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Hades Glory

« Si le nom Utopia signifie en latin « Terre de Nulle part », c’est qu’il ne faut pas la  chercher en ce monde».
 
Tandis que le destin de cette époque se jouait sur un champ de bataille, un vent de révolte soufflait sur les couloirs du palais céleste. Pour réaliser ses rêves, une personne est souvent obligée de briser ceux des autres. Mais existe-t-il seulement un monde où les rêves sont partagés par tous ?
 
La faiblesse est une fatalité car finalement même le plus puissant des hommes connaît la déchéance physique liée à l’écoulement du temps. La connaissance de cette fatalité l’amène à transformer sa force en droit et à assurer sa propre immortalité par la pérennité de cette légitimité charismatique puis dynastique. Les Olympiens de la seconde génération étaient tous conscients de cela.
 
Bien que s’étant parfois laissés aller à des révoltes de Caliban, ils avaient dans leur immense majorité reconnu la suprématie de Zeus, les uns car le croyant immortel n’entrevoyaient pas la fin de son règne parmi l’univers des possibles, les autres car entrevoyant cette fin possible caressaient le titre d’héritier. Mais depuis quelques heures tous les Olympiens réalisaient à quel point leur pouvoir était insignifiant comparé à celui des deux étoiles géantes issues du sang de Cronos. La peur avait envahi leurs cœurs au moment où ils avaient senti le cosmos d’Hadès s’éteindre. Existait-il dans tout l’univers quelque chose de plus pitoyable qu’un dieu mort ? Et si un dieu pouvait mourir, combien de temps durerait encore leurs existences maintenant que le grand Zeus débarrassé de tout rival les tenait dans la paume de sa main.
L’ébranleur du sol fut le premier à oser prononcer le sacrilège.
 
« L’un de mes frères est mort aujourd’hui et l’autre est exsangue ! Qu’attendons-nous ? Qu’il nous détruise ?! »
 
Aucun des membres de l’assistance n’osa prononcer un seul mot. Aussi Poséidon choisit-il de suivre la pente que lui traçait son caractère violent.
 
« Ne voyez-vous pas qu’enfin notre heure est venue ? Le dieu suprême est à genoux, prêt à fêter sa victoire ! Faisons de sa couronne celle du roi des rats (1) et décapitons-le ! »
 
Cette fois la voix cristalline du dieu des arts vint arrêter ce déluge d’impiété.
 
« Aurais-tu oublié, Poséidon, que tu es présentement le plus faible parmi nous ? Dois-je te rappeler qu’il t’a été interdit d’occuper le corps de Julian Solo et que de ce fait tes possibilités sont des plus limitées ? »
 
Phébus posa sa lyre à son côté pour toiser son oncle d’un regard inquisiteur.
 
« Aurais-tu l’intention de faire de nous des déicides indignes de prendre la succession de Zeus ou alors entends-tu simplement jeter la couronne du dieu suprême en pâture à cette assemblée pour assister à la plus ignoble des curées ? »
 
Les paroles du dieu soleil jetèrent un froid glacial dans l’assemblée qui se trouvait alors tiraillée par des sentiments contradictoires. Entrevoyant le risque que ce grand Léviathan se retourne contre lui, le dieu des Océans joua alors sa dernière carte.
 
            « Aurais-tu oublié, Phébus, la prédiction d’Ananke ? Celle qui veut qu’un enfant de la maison du dieu suprême mette fin à son règne ! Vous tous ici appartenez à la seconde génération de dieux. Moi seul ne suis donc pas qualifié pour tenir ce rôle. »
 
Poséidon marqua une pause pour captiver son auditoire.
 
« En vérité je vous le dis, ma seule ambition est d’assurer la survie de notre race. Une fois mon frère renversé, celui de la maison de Zeus qui démontrera les plus brillantes qualités héritera de la couronne que je poserai moi-même sur sa tête. Réfléchissez bien enfants de Zeus et ne manquez pas votre rendez-vous avec le destin ! »
 
Cette harangue aurait pu être suivie d’une vague d’enthousiasme d’une foule se levant d’un même mouvement pour célébrer la sagesse et la vertu d’un orateur. Un soulèvement général que même les archanges n’auraient pu endiguer aurait pu renverser le nouveau dieu suprême comme une vague sournoise abat parfois l’arbre qui a courageusement résisté à l’ouragan. Mais il n’en fut rien car avant même qu’un quelconque sentiment eut traversé le cœur des Olympiens, le fossoyeur de leur règne était apparu dans un bruit de tonnerre.
Cet homme portait une très longue toge blanche collée à ses épaules par des épaulettes métalliques. Son visage était caché jusqu’à la hauteur de ses yeux multicolores par un foulard tandis qu’un diadème surmontait son front sur lequel retombait les mèches de ses cheveux blancs.
Etrangement la lumière aveuglante qui entourait habituellement le régent d’Utopia avait considérablement faibli comme si cette divinité se trouvait mal à l’aise à l’extérieur de son empire.
Poséidon se retourna vers le trouble fête et l’invectiva violemment.
 
« Qui es-tu ? Et de quel droit t’es-tu introduit dans le temple des Olympiens ? »
 
Le Régent se dirigea insensiblement vers le dieu du soleil.
 
« Je suis votre passé, votre présent mais non votre futur. Nombreux furent les noms que l’on m’a donnés mais le seul que je veuille revendiquer aujourd’hui est celui d’Utopia. »
 
Utopia et Phébus irradiaient en cet instant d’une lumière semblable tant en intensité qu’en teneur comme si un artiste ironique avait trouvé amusant de dépeindre de la même couleur deux êtres si dissemblables.
La voix d’Utopia était réellement surnaturelle : aussi douce que celle d’un enfant, elle résonnait pourtant avec la force du tonnerre contre les murs de la pièce.
 
« Phébus Apollo, tu fus le seul à t’élever contre la proposition sacrilège de ce fils de Cronos. Alors réponds simplement à cette question : que feras-tu à partir de maintenant s’il t’est interdit d’interférer dans le cours du destin de l’humanité ? »
 
Le magnifique fils de Léto sourit suavement tandis qu’il ordonnait à sa sœur Artémis d’approcher par un langage connu d’eux seuls.
 
« On dit que la vie d’un homme pour un dieu ne représente qu’un battement de cils. Alors si notre destin doit se résumer à l’intervalle qui sépare la naissance de la mort d’un être humain, je fermerai simplement les yeux en espérant être capable de les rouvrir un jour.
- Tu as fait le bon choix, dieu soleil. Tous ceux qui choisiront désormais de t’imiter et se teindront en dehors du cours du Destin seront épargnés. »
 
Mais alors que le vent de la tempête semblait se dissiper. Il y eut un être de peu de foi qui osa se retourner vers la nouvelle Sodome sacrifiée.
 
« Je refuse ! »
 
L’imprécation avait été lancée sur un ton impérieux qui n’admettait aucune réplique. L’assemblée olympienne s’ouvrit progressivement pour faire place à la reine des dieux, la grande Héra.
En dépit de l’éclat insoutenable qui se dégageait d’Utopia, la reine des dieux lui faisait face et l’aura multicolore du paon qui la symbolisait menaçait l’équilibre précaire des puissances.
 
De sa voix doucereuse, le Régent répondit calmement.
 
            « Et qu’est-ce qui te pousse, toi qui ne cèdes en gloire à aucune autre déesse, à repousser ainsi la main généreusement tendue ?
- Renoncer à nous impliquer dans le destin de l’humanité comme vous l’exigez, c’est renoncer au pouvoir qui fait de nous des dieux !
            - Est-ce là votre réponse à tous ? interrogea l’éclatant personnage tandis qu’une orbe brûlante se formait dans sa main droite. »
 
Héra ne laissa pas même le temps à ses semblables de commencer le début d’une réponse.
 
            « Je sens le mal en vous ! En dépit de la lumière que vous irradiez, je vois clairement que le visage qui se cache sous ce masque ne peut être que celui d’un monstre ! »
 
Utopia eut alors un geste terrible : il enfonça l’orbe brûlante dans le cœur de la déesse de la jalousie. Sa voix n’était plus mielleuse mais menaçante lorsqu’il s’adressa aux divinités tandis que le corps de leur reine se desséchait devant leurs yeux exorbités.
 
            « Quiconque juge ce qui est bien ou mal en ma présence subira toujours mon courroux. Vous voulez savoir qui je suis pour vous commander ? Je suis l’ombre de Dieu descendue sur Terre pour lui insuffler la vie ! Je suis l’archange déchu exilé du paradis ! »
 
Tandis qu’il parlait ainsi, le corps de l’immortelle Héra se racornissait à vue d’œil jusqu’à ressembler à celui d’une ridicule grand-mère. Lorsqu’Utopia relâcha enfin son étreinte, la reine des dieux s’était figée dans la position où la mort l’avait surprise : la bouche ouverte, tendant désespérément la main vers le fruit de Tantale. Sa peau avait blanchi et se reflétait au soleil avec la pâleur du marbre.
 
Les Olympiens reculèrent tous d’un pas, terrifiés. Tous à l’exception d’Apollon qui avait compris dès le premier regard de qui il s’agissait. Le dieu soleil fut le seul à oser prendre la parole.
 
            «Tu as beau te nommer Utopia à présent, je sais qui tu es vraiment. Tu es celui qui imitait la voix du dieu suprême dans les temps antiques. Tu es celui par qui tout le mal est venu et celui par qui il est puni. Tu es celui qui n’aurait jamais dû naître car ton existence même est une insulte au ciel ! Tu es la puissance difforme et ignorante qui a émergé du rêve du dieu suprême ! Les magiciens et les adeptes du malin te vénéraient sous le nom de Ialdabaôth (2), la bête immonde qui a perverti le monde inférieur ! »
 
Un éclair de haine passa dans les yeux d’Utopia lorsque le dieu soleil lui assena le nom de l’abomination qu’il était.
 
            « Tu m’as bien deviné, Phébus Apollo, cependant tu as tort de penser que c’est moi qui pervertis le monde. Ialdabaôth était le nom que me donnaient les gnostiques qui voyaient dans le Mal le moyen de leur salut. J’ai renoncé depuis longtemps à ce nom car le monde n’existe pas en dépit du Mal, il existe avec lui et grâce à lui. 
- Tu prétends avoir changé car tu te nommes aujourd’hui Utopia, ce paradis artificiel où tu accueilles une poignée de fidèles, mais je sais moi, que tu ne fais qu’imiter la voix du dieu suprême comme lorsque tu es apparu à Abraham pour condamner  les habitants de Sodome et Gomorrhe ! »
 
Phébus marqua une pause avant de continuer.
 
« L’archange aux douze ailes, la créature la plus proche et la plus aimée de Dieu. Métatron, n’est-ce pas ainsi que l’on te nomme ? »
 
Le discours du dieu soleil fut alors noyé par les cris de douleur des victimes d’Utopia. Tant de nobles divinités détruites en si peu de temps. Leurs corps humains détruits, les divinités immortelles étaient condamnées à une éternité d’errance. Leurs esprits ne pourraient plus jamais influencer le cours du destin de la Terre et leurs yeux seraient désormais les témoins impuissants des actes de leurs bourreaux. Héra avait eu raison contre eux : en se soumettant, ils avaient renoncé à être des dieux. Ils ne seraient plus désormais que fantômes d’un passé glorieux.
 
***
 
« Quelle déception. »
 
Caliban, le troisième roi d’Utopia se tenait toujours debout très droit dans la neige, ses yeux aveugles scrutant avec mépris ses adversaires étendus devant lui. Les conquérants d’Alioth, Merak et de Phedca s’épuisaient depuis près d’une heure en de vains assauts contre le souverain. Il leur semblait que celui-ci lisait leurs mouvements avant même qu’ils les eurent formés tant ses ripostes étaient vives et précises. Pourtant ils en étaient certains : ils n’avaient jamais utilisé la même technique plus d’une fois alors comment pouvait-il les anticiper avec autant de facilité ?
 
Tyr, dieu de la droiture et confident du roi Baldur, s’était quant à lui retranché dans le silence, connaissant assez Caliban pour savoir qu’il n’admettrait aucune aide dans ce combat. Ne disait-on pas à Utopia que son royaume était le moins peuplé de tous car chacun de ses sujets était tenu de l’affronter dès lors qu’il atteignait l’âge de 18 ans ?
 
Devant la passivité de ses adversaires, le monarque se décida enfin à bouger. Faisant quelques pas en direction du conquérant d’Alioth, il regarda avec indifférence celui-ci se relever péniblement avec l’aide de ses derniers loups encore vaillants.
 
« Je ne peux… pas… être vaincu… »
 
Caliban n’était plus qu’à quelques mètres du loup des steppes.
 
« Je refuse la défaite !! »
 
Prenant position de combat en se campant fermement sur ses jambes et appuyant ses poings sur le sol à la façon d’une bête fauve, le guerrier divin fit brûler un cosmos bleuté commun à ceux de son ordre. Il attendit que son adversaire ne fût qu’à un mètre de lui avant de lancer son assaut.
 
« Northern Gunrô Ken !! »
 
Comme pour les précédents assauts, l’énergie ainsi libérée submergea le corps du roi, faisant voler les restes de neige autour de lui tandis que l’espace alentour prenait une couleur blanche, prélude de la destruction totale.
Cette fois, l’adversaire du loup n’avait même pas tenté d’esquiver l’attaque qui l’atteignit au niveau du torse. Les loups enragés se brisèrent littéralement contre leur cible puis s’étiolèrent comme une vague qui frappe un rocher.
Encore essoufflé, Fenrir ne pouvait croire à son insuccès lorsque Caliban le saisit fermement à la gorge, le soulevant à quelques centimètres du sol.
 
« Le sang qui coule dans tes veines est celui de Fenrir, le loup qui dévora Odin. Mais en dépit de cette ascendance tu es impuissant. »
 
Les lèvres de Caliban s’entrouvrirent pour laisser apparaître deux rangées de dents aiguisées.
 
« Je vais te montrer ce qui rend un loup plus fort ! »
 
Et devant les yeux horrifiés de Tholl et Hagen, le roi d’Utopia ouvrit sa bouche de toute sa largeur et referma ses crocs sur la veine jugulaire du guerrier divin. Fenrir ne put que hurler de douleur tandis que son sang s’échappait à gros bouillons.
 
Relâchant peu après son étreinte, le souverain lécha le sang qui maculait ses lèvres et son menton sans pour autant relâcher la pression de sa main sur le cou sanguinolent de son adversaire.
 
« Si vous voulez avoir une chance de me vaincre, il ne faut pas vous contenter de viser mon cœur ! Venez donc me bouffer la chair sur les os ! Prouvez que vous êtes bien les descendants de ces berserkers qui honoraient leurs dieux en combattant ! »
 
Lâchant Fenrir, il ajouta avec une pointe de sadisme.
 
« Je ne t’ai pas rompu la jugulaire car je voulais voir de quoi était capable un loup enragé mais ne te fais pas d’illusions : si tu fais le moindre effort, elle se rompra et tu perdras tout ton sang en quelques minutes. »
 
Tholl et Hagen se hâtèrent d’aller soutenir leur compagnon d’armes. Le géant fut le premier à prendre la parole.
 
« La force de cet homme est incroyable ! Les haches de Mjollnir sont sensées être divines et il les a repoussées d’une seule main sans même souffrir une égratignure. Hagen, il serait peut-être sage que tu partes chercher des renforts. »
 
Le guerrier divin de Merak se renfrogna violemment.
 
« Tu ne penses pas ce que tu dis Tholl ! La princesse Hilda nous a confiés la garde de cette frontière ! Déserter serait comme avouer notre incompétence ! De plus je suis sûr que nos amis sont déjà en route. »
 
Se tenant la gorge avec sa main droite, le guerrier divin d’Epsilon parvint à articuler difficilement.
 
« Il est à moi !! »
 
Après s’être silencieusement concertés, les guerriers divins s’accordèrent pour reconnaître qu’il fallait soutenir leur camarade. Aussi, ils prirent la muette décision d’attaquer sur les côtés tandis que Fenrir attaquerait frontalement.
 
Mais avant même qu’ils pussent attaquer, ils furent en butte à une rebuffade de Caliban.
 
« Phedca ! Tu devrais prendre une grande inspiration ou ton cœur va lâcher ! »
 
Le géant s’immobilisa une fraction de seconde, ses jambes tremblaient effectivement et son cœur battait très fortement dans sa poitrine, mais comment cet homme avait-il pu noter un tel détail ?
 
N’y tenant plus, Fenrir passa à l’attaque, suivi avec un très léger temps de retard par Hagen et Tholl. Le géant projeta les haches de Mjollnir en direction du cou du roi tandis que le guerrier de Sleipnir concentrait son froid glacial dans la même direction.
Fenrir fut le premier à être sur Caliban et comme prévu il décocha un fulgurant « Wolf Cruelty Claw » qu’il ne put hurler distinctement, sa gorge ayant définitivement cédé.
 
Caliban n’effectua que deux mouvements : Dans un premier temps il se contorsionna en arrière de façon à ce que les haches de Tholl ne puissent le décapiter puis en s’appuyant sur ses bras, il effectua un retourné arrière qui lui permit d’enfoncer profondément son pied gauche dans l’estomac du loup agonisant.
 
Tout se passa comme prévu : Les haches divines, manquant leur cible poursuivirent leur course en direction de Hagen dont l’attaque atteignit le pauvre Fenrir qui se trouvait à sa portée du fait du coup assené par Caliban. De son côté, le guerrier de Merak eut les épaules profondément entaillées par les armes tranchantes de son compagnon.
 
Le résultat de l’assaut était catastrophique pour les guerriers divins : le poing droit de Fenrir ainsi que son torse avaient été congelés tandis que Hagen avait les tendons des épaules sectionnés.
 
Le roi d’Utopia, une fois qu’il eut retrouvé une position normale, regarda avec dépit le géant indemne.
 
« Est-ce que je perds la main ? J’avais prévu de blesser aussi celui-là. »
 
Tholl regarda alternativement ses compagnons hors de combat puis le monarque avec une incrédulité d’où n’était pas absente l’admiration.
 
« Tu… tu avais prévu notre assaut… et pourtant tu es aveugle, comment est-ce possible ? »
 
Caliban souffla avec mépris avant de daigner répondre.
 
« Je ne suis point aveugle, j’ai simplement privé mes yeux de la capacité de voir la lumière pour les doter d’un pouvoir bien plus redoutable. Grâce à ce don que j’ai reçu, je peux prédire vos intentions à court terme par la simple accélération de votre rythme sanguin par exemple.
- Que tu puisses deviner le moment de notre attaque n’explique pas tout ! »
 
Tout en parlant, Caliban saisissait la neige à pleine main et la jetait négligemment sur ses épaules.
 
« - Non c’est vrai. Mais il y a d’autres indices comme la crispation de tes phalanges sur ta hache qui me renvoie un son très perceptible ou le refroidissement de la température interne dans le corps de ton ami pour déclencher une technique de congélation. Quant à votre ami loup, il pense tellement fort que je n’ai même pas besoin de me concentrer pour deviner ce qu’il va faire. De plus ses attaques étant quasi identiques, la part d’inconnu est négligeable. Si vous maîtrisiez mieux le septième sens, vous seriez en mesure de masquer vos intentions et d’attaquer beaucoup plus rapidement mais il semble que vous soyez très loin du niveau des guerriers que j’ai affrontés dans les temps mythiques et qui étaient vos prédécesseurs. »
 
A ces mots, les yeux de Hagen, Tholl et Fenrir qui n’en avait plus pour longtemps, se fixèrent sur leur interlocuteur en une question commune.
 
« Nos prédécesseurs ?! »
 
Caliban prenait un évident plaisir à observer l’excitation apparente de ses adversaires.
 
« Bien sûr je les ai connus. Car je suis un démon qui foule cette Terre à la recherche d’adversaires de valeur depuis très longtemps vous savez. Chaque fois qu’un empire a tremblé, j’étais là pour jouir du massacre. Lors du Ragnarok j’ai combattu pour la perte d’Asgard jusqu’à ce que le Walhalla ait entièrement brûlé et que tous les berserkers d’Odin soient tombés, ce fut une des plus belles nuits de ma vie. »
 
Hagen interrompit rageusement son bourreau.
 
