. »
Pour la première fois de sa vie, un voile mélancolique passa sur le visage du maître des cieux. Levant les yeux vers la Gaïa, il articula plus pour lui-même que pour son frère.
            « Un avenir… je n’en ai … plus… besoin. »
A cet instant, le sourire de Zeus devient presque amical lorsqu’il s’adressa à son frère.
            « Te souviens-tu de ces journées passées sur l’Olympe, quand la vie semblait si facile ? Le vin coulait à flots tandis que nous n’avions d’yeux que pour la danse d’Aphrodite. Nous étions insouciants à cette époque, on ne se préoccupait que de l’instant présent. Le seul avenir que je demandais c’était de voir cette journée se répéter à l’infini.
- Tu as encore un avenir. Athéna n’est pas seulement ta fille, elle est ton rêve, celui d’un jeune dieu qui voulait devenir un homme meilleur.
- Non. Aujourd’hui je ne peux plus rien avoir, ni Athéna ni toi et encore moins la paix à laquelle j’aspirais. Et si je ne peux avoir aucune de ces choses, alors elles me sont inutiles. »
Sans aucun avertissement, Zeus lança son sceptre contre son frère qui n’eut que le temps de se jeter sur le côté en sentant le cosmos entourant l’arme.
Profitant de cette diversion, son frère lui assena un violent coup de poing au ventre. Incapable d’éviter, le dieu de l’Enfer se plia en deux sous la douleur avant de recevoir un nouvel uppercut à la base du menton.
« Si seulement je pouvais voir et entendre, pensa t-il. Mais il ne laisse même pas une trace de cosmos ! »
Zeus s’immobilisa un instant à deux mètres du maître de la mort. Sentant vaguement une présence, celui-ci balaya l’air de son épée avec des efforts pitoyables. Un nouveau coup de pied dans le dos l’envoya s’écraser par terre. Il eut à peine le temps de se relever avant qu’une nouvelle charge le fasse reculer sur plusieurs mètres. Haletant, il tentait vainement de localiser son adversaire tandis que celui-ci prononçait des mots qu’il ne pouvait entendre.
« Tu es vraiment pitoyable. Privé de l’ouïe et de la vue, tu ne peux repérer tes adversaires qu’à leur cosmos, or je peux diminuer le mien au minimum jusqu’au moment de t’attaquer. »
Sentant une présence derrière lui, le dieu de la mort exécuta une brusque volte-face pour décocher un redoutable coup d’épée. Le roi des dieux arrêta l’assaut avec une facilité déconcertante avec les protections de son avant-bras gauche.
« Tu n’aurais jamais dû quitter la Gaïa, mon frère, il n’y a pas plus d’avenir sur Terre pour toi que pour moi. Il n’y a pas de salut pour ceux de notre race car nous avons été maudits ! »
Cette fois, Hadès vit clairement des ombres dans son champ de vision. Tirant parti de la très faible acuité visuelle de ses yeux saisit son épée entre ses deux mains en poussant un cri terrifiant que ses oreilles ne pouvaient pas entendre :
« MAKARIA !! »
Même le grand Zeus fut retourné de peur par la violence de ce cri et pour la première fois, il dut reculer face à l’assaut furieux du dieu aveugle. Mais au moment où il allait être transpercé, le dieu du ciel fit un pas de côté, trompant son adversaire qui, emporté par son élan tomba en avant.
Pandora ne pouvait plus supporter d’observer un tel combat aussi avait-elle pris sa tête dans ses mains et sanglotait douloureusement en entendant les cris de douleur de son compagnon.
« Tu dois vivre ! Tu dois vivre pour notre avenir ! »
Dans un geste purement maternel, Athéna prit la jeune déesse brune dans ses bras et l’attira contre elle pour la calmer. Elle se força à chanter malgré la douleur qui lui arrachait le cœur à chaque battement, malgré les cris de douleur du dieu qui lui arrachaient des larmes à chaque seconde.
Alors la paix revint, le chant d’Athéna avait calmé la fureur des vents et des flots, les enfants victimes de la guerre séchèrent leurs larmes tandis que les guerriers sentaient leurs sentiments belliqueux s’évanouir. La chanson d’Athéna calmait les passions meurtrières et avait le don d’animer l’amitié.
Si le règne d’Athéna était celui de la corruption et de la misère, il était aussi celui de la compassion.
Lentement, doucement, la déesse de la sagesse prit le visage de Pandore dans ses mains puis elle lui demanda qui était Makaria. Lorsqu’elle connut la réponse, la joie puis la tristesse se succédèrent sur le visage de la déesse.
            « Je sais maintenant pourquoi Gaïa n’a pas retenu Hadès auprès d’elle… »
Alors, la déesse aux yeux pers prit le visage de Pandora entre ses mains puis l’amena doucement contre le sien. Leurs fronts se touchèrent puis leurs cils. Leurs lèvres s’effleurèrent une première fois, laissant le temps à la plus jeune de lui demander « pourquoi ? » dans un souffle.
