- Tes hallucinations n’auront plus prises sur moi, annonça Calahël. J’ai enfin percé à jour ta vraie nature !
- Voyez-vous ça ! Parle, je suis impatient de connaître ton diagnostique ! Est-ce de la démence passagère ou une aliénation chronique et incurable ?
- Ni l’un ni l’autre ! A la vérité tu n’es pas fou ! Tu ne l’as même jamais été ! Tu es juste « différent » !
- Quoi !?
Les illusions de Brumaire s’estompèrent, confortant le Saint dans sa théorie.
- L’enfant que j’ai vu ne montrait pas de symptômes de démence, renchérit-il. Sans doute était-il constamment plongé en un monde imaginaire, mais cela ne résulte aucunement d’une quelconque folie !
Calahël grignotait du terrain. Par effets de vase communiquant, plus Brumaire reculait, plus le Saint d’or recouvrait son aspect originel. Son avant-bras réapparut, puis ce fut au tour de son armure.
- Tes parents ont-ils jamais pris la peine de t’écouter ou de te comprendre ? Non, évidemment ! Pour eux, la bienséance se résumait en une seule ligne directive. Et quiconque s’en écarte est une gangrène honteuse, juste bonne à être éradiquer avant qu’elle ne les contamine. En définitive, tu es pareil au peuple Mü. C’est cette dissemblance qui vous a mis au ban de cette société inquisitrice !
- La ferme !!
Brumaire frappa violement la mâchoire de Calahël. Plus que jamais, les esprits s’échauffaient.
- Tu ne sais rien, hurla-t-il. Qui t’a permis de débattre ainsi sur ma condition ! Je sais ce que je suis !
- J’ai touché au nœud du problème ! En fin de compte, je pense que pendant des années tu as tâché de te convaincre que, comme le prétendaient tes proches, tu étais véritablement dément ! Quel grandiose paradoxe ! C’est en acceptant ce faux statut d’aliéné que tu as sauvegardé ta raison !
- Ne me pousse pas à bout ! Ici plus qu’ailleurs, ta vie ne pèse pas plus lourd qu’une plume dans l’escarcelle ! AMOK FURY !!!!
La représentation du corps de Calahël fut lardée de multiples traits d’énergies et projeté contre un des murs de la chambre. Un tantinet calmé, Brumaire fit apparaître une bouteille d’absinthe dans sa main. Il l’examina longuement et :
- Ce n’est pas un hasard si l’absinthe est ma boisson fétiche. Je ne te surprendrai pas en t’informant que sa consommation excessive engendre la folie. A croire que j’ai plus de points communs avec cette bouteille qu’avec ma famille !
Sur cette note de cynisme, le fils de la nouvelle aube jeta la bouteille d’absinthe au visage du Saint. Toutefois, elle s’effaça avant de l’atteindre.
- il est temps d’en terminer ! IRON MAIDEN !!!
Les murs de la chambre s’hérissèrent de pics acérés. Brumaire, décidé à en découdre sérieusement, se revêtit de son armure.
- Voici ma vision de la vierge de fer, ce bel instrument qui, jadis, soigna nombre d’hérétiques et de malades mentaux. Les murs vont se rapprocher lentement. Si tu ne parviens pas à me vaincre avant qu’ils ne se soient rejoints, ton esprit sera irrémédiablement détruit !
- Le tien aussi, il me semble !
- C’est ce qui est infiniment caustique ! Je vais te rendre l’équivalent de tes pouvoirs ! Voyons qui de nous deux possède le cosmos le plus puissant !
Les deux antagonistes, sans se soucier des murs s’avançant dangereusement, firent exploser leur cosmos. Ils fondirent poing en avant l’un sur l’autre. Dos à dos, chacun prit la place de l’autre dans la chambre.
- Le cosmos m’a abandonné au moment où j’en avais le plus besoin, cracha Brumaire. Quelle ironie ! C’est pourtant par sa faute que je fus… interné ! Personne ne me crut… Quand je prétendis… Ressentir cette force… Palpiter… En… Moi…
Le fils de la nouvelle aube s’écroula. Calahël, genou à terre, se vit déjà broyé par les murs d’acier. Mais, sans qu’il ne s’en rende compte, son esprit regagna son corps. Soulagé, il regarda aux alentours. Pas de doute possible, c’était effectivement la réalité. Devant lui Brumaire, les pupilles vides, était resté debout malgré tout. Calahël, les yeux humides, vint à lui et murmura :
- J’espère que ton âme connaîtra enfin la paix. Si la réincarnation existe vraiment je souhaite que, dans nos vies futures, nous nous retrouvions en tant qu’amis plutôt que comme adversaire.
D’un geste sec, il lui brisa la nuque. Au dessus d’eux, le champ de force s’illumina soudain de mille couleurs aveuglantes.
Quelques instants auparavant, Shion avançait à tâtons au cœur de la tour. Tout était resté pareil à son souvenir. La table du conseil et ses fauteuils inconfortables trônaient toujours au centre de l’immense pièce circulaire. A son extrémité, un piédestal supportait encore la maquette de la Seconde Mü. Un vieil homme, barbe presque aussi longue que sa chevelure argentée, attendait. Ses iris mauves scrutaient paisiblement ladite maquette. Il pivota son corps filiforme vers Shion et clama :
- Cette miniature est l’œuvre de mon prédécesseur. En la fabriquant, il caressa l’idée que…
- … Si un jour, nous regagnions le monde extérieur, peut être inspirerait-elle les architectes primitifs et nous aiderait à nous intégrer… Compléta Shion.
- Tu n’aurais pas dû revenir. Mes injonctions étaient pourtant claires !
- Je le sais père. Mais la nécessité fait rigueur !
- Mon fils…
- Je suis heureux de vous revoir père !
- Shion ! Ta piété filiale est exemplaire ! Que d’émotions dans ces retrouvailles !
Cobalt, persifleur, se téléporta à la droite du vieil homme. Satisfait de son entrée, il déclara :
- A présent que nous sommes de retour à la patrie, inutile de se voiler la face !
Cobalt, cérémonieusement, retira son masque hideux. Il découvrit ainsi son visage angélique et ses prunelles couleur océan.
- Enfin, se réjouit-il. Cela fait plusieurs jours que je suis parvenu à annuler le sceau du masque. Mais je tenais absolument à l’ôter en ta présence ou en celle d’Athéna, le cas échéant. L’expression de ton visage récompense mille fois ma patience !
L’Elu observa tour à tour les deux représentants de la nouvelle génération de Mü. L’un et l’autre avaient parcouru beaucoup de chemin depuis leur toute dernière entrevue commune…