« Ainsi tu as combattu contre Asgard ? »
 
Dans les yeux aveugles du monarque on lisait une étincelle de plaisir.
 
« Oui et je l’ai fait pour rendre hommage aux guerriers divins de cette époque grandiose. Si j’avais combattu du côté d’Odin, je n’aurais jamais pu me mesurer à eux alors j’ai libéré ce Loki qui m’a servi de laquais depuis lors et j’ai prêté les navires de guerre d’Utopia aux géants du feu. C’était la seule façon de combattre de tout mon saoul dans ce monde stupide qui passait son temps à prier pour la paix. Mon seul regret est de ne pas avoir tué Odin moi-même, quel combat ça aurait été ! »
 
Perdant tout contrôle, le gigantesque Tholl s’élança vers le roi et, le dominant de toute sa taille lui assena un coup terrible en direction du visage, désireux de faire disparaître ce masque de jouissance.
« Titanic Hercules ! » cria-t-il alors.
 
Caliban arrêta le poing du géant d’une seule main mais devant le poids de son adversaire, il sentit ses jambes s’enfoncer dans le sol de plusieurs centimètres tandis que son adversaire l’invectivait violemment.
 
« Espèce de bête sauvage ! Je vais t’écraser ! »
 
Mais le bruit qui retentit alors fut celui du craquement émis par les phalanges du guerrier de Phedca sous la formidable pression qui s’exerçait sur elles.
 
« Bête sauvage dis-tu ? C’est tout à fait vrai ! Je fais partie de ces loups qui ne se sont jamais laissés apprivoiser par aucun maître ! Même le Régent n’a pas réussi à me tenir en laisse ! Je suis Caliban l’indomptable ! Et sous mon règne, l’humanité entière reviendra à cet état primitif de bestialité que la peur de mourir lui a fait abandonner !! »
 
De son poing libre, Caliban se servit pour briser violemment le bras du conquérant de Phedca à la hauteur du coude. Celui-ci gémit de douleur avant de s’écrouler sur le côté. L’armure du grand serpent ne l’avait aucunement protégé comme si son pouvoir magique s’était brusquement évaporé. Le roi le regardait maintenant avec mépris.
 
« Je ne peux plus supporter la vue de guerriers divins pitoyables dont la simple existence est une disgrâce pour leurs prédécesseurs. Je vais vous faire disparaître de ce monde ! « Vague ultime de vérité !! »
 
Une masse de chaleur énorme se forma alors dans le poing droit de Caliban, faisant s’effondrer les glaciers qui tenaient encore debout. Lorsqu’il libéra l’énergie retenue dans son bras, le géant se leva et étendit les bras pour protéger ses compagnons.
L’assaut était si puissant que la lumière ainsi émise dépassa en intensité celle du soleil. L’armure de Phedca céda en quelques secondes et alors ce fut le corps du guerrier divin qui se consuma. Le généreux Tholl qui avait toujours rêvé de mener son peuple vers des contrées baignées de soleil ressentait alors la morsure cruelle de cet astre qui dévorait sa peau, asséchait ses veines et brûlait les pupilles de ses yeux. Lorsque la puissance de Caliban se calma enfin, le titan était encore debout puis il s’écroula tel l’Yggdrasil terrassé par le feu.
 
Hagen et Fenrir n’avaient plus la force de se mouvoir jusqu’à leur ami avec leurs membres sectionnés mais la voix qu’entendit alors le guerrier était la seule qui lui importât. C’était la voix de la personne qui lui avait un jour épargné les rigueurs du servage alors qu’il chassait dans ses forêts.
Sa langue gonflée parvint à grand peine à articuler son nom.
 
« Il…da »
 
La princesse posa doucement ses blanches mains sur ses joues, invoquant inutilement son pouvoir guérisseur. Elle versa des larmes pour excuser son impuissance.
 
« Tholl… je suis tellement désolée… »
 
Le géant parvint à mouvoir son énorme main vers le visage de sa souveraine.
 
« Princesse… je suis né votre esclave… comme vous êtes née pour servir Odin. »
 
Tandis que les derniers guerriers divins arrivaient pour soutenir la tête de leur frère d’armes, celui-ci achevait avec cette incroyable lucidité des mourants de prononcer ses dernières paroles.
 
« Je vous en prie… soyez libre. »
 
Telles furent les derniers mots du noble géant dont les yeux se refermèrent pour la dernière fois sur l’éternité. Cette fois, aucun dieu du sommeil ni aucun tigre blanc n’irait l’arracher au royaume de Hell. Aucun dieu borgne ne l’accueillerait dans son palais car ce monde de fantasmes et de croyances illusoires volait à ce moment en éclats sous les coups répétés des deux dieux les plus puissants frappés à la porte du malheur.
 
Le pâle Caliban à la chevelure constellée de neige regardait à ce moment ses mains emprisonnées par des fils sournois. Quelqu’un était intervenu pour l’empêcher de déchaîner sa pleine puissance contre les trois guerriers divins, cela ne faisait aucun doute.
 
« Ton intervention a été inutile, Mime de Benetnach, toi dont on scande les louanges jusqu’en Utopia. Cet homme n’avait pas peur de mourir mais sa volonté était moins redoutable que la mienne, c’est ce qui a causé sa perte. Donner sa vie pour protéger quelqu’un, quelle bêtise. S’il voulait gagner il aurait dû se servir de leurs corps comme bouclier ! 
- Comment oses-tu ? S’exclama la princesse Hilda en larmes. Cet homme a donné sa vie pour sauver celle de ses amis et c’est comme cela que tu regardes son sacrifice ! »
 
Hagen interrompit sa souveraine tandis que les autres guerriers amenaient le pauvre Fenrir à proximité de celle-ci pour qu’il puisse recevoir les soins appropriés.
 
« C’est un monstre ! Il se prétend roi d’une contrée nommée Utopia mais il est venu pour dominer Asgard. »
 
Caliban coupa cet échange d’un ton ironique.
 
« Il est vrai que le Régent d’Utopia m’a fait part de son désir de voir les peuples du monde se rallier pacifiquement à notre empire et Baldur de son côté préférerait qu’il ne soit fait aucun mal à Asgard… Cependant, avant d’être roi je suis un guerrier et je n’épargnerai votre royaume que s’il peut me fournir des sujets dignes d’attention. »
 
Le dieu de la Droiture qui était resté silencieux jusqu’alors se leva d’un bond.
 
« Seigneur Caliban ! Vous n’avez pas le droit de prendre possession de ce royaume ou de disposer de ses habitants ! Toutes les terres situées dans le cercle polaire appartiennent à mon maître Baldur, fils d’Odin et de Frigg ! »
 
Sans prêter attention à cet importun, Caliban commença à scruter attentivement les guerriers qui lui faisaient face. Rapidement son attention se fixa sur trois d’entre eux : Siegfried, Mime et Bud. Ils étaient les seuls à maîtriser le septième sens à un niveau convenable, les autres lui apparaissaient comme quantité négligeable. S’adressant alors à Siegfried il énonça.
 
« Siegfried de Dubhe. Tu es vraiment exceptionnel. Ton ancêtre fut le seul homme qui me tint jamais tête. »
 
Le guerrier divin d’Alpha cessa de soutenir sa souveraine pour faire de même avec le regard de Caliban. Son cosmos commença à s’étendre tandis qu’au dessus de lui, l’étoile de Dubhe l’arrosait de sa lumière.
 
« Tu as donc rencontré le héros qui défit le dragon Fafnir. Mais je n’ai jamais entendu que Siegfried avait été tué par Caliban. »
 
Le troisième roi fit quelques pas vers son adversaire tandis que son sourire carnassier s’élargissait de plus en plus.
 
« Nous nous sommes combattus pendant près d’un an dans les blanches vallées de l’Islande. Ce pays a retenti sous nos coups et je me souviens que ces chétives créatures que l’on appelle « humains » se terraient dans leurs tanières comme des bêtes apeurées. Je connaissais la faille dans le physique invulnérable de Siegfried mais je ne l’ai jamais exploitée car je ne voulais pas interrompre ce combat. Puis finalement nous avons réalisé qu’en continuant ainsi nous allions détruire l’île et mourir d’inanition alors il est parti affronter cette Walkyrie qui était reine d’Islande et je suis parti vers d’autres terres sauvages. »
 
Sans un mot, le guerrier divin pointa son index vers Caliban et un jet de lumière découpa le sol autour de lui en forme circulaire. La surface explosa alors en une multitude de pierres tranchantes mais le roi ne bougea pas d’un pouce : les pierres explosaient à quelques centimètres de son torse sans l’atteindre.
 
« Je suis comme toi. Enonça Caliban. Mon corps est invincible et même le feu ne peut le consumer. C’est pour cette raison que ton ancêtre n’a jamais pu prendre le dessus sur moi. »
 
Le guerrier divin hésitait alors entre poursuivre l’assaut en portant la même attaque ou essayer une autre technique. Si cet homme était pareil aux servants d’Athéna, il était plus que probable qu’il ne se laisserait pas surprendre deux fois par l’épée d’Odin. D’autre part, s’il disait la vérité quant à l’invulnérabilité de son corps, les flammes de Fafnir n’auraient aucun effet. Les réflexions de Siegfried furent interrompues par le ton sardonique de Caliban.
 
« Aucune des alternatives que tu envisages n’est viable, chevalier. Quoique tu fasses, nous ne pourrons qu’engager un combat éternel car nous sommes tous deux invulnérables. Cependant nous avons un autre point en commun : chacun de nous a un avantage certain sur l’autre.
- Que veux-tu dire ?
- Regarde autour de toi : tu es entouré de six guerriers alors que je suis seul. Or même un homme comme moi peut se laisser surprendre par une attaque portée sur plusieurs fronts. Quant à mon avantage, le voici : le combat de Zeus et d’Hadès a dangereusement perturbé l’équilibre de cette planète dont la chaleur interne ne cesse d’augmenter. La glace qui recouvre Asgard a déjà commencé à fondre à une vitesse vertigineuse. Si tu as à cœur la vie de tes sujets, je te conseille donc de conclure ce combat rapidement. »
 
La décision du guerrier divin fut prise rapidement. Ce fut d’un ton d’autorité qu’il s’adressa alors à ses frères.
 
« Bud, Mime, vous allez attaquer avec moi. Fenrir et Hagen, restez en dehors de ça. Alberic, Syd, protégez la princesse ! »
 
En raison des capacités de Caliban, il était impossible à Siegfried d’expliquer son plan d’attaque à ses compagnons. Il espérait simplement que Mime comprendrait que son rôle était d’immobiliser son adversaire avec les cordes de sa lyre et que Bud le soutiendrait physiquement dans son assaut.
 
Ce fut d’un même élan qu’ils passèrent à l’assaut à une vitesse fulgurante. Arrivés à quelques mètres de Caliban, ils se séparèrent pour l’attaquer chacun d’un côté différent, suivant en cela les conseils de leur ennemi.
Mais au moment même où Mime énonçait le nom du « Stinger requiem » et que ses cordes mortelles allaient s’enrouler autour de son ennemi et être suivies par les flammes du dragon ainsi que les griffes du tigre Viking, le roi d’Utopia libéra toute sa puissance vers le cercle des guerriers divins restés en arrière et ce fut une flamboyante « vague ultime de vérité » qui les frappa de plein fouet.
Comprenant ce qui allait se produire, Siegfried, le seul qui fut assez prompt pour réagir, lança les flammes du dragon vers l’épaule droite de Caliban qui dut interrompre son assaut sous le choc.
 
Lorsque les guerriers divins retombèrent au sol, le troisième roi d’Utopia riait de contentement en dépit de sa brûlure car deux corps inanimés jonchaient maintenant le sol. Comprenant qu’ils avaient été joués, les guerriers divins ne purent retenir leur indignation.
 
« Espèce de monstre ! Tu as attaqué nos compagnons qui ne te menaçaient pas ! »
 
Le souverain ricanait de plus belle malgré la douleur.
 
« Bien évidemment. Le prédateur attaque toujours la bête blessée en premier ! Je savais que vous alliez suivre mon conseil et m’attaquer sur plusieurs fronts. Même si je l’avais voulu, je n’aurais pu esquiver votre assaut alors j’ai préféré me défaire de ces deux éclopés que votre ami a protégés ! »
 
A entendre ces derniers mots, les asgardiens furent saisis d’horreur et lorsque la brume soulevée par l’attaque de Caliban se fut dissipée, aucun doute n’était plus permis : l’attaque avait clairement surpris Hagen et Fenrir qui pansaient leurs blessures et les avaient fauchés comme des épis de blé.
Malgré leurs armures aucun des deux n’avait survécu. Le temps des adieux lui-même leur avait été refusé et leurs nouvelles vies qui venaient juste de reprendre s’achevaient à ce moment.
Hagen, la brûlante incarnation de Sleipnir, ne ferait plus jamais rire la douce princesse Freyja et ses rêves de gloire étaient fracassés par une défaite humiliante et totale. Comme son ancêtre mythique, tué par le roi des Huns pour ne pas lui avoir apporté l’or des Nibelungen, il avait péri de la main d’un barbare qui ne laissait pas l’herbe repousser sur son chemin.
 
Fenrir, ce loup sauvage avait rencontré son maître. Au moins avait-il la consolation d’avoir été tué par un autre grand fauve et le nom d’Alioth resterait à jamais gravé dans les mémoires de son peuple comme celui d’un guerrier que même la mort n’avait pas empêché de revenir servir sa souveraine.
 
Siegfried serrait le poing en regardant Caliban. Ce monstre restait aussi inébranlable qu’un colosse aux pieds d’airain et affichait un sourire malsain en de pareilles circonstances. En lui, l’envie d’aller pleurer son ami le disputait à son désir de venger sa mort. Devinant ses pensées, Caliban l’avertit.
 
« Tu as tort de me juger, mon ami. Tout n’est pas noble dans le combat et bien souvent les monarques dont l’aura brille avec le plus d’intensité sont ceux qui ont été capables des pires infamies. Au lieu de m’insulter remercie-moi, car si ces deux-là avaient pris part à l’assaut, c’est la vie de ta princesse que j’aurais prise.
- Je ne suis pas ton ami ! Nous n’avons rien de commun !
- Bien sûr que si ! Ton ancêtre était un grand homme qui ne vivait que pour le combat. C’était un fameux héros et à force de nous combattre, nous en sommes venus à éprouver une véritable amitié. Je ne suis venu ici que pour te combattre alors si tu veux venger ton ami, la seule réponse que je puisse te donner se trouve au bout de ton poing ! »
 
Le grand Siegfried brûlait de rage de savoir qu’il avait pu être l’ami d’un monstre pareil. Tout en Caliban appelait la bestialité et s’opposait à l’idéal de la chevalerie. Les sujets de cet homme devaient pleurer tous les jours d’avoir un tel monarque.
 
« Soit je te relève ton défi ! J’opposerai mon sens de l’ honneur à ta férocité ! »
 
Les deux guerriers firent brûler leur cosmos à leur paroxysme au point que le poétique Mime crût un moment que le ciel allait s’entrouvrir et appeler ces deux colosses à rejoindre les étoiles comme il l’avait fait lors du sacrifice de son commandant.
 
 
Mais alors que les deux terribles héros se jetaient l’un contre l’autre, l’élan du guerrier divin d’Alpha fut brisé par l’exclamation de sa souveraine et s’immobilisa immédiatement comme un chien dont on a tiré la laisse.
Le jeune princesse Hilda fit quelques pas dans la neige, brillante de noblesse tandis que l’anneau des Nibelungen resplendissait à son annulaire. Ce fut d’un ton d’autorité qu’elle s’adressa à Caliban en le toisant.
 
« Caliban, roi d’Utopia. Tu es venu recevoir l’hommage du royaume d’Asgard.
- C’est vrai.
- Mais Utopia n’a pas de souverain à l’heure actuelle, n’est-ce pas ?
- Utopia a neuf souverains parmi lesquels un seul a le droit de les gouverner tous. Son nom est Zeus ou Hadès.
- Ce qui signifie qu’en vous résistant, nous défions le futur souverain d’Utopia.
- En effet. »
 
La souveraine pontife d’Asgard eut alors un geste inattendu : écartant les mains en signe de paix, elle plia lentement les genoux sous sa robe puis s’inclina jusqu’au point de communier avec la neige. Le guerrier divin Albéric de Megrez fut le seul de son ordre à sourire en comprenant le choix de sa souveraine.
Ce fut d’une voix très douce et en inclinant les yeux vers le sol qu’Hilda énonça alors de sa voix cristalline.
 
« En ce jour, moi, Hilda de Polaris, grande prêtresse d’Odin, prête hommage au nom de mon seigneur à l’empereur Hadès, souverain d’Utopia et recommande à votre protection mon peuple et mon pays ».
 
Ce vœu d’homme lige réalisé dans les formes féodales arracha un sourire de contentement au troisième roi qui saisit alors Hilda par le menton, l’embrassa sur les deux joues puis effleura ses lèvres des siennes comme le voulait la coutume d’un seigneur promettant protection à son vassal.
 
Le cœur de Siegfried manqua un battement à la vue de cette abomination et il lui fallut user de toute sa volonté pour ne pas sauter à la gorge du sauvage qui embrassait sa princesse.
Relâchant le menton de la jeune femme qui tentait de dissimuler son trouble, Caliban poursuivit.
 
« Nous nous réjouissons de ce vœu et promettons protection au royaume d’Asgard au nom de l’empereur Hadès, neuvième roi et souverain d’Utopia ».
 
Le regard sardonique du monstre passa alors sur les guerriers assemblés.
 
« Votre souveraine a fait le seul choix possible pour une personne raisonnable. Cependant, vous autres guerriers divins avez commis un acte de rébellion. Comme votre suzerain, je suis en droit de punir cet acte de félonie ou de le pardonner. »
 
De tous les guerriers divins, Albéric de Megrez fut le seul à ne pas amorcer un mouvement rétrograde. Au contraire il vint à la rencontre de Caliban et se prosterna avec déférence.
 
« Votre majesté a pleinement raison. Nous sommes félons et méritons la mort. Cependant je me porte garant de mes compagnons qui vous seront loyaux sujets. »
 
Le roi d’Utopia sonda les pupilles vertes du conquérant de Delta et si fin physionomiste qu’il fût, il n’y lut que de la servilité.
 
« Soit, tu seras désormais nos oreilles et nos yeux en Asgard mais en échange de vos vies, je vais garder pour moi ce que vous avez de plus cher. »
 
Les yeux félins de Caliban se posèrent alors sur le doux visage de la princesse de Polaris qui détourna le regard pour ne pas voir le désir brûlant et sauvage qui les animait. Puis s’adressant à Sigefried.
 
« Mon ami, je repars avec ta princesse ! Si tu veux la revoir, tu devras me rejoindre dans mon royaume, la Terre des Combats ! Alors je pourrai te considérer comme rebelle et je détruirai ton peuple ! Asgard ou sa princesse, le choix t’appartient ! »
 
Et Caliban éclata d’un rire sadique et irrépressible qui retentissait encore aux oreilles des conquérants lorsque leur bourreau disparut dans un flot de lumière dorée pour rejoindre sa place habituelle sur les champs de bataille.
 
Resté là, Tyr, le dieu de la droiture sortit alors de sa réserve pour énoncer aux guerriers le véritable objet de sa présence.
 
« Baldur m’a envoyé ici pour vous communiquer la force d’abattre ce monstre. »
 
***
 
Un continent entouré par l’océan, tel fut la Terre sur laquelle l’empereur des Mers vit le jour. A cette époque où le monde fut partagé, il nourrissait des rêves de grandeur en s’imaginant assiéger le faible domaine de sa nièce et l’inonder par la seule furie des flots.
Mais bien vite, le fils de Cronos comprit qu’un empire qui ne peut donner à contempler aucune face émergée est aussi insignifiant qu’un marais putride.
Après de multiples défaites, Poséidon décida de s’incarner sur Terre en la personne d’un riche armateur qui, fort du soutien du dieu de la mer, établit un empire sur les océans. Le prix à payer pour cette puissante famille était de consentir à sacrifier l’un de ses héritiers à l’ambition du dieu chaque fois que son ambition embrasait les plaines de l’Attique. Mais dans ce rôle qu’on lui demandait de jouer, la famille Solo pouvait-elle s’absoudre des crimes commis par son intermédiaire par le simple fait qu’ils étaient ceux de l’empereur des mers ?
En contemplant le lagon qui s’étendait devant sa résidence, le jeune héritier des Solo sentait un sentiment de culpabilité lui ronger le cœur.
Alors une voix féminine le tira de sa torpeur en même temps qu’elle réveillait en lui des pulsions viriles.
 
