Calah�l �tait intrigu�. Depuis dix bonnes minutes Brumaire, immobile, le fixait d�un air ahuri. Le Saint, qui voulait patienter jusqu�� ce que son adversaire fasse le premier pas, tr�pignait. Tant pis, ce serait donc � lui de jeter le gant.
- A nous deux, prof�ra-t-il. DESTINY WING !!!
Majestueusement, les ailes de son armure s��tir�rent et, par r�verb�ration d��nergie, rel�ch�rent toute leur puissance sur Brumaire. Ce dernier, incroyablement d�tach�, b�illa paresseusement et ne r�agit pas quand l�attaque le frappa violement.
- Voil� au moins un combat rondement men�, d�clara Calah�l, un peu choqu� par le manque de vitalit� de son vis-�-vis. Excuse-moi, mais le devoir m�appelle ailleurs et�
Stup�fiant le Saint, le corps de Brumaire se m�tamorphosa en terre glaise et coula mollement sut le sol. Sa silhouette disparut en une masse d�argile qui changea sporadiquement de texture et de teinte.
- Quelle est cette sorcellerie ? C�est impossible !
- Impossible !! Je m�en doutais, tu es un cart�sien convaincu !
Brumaire �tait r�apparu. Il avait troqu� son armure contre une toge h�bra�que.
- Sache que le mot impossible doit d�s � pr�sent �tre ray� de ton vocabulaire, continua-t-il. A compter de cette seconde, RIEN n�est impossible !
- Encore et toujours des illusions, se plaignit le Saint. Pour freiner ma progression vers la tour, tu devras trouver quelque chose de plus substantiel !
- La tour ! Quelle tour ?!
La demeure de l�Elu s��tait volatilis�e. Mieux encore, la Seconde M� avait c�d� la place � un d�cor psych�d�lique o� les rares constructions �taient bancales et grotesques. Pour s�harmoniser avec le cadre, Brumaire avait encore chang� de tenue. Il arborait maintenant une soutane d�eccl�siastique, � tendance apocalyptique. Calah�l, lui aussi, avait opt� pour un nouveau style vestimentaire. Sans qu�il ne s�en aper�oive, son armure s��tait transform�e en un ensemble tr�s chic, mais d�une extravagante couleur safran.
- Tu es dou�, conc�da le Saint d�or en palpant son habit. Je jurerais que mon armure s�est v�ritablement �vapor�e !
- Tu es bassement terre-�-terre ! Pourquoi ne pas envisager la possibilit� que tout ceci est r�el ?
- Bien s�r ! Prends �a !!
Le Saint du Sagittaire d�cocha un direct � son opposant, ou plut�t il essaya. Avant l�impact son avant-bras se d�tacha et, sans effusion d�h�moglobine, tomba sur le sol.
- Ici je suis omnipotent ! Et toi, tu n�es qu�un grain de poussi�re !
Une trappe s�ouvrit sous les pieds de Calah�l. D�sarm�, il chuta sans trouver la moindre asp�rit� � laquelle se raccrocher. Son atterrissage fut plut�t brutal. Il se fracassa l��paule sur une surface lisse et miroitante. P�niblement, il se releva et consid�ra ce qu�il restait de son bras droit. La coupure �tait nette et d�j� cicatris�e.
Le Saint commen�ait � perdre pied. Il se ressaisit et fit l��tat des lieux. Il se trouvait dans une pi�ce circulaire, jalonn�e de gigantesques miroirs. Grossi�rement, elle ressemblait � une galerie des glaces de f�te foraine, mais en plus sordide. Le reflet du Saint d�or �tait des centaines de fois grossi, �cras� ou encore tritur� et d�form� de fa�on abominable. La voix de Brumaire tonna, faisant vibrer les diff�rents miroirs.
- Ce sont les innombrables facettes de ton �me tourment�e ! Ne sois pas timide, dis-leur un petit bonjour !
Les � Calah�l � monstrueux d�chiquet�rent les miroirs les retenant prisonniers. Rageurs, ils bondirent sur leur trop parfait mod�le. Par� � l�attaque, le Saint fit exploser son cosmos. Mais l�aura qu�il d�ploya fut si ch�tive, qu�elle eut fait sourire un Saint de bronze n�ophyte.
Emport� par la mar�e humaine, il bascula dans une autre trappe. Pendant sa chute, ses clones informes �volu�rent en gorgones ail�es et s�enfuirent en hurlant. Apr�s un temps interminable, le Saint manchot plongea dans l�eau glac�e d�un lac, noir comme l�enfer. Sur la rive Brumaire, d�sormais en costume d�apothicaire, buvait comme � l�accoutum�e sa ration d�absinthe.
- Il y a de quoi devenir schizophr�ne, s�esclaffa-t-il devant le vol de ces oiseaux de mauvaise augure. Attrape, cela te r�chauffera !