Mais pour toute réponse, Athéna humecta ses lèvres teintées de mauve et embrassa la jeune fille avec tendresse. A la fin de leur étreinte, Saori lui murmura :
« Parce que je l’aime comme tu l’aimes. »
A ce moment, la situation d’Hadès était devenue critique. Bien qu’il ne fût qu’assez légèrement blessé, le dieu de la mort ne parvenait pas à se ressaisir. Chaque fois que Zeus l’attaquait, il était incapable de prévenir son assaut tant son cosmos était bas. Ses yeux ne lui renvoyaient que des ombres et ses tympans restaient obstinément sourds.
Zeus, de son côté, avait l’air disposé à en finir. Se saisissant de son sceptre, il orienta le côté tranchant vers son frère et se prépara à passer à l’attaque.
« Je n’en tire aucun plaisir mais tu l’as constaté toi-même : deux fils de Cronos ne peuvent vivre ensemble sur Terre ! »
De son côté Hadès semblait préparé à l’assaut. Ayant enfoncé son épée profondément dans le sol, il se concentrait pour percevoir les vibrations que le mouvement de son adversaire imprégnerait dans l’acier de sa lame.
            « Je ne peux ni le voir ni l’entendre. Je dois me fier à mon instinct et attaquer au dernier moment lorsque la distance entre nous sera assez faible pour que je puisse utiliser ma technique divine au moment propice. »
L’intervalle qui s’écoula entre leurs assauts paraissait interminable. Trop concentrés, aucun des deux adversaires ne prêta attention à la lumière émise par le sceptre de la victoire.
Hadès sentit distinctement un courant d’air sur sa peau puis, au moment même où il allait frapper, son esprit sembla quitter un instant le champ de bataille pour se transposer dans une scène du futur.
Une jeune fille aux cheveux bruns tirant sur le mauve était inclinée en face de lui. Elle prenait soin d’un bouquet de violettes qu’elle venait de cueillir et les mettait dans un vase.
La jeune fille avait les yeux d’or de son père. Elle connaissait parfaitement leur effet sur lui, aussi fut-ce en le regardant droit dans les yeux qu’elle lui demanda d’une voix faussement timide.
« Redis-moi pourquoi tu m’as nommé Makaria.
- Makaria c’est le concept de la mort heureuse qui permet d’accéder au paradis et d’y retrouver ceux que l’on aime. Ce fut le destin d’une grande déesse que j’ai aimée autant que je l’ai faite souffrir.
- Alors cette déesse est un peu ma marraine, non ? »
Alors même qu’il s’apprêtait à répondre, deux mains se posèrent sur les yeux du dieu, obstruant sa vision. Faisant alors volte-face, il se surprit à ressentir de l’animosité pour les personnes qui lui faisaient face. Athéna et tous ses chevaliers étaient alignés devant lui, debout dans le temple élyséen du dieu des ténèbres.
Avec un sourire irrésistible, Athéna lui demanda alors :
« Hadès, qu’est-ce que l’amour ?
- L’amour est une chimère impossible créée pour rassurer. Bien peu de gens croient sincèrement qu’il existe.
- Mais toi, tu en fais partie, non ? Ajouta t-elle avec un sourire lumineux. »
A cet instant, l’esprit du dieu aux yeux d’or reprit sa place dans le cours des évènements pour ne pas apercevoir un spectacle horrible.
Quelques gouttes de sang de la déesse coulèrent sur ses pupilles aveugles, leur rendant la lumière, et la vue retrouvée, le dieu de la Mort ouvrit les yeux sur un tableau tragique qu’il avait tenté d’empêcher par tous les moyens qu’il soit exécuté par ce peintre impitoyable qu’est le Destin.
Interposée entre les deux adversaires, Athéna était empalée sur le sceptre de Zeus qui la traversait de part en part. Le sceptre de la victoire avait de son côté touché le dieu du ciel en plein ventre.
Eberlué, hagard, Hadès ne pouvait croire l’image que ses yeux lui renvoyaient de la réalité. Sa vision se remplissait déjà de sang tandis qu’il laissait stupidement tomber son épée à son côté. Sa langue ne pouvait articuler qu’un seul mot tandis que ses paupières refusaient de cligner.
« A…thé…na » répéta-t-il, perdu dans le gouffre qui s’ouvrait sous ses pieds.
Mais à ce moment la plus belle des déesses était heureuse au-delà de toute mesure car elle allait enfin retrouver la paix et l’amour auxquels elle prétendait depuis une éternité sans cesser de les dispenser.
Magnifique Athéna, formidable Athéna, je sais moi, pourquoi tes larmes sont de joie.

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