« Bonjour Seigneur Poséidon. »
 
Le général de Sirène se retourna vivement en entendant ce nom qui avait pour lui la consonance du malheur. Depuis longtemps, l’air maléfique qui animait sa flûte avait revêtu les apparences de la bonté et de la compassion et comme un loup qui quitte la fourrure de l’agneau, les vibrations de son cosmos avaient déjà abandonné leur tonalité angélique pour redevenir macabre.
La vue de la splendide créature qui se tenait devant lui ne suffit pas à lui faire abandonner ses préventions malgré les sensations contradictoires que lui soufflaient les battements de son cœur dans sa poitrine. La reine Jézabel était aujourd’hui vêtue d’une tunique très légère qui mettait en valeur sa peau hâlée par le soleil. Ses épaules et bras nus la faisaient ressembler à l’une des prêtresses qui dans les temps anciens sacrifiaient des taureaux à Poséidon dans l’enceinte des temples de la forteresse d’Atlantide. Ce fut pourtant avec la courtoisie froide de l’élève qui a bien appris la leçon qu’il aurait à réciter dans pareille occasion qu’il répondit.
 
« Vous vous trompez. Seul demeure ici Julian Solo, prince de l’Océan mais non son empereur. »
 
La reine d’Utopia souleva légèrement les pans de sa toge et s’avança avec grâce vers le jeune dieu somnolent.
 
« Tu es un hypocrite, général Sorrente de Sirène. Et un imprudent ajouterai-je car les soins maternels dont tu entoures ton maître ne peuvent que rendre l’accomplissement de son destin plus pénible. »
 
Nonobstant le crachat, le Marina porta délicatement son instrument à ses lèvres et d’un souffle entama la sonate la plus cruelle de sa nouvelle vie.
Bien qu’il ne parlât point, sa musique, mieux que des mots articulés portait ses intentions aux oreilles de la reine.
 
« Qui que vous soyez, je ne vous autoriserai pas à troubler Julian. C’est un être bon et sensible qui n’a d’autre but dans l’existence que de soulager la douleur de ses semblables. »
 
Jézabel, étrangement, n’avait aucune réaction. Elle se contentait de sourire au prince endormi en entamant un début de révérence qui ne permettait pas qu’un seul pan de sa sublime tunique n’effleure le sol.
 
« Ta réputation est méritée, général. Le son de ta flûte pénètre le cerveau en causant des lésions irréversibles à celui-ci qui tente de résister à la folie qui l’envahit alors. Mais pour moi ce son si beau est une éloge à la musique elle-même. »
 
De surprise, le marina manqua un accord et s’interrompit.
 
« Qu’avez-vous dit ?
- Tout simplement que la folie n’est pas une chose que les souverains d’Utopia doivent craindre. Au contraire, ils l’aiment et la vénèrent, ils la domptent comme un lion dans lequel chaque jour ils puisent une énergie sans limite. »
 
Les lèvres de la reine se déformèrent en un sourire des plus suaves.
 
« Tu crois être le maître de la terreur car le son de ta flûte altère le cerveau humain mais as-tu jamais entendu le son de la voix de Dieu qui a mis des peuples à genoux ? Rien ne lui est comparable. »
 
Les lèvres de Jézabel s’ouvrirent alors pour libérer un son d’une nature épouvantable. C’était aussi puissant que le barrissement d’un éléphant, aussi tonitruant que la chute de la foudre et pourtant aussi strident que le braillement d’un enfant et en même temps doux comme le miaulement d’un chaton, aussi rythmé que la mélodie d’une boîte à musique, aussi épouvantable que le chant d’une trompette et pourtant aussi mélancolique que le pincement des cordes d’un violon…
C’était comme si un musicien de génie avait réussi à reproduire tous les sons du monde et les avait enfermés dans une boîte de Pandore brusquement ouverte. C’était épouvantable et en même temps fascinant, horrible et émouvant, repoussant et captivant.
Le général de la Sirène se sentait à ce moment comme la plus humble des créatures face à l’Eternel. Son bon sens lui commandait d’obstruer ses oreilles, de percer ses tympans mais sa sensibilité lui commandait d’écouter jusqu’à en devenir sourd car, il le sentait confusément, c’était par cette voix que Dieu avait ordonné au Chaos de s’ordonner au début des temps.
Lorsque Jézabel se tut enfin, les larmes roulaient sur les joues du serviteur de l’empereur des mers. Alors que la splendide courtisane s’agenouillait devant ce dernier, le général comprit qu’il ne pouvait rien faire pour s’opposer à la volonté de cette créature.
 
« Julian Solo, héritier de Poséidon, fils de Kronos et de Rhéa, moi Jézabel, reine d’Utopia je t’ordonne de te réveiller. »
 
Sortant de son sommeil hypnotique, le jeune homme aux cheveux couleur d’écume ouvrit lentement des yeux éberlués par tant de beauté. Son premier geste fut de tendre la main vers cette sublime créature agenouillée pour lui permettre de se relever mais la nymphe plongea alors dans une révérence plus profonde.
 
« Salut à toi, Julian Solo, prince des Océans. Salut à toi, Julian Solo, assassin de millions d’êtres humains. »
 
Le jeune homme ne put réprimer un mouvement de recul devant cette accusation.
 
« Je ne suis pas celui…
- Vous êtes Poséidon ! Comme Poséidon est Julian Solo et l’auteur de nombreux crimes ! »
 
Sortant de sa léthargie, le général de Sirène parvint à articuler faiblement.
 
« Julian n’était pas conscient de ses actes… pas plus qu’il n’en est responsable. Et pourtant, sans avoir conscience de cela, il cherche à racheter ses fautes envers l’humanité. »
 
La voix de Jézabel se radoucit jusqu’à en devenir caressante.
 
« C’est vrai, le repentir après la faute est dans la nature de l’être humain. Nul n’a le droit de juger autrui car chacun a sa propre conscience pour juge. Si vous n’étiez pas ce que vous êtes, si vous n’étiez pas ce que vous fûtes, alors je ne viendrais pas vous tourmenter. Je ne suis pas votre Némésis, Julian Solo, mais malheureusement vous ne pouvez changer ce que vous êtes au fond et c’est pour cette raison que je viens vous demander votre vie. »
 
L’héritier de la famille Solo reçut cette déclaration avec un calme étonnant pour qui avait pu être témoin de ses récentes afflictions.
 
« Vous avez donc l’intention de prendre ma vie ? »
 
Jézabel baissa les yeux par respect.
 
« Je suis venue « demander » votre vie et non la prendre. Je n’ai ni le droit de vous juger ni celui de vous exécuter. Aussi je suis venue vous demander d’abréger vous-même votre existence.
- Et à supposer que j’accède à votre requête et choisisse de me suicider, quel bien cela fera-t-il ? »
 
Jézabel regardait maintenant le prince des océans avec émotion, sa voix trahissait la ferveur de sa foi dans sa cause.
 
« Beaucoup plus que vous ne l’imaginez. Bien que votre cher Sorrente ait tenté de vous le cacher, je suis certaine que vous vous souvenez des atrocités que vous avez commises en tant que Poséidon. Des millions d’innocents, hommes, femmes et enfants ont payé de leur vie la tentative de l’empereur des mers de purger la Terre de la corruption qui l’habite. Les raz-de-marée ainsi provoqués ont laissé de nombreux enfants orphelins. »
 
La reine marqua une pause avant de continuer car elle savait qu’elle était en train de tirer sur la corde sensible.
 
« Je sais qu’en tant que Julian Solo, vous avez décidé de dilapider votre fortune pour venir en aide aux orphelins et que la flûte de votre ami Sorrente les a réconfortés… Mais vous n’êtes qu’un homme et ne pouvez espérer porter le poids du monde sur vos épaules sans vous écrouler. De plus votre idéal de rédemption est un leurre et je sais que vous en avez conscience !
- Que voulez-vous dire ?
- Depuis les temps mythiques, Poséidon s’est toujours réincarné dans les héritiers mâles de la famille Solo et chaque fois dans le même but : conquérir le monde. Aucun enfant de votre famille n’est jamais venu au monde sans avoir le destin d’accueillir la volonté de ce dieu. Le pouvoir, la richesse des Solo, leur domination sur les sept mers, tout cela est l’œuvre de Poséidon. Votre famille est son instrument et rien d’autre et vous-même n’êtes qu’une marionnette temporairement libérée des ficelles qui servent à l’agiter !
- Poséidon est endormi ! S’écria le général de Sirène.
- Pour combien de temps ?! Lorsque les chevaliers d’Athéna arrivèrent en Elision, l’empereur des Mers n’a eu aucune difficulté à posséder votre corps pour venir en aide à ces chevaliers, il a même pu leur envoyer des armures d’or à travers le fleuve Léthé ! Quelle preuve supplémentaire vous faut-il ?! Le pouvoir d’Athéna a pratiquement disparu sur Terre, remplacé par celui de Zeus ! Que se passera-t-il si Poséidon décide de se soulever à nouveau ? Nous assisterons encore à un nouveau déluge ! Les villes prospères seront pillées par des soldats indisciplinés jusqu’à ce que la couronne de la Terre soit à nouveau lancée en pâture à la foule des dieux et nous assisterons à la plus ignoble curée qui soit ! Non cela ne doit plus se produire ! La lignée des Solo doit être tarie de manière à ce que l’empereur des Mers ne puisse plus jamais se réincarner ! »
 
Julian Solo se prit à regarder l’océan infini en se rappelant cette époque où son père, le faisant monter sur un voilier, lui expliquait orgueilleusement que cet empire était le sien. Cet empire il avait voulu l’étreindre, le posséder avec autant de violence qu’il avait voulu avoir Saori Kido puis Athéna. Qu’il fût Julian Solo ou Poséidon ses sentiments pour cette femme n’avaient pas changé : il l’aimait d’un amour violent qui n’admettait pas le non comme une réponse. La possession de Poséidon n’avait fait que lui donner le pouvoir et le charisme nécessaires à la réalisation de ses ambitions. Mais même avec toute cette puissance il n’avait pas échappé au destin de Solo : celui de marionnette.
Son maître à lui avait été un simple mortel, Dragon des Mers. Manipulé par lui il avait commis des actes irréparables sans en ressentir le moindre remords. Et maintenant il essayait de racheter sa dette envers l’humanité de la manière la plus misérable qui fût : avec de l’argent.
Un moment il se trouva pitoyable, il eut envie de vomir sur lui-même, de se saisir de ce poignard qu’il devinait dans la doublure de la tunique de Jézabel et de s’en servir pour se trancher la gorge. Mais ce courage là lui manquait.
Un bref instant il porta un regard implorant sur son ami Sorrente mais se reprit : il serait trop cruel de demander une telle chose à ce jeune homme. L’exécuteur le plus approprié s’imposa bientôt à lui avec la force de l’évidence.
 
« J’ai décidé d’accéder à votre requête. Avec moi disparaîtra la lignée de Poséidon et peut-être un peu de la douleur qu’il a causée. »
 
Jézabel ne dit rien, sachant que le courage était une vertu que les dieux dispensent plus souvent en paroles qu’en actes.
 
« Cependant… puisque vous êtes venue prendre ma vie, je vais vous demander une ultime faveur : m’aider à la quitter. »
 
Jézabel se releva de toute sa taille, toisant le prince des océans du fond des yeux tandis qu’elle commençait à dégrafer lentement les voiles de sa toge.
 
« Je suis là pour cela, Julian. Dit-elle d’une voix langoureuse. »
 
Tandis qu’elle parlait, sa robe tomba toute entière à ses pieds, révélant sa nudité sculpturale au jeune homme qui explorait son corps sans pudeur.
 
« Puisque tu vas mourir, autant que ce soit en éprouvant un avant-goût de ce fruit que tu as tant voulu posséder. »
 
Les mains expertes de la reine commencèrent à chercher les boutons de la chemise du jeune homme, le débarrassant d’abord de sa veste puis de sa ceinture et enfin de sa chemise, révélant son torse musclé.
Glissant le long de ses muscles frémissants, elle provoqua en lui la montée d’un désir irrépressible qui le fit l’embrasser dans le cou avec fougue. La déesse ne retint pas ses gémissements de plaisir lorsqu’il la prit dans ses bras mais au moment où il voulut l’embrasser, elle saisit sa nuque par les cheveux.
 
« Je ne te forcerai pas Julian. Si tu le souhaites, je m’unirai à toi dans la passion de ce baiser mais tu dois savoir que lorsque l’intensité de ce moment aura cessé, tu mourras. »
 
Il plongea dans ses yeux. Il y vit une existence passionnée, une flamme qui ne cessait jamais de se consumer par amour de la vie elle-même, un monde merveilleux fait de beauté et de liberté. Une utopie de passion et de jouissance.
 
Elle lut dans ses yeux. Elle y vit une enfance comblée d’attentions, un cœur rempli de désirs égoïstes et charnels jamais assouvis, une volonté sans borne de posséder l’inaccessible, une déesse aux cheveux mauves et aux yeux pers. Elle y lut un désir irréfréné.
 
D’un même mouvement ils s’étreignirent et tandis que leurs langues s’entremêlaient pour un langoureux baiser, que leurs lèvres se touchaient et se désunissaient par intervalles, une Sirène triste chantait pour Ulysse la complainte de la mort de son maître.
 
***
 
Ilya Muromets avait déjà commencé l’assaut du sanctuaire depuis quelques minutes lorsqu’il sentit, à l’instar de ses adversaires, une masse de chaleur énorme se déplacer vers la Terre.
Relâchant son étreinte sur le chevalier d’Ophiuccus qu’il tenait à sa merci, il s’arrêta quelques secondes pour s’assurer que ses yeux ne le trompaient pas.
La boule de feu envoyée par le grand Zeus pour détruire le sanctuaire terrestre était gigantesque et en la voyant s’approcher, le second roi d’Utopia songea avec horreur aux innombrables vies dont cette abomination allait signifier la fin.
Il n’eut que le temps de hurler aux servants d’Athéna de se pousser avant de tourner sa main droite vers la boule de feu dont la taille le submergea entièrement. Le choc fut titanesque et les ruines des premières maisons du zodiaque, déjà affectées par la disparition du cosmos d’Athéna sur Terre, manquèrent de se disloquer entièrement.
Ilya s’enfonça de plusieurs centimètres dans le sol tout en priant pour que les os de son bras droit ne craquent pas prématurément. Puis ce fut un cri de douleur étrange qui sortit de sa bouche :
 
-         Mon ami, encore une fois, prête-moi ta force !!
 
Une aura immense se superposa alors à celle d’Ilya Muromets, son ombre était tellement gigantesque qu’elle submergeait l’ensemble du sanctuaire. A n’en pas douter, cela ne pouvait être que l’aura d’un géant pensèrent les chevaliers trop imprudents pour se cacher.
Les forces décuplées d’Ilya lui permirent alors de retrouver le libre usage de ses jambes et ce fut au péril de sa vie qu’il s’élança alors le point en avant vers l’œil de la boule de feu.
Les deux forces s’affrontèrent quelques secondes mais finalement le cosmos du dieu suprême se tarit et l’objet brûlant explosa en une multitude de faisceaux chargés de chaleur.
 
Le souverain slave regarda avec dépit son bras droit brûlé puis embrassant le paysage alentour, il put se rendre compte de son insuccès : en explosant la boule de feu avait libéré une infinité de traits brûlants et le chevalier de l’Hydre, trop lent pour se mettre en garde avait été transpercé de part en part par l’un d’eux. De rage, le second roi frappa le sol de son poing brûlé en s’écriant :
 
«  Mais c’est pas vrai !! »
 
Tandis que les chevaliers de bronze s’agenouillaient au chevet de leur frère de sang, le chevalier d’argent de l’Aigle regardait avec un étonnement croissant le visage de son ennemi à travers son masque fissuré. Très lentement, elle s’avança vers lui et lui demanda doucement.
 
«  Pourquoi nous avoir protégés ? »
 
Ilya Muromets se releva en prenant appui sur son poing ensanglanté tout en gardant les yeux fixés sur le sol.
 
« Parce que c’est le devoir d’un roi de protéger son peuple.
-         Son peuple ? Demanda Marine avec étonnement. »
 
Ilya passa à la hauteur du chevalier sans la regarder.
 
« Oui, mon peuple. Peu importe le dieu en lequel ils croient ou la terre qui les a vus naître, tous les humains sont frères dans l’empire d’Utopia et en tant que roi, mon devoir sera toujours de protéger les faibles. »
 
Puis se retournant vers le corps sanguinolent du chevalier Ichi, encore animé des derniers spasmes de la vie qui s’étiole.
 
« Cela est de ma faute. Tout cela est mon œuvre.
 
Il hurla tout en serrant son poing ensanglanté.
 
« Chevaliers d’Athéna ! Cette mort vous suffit-elle ? Alors livrez-moi la tête de Medusa incrustée dans le bouclier de la Justice que je puisse mettre fin à cette tragédie avant que le sang ne souille encore ces lieux. »
 
Un silence passa avant que prenant implicitement la tête du groupe de rescapés, le chevalier de l’Ophiuccus apporta une réponse au chef du clan Bogatyr.
 
« Ilya Muromets ! Tu as sauvé nos vies et pour cela je te suis redevable. Cependant le lieu que tu foules est sacré depuis les temps mythiques ! La statue d’Athéna est sacrée et son bouclier l’est tout autant. Nous ne pouvons te livrer cet objet même en échange de nos vies.
- Chevalier, tu porteras seule la responsabilité du sang qui coulera à partir de maintenant. Je n’ai pas besoin de voir tes yeux pour y lire le fanatisme. En venant ici j’avais l’intention d’épargner vos vies mais je vois bien que votre dévotion vous poussera aux limites de la raison. »
 
Le chevalier de la Licorne se leva alors en fixant Ilya d’un index inquisiteur.
 
« Tu es un hypocrite ! Comment peux-tu critiquer notre dévotion pour Athéna alors que tes actes sont le reflet du désir de domination du dieu que tu sers ?! »
 
Le souverain resta muet une seconde puis, gonflant ses joues, il cracha aux pieds de Jabu pour lui signifier son mépris.
 
« Tu es jeune, chevalier de la Licorne, jeune et stupide. Je ne sers pas Utopia par dévotion religieuse mais pour éradiquer toutes les autres religions de cette planète. Je foule cette terre depuis deux cents vies d’hommes et j’y ai vu commettre des actes monstrueux au nom des dieux. En période de crise, l’humanité se réfugie toujours dans le fanatisme. J’ai vu de mes yeux les habitants de Carthage offrir leurs enfants à Moloch pour qu’il leur donne la pluie. Même les Romains si civilisés n’hésitèrent pas à sacrifier des humains à leurs dieux lorsque les armées d’Hannibal approchèrent de leur ville. Je déteste ces cultes païens qui font régresser l’homme à l’état d’animal ! Je déteste ce sanctuaire que vous vénérez alors qu’il arrache des enfants à l’amour de leurs parents pour en faire les laquais de sa déesse ! »
 
N’y tenant plus, le chevalier de la Licorne s’élança vers le blasphémateur à une vitesse approchant celle du son et lui décrocha un fulgurant coup de pied dans la mâchoire. Ilya vacilla quelque peu sous le choc tandis que son jeune adversaire était lui-même surpris de son succès.
 
« Animal… tu n’es rien de plus qu’un animal dressé. J’essaye de te parler mais tu ne sais répondre que par la violence. Est-ce cela que tu as appris ? »
 
Le chevalier de Bronze s’immobilisa un moment, surpris à l’égal de ses semblables par la réaction de l’homme qui avait arrêté l’assaut du dieu suprême.
 