Brumaire remplit � ras bord une coupe en cristal. Il la balan�a, sans en perdre une goutte, � son interlocuteur. Frigorifi� par l�eau lui battant les jambes, il saisit la coupe par r�flexe. Mais plus que l�onde, c��tait l�atmosph�re de ce lieu qui lui h�rissait le poil.
Le lac n��tait en fait qu�un puits d�mesur�, dont les parois �taient sculpt�es de fresques tout aussi d�mesur�es. Elles repr�sentaient des silhouettes humaines atrophi�es, p�trifi�es pour toujours dans des postures de douleur ou d�effroi total. Pour se remettre d�aplomb, Calah�l vida son verre d�une traite.
- Tu remontes dans mon estime ! Quelle descente !
- Dans ce monde de chim�re, ce petit �cart n�a rien de pr�judiciable. Ma v�ritable enveloppe charnelle n�aura pas � souffrir les effets de ce tord-boyaux !
- Tu as enfin compris ! Je te pr�sente le Madness land, terre d�asile des fous et des meurtriers !
- Tr�s d�paysant ! Voil� donc ta technique, tu agis directement sur l�esprit de tes adversaires et les abreuves de visions parano�aques et d�mentes ! Ainsi, tu fais lentement vaciller leur raison !
- Tu as presque tout juste. Hormis un minuscule d�tail. Je ne p�n�tre pas l�esprit de mes opposants, ce sont eux qui deviennent prisonnier du mien.
- Comment !?
- Tu as besoin d�une preuve !? La voici !
Le d�cor subit un morphing radical. Les deux bellig�rants se retrouv�rent au bord d�un lac plus conventionnel o� une famille s�accordait un instant de d�tente. De haute lign�e, ladite famille r�unissait tous les clich�s aristocratiques de l��poque, des perruques poudr�es fermement riv�es sur le cr�ne, des visages enfarin�s au possible et surtout, une longue file de domestiques exau�ant leur moindre caprice. Au milieu des enfants, tr�s distingu�s, un petit gar�on faisait tache d�huile. Les larmes aux yeux, il appelait une m�re trop affair�e � se pomponner pour lui accorder la plus petite attention.
- Cet enfant ?! C�est toi !
- En effet, r�pondit Brumaire. Nous sommes en pr�sence de l�un de mes tous derniers souvenirs familiaux. Pardonne-moi si les visages sont aussi flous, la m�moire perd en pr�cision au fil des ann�es. Ils doivent tous avoir bien vieillis � l�heure qu�il est !
- Tu ne les as jamais� revus ?
- Jamais ! Peu apr�s ce repas dominical, je fus conduit dans un asile d�ali�n�s. Les m�decins qui m�auscult�rent jug�rent mon �tat instable. Mes parents n�en furent point surpris. Cela faisait des mois qu�ils relevaient quotidiennement nombre d�anomalies dans mon comportement. Aussi mes g�niteurs prirent la d�cision qui s�imposait et me confi�rent sans regrets � ces charlatans. Bien s�r, pour se donner bonne conscience, ils les suppli�rent de me traiter avec d�f�rence. Mais � la v�rit�, ils �taient soulag�s de se d�barrasser de cette prog�niture indigne qui, par sa folie, pouvait entacher leur si glorieuse r�putation !
Le paysage changea encore. D�sormais, les deux hommes se trouvaient dans une chambre o� seule une meurtri�re grillag�e laissait filtrer les rares rayons du soleil.
- Voici ce qui fut ma r�sidence pendant huit longues ann�es, pr�cisa Brumaire. D�un c�t�, je n�avais pas � me plaindre. J��tais nourri et blanchi, sans que rien ne me soit demand� en contrepartie. Et puis cela m�a permis d�aiguiser mes pouvoirs psychiques. Il faut dire qu�entre deux traitements, j�avais beaucoup de temps libre pour m�entra�ner. Comme tous les adolescents, j�ai m�me connu ma p�riode d�id�alisme� Je croyais b�tement que si ma folie �tait la cause du rejet de ma famille, peut �tre qu�en rendant les autres � comme moi �, je serai enfin accept�. Je suis devenu excellent dans mon domaine ! J�ai fait flancher plus d�un homme s�estimant sain d�esprit !
- Pour un pr�tendu ali�n�, tu parais tr�s �quilibr� !
- En apparence seulement ! Les tr�fonds de mon �me sont un ab�me de d�mence insondable o� tu vas te noyer !
Joignant le geste � la parole, Brumaire lui montra une compilation d�images absurdes et effrayantes. Calah�l r�sista mais il savait pertinemment qu�il ne pourrait lutter contre un tel ennemi. A moins qu�il ne le batte sur son propre terrain.
- Mais oui, pensa-t-il. C�est clair comme de l�eau de roche