« Chevaliers. En dépit de ce geste, je souhaite toujours éviter un bain de sang. Aussi je vous le demande : abandonnez ce sanctuaire, laissez là vos armures et reniez cette idole que vous vénérez. Alors je serai prêt à vous donner asile en Utopia où tous vos péchés seront effacés. »
 
Encouragé par son précédent succès, le saint de la Licorne tenta de renouveler son attaque mais cette fois sa jambe droite rencontra le bras d’Ilya et se brisa net à son contact. Le guerrier tomba à terre comme un pantin désarticulé.
 
« Je suppose que pour toi, la réponse est non. Mais qu’en est-il de vous autres ? Ne voyez-vous pas que la ruine du sanctuaire est consommée ? Le théâtre s’est vidé, il est temps pour les acteurs de tirer leur révérence. »
 
Marine de l’Aigle s’avança alors.
 
« Renier Athéna, pour l’un de ses chevaliers est une chose impossible. Mais pourquoi tant d’insistance au lieu de combattre ? »
 
Un rictus de mépris déforma la lèvre supérieure d’Ilya tandis qu’il détaillait le masque de Marine.
 
« Vous êtes vraiment des fanatiques… la règle d’Athéna fait des femmes chevaliers des assassins en puissance si elles ont le malheur de retirer leur masque. Votre déesse se prétend porteuse d’amour et pourtant elle vous dénie le droit de le trouver. En devenant chevaliers vous ne cherchez pas à protéger vos semblables, ce que vous cherchez c’est le pouvoir. Si je ne cherche pas à vous tuer, c’est parce qu’Utopia sera pour vous ce qu’elle a représenté pour moi : le salut.
            - Et si nous ne voulions pas être sauvés ?
- Eh bien je vous forcerai à être libres ! « Annihilation du cosmos ! »
 
Le cosmos d’Ilya avait déferlé sur les chevaliers mais c’était une sensation étrange : tous avaient eu le temps de se mettre en position de défense et pensaient avoir encaissé son attaque lorsque dans un gigantesque reflux, ils sentirent leurs cosmos se désintégrer sous le choc d’un second impact. Ce ne fut absolument pas douloureux mais ils s’étaient sentis comme violés, comme si on leur avait volé leur cosmos de l’intérieur. Lorsqu’elle retrouva la maîtrise de son corps, Shaina constata que son armure pesait plus lourd puis elle constata qu’elle ne vibrait plus.
 
« Que nous avez-vous fait ?
- Je vous ai libéré de la servitude dans laquelle Athéna vous avait plongé : je vous ai privé de votre cosmos. »
 
Il fallut quelques minutes aux chevaliers quelque peu hébétés pour se rendre à l’évidence. Ils ne ressentaient plus rien que le tressaillement de leur cœur dans leur poitrine, plus rien ne brûlait en eux. Ils avaient l’impression de se réveiller en ayant perdu quelque chose, en étant un peu moins que ce qu’ils étaient auparavant.
 
 Sans un mot, Ilya s’approcha de Marine et retira doucement le masque qui occultait son magnifique visage. Le chevalier d’argent se surprit à ne ressentir aucune haine devant cet affront. Il y avait à peine une minute, une voix au fond de son cerveau lui disait que cet homme était un ennemi et que sa mission était de l’anéantir. Mais à présent elle n’entendait plus rien que le battement de son cœur dans sa poitrine qui tressaillait de joie.
 
La voix d’Ilya s’éleva alors avec sa douceur habituelle.
 
« Tu es libre d’aimer et de haïr à présent. Plus aucune puissance supérieure ne commandera tes actes, le bien ou le mal tu en jugeras désormais par toi-même. Le ciel est vide, Dieu est mort, réjouissez-vous, vous n’avez plus de maître, vous êtes libre. »
 
***
 
Les flammes du grand Zeus s’étaient répandues sur Terre à une vitesse telle qu’aucune force humaine n’avait été capable de les arrêter. Mais aucune de ces boules de feu n’avait été envoyée au hasard, chacune avait une cible bien précise dont l’anéantissement concourait au retour des dieux. Des villes telles que New York, Beijing ou Berlin n’étaient plus que des amas de ruines fumantes. Tout ce qui pouvait rappeler la puissance de l’ancien monde devait être systématiquement détruit.
Depuis le Mont Olympe, les archanges-rois d’Utopia participaient à la tâche sans avoir besoin de lever le petit doigt.
 
De part le monde, on entendait un cri répercuté par mille autres d’un homme immolé vivant par les flammes d’Uriel car tous faisaient le même songe : celui d’un ange qui leur posait la même question implacable :
 
« Crains-tu Dieu du plus profond de ton cœur ? »
 
Et tous ceux dont le cœur n’était empli que d’égoïsme sentaient leur peau se dessécher sous l’effet des flammes surnaturelles de l’épée de l’archange. Des millions d’êtres humains moururent ainsi ce jour de malheur, emportant dans l’au-delà le souvenir des pupilles multicolores du séduisant roi.
 
La méthode d’Oblivion était peut-être moins cruelle car elle ne causait pas une mort instantanée. Fidèle à son nom, l’ami d’Uriel avait fait poussé sur Terre une forêt miraculeuse qui n’existait que dans l’esprit de chacun.
Celui qui s’y perdait ne serait-ce qu’une seconde, oubliait d’abord le nom de ses amis puis le sien propre et à la parfin il finissait par ne plus savoir prononcer qu’un seul mot « pourquoi ? ». En faisant table rase du passé, le puissant roi privait les hommes de leur souvenir mais aussi de leur présent. Seuls avaient un avenir ceux qui n’avaient pas encore suffisamment connu le monde pour le regretter. Les autres étaient condamnés à errer sur Terre jusqu’à tomber d’une falaise ou à mourir d’épuisement.
 
Utopia n’était pas intéressé par les adultes, ces hommes qui avaient déjà vécu, ceux-là les portes du royaume de Dieu leur seraient à jamais fermées car ils n’avaient plus envie de les chercher.
 
Alors les enfants erraient dans le désert, ne comprenant pas pourquoi leurs parents avaient cessé de s’intéresser à eux, pourquoi leurs corps ne remuaient plus quand ils les priaient de rentrer à la maison. Ils sentaient en leur for intérieur qu’une voix devait ordonner ce chaos, qu’ils avaient besoin d’une main secourable et d’où qu’elle vienne, leur désespoir était si grand qu’ils l’auraient saisie.
 
Alors il survint. Un adolescent aux cheveux blonds et au teint blafard. Il sortit de sa cité enchantée et marchant sur le sable brûlant du désert qui l’entourait, vint à la rencontre du petit être qui pleurait. D’un geste paternel, Baldur caressa les boucles brunes du petit nomade qui pleurait contre sa tente entouré par les corps de son clan.
 
            « Comment t’appelles-tu ? demanda-t-il gentiment »
 
L’enfant ne répondit pas mais ses petits poings cessèrent de martyriser ses yeux larmoyants. Au bout d’un moment, un son franchit la frontière de ses lèvres craquelées.
 
            « J’ai oublié. »
 
La puissance d’Oblivion était vraiment impressionnante, songea Baldur. Mais son pouvoir n’avait pu retenir cet enfant dans les méandres de son propre esprit, c’était donc qu’il pouvait être sauvé.
 
            « Cela ne fait rien. Je vais t’emmener dans une cité merveilleuse, là tu verras une infinité de choses plus belles les unes que les autres, tu apprendras des mots qui te serviront bien plus qu’un nom. »
 
A ces paroles, l’enfant tourna timidement les yeux vers l’être secourable qu’il attendait. Il ne ressemblait à rien de ce qu’il avait connu jusqu’à maintenant, ses cheveux étaient aussi jaune que le soleil mais sa peau ne semblait ne jamais en avoir subi le contact.
 
            « Alors je ne serai plus seul ? »
 
Baldur tendit sa main droite à l’enfant qui la saisit sans hésitation devant son sourire engageant.
 
            « Tous les orphelins victimes des guerres ou des famines, tous les enfants qui n’ont plus de parents ou de raison de vivre, l’empire d’Utopia a vocation à les accueillir. Lorsque nous verrons un autre enfant, tends-lui la main car c’est ensemble que nous irons vers le paradis. »
 
Le fils d’Odin ferma un instant les yeux pour solliciter de ses frères d’armes qu’ils lui indiquent la direction à suivre pour repérer une nouvelle présence humaine. Comme prévu sa destination se trouvait à plus de mille stades. Mais même à cette distance il entendait distinctement les cris des orphelins réclamant leurs parents.
 
            « J’espère vraiment que le nouveau monde que nous voulons créer sur les ruines de l’ancien mérite tant de sacrifices, lâcha-t-il dans un soupir. »
 
Sentant une légère tension sur sa main, le jeune homme inclina le buste pour entendre la requête de son protégé. Timidement, l’enfant demanda.
 
            « Est-ce que je peux avoir un nom ?
-         Nul n’a besoin d’un nom en Utopia car tous ses habitants y sont semblables, ils font tous le même rêve. Seuls les rois ont un nom.
-         Alors je ne peux pas en avoir ? »
 
Baldur sourit avec indulgence tandis que dans sa main, l’énergie se concentrait pour apposer une marque sur celle de l’enfant qui la tenait.
 
            « Pourquoi fallait-il que tu demandes cela ? Maintenant le seul nom que je puisse te donner est celui de Légion car vous êtes nombreux… à êtres indignes de nous suivre. »
 
Baldur regarda avec tristesse cette petite créature imparfaite. Pour avoir voulu se distinguer de ses semblables, il venait de prouver son égoïsme et se condamnait à rester sur Terre.
 
***
 
Privé de toute propriété magique par l’absence d’Athéna, le sanctuaire n’était plus en mesure de se défendre pas plus que les chevaliers privés de leur cosmos n’avaient voulu s’opposer à l’avance d’Ilya.
 
Arrivé devant la gigantesque statue d’Athéna, celui-ci ne put cacher son contentement. Après des siècles d’isolement, il n’avait plus qu’un geste à faire pour permettre à son peuple de sortir de l’ombre. La maudite tête de Médusa que le chevalier de Persée avait jadis utilisée pour pétrifier le gigantesque Atlas était à sa portée. Une fois cette maudite relique détruite, le cosmos du Titan serait réveillé et la seule porte d’Utopia qui donnait sur la Terre serait ouverte aux mortels. Alors plus rien ne s’opposerait à son rêve : toute forme de dualité disparaîtrait sous l’influence d’une divinité unique détentrice de la vérité.
 
Alors que son poing allait heurter le bouclier de la Justice pour tenter d’en retirer la tête de la Gorgone, le jeune homme sembla pris d’un malaise. Il tituba quelque peu tandis que le sol se dérobait sous ses pieds.
 
            « Quelle étrange sensation, pensa-t-il. J’ai la désagréable impression qu’un cosmos que je connais vient de s’éteindre, et pourtant il faut que j’achève ma mission. »
 
Cependant, avant qu’il put se remettre de son malaise, la même sensation étrange l’affecta à nouveau, lui causant le même trouble.
 
Une voix sarcastique s’éleva alors dans l’ombre du palais du grand pope.
 
            « Mais on dirait que tu es trop sensible à la souffrance d’autrui, mon ami. Il ne faut pas se mettre dans des états pareils pour quelques chevaliers déchus, voyons ! »
 
Ilya fit volte-face pour identifier l’auteur de ces paroles mais cet homme était totalement dissimulé par la tenture écarlate qui seyait si bien au grand Pope durant le règne de Saga.
 
            « Qu’as-tu dit ?
-         Simplement que la mort de ces serviteurs d’Athéna ne devrait pas t’affecter à ce point. »
 
L’homme écarta alors la tenture d’une main pour révéler une armure aussi sombre que la nuit. Malgré ses courbes harmonieuses, les immenses ailes qui l’entouraient ainsi que la forme du casque faisaient penser à un rapace monstrueux.
 
            « Je me présente, Minos de l’étoile céleste de la valeur pour te desservir.
-         Un spectre d’Hadès ? Qu’as-tu fait aux chevaliers que j’ai affrontés tout à l’heure.
-         Vu que tu les as libérés du poids de leur cosmos et de celui encore plus écrasant du devoir, je me suis dit qu’il serait dommage d’en rester là alors j’ai donné l’ordre à un de mes spectres de leur ôter aussi celui de la vie.
-         Comment as-tu osé ? Privés de leur cosmos, ils ne pouvaient plus rien !
-         Que veux-tu ? Faire souffrir des personnes sans défense, c’est mon péché mignon, acheva Minos avec un sourire. »
 
Ilya voulut s’élancer sur le juge mais il constata bien vite que ses jambes ne se mouvaient plus. Un regard vers le sol confirma sa présomption : des fils d’argent se reflétaient au soleil et s’étendaient depuis les doigts de Minos jusqu’à ses pieds.
 
            « Je ne t’ai pourtant pas vu lancer ta technique de manipulation.
-         Je m’attendais à te venue alors j’ai disposé des fils d’argent dans tout le périmètre de façon à pouvoir t’emprisonner où que tu te trouves.
-         Tu étais donc prévenue de me venue mais par qui ?
-         C’est Jézabel qui est venue nous trouver au château où nous habitons depuis la destruction partielle de l’Enfer. Elle nous a expliqué les enjeux de cette bataille et permis de nous trouver ici avant toi. »
 
Ilya arbora alors un sourire énigmatique puis, profitant de ce que seules ses jambes étaient immobilisées, s’assit en tailleur face à Minos, à la manière des nomades.
 
« Me voilà dans une situation difficile en effet. Cependant je voudrais te poser une question : as-tu vraiment tué tous les chevaliers d’Athéna que j’avais épargnés ? Et si oui dans quel but ?
-         Vois-tu, commença Minos, j’ai assisté à ton combat. Tu les as privés de leurs cosmos sans même les blesser. C’est la première fois que je vois une chose pareille. Cependant, lorsque tu as procédé ainsi, ton cosmos a beaucoup diminué, c’est donc que tu n’as pas absorbé leurs forces comme je l’avais cru d’abord. J’ai donc demandé à Myu de l’étoile de Féerie de les supprimer pour observer ta réaction.
-         Cela explique la sensation que j’ai ressentie tout à l’heure.
-         Et m’a permis de comprendre, poursuivit Minos, le fondement de ta technique. Tu ne les as pas privés de leurs cosmos, mais tu as utilisé ton propre pouvoir pour les sceller en eux. C’est donc une forme de sceau que tu leur as apposés.
-         Les as-tu vraiment tués ?
-         C’est une technique très intéressante… Mais sa faiblesse réside dans le fait que tu es lié à ces sceaux. Tu t’affaiblis à chaque fois qu’ils sont détruits.
-         Réponds !! »
 
Minos sourit puis d’un geste rappela ses fils, libérant ainsi les jambes d’Ilya.
 
« Je ne suis pas fou au point d’engager un combat contre un homme qui a le pouvoir de me priver du mien. Quant à ta question, au contraire de moi, Myu n’est pas un spectre sanguinaire, je pense qu’il en tuera juste trois ou quatre pour être sûr. »
 
Un soulagement évident se peignit sur le visage du chef des Bogatyrs.
 
« Si tu sais ce qui se passe actuellement sur l’Olympe, alors tu n’ignores sans doute pas que si Hadès vient à perdre ce combat, je serai forcé d’en finir avec vous, spectres.
-         En effet mais ça ne me fait pas vraiment peur.
-         Pourquoi ?
-         Parce que nous sommes différents toi et moi. Tu es sans doute un être humain mais pour ma part je suis un spectre. Lorsque l’empereur Hadès est revenu sur Terre, mon âme qui errait entre l’Enfer et Elysion a été attirée par son aura et j’ai revêtu le surplis du Griffon. De la même façon, s’il venait à être définitivement détruit, mon âme le serait aussi, tel est le destin des spectres. »
 
Ilya tenta de jauger le sourire enfantin de son interlocuteur pendant de longues minutes. Etait-il possible de se résigner aussi facilement au néant ? De dépendre entièrement d’une seule personne ?
 
            « Vous n’avez donc d’autre but dans la vie que de le servir ?
- Si tu tiens à une personne plus qu’à ta propre vie, si tu luttes pour réaliser ses rêves au risque de mourir, alors tu peux comprendre quel lien nous unit à sa majesté, nous les spectres qui lui sont restés fidèles. »
 
Ilya ne répondit pas. Dans un monde tel qu’Utopia où tous les individus doivent faire le même rêve et prier Dieu dans le même but, qu’un individu puisse placer les rêves de son dieu au-dessus des siens propres… un tel raisonnement mettait en échec la logique même qui avait présidé à la fondation De ce monde : instaurer la paix par l’abolition du libre arbitre.
 
Hésitant sur l’attitude à adopter, l’attention du roi fut soudain attirée par l’épanouissement d’un cosmos doré à proximité de lui. Se retournant, il fut pratiquement aveuglé par l’éclat de la statue d’Athéna et plus encore assourdi par le son qu’elle produisait. On aurait dit que toutes les cloches des monastères de la Grèce sonnaient de joie en même temps.
 
Comprenant ce qui allait se passer, il se jeta littéralement sur le bouclier de la Justice dans l’intention de  le détruire. Mais alors qu’il n’était plus qu’à quelques centimètres de son objectif, il sentit tous les fils du cosmic marionetton se resserrer sur lui en même temps. Impuissant à se libérer aussi vite, Ilya Muromets ne pouvait qu’assister à l’envol de la statue répondant à l’appel de sa maîtresse.
Mais au cosmos du roi se superposa à cet instant celui du Géant qui lui avait permis de repousser l’assaut de Zeus et semblable à une ombre malveillante, cette forme éthérée s’échappa du corps d’Ilya pour étreindre la statue de la déesse et détruire ce maudit bouclier.
 
D’un geste, le chef de clan aurait pu écraser l’armure de Pallas, il lui aurait suffi de pouvoir refermer le poing qu’il tenait ouvert. Mais ce geste, si insignifiant fût-il, lui était impossible car la puissance du Griffon contrecarrait le mouvement de chacun de ses muscles à l’extrême.
 
« Tu ne m’arrêteras pas ! »
 
En prononçant ces mots, le nomade avait jeté sa dernière carte : cessant de résister à l’emprise de Minos, il avait laissé les fils du cosmic marionetton tordre tous les doigts de sa main droite en même temps. Surpris par ce relâchement, le spectre avait hésité une fraction de secondes sur l’os qu’il lui fallait détruire mais cet intervalle avait été suffisant pour permettre au roi de refermer sa main gauche.
 
« Disparais ! »
 
Répondant à l’ordre de son maître, le cosmos sombre qui enserrait la statue d’Athéna comme un étau exerça une formidable pression sur celle-ci. Le monument s’écroula dans un fracas assourdissant de pierres broyées. Mais tandis qu’Ilya ouvrait la bouche pour hurler sa joie, le ciel s’ouvrait pour laisser la place à la véritable cloth d’Athéna, assez grande pour tenir dans la paume de la main et pourtant aussi brillante que le soleil.
En détruisant la statue, le monarque n’avait fait que détruire l’enveloppe de chair débile qui retenait la divinité telle une chrysalide.
Dissipant les ténèbres du cosmos malveillant, l’armure s’éleva dans le ciel pour aller rejoindre la déesse de la Victoire sous les yeux incrédules des adversaires.
 
Une fois que le phénomène se fut dissipé, Ilya se retourna violemment vers Minos.
 
            « Pourquoi avoir interféré ?! Te rends-tu compte de ce que tu as fait ? Ce maudit bouclier devait être détruit pour ouvrir les portes d’Utopia !
-         Oui je m’en rends bien compte et je vais te dire deux choses : je ne connais pas ton utopie mais si elle n’est voulue ni par les humains ni par Dieu, alors je préfère qu’elle disparaisse. Ensuite… »
 
Un sourire sardonique déforma les lèvres de Minos.
 
« Ensuite, si Athéna a rappelé son armure c’est qu’elle va se battre. Et crois-moi, depuis le temps que j’attends, je ne raterais ça pour rien au monde ! » 
 
***
(1)    Couronne du roi des rats « Si le nom Utopia signifie en latin « Terre de Nulle part », c’est qu’il ne faut pas la  chercher en ce monde».
 
Tandis que le destin de cette époque se jouait sur un champ de bataille, un vent de révolte soufflait sur les couloirs du palais céleste. Pour réaliser ses rêves, une personne est souvent obligée de briser ceux des autres. Mais existe-t-il seulement un monde où les rêves sont partagés par tous ?
 
La faiblesse est une fatalité car finalement même le plus puissant des hommes connaît la déchéance physique liée à l’écoulement du temps. La connaissance de cette fatalité l’amène à transformer sa force en droit et à assurer sa propre immortalité par la pérennité de cette légitimité charismatique puis dynastique. Les Olympiens de la seconde génération étaient tous conscients de cela.
 
Bien que s’étant parfois laissés aller à des révoltes de Caliban, ils avaient dans leur immense majorité reconnu la suprématie de Zeus, les uns car le croyant immortel n’entrevoyaient pas la fin de son règne parmi l’univers des possibles, les autres car entrevoyant cette fin possible caressaient le titre d’héritier. Mais depuis quelques heures tous les Olympiens réalisaient à quel point leur pouvoir était insignifiant comparé à celui des deux étoiles géantes issues du sang de Cronos. La peur avait envahi leurs cœurs au moment où ils avaient senti le cosmos d’Hadès s’éteindre. Existait-il dans tout l’univers quelque chose de plus pitoyable qu’un dieu mort ? Et si un dieu pouvait mourir, combien de temps durerait encore leurs existences maintenant que le grand Zeus débarrassé de tout rival les tenait dans la paume de sa main.
L’ébranleur du sol fut le premier à oser prononcer le sacrilège.
 
« L’un de mes frères est mort aujourd’hui et l’autre est exsangue ! Qu’attendons-nous ? Qu’il nous détruise ?! »
 
Aucun des membres de l’assistance n’osa prononcer un seul mot. Aussi Poséidon choisit-il de suivre la pente que lui traçait son caractère violent.
 
« Ne voyez-vous pas qu’enfin notre heure est venue ? Le dieu suprême est à genoux, prêt à fêter sa victoire ! Faisons de sa couronne celle du roi des rats (1) et décapitons-le ! »
 
Cette fois la voix cristalline du dieu des arts vint arrêter ce déluge d’impiété.
 
« Aurais-tu oublié, Poséidon, que tu es présentement le plus faible parmi nous ? Dois-je te rappeler qu’il t’a été interdit d’occuper le corps de Julian Solo et que de ce fait tes possibilités sont des plus limitées ? »
 
Phébus posa sa lyre à son côté pour toiser son oncle d’un regard inquisiteur.
 
« Aurais-tu l’intention de faire de nous des déicides indignes de prendre la succession de Zeus ou alors entends-tu simplement jeter la couronne du dieu suprême en pâture à cette assemblée pour assister à la plus ignoble des curées ? »
 
Les paroles du dieu soleil jetèrent un froid glacial dans l’assemblée qui se trouvait alors tiraillée par des sentiments contradictoires. Entrevoyant le risque que ce grand Léviathan se retourne contre lui, le dieu des Océans joua alors sa dernière carte.
 
            « Aurais-tu oublié, Phébus, la prédiction d’Ananke ? Celle qui veut qu’un enfant de la maison du dieu suprême mette fin à son règne ! Vous tous ici appartenez à la seconde génération de dieux. Moi seul ne suis donc pas qualifié pour tenir ce rôle. »
 
Poséidon marqua une pause pour captiver son auditoire.
 
« En vérité je vous le dis, ma seule ambition est d’assurer la survie de notre race. Une fois mon frère renversé, celui de la maison de Zeus qui démontrera les plus brillantes qualités héritera de la couronne que je poserai moi-même sur sa tête. Réfléchissez bien enfants de Zeus et ne manquez pas votre rendez-vous avec le destin ! »
 
Cette harangue aurait pu être suivie d’une vague d’enthousiasme d’une foule se levant d’un même mouvement pour célébrer la sagesse et la vertu d’un orateur. Un soulèvement général que même les archanges n’auraient pu endiguer aurait pu renverser le nouveau dieu suprême comme une vague sournoise abat parfois l’arbre qui a courageusement résisté à l’ouragan. Mais il n’en fut rien car avant même qu’un quelconque sentiment eut traversé le cœur des Olympiens, le fossoyeur de leur règne était apparu dans un bruit de tonnerre.
Cet homme portait une très longue toge blanche collée à ses épaules par des épaulettes métalliques. Son visage était caché jusqu’à la hauteur de ses yeux multicolores par un foulard tandis qu’un diadème surmontait son front sur lequel retombait les mèches de ses cheveux blancs.
Etrangement la lumière aveuglante qui entourait habituellement le régent d’Utopia avait considérablement faibli comme si cette divinité se trouvait mal à l’aise à l’extérieur de son empire.
Poséidon se retourna vers le trouble fête et l’invectiva violemment.
 
« Qui es-tu ? Et de quel droit t’es-tu introduit dans le temple des Olympiens ? »
 
Le Régent se dirigea insensiblement vers le dieu du soleil.
 
« Je suis votre passé, votre présent mais non votre futur. Nombreux furent les noms que l’on m’a donnés mais le seul que je veuille revendiquer aujourd’hui est celui d’Utopia. »
 
Utopia et Phébus irradiaient en cet instant d’une lumière semblable tant en intensité qu’en teneur comme si un artiste ironique avait trouvé amusant de dépeindre de la même couleur deux êtres si dissemblables.
La voix d’Utopia était réellement surnaturelle : aussi douce que celle d’un enfant, elle résonnait pourtant avec la force du tonnerre contre les murs de la pièce.
 
« Phébus Apollo, tu fus le seul à t’élever contre la proposition sacrilège de ce fils de Cronos. Alors réponds simplement à cette question : que feras-tu à partir de maintenant s’il t’est interdit d’interférer dans le cours du destin de l’humanité ? »
 
Le magnifique fils de Léto sourit suavement tandis qu’il ordonnait à sa sœur Artémis d’approcher par un langage connu d’eux seuls.
 
« On dit que la vie d’un homme pour un dieu ne représente qu’un battement de cils. Alors si notre destin doit se résumer à l’intervalle qui sépare la naissance de la mort d’un être humain, je fermerai simplement les yeux en espérant être capable de les rouvrir un jour.
- Tu as fait le bon choix, dieu soleil. Tous ceux qui choisiront désormais de t’imiter et se teindront en dehors du cours du Destin seront épargnés. »
 
Mais alors que le vent de la tempête semblait se dissiper. Il y eut un être de peu de foi qui osa se retourner vers la nouvelle Sodome sacrifiée.
 
« Je refuse ! »
 
L’imprécation avait été lancée sur un ton impérieux qui n’admettait aucune réplique. L’assemblée olympienne s’ouvrit progressivement pour faire place à la reine des dieux, la grande Héra.
En dépit de l’éclat insoutenable qui se dégageait d’Utopia, la reine des dieux lui faisait face et l’aura multicolore du paon qui la symbolisait menaçait l’équilibre précaire des puissances.
 
De sa voix doucereuse, le Régent répondit calmement.
 
            « Et qu’est-ce qui te pousse, toi qui ne cèdes en gloire à aucune autre déesse, à repousser ainsi la main généreusement tendue ?
- Renoncer à nous impliquer dans le destin de l’humanité comme vous l’exigez, c’est renoncer au pouvoir qui fait de nous des dieux !
            - Est-ce là votre réponse à tous ? interrogea l’éclatant personnage tandis qu’une orbe brûlante se formait dans sa main droite. »
 
Héra ne laissa pas même le temps à ses semblables de commencer le début d’une réponse.
 
            « Je sens le mal en vous ! En dépit de la lumière que vous irradiez, je vois clairement que le visage qui se cache sous ce masque ne peut être que celui d’un monstre ! »
 
Utopia eut alors un geste terrible : il enfonça l’orbe brûlante dans le cœur de la déesse de la jalousie. Sa voix n’était plus mielleuse mais menaçante lorsqu’il s’adressa aux divinités tandis que le corps de leur reine se desséchait devant leurs yeux exorbités.
 
            « Quiconque juge ce qui est bien ou mal en ma présence subira toujours mon courroux. Vous voulez savoir qui je suis pour vous commander ? Je suis l’ombre de Dieu descendue sur Terre pour lui insuffler la vie ! Je suis l’archange déchu exilé du paradis ! »
 
Tandis qu’il parlait ainsi, le corps de l’immortelle Héra se racornissait à vue d’œil jusqu’à ressembler à celui d’une ridicule grand-mère. Lorsqu’Utopia relâcha enfin son étreinte, la reine des dieux s’était figée dans la position où la mort l’avait surprise : la bouche ouverte, tendant désespérément la main vers le fruit de Tantale. Sa peau avait blanchi et se reflétait au soleil avec la pâleur du marbre.
 
Les Olympiens reculèrent tous d’un pas, terrifiés. Tous à l’exception d’Apollon qui avait compris dès le premier regard de qui il s’agissait. Le dieu soleil fut le seul à oser prendre la parole.
 
            «Tu as beau te nommer Utopia à présent, je sais qui tu es vraiment. Tu es celui qui imitait la voix du dieu suprême dans les temps antiques. Tu es celui par qui tout le mal est venu et celui par qui il est puni. Tu es celui qui n’aurait jamais dû naître car ton existence même est une insulte au ciel ! Tu es la puissance difforme et ignorante qui a émergé du rêve du dieu suprême ! Les magiciens et les adeptes du malin te vénéraient sous le nom de Ialdabaôth (2), la bête immonde qui a perverti le monde inférieur ! »
 
Un éclair de haine passa dans les yeux d’Utopia lorsque le dieu soleil lui assena le nom de l’abomination qu’il était.
 
            « Tu m’as bien deviné, Phébus Apollo, cependant tu as tort de penser que c’est moi qui pervertis le monde. Ialdabaôth était le nom que me donnaient les gnostiques qui voyaient dans le Mal le moyen de leur salut. J’ai renoncé depuis longtemps à ce nom car le monde n’existe pas en dépit du Mal, il existe avec lui et grâce à lui. 
- Tu prétends avoir changé car tu te nommes aujourd’hui Utopia, ce paradis artificiel où tu accueilles une poignée de fidèles, mais je sais moi, que tu ne fais qu’imiter la voix du dieu suprême comme lorsque tu es apparu à Abraham pour condamner  les habitants de Sodome et Gomorrhe ! »
 
Phébus marqua une pause avant de continuer.
 
« L’archange aux douze ailes, la créature la plus proche et la plus aimée de Dieu. Métatron, n’est-ce pas ainsi que l’on te nomme ? »
 
Le discours du dieu soleil fut alors noyé par les cris de douleur des victimes d’Utopia. Tant de nobles divinités détruites en si peu de temps. Leurs corps humains détruits, les divinités immortelles étaient condamnées à une éternité d’errance. Leurs esprits ne pourraient plus jamais influencer le cours du destin de la Terre et leurs yeux seraient désormais les témoins impuissants des actes de leurs bourreaux. Héra avait eu raison contre eux : en se soumettant, ils avaient renoncé à être des dieux. Ils ne seraient plus désormais que fantômes d’un passé glorieux.
 
***
 
« Quelle déception. »
 
Caliban, le troisième roi d’Utopia se tenait toujours debout très droit dans la neige, ses yeux aveugles scrutant avec mépris ses adversaires étendus devant lui. Les conquérants d’Alioth, Merak et de Phedca s’épuisaient depuis près d’une heure en de vains assauts contre le souverain. Il leur semblait que celui-ci lisait leurs mouvements avant même qu’ils les eurent formés tant ses ripostes étaient vives et précises. Pourtant ils en étaient certains : ils n’avaient jamais utilisé la même technique plus d’une fois alors comment pouvait-il les anticiper avec autant de facilité ?
 
Tyr, dieu de la droiture et confident du roi Baldur, s’était quant à lui retranché dans le silence, connaissant assez Caliban pour savoir qu’il n’admettrait aucune aide dans ce combat. Ne disait-on pas à Utopia que son royaume était le moins peuplé de tous car chacun de ses sujets était tenu de l’affronter dès lors qu’il atteignait l’âge de 18 ans ?
 
Devant la passivité de ses adversaires, le monarque se décida enfin à bouger. Faisant quelques pas en direction du conquérant d’Alioth, il regarda avec indifférence celui-ci se relever péniblement avec l’aide de ses derniers loups encore vaillants.
 
« Je ne peux… pas… être vaincu… »
 
Caliban n’était plus qu’à quelques mètres du loup des steppes.
 
« Je refuse la défaite !! »
 
Prenant position de combat en se campant fermement sur ses jambes et appuyant ses poings sur le sol à la façon d’une bête fauve, le guerrier divin fit brûler un cosmos bleuté commun à ceux de son ordre. Il attendit que son adversaire ne fût qu’à un mètre de lui avant de lancer son assaut.
 
« Northern Gunrô Ken !! »
 
Comme pour les précédents assauts, l’énergie ainsi libérée submergea le corps du roi, faisant voler les restes de neige autour de lui tandis que l’espace alentour prenait une couleur blanche, prélude de la destruction totale.
Cette fois, l’adversaire du loup n’avait même pas tenté d’esquiver l’attaque qui l’atteignit au niveau du torse. Les loups enragés se brisèrent littéralement contre leur cible puis s’étiolèrent comme une vague qui frappe un rocher.
Encore essoufflé, Fenrir ne pouvait croire à son insuccès lorsque Caliban le saisit fermement à la gorge, le soulevant à quelques centimètres du sol.
 
« Le sang qui coule dans tes veines est celui de Fenrir, le loup qui dévora Odin. Mais en dépit de cette ascendance tu es impuissant. »
 
Les lèvres de Caliban s’entrouvrirent pour laisser apparaître deux rangées de dents aiguisées.
 
« Je vais te montrer ce qui rend un loup plus fort ! »
 
Et devant les yeux horrifiés de Tholl et Hagen, le roi d’Utopia ouvrit sa bouche de toute sa largeur et referma ses crocs sur la veine jugulaire du guerrier divin. Fenrir ne put que hurler de douleur tandis que son sang s’échappait à gros bouillons.
 
Relâchant peu après son étreinte, le souverain lécha le sang qui maculait ses lèvres et son menton sans pour autant relâcher la pression de sa main sur le cou sanguinolent de son adversaire.
 
« Si vous voulez avoir une chance de me vaincre, il ne faut pas vous contenter de viser mon cœur ! Venez donc me bouffer la chair sur les os ! Prouvez que vous êtes bien les descendants de ces berserkers qui honoraient leurs dieux en combattant ! »
 
Lâchant Fenrir, il ajouta avec une pointe de sadisme.
 
« Je ne t’ai pas rompu la jugulaire car je voulais voir de quoi était capable un loup enragé mais ne te fais pas d’illusions : si tu fais le moindre effort, elle se rompra et tu perdras tout ton sang en quelques minutes. »
 
Tholl et Hagen se hâtèrent d’aller soutenir leur compagnon d’armes. Le géant fut le premier à prendre la parole.
 
« La force de cet homme est incroyable ! Les haches de Mjollnir sont sensées être divines et il les a repoussées d’une seule main sans même souffrir une égratignure. Hagen, il serait peut-être sage que tu partes chercher des renforts. »
 
Le guerrier divin de Merak se renfrogna violemment.
 
« Tu ne penses pas ce que tu dis Tholl ! La princesse Hilda nous a confiés la garde de cette frontière ! Déserter serait comme avouer notre incompétence ! De plus je suis sûr que nos amis sont déjà en route. »
 
Se tenant la gorge avec sa main droite, le guerrier divin d’Epsilon parvint à articuler difficilement.
 
« Il est à moi !! »
 
Après s’être silencieusement concertés, les guerriers divins s’accordèrent pour reconnaître qu’il fallait soutenir leur camarade. Aussi, ils prirent la muette décision d’attaquer sur les côtés tandis que Fenrir attaquerait frontalement.
 
Mais avant même qu’ils pussent attaquer, ils furent en butte à une rebuffade de Caliban.
 
« Phedca ! Tu devrais prendre une grande inspiration ou ton cœur va lâcher ! »
 
Le géant s’immobilisa une fraction de seconde, ses jambes tremblaient effectivement et son cœur battait très fortement dans sa poitrine, mais comment cet homme avait-il pu noter un tel détail ?
 
N’y tenant plus, Fenrir passa à l’attaque, suivi avec un très léger temps de retard par Hagen et Tholl. Le géant projeta les haches de Mjollnir en direction du cou du roi tandis que le guerrier de Sleipnir concentrait son froid glacial dans la même direction.
Fenrir fut le premier à être sur Caliban et comme prévu il décocha un fulgurant « Wolf Cruelty Claw » qu’il ne put hurler distinctement, sa gorge ayant définitivement cédé.
 
Caliban n’effectua que deux mouvements : Dans un premier temps il se contorsionna en arrière de façon à ce que les haches de Tholl ne puissent le décapiter puis en s’appuyant sur ses bras, il effectua un retourné arrière qui lui permit d’enfoncer profondément son pied gauche dans l’estomac du loup agonisant.
 
Tout se passa comme prévu : Les haches divines, manquant leur cible poursuivirent leur course en direction de Hagen dont l’attaque atteignit le pauvre Fenrir qui se trouvait à sa portée du fait du coup assené par Caliban. De son côté, le guerrier de Merak eut les épaules profondément entaillées par les armes tranchantes de son compagnon.
 
Le résultat de l’assaut était catastrophique pour les guerriers divins : le poing droit de Fenrir ainsi que son torse avaient été congelés tandis que Hagen avait les tendons des épaules sectionnés.
 
Le roi d’Utopia, une fois qu’il eut retrouvé une position normale, regarda avec dépit le géant indemne.
 
« Est-ce que je perds la main ? J’avais prévu de blesser aussi celui-là. »
 
Tholl regarda alternativement ses compagnons hors de combat puis le monarque avec une incrédulité d’où n’était pas absente l’admiration.
 
« Tu… tu avais prévu notre assaut… et pourtant tu es aveugle, comment est-ce possible ? »
 
Caliban souffla avec mépris avant de daigner répondre.
 
« Je ne suis point aveugle, j’ai simplement privé mes yeux de la capacité de voir la lumière pour les doter d’un pouvoir bien plus redoutable. Grâce à ce don que j’ai reçu, je peux prédire vos intentions à court terme par la simple accélération de votre rythme sanguin par exemple.
- Que tu puisses deviner le moment de notre attaque n’explique pas tout ! »
 
Tout en parlant, Caliban saisissait la neige à pleine main et la jetait négligemment sur ses épaules.
 
« - Non c’est vrai. Mais il y a d’autres indices comme la crispation de tes phalanges sur ta hache qui me renvoie un son très perceptible ou le refroidissement de la température interne dans le corps de ton ami pour déclencher une technique de congélation. Quant à votre ami loup, il pense tellement fort que je n’ai même pas besoin de me concentrer pour deviner ce qu’il va faire. De plus ses attaques étant quasi identiques, la part d’inconnu est négligeable. Si vous maîtrisiez mieux le septième sens, vous seriez en mesure de masquer vos intentions et d’attaquer beaucoup plus rapidement mais il semble que vous soyez très loin du niveau des guerriers que j’ai affrontés dans les temps mythiques et qui étaient vos prédécesseurs. »
 
A ces mots, les yeux de Hagen, Tholl et Fenrir qui n’en avait plus pour longtemps, se fixèrent sur leur interlocuteur en une question commune.
 
« Nos prédécesseurs ?! »
 
Caliban prenait un évident plaisir à observer l’excitation apparente de ses adversaires.
 
« Bien sûr je les ai connus. Car je suis un démon qui foule cette Terre à la recherche d’adversaires de valeur depuis très longtemps vous savez. Chaque fois qu’un empire a tremblé, j’étais là pour jouir du massacre. Lors du Ragnarok j’ai combattu pour la perte d’Asgard jusqu’à ce que le Walhalla ait entièrement brûlé et que tous les berserkers d’Odin soient tombés, ce fut une des plus belles nuits de ma vie. »
 
Hagen interrompit rageusement son bourreau.
 
« Ainsi tu as combattu contre Asgard ? »
 
Dans les yeux aveugles du monarque on lisait une étincelle de plaisir.
 
« Oui et je l’ai fait pour rendre hommage aux guerriers divins de cette époque grandiose. Si j’avais combattu du côté d’Odin, je n’aurais jamais pu me mesurer à eux alors j’ai libéré ce Loki qui m’a servi de laquais depuis lors et j’ai prêté les navires de guerre d’Utopia aux géants du feu. C’était la seule façon de combattre de tout mon saoul dans ce monde stupide qui passait son temps à prier pour la paix. Mon seul regret est de ne pas avoir tué Odin moi-même, quel combat ça aurait été ! »
 
Perdant tout contrôle, le gigantesque Tholl s’élança vers le roi et, le dominant de toute sa taille lui assena un coup terrible en direction du visage, désireux de faire disparaître ce masque de jouissance.
« Titanic Hercules ! » cria-t-il alors.
 
Caliban arrêta le poing du géant d’une seule main mais devant le poids de son adversaire, il sentit ses jambes s’enfoncer dans le sol de plusieurs centimètres tandis que son adversaire l’invectivait violemment.
 
« Espèce de bête sauvage ! Je vais t’écraser ! »
 
Mais le bruit qui retentit alors fut celui du craquement émis par les phalanges du guerrier de Phedca sous la formidable pression qui s’exerçait sur elles.
 
« Bête sauvage dis-tu ? C’est tout à fait vrai ! Je fais partie de ces loups qui ne se sont jamais laissés apprivoiser par aucun maître ! Même le Régent n’a pas réussi à me tenir en laisse ! Je suis Caliban l’indomptable ! Et sous mon règne, l’humanité entière reviendra à cet état primitif de bestialité que la peur de mourir lui a fait abandonner !! »
 
De son poing libre, Caliban se servit pour briser violemment le bras du conquérant de Phedca à la hauteur du coude. Celui-ci gémit de douleur avant de s’écrouler sur le côté. L’armure du grand serpent ne l’avait aucunement protégé comme si son pouvoir magique s’était brusquement évaporé. Le roi le regardait maintenant avec mépris.
 
« Je ne peux plus supporter la vue de guerriers divins pitoyables dont la simple existence est une disgrâce pour leurs prédécesseurs. Je vais vous faire disparaître de ce monde ! « Vague ultime de vérité !! »
 
Une masse de chaleur énorme se forma alors dans le poing droit de Caliban, faisant s’effondrer les glaciers qui tenaient encore debout. Lorsqu’il libéra l’énergie retenue dans son bras, le géant se leva et étendit les bras pour protéger ses compagnons.
L’assaut était si puissant que la lumière ainsi émise dépassa en intensité celle du soleil. L’armure de Phedca céda en quelques secondes et alors ce fut le corps du guerrier divin qui se consuma. Le généreux Tholl qui avait toujours rêvé de mener son peuple vers des contrées baignées de soleil ressentait alors la morsure cruelle de cet astre qui dévorait sa peau, asséchait ses veines et brûlait les pupilles de ses yeux. Lorsque la puissance de Caliban se calma enfin, le titan était encore debout puis il s’écroula tel l’Yggdrasil terrassé par le feu.
 
Hagen et Fenrir n’avaient plus la force de se mouvoir jusqu’à leur ami avec leurs membres sectionnés mais la voix qu’entendit alors le guerrier était la seule qui lui importât. C’était la voix de la personne qui lui avait un jour épargné les rigueurs du servage alors qu’il chassait dans ses forêts.
Sa langue gonflée parvint à grand peine à articuler son nom.
 
« Il…da »
 
La princesse posa doucement ses blanches mains sur ses joues, invoquant inutilement son pouvoir guérisseur. Elle versa des larmes pour excuser son impuissance.
 
« Tholl… je suis tellement désolée… »
 
Le géant parvint à mouvoir son énorme main vers le visage de sa souveraine.
 
« Princesse… je suis né votre esclave… comme vous êtes née pour servir Odin. »
 
Tandis que les derniers guerriers divins arrivaient pour soutenir la tête de leur frère d’armes, celui-ci achevait avec cette incroyable lucidité des mourants de prononcer ses dernières paroles.
 
« Je vous en prie… soyez libre. »
 
Telles furent les derniers mots du noble géant dont les yeux se refermèrent pour la dernière fois sur l’éternité. Cette fois, aucun dieu du sommeil ni aucun tigre blanc n’irait l’arracher au royaume de Hell. Aucun dieu borgne ne l’accueillerait dans son palais car ce monde de fantasmes et de croyances illusoires volait à ce moment en éclats sous les coups répétés des deux dieux les plus puissants frappés à la porte du malheur.
 
Le pâle Caliban à la chevelure constellée de neige regardait à ce moment ses mains emprisonnées par des fils sournois. Quelqu’un était intervenu pour l’empêcher de déchaîner sa pleine puissance contre les trois guerriers divins, cela ne faisait aucun doute.
 
« Ton intervention a été inutile, Mime de Benetnach, toi dont on scande les louanges jusqu’en Utopia. Cet homme n’avait pas peur de mourir mais sa volonté était moins redoutable que la mienne, c’est ce qui a causé sa perte. Donner sa vie pour protéger quelqu’un, quelle bêtise. S’il voulait gagner il aurait dû se servir de leurs corps comme bouclier ! 
- Comment oses-tu ? S’exclama la princesse Hilda en larmes. Cet homme a donné sa vie pour sauver celle de ses amis et c’est comme cela que tu regardes son sacrifice ! »
 
Hagen interrompit sa souveraine tandis que les autres guerriers amenaient le pauvre Fenrir à proximité de celle-ci pour qu’il puisse recevoir les soins appropriés.
 
« C’est un monstre ! Il se prétend roi d’une contrée nommée Utopia mais il est venu pour dominer Asgard. »
 
Caliban coupa cet échange d’un ton ironique.
 
« Il est vrai que le Régent d’Utopia m’a fait part de son désir de voir les peuples du monde se rallier pacifiquement à notre empire et Baldur de son côté préférerait qu’il ne soit fait aucun mal à Asgard… Cependant, avant d’être roi je suis un guerrier et je n’épargnerai votre royaume que s’il peut me fournir des sujets dignes d’attention. »
 
Le dieu de la Droiture qui était resté silencieux jusqu’alors se leva d’un bond.
 
« Seigneur Caliban ! Vous n’avez pas le droit de prendre possession de ce royaume ou de disposer de ses habitants ! Toutes les terres situées dans le cercle polaire appartiennent à mon maître Baldur, fils d’Odin et de Frigg ! »
 
Sans prêter attention à cet importun, Caliban commença à scruter attentivement les guerriers qui lui faisaient face. Rapidement son attention se fixa sur trois d’entre eux : Siegfried, Mime et Bud. Ils étaient les seuls à maîtriser le septième sens à un niveau convenable, les autres lui apparaissaient comme quantité négligeable. S’adressant alors à Siegfried il énonça.
 
« Siegfried de Dubhe. Tu es vraiment exceptionnel. Ton ancêtre fut le seul homme qui me tint jamais tête. »
 
Le guerrier divin d’Alpha cessa de soutenir sa souveraine pour faire de même avec le regard de Caliban. Son cosmos commença à s’étendre tandis qu’au dessus de lui, l’étoile de Dubhe l’arrosait de sa lumière.
 
« Tu as donc rencontré le héros qui défit le dragon Fafnir. Mais je n’ai jamais entendu que Siegfried avait été tué par Caliban. »
 
Le troisième roi fit quelques pas vers son adversaire tandis que son sourire carnassier s’élargissait de plus en plus.
 
« Nous nous sommes combattus pendant près d’un an dans les blanches vallées de l’Islande. Ce pays a retenti sous nos coups et je me souviens que ces chétives créatures que l’on appelle « humains » se terraient dans leurs tanières comme des bêtes apeurées. Je connaissais la faille dans le physique invulnérable de Siegfried mais je ne l’ai jamais exploitée car je ne voulais pas interrompre ce combat. Puis finalement nous avons réalisé qu’en continuant ainsi nous allions détruire l’île et mourir d’inanition alors il est parti affronter cette Walkyrie qui était reine d’Islande et je suis parti vers d’autres terres sauvages. »
 
Sans un mot, le guerrier divin pointa son index vers Caliban et un jet de lumière découpa le sol autour de lui en forme circulaire. La surface explosa alors en une multitude de pierres tranchantes mais le roi ne bougea pas d’un pouce : les pierres explosaient à quelques centimètres de son torse sans l’atteindre.
 
« Je suis comme toi. Enonça Caliban. Mon corps est invincible et même le feu ne peut le consumer. C’est pour cette raison que ton ancêtre n’a jamais pu prendre le dessus sur moi. »
 
Le guerrier divin hésitait alors entre poursuivre l’assaut en portant la même attaque ou essayer une autre technique. Si cet homme était pareil aux servants d’Athéna, il était plus que probable qu’il ne se laisserait pas surprendre deux fois par l’épée d’Odin. D’autre part, s’il disait la vérité quant à l’invulnérabilité de son corps, les flammes de Fafnir n’auraient aucun effet. Les réflexions de Siegfried furent interrompues par le ton sardonique de Caliban.
 
« Aucune des alternatives que tu envisages n’est viable, chevalier. Quoique tu fasses, nous ne pourrons qu’engager un combat éternel car nous sommes tous deux invulnérables. Cependant nous avons un autre point en commun : chacun de nous a un avantage certain sur l’autre.
- Que veux-tu dire ?
- Regarde autour de toi : tu es entouré de six guerriers alors que je suis seul. Or même un homme comme moi peut se laisser surprendre par une attaque portée sur plusieurs fronts. Quant à mon avantage, le voici : le combat de Zeus et d’Hadès a dangereusement perturbé l’équilibre de cette planète dont la chaleur interne ne cesse d’augmenter. La glace qui recouvre Asgard a déjà commencé à fondre à une vitesse vertigineuse. Si tu as à cœur la vie de tes sujets, je te conseille donc de conclure ce combat rapidement. »
 
La décision du guerrier divin fut prise rapidement. Ce fut d’un ton d’autorité qu’il s’adressa alors à ses frères.
 
« Bud, Mime, vous allez attaquer avec moi. Fenrir et Hagen, restez en dehors de ça. Alberic, Syd, protégez la princesse ! »
 
En raison des capacités de Caliban, il était impossible à Siegfried d’expliquer son plan d’attaque à ses compagnons. Il espérait simplement que Mime comprendrait que son rôle était d’immobiliser son adversaire avec les cordes de sa lyre et que Bud le soutiendrait physiquement dans son assaut.
 
Ce fut d’un même élan qu’ils passèrent à l’assaut à une vitesse fulgurante. Arrivés à quelques mètres de Caliban, ils se séparèrent pour l’attaquer chacun d’un côté différent, suivant en cela les conseils de leur ennemi.
Mais au moment même où Mime énonçait le nom du « Stinger requiem » et que ses cordes mortelles allaient s’enrouler autour de son ennemi et être suivies par les flammes du dragon ainsi que les griffes du tigre Viking, le roi d’Utopia libéra toute sa puissance vers le cercle des guerriers divins restés en arrière et ce fut une flamboyante « vague ultime de vérité » qui les frappa de plein fouet.
Comprenant ce qui allait se produire, Siegfried, le seul qui fut assez prompt pour réagir, lança les flammes du dragon vers l’épaule droite de Caliban qui dut interrompre son assaut sous le choc.
 
Lorsque les guerriers divins retombèrent au sol, le troisième roi d’Utopia riait de contentement en dépit de sa brûlure car deux corps inanimés jonchaient maintenant le sol. Comprenant qu’ils avaient été joués, les guerriers divins ne purent retenir leur indignation.
 
« Espèce de monstre ! Tu as attaqué nos compagnons qui ne te menaçaient pas ! »
 
Le souverain ricanait de plus belle malgré la douleur.
 
« Bien évidemment. Le prédateur attaque toujours la bête blessée en premier ! Je savais que vous alliez suivre mon conseil et m’attaquer sur plusieurs fronts. Même si je l’avais voulu, je n’aurais pu esquiver votre assaut alors j’ai préféré me défaire de ces deux éclopés que votre ami a protégés ! »
 
A entendre ces derniers mots, les asgardiens furent saisis d’horreur et lorsque la brume soulevée par l’attaque de Caliban se fut dissipée, aucun doute n’était plus permis : l’attaque avait clairement surpris Hagen et Fenrir qui pansaient leurs blessures et les avaient fauchés comme des épis de blé.
Malgré leurs armures aucun des deux n’avait survécu. Le temps des adieux lui-même leur avait été refusé et leurs nouvelles vies qui venaient juste de reprendre s’achevaient à ce moment.
Hagen, la brûlante incarnation de Sleipnir, ne ferait plus jamais rire la douce princesse Freyja et ses rêves de gloire étaient fracassés par une défaite humiliante et totale. Comme son ancêtre mythique, tué par le roi des Huns pour ne pas lui avoir apporté l’or des Nibelungen, il avait péri de la main d’un barbare qui ne laissait pas l’herbe repousser sur son chemin.
 
Fenrir, ce loup sauvage avait rencontré son maître. Au moins avait-il la consolation d’avoir été tué par un autre grand fauve et le nom d’Alioth resterait à jamais gravé dans les mémoires de son peuple comme celui d’un guerrier que même la mort n’avait pas empêché de revenir servir sa souveraine.
 
Siegfried serrait le poing en regardant Caliban. Ce monstre restait aussi inébranlable qu’un colosse aux pieds d’airain et affichait un sourire malsain en de pareilles circonstances. En lui, l’envie d’aller pleurer son ami le disputait à son désir de venger sa mort. Devinant ses pensées, Caliban l’avertit.
 
« Tu as tort de me juger, mon ami. Tout n’est pas noble dans le combat et bien souvent les monarques dont l’aura brille avec le plus d’intensité sont ceux qui ont été capables des pires infamies. Au lieu de m’insulter remercie-moi, car si ces deux-là avaient pris part à l’assaut, c’est la vie de ta princesse que j’aurais prise.
- Je ne suis pas ton ami ! Nous n’avons rien de commun !
- Bien sûr que si ! Ton ancêtre était un grand homme qui ne vivait que pour le combat. C’était un fameux héros et à force de nous combattre, nous en sommes venus à éprouver une véritable amitié. Je ne suis venu ici que pour te combattre alors si tu veux venger ton ami, la seule réponse que je puisse te donner se trouve au bout de ton poing ! »
 
Le grand Siegfried brûlait de rage de savoir qu’il avait pu être l’ami d’un monstre pareil. Tout en Caliban appelait la bestialité et s’opposait à l’idéal de la chevalerie. Les sujets de cet homme devaient pleurer tous les jours d’avoir un tel monarque.
 
« Soit je te relève ton défi ! J’opposerai mon sens de l’ honneur à ta férocité ! »
 
Les deux guerriers firent brûler leur cosmos à leur paroxysme au point que le poétique Mime crût un moment que le ciel allait s’entrouvrir et appeler ces deux colosses à rejoindre les étoiles comme il l’avait fait lors du sacrifice de son commandant.
 
 
Mais alors que les deux terribles héros se jetaient l’un contre l’autre, l’élan du guerrier divin d’Alpha fut brisé par l’exclamation de sa souveraine et s’immobilisa immédiatement comme un chien dont on a tiré la laisse.
Le jeune princesse Hilda fit quelques pas dans la neige, brillante de noblesse tandis que l’anneau des Nibelungen resplendissait à son annulaire. Ce fut d’un ton d’autorité qu’elle s’adressa à Caliban en le toisant.
 
« Caliban, roi d’Utopia. Tu es venu recevoir l’hommage du royaume d’Asgard.
- C’est vrai.
- Mais Utopia n’a pas de souverain à l’heure actuelle, n’est-ce pas ?
- Utopia a neuf souverains parmi lesquels un seul a le droit de les gouverner tous. Son nom est Zeus ou Hadès.
- Ce qui signifie qu’en vous résistant, nous défions le futur souverain d’Utopia.
- En effet. »
 
La souveraine pontife d’Asgard eut alors un geste inattendu : écartant les mains en signe de paix, elle plia lentement les genoux sous sa robe puis s’inclina jusqu’au point de communier avec la neige. Le guerrier divin Albéric de Megrez fut le seul de son ordre à sourire en comprenant le choix de sa souveraine.
Ce fut d’une voix très douce et en inclinant les yeux vers le sol qu’Hilda énonça alors de sa voix cristalline.
 
« En ce jour, moi, Hilda de Polaris, grande prêtresse d’Odin, prête hommage au nom de mon seigneur à l’empereur Hadès, souverain d’Utopia et recommande à votre protection mon peuple et mon pays ».
 
Ce vœu d’homme lige réalisé dans les formes féodales arracha un sourire de contentement au troisième roi qui saisit alors Hilda par le menton, l’embrassa sur les deux joues puis effleura ses lèvres des siennes comme le voulait la coutume d’un seigneur promettant protection à son vassal.
 
Le cœur de Siegfried manqua un battement à la vue de cette abomination et il lui fallut user de toute sa volonté pour ne pas sauter à la gorge du sauvage qui embrassait sa princesse.
Relâchant le menton de la jeune femme qui tentait de dissimuler son trouble, Caliban poursuivit.
 
« Nous nous réjouissons de ce vœu et promettons protection au royaume d’Asgard au nom de l’empereur Hadès, neuvième roi et souverain d’Utopia ».
 
Le regard sardonique du monstre passa alors sur les guerriers assemblés.
 
« Votre souveraine a fait le seul choix possible pour une personne raisonnable. Cependant, vous autres guerriers divins avez commis un acte de rébellion. Comme votre suzerain, je suis en droit de punir cet acte de félonie ou de le pardonner. »
 
De tous les guerriers divins, Albéric de Megrez fut le seul à ne pas amorcer un mouvement rétrograde. Au contraire il vint à la rencontre de Caliban et se prosterna avec déférence.
 
« Votre majesté a pleinement raison. Nous sommes félons et méritons la mort. Cependant je me porte garant de mes compagnons qui vous seront loyaux sujets. »
 
Le roi d’Utopia sonda les pupilles vertes du conquérant de Delta et si fin physionomiste qu’il fût, il n’y lut que de la servilité.
 
« Soit, tu seras désormais nos oreilles et nos yeux en Asgard mais en échange de vos vies, je vais garder pour moi ce que vous avez de plus cher. »
 
Les yeux félins de Caliban se posèrent alors sur le doux visage de la princesse de Polaris qui détourna le regard pour ne pas voir le désir brûlant et sauvage qui les animait. Puis s’adressant à Sigefried.
 
« Mon ami, je repars avec ta princesse ! Si tu veux la revoir, tu devras me rejoindre dans mon royaume, la Terre des Combats ! Alors je pourrai te considérer comme rebelle et je détruirai ton peuple ! Asgard ou sa princesse, le choix t’appartient ! »
 
Et Caliban éclata d’un rire sadique et irrépressible qui retentissait encore aux oreilles des conquérants lorsque leur bourreau disparut dans un flot de lumière dorée pour rejoindre sa place habituelle sur les champs de bataille.
 
Resté là, Tyr, le dieu de la droiture sortit alors de sa réserve pour énoncer aux guerriers le véritable objet de sa présence.
 
« Baldur m’a envoyé ici pour vous communiquer la force d’abattre ce monstre. »
 
***
 
Un continent entouré par l’océan, tel fut la Terre sur laquelle l’empereur des Mers vit le jour. A cette époque où le monde fut partagé, il nourrissait des rêves de grandeur en s’imaginant assiéger le faible domaine de sa nièce et l’inonder par la seule furie des flots.
Mais bien vite, le fils de Cronos comprit qu’un empire qui ne peut donner à contempler aucune face émergée est aussi insignifiant qu’un marais putride.
Après de multiples défaites, Poséidon décida de s’incarner sur Terre en la personne d’un riche armateur qui, fort du soutien du dieu de la mer, établit un empire sur les océans. Le prix à payer pour cette puissante famille était de consentir à sacrifier l’un de ses héritiers à l’ambition du dieu chaque fois que son ambition embrasait les plaines de l’Attique. Mais dans ce rôle qu’on lui demandait de jouer, la famille Solo pouvait-elle s’absoudre des crimes commis par son intermédiaire par le simple fait qu’ils étaient ceux de l’empereur des mers ?
En contemplant le lagon qui s’étendait devant sa résidence, le jeune héritier des Solo sentait un sentiment de culpabilité lui ronger le cœur.
Alors une voix féminine le tira de sa torpeur en même temps qu’elle réveillait en lui des pulsions viriles.
 
« Bonjour Seigneur Poséidon. »
 
Le général de Sirène se retourna vivement en entendant ce nom qui avait pour lui la consonance du malheur. Depuis longtemps, l’air maléfique qui animait sa flûte avait revêtu les apparences de la bonté et de la compassion et comme un loup qui quitte la fourrure de l’agneau, les vibrations de son cosmos avaient déjà abandonné leur tonalité angélique pour redevenir macabre.
La vue de la splendide créature qui se tenait devant lui ne suffit pas à lui faire abandonner ses préventions malgré les sensations contradictoires que lui soufflaient les battements de son cœur dans sa poitrine. La reine Jézabel était aujourd’hui vêtue d’une tunique très légère qui mettait en valeur sa peau hâlée par le soleil. Ses épaules et bras nus la faisaient ressembler à l’une des prêtresses qui dans les temps anciens sacrifiaient des taureaux à Poséidon dans l’enceinte des temples de la forteresse d’Atlantide. Ce fut pourtant avec la courtoisie froide de l’élève qui a bien appris la leçon qu’il aurait à réciter dans pareille occasion qu’il répondit.
 
« Vous vous trompez. Seul demeure ici Julian Solo, prince de l’Océan mais non son empereur. »
 
La reine d’Utopia souleva légèrement les pans de sa toge et s’avança avec grâce vers le jeune dieu somnolent.
 
« Tu es un hypocrite, général Sorrente de Sirène. Et un imprudent ajouterai-je car les soins maternels dont tu entoures ton maître ne peuvent que rendre l’accomplissement de son destin plus pénible. »
 
Nonobstant le crachat, le Marina porta délicatement son instrument à ses lèvres et d’un souffle entama la sonate la plus cruelle de sa nouvelle vie.
Bien qu’il ne parlât point, sa musique, mieux que des mots articulés portait ses intentions aux oreilles de la reine.
 
« Qui que vous soyez, je ne vous autoriserai pas à troubler Julian. C’est un être bon et sensible qui n’a d’autre but dans l’existence que de soulager la douleur de ses semblables. »
 
Jézabel, étrangement, n’avait aucune réaction. Elle se contentait de sourire au prince endormi en entamant un début de révérence qui ne permettait pas qu’un seul pan de sa sublime tunique n’effleure le sol.
 
« Ta réputation est méritée, général. Le son de ta flûte pénètre le cerveau en causant des lésions irréversibles à celui-ci qui tente de résister à la folie qui l’envahit alors. Mais pour moi ce son si beau est une éloge à la musique elle-même. »
 
De surprise, le marina manqua un accord et s’interrompit.
 
« Qu’avez-vous dit ?
- Tout simplement que la folie n’est pas une chose que les souverains d’Utopia doivent craindre. Au contraire, ils l’aiment et la vénèrent, ils la domptent comme un lion dans lequel chaque jour ils puisent une énergie sans limite. »
 
Les lèvres de la reine se déformèrent en un sourire des plus suaves.
 
« Tu crois être le maître de la terreur car le son de ta flûte altère le cerveau humain mais as-tu jamais entendu le son de la voix de Dieu qui a mis des peuples à genoux ? Rien ne lui est comparable. »
 
Les lèvres de Jézabel s’ouvrirent alors pour libérer un son d’une nature épouvantable. C’était aussi puissant que le barrissement d’un éléphant, aussi tonitruant que la chute de la foudre et pourtant aussi strident que le braillement d’un enfant et en même temps doux comme le miaulement d’un chaton, aussi rythmé que la mélodie d’une boîte à musique, aussi épouvantable que le chant d’une trompette et pourtant aussi mélancolique que le pincement des cordes d’un violon…
C’était comme si un musicien de génie avait réussi à reproduire tous les sons du monde et les avait enfermés dans une boîte de Pandore brusquement ouverte. C’était épouvantable et en même temps fascinant, horrible et émouvant, repoussant et captivant.
Le général de la Sirène se sentait à ce moment comme la plus humble des créatures face à l’Eternel. Son bon sens lui commandait d’obstruer ses oreilles, de percer ses tympans mais sa sensibilité lui commandait d’écouter jusqu’à en devenir sourd car, il le sentait confusément, c’était par cette voix que Dieu avait ordonné au Chaos de s’ordonner au début des temps.
Lorsque Jézabel se tut enfin, les larmes roulaient sur les joues du serviteur de l’empereur des mers. Alors que la splendide courtisane s’agenouillait devant ce dernier, le général comprit qu’il ne pouvait rien faire pour s’opposer à la volonté de cette créature.
 
« Julian Solo, héritier de Poséidon, fils de Kronos et de Rhéa, moi Jézabel, reine d’Utopia je t’ordonne de te réveiller. »
 
Sortant de son sommeil hypnotique, le jeune homme aux cheveux couleur d’écume ouvrit lentement des yeux éberlués par tant de beauté. Son premier geste fut de tendre la main vers cette sublime créature agenouillée pour lui permettre de se relever mais la nymphe plongea alors dans une révérence plus profonde.
 
« Salut à toi, Julian Solo, prince des Océans. Salut à toi, Julian Solo, assassin de millions d’êtres humains. »
 
Le jeune homme ne put réprimer un mouvement de recul devant cette accusation.
 
« Je ne suis pas celui…
- Vous êtes Poséidon ! Comme Poséidon est Julian Solo et l’auteur de nombreux crimes ! »
 
Sortant de sa léthargie, le général de Sirène parvint à articuler faiblement.
 
« Julian n’était pas conscient de ses actes… pas plus qu’il n’en est responsable. Et pourtant, sans avoir conscience de cela, il cherche à racheter ses fautes envers l’humanité. »
 
La voix de Jézabel se radoucit jusqu’à en devenir caressante.
 
« C’est vrai, le repentir après la faute est dans la nature de l’être humain. Nul n’a le droit de juger autrui car chacun a sa propre conscience pour juge. Si vous n’étiez pas ce que vous êtes, si vous n’étiez pas ce que vous fûtes, alors je ne viendrais pas vous tourmenter. Je ne suis pas votre Némésis, Julian Solo, mais malheureusement vous ne pouvez changer ce que vous êtes au fond et c’est pour cette raison que je viens vous demander votre vie. »
 
L’héritier de la famille Solo reçut cette déclaration avec un calme étonnant pour qui avait pu être témoin de ses récentes afflictions.
 
« Vous avez donc l’intention de prendre ma vie ? »
 
Jézabel baissa les yeux par respect.
 
« Je suis venue « demander » votre vie et non la prendre. Je n’ai ni le droit de vous juger ni celui de vous exécuter. Aussi je suis venue vous demander d’abréger vous-même votre existence.
- Et à supposer que j’accède à votre requête et choisisse de me suicider, quel bien cela fera-t-il ? »
 
Jézabel regardait maintenant le prince des océans avec émotion, sa voix trahissait la ferveur de sa foi dans sa cause.
 
« Beaucoup plus que vous ne l’imaginez. Bien que votre cher Sorrente ait tenté de vous le cacher, je suis certaine que vous vous souvenez des atrocités que vous avez commises en tant que Poséidon. Des millions d’innocents, hommes, femmes et enfants ont payé de leur vie la tentative de l’empereur des mers de purger la Terre de la corruption qui l’habite. Les raz-de-marée ainsi provoqués ont laissé de nombreux enfants orphelins. »
 
La reine marqua une pause avant de continuer car elle savait qu’elle était en train de tirer sur la corde sensible.
 
« Je sais qu’en tant que Julian Solo, vous avez décidé de dilapider votre fortune pour venir en aide aux orphelins et que la flûte de votre ami Sorrente les a réconfortés… Mais vous n’êtes qu’un homme et ne pouvez espérer porter le poids du monde sur vos épaules sans vous écrouler. De plus votre idéal de rédemption est un leurre et je sais que vous en avez conscience !
- Que voulez-vous dire ?
- Depuis les temps mythiques, Poséidon s’est toujours réincarné dans les héritiers mâles de la famille Solo et chaque fois dans le même but : conquérir le monde. Aucun enfant de votre famille n’est jamais venu au monde sans avoir le destin d’accueillir la volonté de ce dieu. Le pouvoir, la richesse des Solo, leur domination sur les sept mers, tout cela est l’œuvre de Poséidon. Votre famille est son instrument et rien d’autre et vous-même n’êtes qu’une marionnette temporairement libérée des ficelles qui servent à l’agiter !
- Poséidon est endormi ! S’écria le général de Sirène.
- Pour combien de temps ?! Lorsque les chevaliers d’Athéna arrivèrent en Elision, l’empereur des Mers n’a eu aucune difficulté à posséder votre corps pour venir en aide à ces chevaliers, il a même pu leur envoyer des armures d’or à travers le fleuve Léthé ! Quelle preuve supplémentaire vous faut-il ?! Le pouvoir d’Athéna a pratiquement disparu sur Terre, remplacé par celui de Zeus ! Que se passera-t-il si Poséidon décide de se soulever à nouveau ? Nous assisterons encore à un nouveau déluge ! Les villes prospères seront pillées par des soldats indisciplinés jusqu’à ce que la couronne de la Terre soit à nouveau lancée en pâture à la foule des dieux et nous assisterons à la plus ignoble curée qui soit ! Non cela ne doit plus se produire ! La lignée des Solo doit être tarie de manière à ce que l’empereur des Mers ne puisse plus jamais se réincarner ! »
 
Julian Solo se prit à regarder l’océan infini en se rappelant cette époque où son père, le faisant monter sur un voilier, lui expliquait orgueilleusement que cet empire était le sien. Cet empire il avait voulu l’étreindre, le posséder avec autant de violence qu’il avait voulu avoir Saori Kido puis Athéna. Qu’il fût Julian Solo ou Poséidon ses sentiments pour cette femme n’avaient pas changé : il l’aimait d’un amour violent qui n’admettait pas le non comme une réponse. La possession de Poséidon n’avait fait que lui donner le pouvoir et le charisme nécessaires à la réalisation de ses ambitions. Mais même avec toute cette puissance il n’avait pas échappé au destin de Solo : celui de marionnette.
Son maître à lui avait été un simple mortel, Dragon des Mers. Manipulé par lui il avait commis des actes irréparables sans en ressentir le moindre remords. Et maintenant il essayait de racheter sa dette envers l’humanité de la manière la plus misérable qui fût : avec de l’argent.
Un moment il se trouva pitoyable, il eut envie de vomir sur lui-même, de se saisir de ce poignard qu’il devinait dans la doublure de la tunique de Jézabel et de s’en servir pour se trancher la gorge. Mais ce courage là lui manquait.
Un bref instant il porta un regard implorant sur son ami Sorrente mais se reprit : il serait trop cruel de demander une telle chose à ce jeune homme. L’exécuteur le plus approprié s’imposa bientôt à lui avec la force de l’évidence.
 
« J’ai décidé d’accéder à votre requête. Avec moi disparaîtra la lignée de Poséidon et peut-être un peu de la douleur qu’il a causée. »
 
Jézabel ne dit rien, sachant que le courage était une vertu que les dieux dispensent plus souvent en paroles qu’en actes.
 
« Cependant… puisque vous êtes venue prendre ma vie, je vais vous demander une ultime faveur : m’aider à la quitter. »
 
Jézabel se releva de toute sa taille, toisant le prince des océans du fond des yeux tandis qu’elle commençait à dégrafer lentement les voiles de sa toge.
 
« Je suis là pour cela, Julian. Dit-elle d’une voix langoureuse. »
 
Tandis qu’elle parlait, sa robe tomba toute entière à ses pieds, révélant sa nudité sculpturale au jeune homme qui explorait son corps sans pudeur.
 
« Puisque tu vas mourir, autant que ce soit en éprouvant un avant-goût de ce fruit que tu as tant voulu posséder. »
 
Les mains expertes de la reine commencèrent à chercher les boutons de la chemise du jeune homme, le débarrassant d’abord de sa veste puis de sa ceinture et enfin de sa chemise, révélant son torse musclé.
Glissant le long de ses muscles frémissants, elle provoqua en lui la montée d’un désir irrépressible qui le fit l’embrasser dans le cou avec fougue. La déesse ne retint pas ses gémissements de plaisir lorsqu’il la prit dans ses bras mais au moment où il voulut l’embrasser, elle saisit sa nuque par les cheveux.
 
« Je ne te forcerai pas Julian. Si tu le souhaites, je m’unirai à toi dans la passion de ce baiser mais tu dois savoir que lorsque l’intensité de ce moment aura cessé, tu mourras. »
 
Il plongea dans ses yeux. Il y vit une existence passionnée, une flamme qui ne cessait jamais de se consumer par amour de la vie elle-même, un monde merveilleux fait de beauté et de liberté. Une utopie de passion et de jouissance.
 
Elle lut dans ses yeux. Elle y vit une enfance comblée d’attentions, un cœur rempli de désirs égoïstes et charnels jamais assouvis, une volonté sans borne de posséder l’inaccessible, une déesse aux cheveux mauves et aux yeux pers. Elle y lut un désir irréfréné.
 
D’un même mouvement ils s’étreignirent et tandis que leurs langues s’entremêlaient pour un langoureux baiser, que leurs lèvres se touchaient et se désunissaient par intervalles, une Sirène triste chantait pour Ulysse la complainte de la mort de son maître.
 
***
 
Ilya Muromets avait déjà commencé l’assaut du sanctuaire depuis quelques minutes lorsqu’il sentit, à l’instar de ses adversaires, une masse de chaleur énorme se déplacer vers la Terre.
Relâchant son étreinte sur le chevalier d’Ophiuccus qu’il tenait à sa merci, il s’arrêta quelques secondes pour s’assurer que ses yeux ne le trompaient pas.
La boule de feu envoyée par le grand Zeus pour détruire le sanctuaire terrestre était gigantesque et en la voyant s’approcher, le second roi d’Utopia songea avec horreur aux innombrables vies dont cette abomination allait signifier la fin.
Il n’eut que le temps de hurler aux servants d’Athéna de se pousser avant de tourner sa main droite vers la boule de feu dont la taille le submergea entièrement. Le choc fut titanesque et les ruines des premières maisons du zodiaque, déjà affectées par la disparition du cosmos d’Athéna sur Terre, manquèrent de se disloquer entièrement.
Ilya s’enfonça de plusieurs centimètres dans le sol tout en priant pour que les os de son bras droit ne craquent pas prématurément. Puis ce fut un cri de douleur étrange qui sortit de sa bouche :
 
-         Mon ami, encore une fois, prête-moi ta force !!
 
Une aura immense se superposa alors à celle d’Ilya Muromets, son ombre était tellement gigantesque qu’elle submergeait l’ensemble du sanctuaire. A n’en pas douter, cela ne pouvait être que l’aura d’un géant pensèrent les chevaliers trop imprudents pour se cacher.
Les forces décuplées d’Ilya lui permirent alors de retrouver le libre usage de ses jambes et ce fut au péril de sa vie qu’il s’élança alors le point en avant vers l’œil de la boule de feu.
Les deux forces s’affrontèrent quelques secondes mais finalement le cosmos du dieu suprême se tarit et l’objet brûlant explosa en une multitude de faisceaux chargés de chaleur.
 
Le souverain slave regarda avec dépit son bras droit brûlé puis embrassant le paysage alentour, il put se rendre compte de son insuccès : en explosant la boule de feu avait libéré une infinité de traits brûlants et le chevalier de l’Hydre, trop lent pour se mettre en garde avait été transpercé de part en part par l’un d’eux. De rage, le second roi frappa le sol de son poing brûlé en s’écriant :
 
«  Mais c’est pas vrai !! »
 
Tandis que les chevaliers de bronze s’agenouillaient au chevet de leur frère de sang, le chevalier d’argent de l’Aigle regardait avec un étonnement croissant le visage de son ennemi à travers son masque fissuré. Très lentement, elle s’avança vers lui et lui demanda doucement.
 
«  Pourquoi nous avoir protégés ? »
 
Ilya Muromets se releva en prenant appui sur son poing ensanglanté tout en gardant les yeux fixés sur le sol.
 
« Parce que c’est le devoir d’un roi de protéger son peuple.
-         Son peuple ? Demanda Marine avec étonnement. »
 
Ilya passa à la hauteur du chevalier sans la regarder.
 
« Oui, mon peuple. Peu importe le dieu en lequel ils croient ou la terre qui les a vus naître, tous les humains sont frères dans l’empire d’Utopia et en tant que roi, mon devoir sera toujours de protéger les faibles. »
 
Puis se retournant vers le corps sanguinolent du chevalier Ichi, encore animé des derniers spasmes de la vie qui s’étiole.
 
« Cela est de ma faute. Tout cela est mon œuvre.
 
Il hurla tout en serrant son poing ensanglanté.
 
« Chevaliers d’Athéna ! Cette mort vous suffit-elle ? Alors livrez-moi la tête de Medusa incrustée dans le bouclier de la Justice que je puisse mettre fin à cette tragédie avant que le sang ne souille encore ces lieux. »
 
Un silence passa avant que prenant implicitement la tête du groupe de rescapés, le chevalier de l’Ophiuccus apporta une réponse au chef du clan Bogatyr.
 
« Ilya Muromets ! Tu as sauvé nos vies et pour cela je te suis redevable. Cependant le lieu que tu foules est sacré depuis les temps mythiques ! La statue d’Athéna est sacrée et son bouclier l’est tout autant. Nous ne pouvons te livrer cet objet même en échange de nos vies.
- Chevalier, tu porteras seule la responsabilité du sang qui coulera à partir de maintenant. Je n’ai pas besoin de voir tes yeux pour y lire le fanatisme. En venant ici j’avais l’intention d’épargner vos vies mais je vois bien que votre dévotion vous poussera aux limites de la raison. »
 
Le chevalier de la Licorne se leva alors en fixant Ilya d’un index inquisiteur.
 
« Tu es un hypocrite ! Comment peux-tu critiquer notre dévotion pour Athéna alors que tes actes sont le reflet du désir de domination du dieu que tu sers ?! »
 
Le souverain resta muet une seconde puis, gonflant ses joues, il cracha aux pieds de Jabu pour lui signifier son mépris.
 
« Tu es jeune, chevalier de la Licorne, jeune et stupide. Je ne sers pas Utopia par dévotion religieuse mais pour éradiquer toutes les autres religions de cette planète. Je foule cette terre depuis deux cents vies d’hommes et j’y ai vu commettre des actes monstrueux au nom des dieux. En période de crise, l’humanité se réfugie toujours dans le fanatisme. J’ai vu de mes yeux les habitants de Carthage offrir leurs enfants à Moloch pour qu’il leur donne la pluie. Même les Romains si civilisés n’hésitèrent pas à sacrifier des humains à leurs dieux lorsque les armées d’Hannibal approchèrent de leur ville. Je déteste ces cultes païens qui font régresser l’homme à l’état d’animal ! Je déteste ce sanctuaire que vous vénérez alors qu’il arrache des enfants à l’amour de leurs parents pour en faire les laquais de sa déesse ! »
 
N’y tenant plus, le chevalier de la Licorne s’élança vers le blasphémateur à une vitesse approchant celle du son et lui décrocha un fulgurant coup de pied dans la mâchoire. Ilya vacilla quelque peu sous le choc tandis que son jeune adversaire était lui-même surpris de son succès.
 
« Animal… tu n’es rien de plus qu’un animal dressé. J’essaye de te parler mais tu ne sais répondre que par la violence. Est-ce cela que tu as appris ? »
 
Le chevalier de Bronze s’immobilisa un moment, surpris à l’égal de ses semblables par la réaction de l’homme qui avait arrêté l’assaut du dieu suprême.
 
« Chevaliers. En dépit de ce geste, je souhaite toujours éviter un bain de sang. Aussi je vous le demande : abandonnez ce sanctuaire, laissez là vos armures et reniez cette idole que vous vénérez. Alors je serai prêt à vous donner asile en Utopia où tous vos péchés seront effacés. »
 
Encouragé par son précédent succès, le saint de la Licorne tenta de renouveler son attaque mais cette fois sa jambe droite rencontra le bras d’Ilya et se brisa net à son contact. Le guerrier tomba à terre comme un pantin désarticulé.
 
« Je suppose que pour toi, la réponse est non. Mais qu’en est-il de vous autres ? Ne voyez-vous pas que la ruine du sanctuaire est consommée ? Le théâtre s’est vidé, il est temps pour les acteurs de tirer leur révérence. »
 
Marine de l’Aigle s’avança alors.
 
« Renier Athéna, pour l’un de ses chevaliers est une chose impossible. Mais pourquoi tant d’insistance au lieu de combattre ? »
 
Un rictus de mépris déforma la lèvre supérieure d’Ilya tandis qu’il détaillait le masque de Marine.
 
« Vous êtes vraiment des fanatiques… la règle d’Athéna fait des femmes chevaliers des assassins en puissance si elles ont le malheur de retirer leur masque. Votre déesse se prétend porteuse d’amour et pourtant elle vous dénie le droit de le trouver. En devenant chevaliers vous ne cherchez pas à protéger vos semblables, ce que vous cherchez c’est le pouvoir. Si je ne cherche pas à vous tuer, c’est parce qu’Utopia sera pour vous ce qu’elle a représenté pour moi : le salut.
            - Et si nous ne voulions pas être sauvés ?
- Eh bien je vous forcerai à être libres ! « Annihilation du cosmos ! »
 
Le cosmos d’Ilya avait déferlé sur les chevaliers mais c’était une sensation étrange : tous avaient eu le temps de se mettre en position de défense et pensaient avoir encaissé son attaque lorsque dans un gigantesque reflux, ils sentirent leurs cosmos se désintégrer sous le choc d’un second impact. Ce ne fut absolument pas douloureux mais ils s’étaient sentis comme violés, comme si on leur avait volé leur cosmos de l’intérieur. Lorsqu’elle retrouva la maîtrise de son corps, Shaina constata que son armure pesait plus lourd puis elle constata qu’elle ne vibrait plus.
 
« Que nous avez-vous fait ?
- Je vous ai libéré de la servitude dans laquelle Athéna vous avait plongé : je vous ai privé de votre cosmos. »
 
Il fallut quelques minutes aux chevaliers quelque peu hébétés pour se rendre à l’évidence. Ils ne ressentaient plus rien que le tressaillement de leur cœur dans leur poitrine, plus rien ne brûlait en eux. Ils avaient l’impression de se réveiller en ayant perdu quelque chose, en étant un peu moins que ce qu’ils étaient auparavant.
 
 Sans un mot, Ilya s’approcha de Marine et retira doucement le masque qui occultait son magnifique visage. Le chevalier d’argent se surprit à ne ressentir aucune haine devant cet affront. Il y avait à peine une minute, une voix au fond de son cerveau lui disait que cet homme était un ennemi et que sa mission était de l’anéantir. Mais à présent elle n’entendait plus rien que le battement de son cœur dans sa poitrine qui tressaillait de joie.
 
La voix d’Ilya s’éleva alors avec sa douceur habituelle.
 
« Tu es libre d’aimer et de haïr à présent. Plus aucune puissance supérieure ne commandera tes actes, le bien ou le mal tu en jugeras désormais par toi-même. Le ciel est vide, Dieu est mort, réjouissez-vous, vous n’avez plus de maître, vous êtes libre. »
 
***
 
Les flammes du grand Zeus s’étaient répandues sur Terre à une vitesse telle qu’aucune force humaine n’avait été capable de les arrêter. Mais aucune de ces boules de feu n’avait été envoyée au hasard, chacune avait une cible bien précise dont l’anéantissement concourait au retour des dieux. Des villes telles que New York, Beijing ou Berlin n’étaient plus que des amas de ruines fumantes. Tout ce qui pouvait rappeler la puissance de l’ancien monde devait être systématiquement détruit.
Depuis le Mont Olympe, les archanges-rois d’Utopia participaient à la tâche sans avoir besoin de lever le petit doigt.
 
De part le monde, on entendait un cri répercuté par mille autres d’un homme immolé vivant par les flammes d’Uriel car tous faisaient le même songe : celui d’un ange qui leur posait la même question implacable :
 
« Crains-tu Dieu du plus profond de ton cœur ? »
 
Et tous ceux dont le cœur n’était empli que d’égoïsme sentaient leur peau se dessécher sous l’effet des flammes surnaturelles de l’épée de l’archange. Des millions d’êtres humains moururent ainsi ce jour de malheur, emportant dans l’au-delà le souvenir des pupilles multicolores du séduisant roi.
 
La méthode d’Oblivion était peut-être moins cruelle car elle ne causait pas une mort instantanée. Fidèle à son nom, l’ami d’Uriel avait fait poussé sur Terre une forêt miraculeuse qui n’existait que dans l’esprit de chacun.
Celui qui s’y perdait ne serait-ce qu’une seconde, oubliait d’abord le nom de ses amis puis le sien propre et à la parfin il finissait par ne plus savoir prononcer qu’un seul mot « pourquoi ? ». En faisant table rase du passé, le puissant roi privait les hommes de leur souvenir mais aussi de leur présent. Seuls avaient un avenir ceux qui n’avaient pas encore suffisamment connu le monde pour le regretter. Les autres étaient condamnés à errer sur Terre jusqu’à tomber d’une falaise ou à mourir d’épuisement.
 
Utopia n’était pas intéressé par les adultes, ces hommes qui avaient déjà vécu, ceux-là les portes du royaume de Dieu leur seraient à jamais fermées car ils n’avaient plus envie de les chercher.
 
Alors les enfants erraient dans le désert, ne comprenant pas pourquoi leurs parents avaient cessé de s’intéresser à eux, pourquoi leurs corps ne remuaient plus quand ils les priaient de rentrer à la maison. Ils sentaient en leur for intérieur qu’une voix devait ordonner ce chaos, qu’ils avaient besoin d’une main secourable et d’où qu’elle vienne, leur désespoir était si grand qu’ils l’auraient saisie.
 
Alors il survint. Un adolescent aux cheveux blonds et au teint blafard. Il sortit de sa cité enchantée et marchant sur le sable brûlant du désert qui l’entourait, vint à la rencontre du petit être qui pleurait. D’un geste paternel, Baldur caressa les boucles brunes du petit nomade qui pleurait contre sa tente entouré par les corps de son clan.
 
            « Comment t’appelles-tu ? demanda-t-il gentiment »
 
L’enfant ne répondit pas mais ses petits poings cessèrent de martyriser ses yeux larmoyants. Au bout d’un moment, un son franchit la frontière de ses lèvres craquelées.
 
            « J’ai oublié. »
 
La puissance d’Oblivion était vraiment impressionnante, songea Baldur. Mais son pouvoir n’avait pu retenir cet enfant dans les méandres de son propre esprit, c’était donc qu’il pouvait être sauvé.
 
            « Cela ne fait rien. Je vais t’emmener dans une cité merveilleuse, là tu verras une infinité de choses plus belles les unes que les autres, tu apprendras des mots qui te serviront bien plus qu’un nom. »
 
A ces paroles, l’enfant tourna timidement les yeux vers l’être secourable qu’il attendait. Il ne ressemblait à rien de ce qu’il avait connu jusqu’à maintenant, ses cheveux étaient aussi jaune que le soleil mais sa peau ne semblait ne jamais en avoir subi le contact.
 
            « Alors je ne serai plus seul ? »
 
Baldur tendit sa main droite à l’enfant qui la saisit sans hésitation devant son sourire engageant.
 
            « Tous les orphelins victimes des guerres ou des famines, tous les enfants qui n’ont plus de parents ou de raison de vivre, l’empire d’Utopia a vocation à les accueillir. Lorsque nous verrons un autre enfant, tends-lui la main car c’est ensemble que nous irons vers le paradis. »
 
Le fils d’Odin ferma un instant les yeux pour solliciter de ses frères d’armes qu’ils lui indiquent la direction à suivre pour repérer une nouvelle présence humaine. Comme prévu sa destination se trouvait à plus de mille stades. Mais même à cette distance il entendait distinctement les cris des orphelins réclamant leurs parents.
 
            « J’espère vraiment que le nouveau monde que nous voulons créer sur les ruines de l’ancien mérite tant de sacrifices, lâcha-t-il dans un soupir. »
 
Sentant une légère tension sur sa main, le jeune homme inclina le buste pour entendre la requête de son protégé. Timidement, l’enfant demanda.
 
            « Est-ce que je peux avoir un nom ?
-         Nul n’a besoin d’un nom en Utopia car tous ses habitants y sont semblables, ils font tous le même rêve. Seuls les rois ont un nom.
-         Alors je ne peux pas en avoir ? »
 
Baldur sourit avec indulgence tandis que dans sa main, l’énergie se concentrait pour apposer une marque sur celle de l’enfant qui la tenait.
 
            « Pourquoi fallait-il que tu demandes cela ? Maintenant le seul nom que je puisse te donner est celui de Légion car vous êtes nombreux… à êtres indignes de nous suivre. »
 
Baldur regarda avec tristesse cette petite créature imparfaite. Pour avoir voulu se distinguer de ses semblables, il venait de prouver son égoïsme et se condamnait à rester sur Terre.
 
***
 
Privé de toute propriété magique par l’absence d’Athéna, le sanctuaire n’était plus en mesure de se défendre pas plus que les chevaliers privés de leur cosmos n’avaient voulu s’opposer à l’avance d’Ilya.
 
Arrivé devant la gigantesque statue d’Athéna, celui-ci ne put cacher son contentement. Après des siècles d’isolement, il n’avait plus qu’un geste à faire pour permettre à son peuple de sortir de l’ombre. La maudite tête de Médusa que le chevalier de Persée avait jadis utilisée pour pétrifier le gigantesque Atlas était à sa portée. Une fois cette maudite relique détruite, le cosmos du Titan serait réveillé et la seule porte d’Utopia qui donnait sur la Terre serait ouverte aux mortels. Alors plus rien ne s’opposerait à son rêve : toute forme de dualité disparaîtrait sous l’influence d’une divinité unique détentrice de la vérité.
 
Alors que son poing allait heurter le bouclier de la Justice pour tenter d’en retirer la tête de la Gorgone, le jeune homme sembla pris d’un malaise. Il tituba quelque peu tandis que le sol se dérobait sous ses pieds.
 
            « Quelle étrange sensation, pensa-t-il. J’ai la désagréable impression qu’un cosmos que je connais vient de s’éteindre, et pourtant il faut que j’achève ma mission. »
 
Cependant, avant qu’il put se remettre de son malaise, la même sensation étrange l’affecta à nouveau, lui causant le même trouble.
 
Une voix sarcastique s’éleva alors dans l’ombre du palais du grand pope.
 
            « Mais on dirait que tu es trop sensible à la souffrance d’autrui, mon ami. Il ne faut pas se mettre dans des états pareils pour quelques chevaliers déchus, voyons ! »
 
Ilya fit volte-face pour identifier l’auteur de ces paroles mais cet homme était totalement dissimulé par la tenture écarlate qui seyait si bien au grand Pope durant le règne de Saga.
 
            « Qu’as-tu dit ?
-         Simplement que la mort de ces serviteurs d’Athéna ne devrait pas t’affecter à ce point. »
 
L’homme écarta alors la tenture d’une main pour révéler une armure aussi sombre que la nuit. Malgré ses courbes harmonieuses, les immenses ailes qui l’entouraient ainsi que la forme du casque faisaient penser à un rapace monstrueux.
 
            « Je me présente, Minos de l’étoile céleste de la valeur pour te desservir.
-         Un spectre d’Hadès ? Qu’as-tu fait aux chevaliers que j’ai affrontés tout à l’heure.
-         Vu que tu les as libérés du poids de leur cosmos et de celui encore plus écrasant du devoir, je me suis dit qu’il serait dommage d’en rester là alors j’ai donné l’ordre à un de mes spectres de leur ôter aussi celui de la vie.
-         Comment as-tu osé ? Privés de leur cosmos, ils ne pouvaient plus rien !
-         Que veux-tu ? Faire souffrir des personnes sans défense, c’est mon péché mignon, acheva Minos avec un sourire. »
 
Ilya voulut s’élancer sur le juge mais il constata bien vite que ses jambes ne se mouvaient plus. Un regard vers le sol confirma sa présomption : des fils d’argent se reflétaient au soleil et s’étendaient depuis les doigts de Minos jusqu’à ses pieds.
 
            « Je ne t’ai pourtant pas vu lancer ta technique de manipulation.
-         Je m’attendais à te venue alors j’ai disposé des fils d’argent dans tout le périmètre de façon à pouvoir t’emprisonner où que tu te trouves.
-         Tu étais donc prévenue de me venue mais par qui ?
-         C’est Jézabel qui est venue nous trouver au château où nous habitons depuis la destruction partielle de l’Enfer. Elle nous a expliqué les enjeux de cette bataille et permis de nous trouver ici avant toi. »
 
Ilya arbora alors un sourire énigmatique puis, profitant de ce que seules ses jambes étaient immobilisées, s’assit en tailleur face à Minos, à la manière des nomades.
 
« Me voilà dans une situation difficile en effet. Cependant je voudrais te poser une question : as-tu vraiment tué tous les chevaliers d’Athéna que j’avais épargnés ? Et si oui dans quel but ?
-         Vois-tu, commença Minos, j’ai assisté à ton combat. Tu les as privés de leurs cosmos sans même les blesser. C’est la première fois que je vois une chose pareille. Cependant, lorsque tu as procédé ainsi, ton cosmos a beaucoup diminué, c’est donc que tu n’as pas absorbé leurs forces comme je l’avais cru d’abord. J’ai donc demandé à Myu de l’étoile de Féerie de les supprimer pour observer ta réaction.
-         Cela explique la sensation que j’ai ressentie tout à l’heure.
-         Et m’a permis de comprendre, poursuivit Minos, le fondement de ta technique. Tu ne les as pas privés de leurs cosmos, mais tu as utilisé ton propre pouvoir pour les sceller en eux. C’est donc une forme de sceau que tu leur as apposés.
-         Les as-tu vraiment tués ?
-         C’est une technique très intéressante… Mais sa faiblesse réside dans le fait que tu es lié à ces sceaux. Tu t’affaiblis à chaque fois qu’ils sont détruits.
-         Réponds !! »
 
Minos sourit puis d’un geste rappela ses fils, libérant ainsi les jambes d’Ilya.
 
« Je ne suis pas fou au point d’engager un combat contre un homme qui a le pouvoir de me priver du mien. Quant à ta question, au contraire de moi, Myu n’est pas un spectre sanguinaire, je pense qu’il en tuera juste trois ou quatre pour être sûr. »
 
Un soulagement évident se peignit sur le visage du chef des Bogatyrs.
 
« Si tu sais ce qui se passe actuellement sur l’Olympe, alors tu n’ignores sans doute pas que si Hadès vient à perdre ce combat, je serai forcé d’en finir avec vous, spectres.
-         En effet mais ça ne me fait pas vraiment peur.
-         Pourquoi ?
-         Parce que nous sommes différents toi et moi. Tu es sans doute un être humain mais pour ma part je suis un spectre. Lorsque l’empereur Hadès est revenu sur Terre, mon âme qui errait entre l’Enfer et Elysion a été attirée par son aura et j’ai revêtu le surplis du Griffon. De la même façon, s’il venait à être définitivement détruit, mon âme le serait aussi, tel est le destin des spectres. »
 
Ilya tenta de jauger le sourire enfantin de son interlocuteur pendant de longues minutes. Etait-il possible de se résigner aussi facilement au néant ? De dépendre entièrement d’une seule personne ?
 
            « Vous n’avez donc d’autre but dans la vie que de le servir ?
- Si tu tiens à une personne plus qu’à ta propre vie, si tu luttes pour réaliser ses rêves au risque de mourir, alors tu peux comprendre quel lien nous unit à sa majesté, nous les spectres qui lui sont restés fidèles. »
 
Ilya ne répondit pas. Dans un monde tel qu’Utopia où tous les individus doivent faire le même rêve et prier Dieu dans le même but, qu’un individu puisse placer les rêves de son dieu au-dessus des siens propres… un tel raisonnement mettait en échec la logique même qui avait présidé à la fondation De ce monde : instaurer la paix par l’abolition du libre arbitre.
 
Hésitant sur l’attitude à adopter, l’attention du roi fut soudain attirée par l’épanouissement d’un cosmos doré à proximité de lui. Se retournant, il fut pratiquement aveuglé par l’éclat de la statue d’Athéna et plus encore assourdi par le son qu’elle produisait. On aurait dit que toutes les cloches des monastères de la Grèce sonnaient de joie en même temps.
 
Comprenant ce qui allait se passer, il se jeta littéralement sur le bouclier de la Justice dans l’intention de  le détruire. Mais alors qu’il n’était plus qu’à quelques centimètres de son objectif, il sentit tous les fils du cosmic marionetton se resserrer sur lui en même temps. Impuissant à se libérer aussi vite, Ilya Muromets ne pouvait qu’assister à l’envol de la statue répondant à l’appel de sa maîtresse.
Mais au cosmos du roi se superposa à cet instant celui du Géant qui lui avait permis de repousser l’assaut de Zeus et semblable à une ombre malveillante, cette forme éthérée s’échappa du corps d’Ilya pour étreindre la statue de la déesse et détruire ce maudit bouclier.
 
D’un geste, le chef de clan aurait pu écraser l’armure de Pallas, il lui aurait suffi de pouvoir refermer le poing qu’il tenait ouvert. Mais ce geste, si insignifiant fût-il, lui était impossible car la puissance du Griffon contrecarrait le mouvement de chacun de ses muscles à l’extrême.
 
« Tu ne m’arrêteras pas ! »
 
En prononçant ces mots, le nomade avait jeté sa dernière carte : cessant de résister à l’emprise de Minos, il avait laissé les fils du cosmic marionetton tordre tous les doigts de sa main droite en même temps. Surpris par ce relâchement, le spectre avait hésité une fraction de secondes sur l’os qu’il lui fallait détruire mais cet intervalle avait été suffisant pour permettre au roi de refermer sa main gauche.
 
« Disparais ! »
 
Répondant à l’ordre de son maître, le cosmos sombre qui enserrait la statue d’Athéna comme un étau exerça une formidable pression sur celle-ci. Le monument s’écroula dans un fracas assourdissant de pierres broyées. Mais tandis qu’Ilya ouvrait la bouche pour hurler sa joie, le ciel s’ouvrait pour laisser la place à la véritable cloth d’Athéna, assez grande pour tenir dans la paume de la main et pourtant aussi brillante que le soleil.
En détruisant la statue, le monarque n’avait fait que détruire l’enveloppe de chair débile qui retenait la divinité telle une chrysalide.
Dissipant les ténèbres du cosmos malveillant, l’armure s’éleva dans le ciel pour aller rejoindre la déesse de la Victoire sous les yeux incrédules des adversaires.
 
Une fois que le phénomène se fut dissipé, Ilya se retourna violemment vers Minos.
 
            « Pourquoi avoir interféré ?! Te rends-tu compte de ce que tu as fait ? Ce maudit bouclier devait être détruit pour ouvrir les portes d’Utopia !
-         Oui je m’en rends bien compte et je vais te dire deux choses : je ne connais pas ton utopie mais si elle n’est voulue ni par les humains ni par Dieu, alors je préfère qu’elle disparaisse. Ensuite… »
 
Un sourire sardonique déforma les lèvres de Minos.
 
« Ensuite, si Athéna a rappelé son armure c’est qu’elle va se battre. Et crois-moi, depuis le temps que j’attends, je ne raterais ça pour rien au monde ! » 
 
***
(1)    Couronne du roi des rats : Les rats ont pour coutume de massacrer leur chef une fois que celui-ci a été couronné.
 
(2) Ialdabaôth : Pour la secte gnostique, la lumière préexistait à la Création. Autour d’elle se forma un éon lumineux, le monde céleste. Un jour un accident survint dans le monde supérieur lorsque la Lumière voulut engendrer un nouvel éon et naquit ainsi Ialdabaôth, puissance ignorante et difforme autour de laquelle se forme un éon ténébreux : la Terre.  Pour les gnostiques la vie est comme Ialdabaôth : un accident honteux. Le Salut ne peut survenir que par l’anéantissement de toute forme de vie terrestre par la lumière.

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