Dans l’épisode précédent …
En Egypte, Mâa a enfin pris la mesure de son rôle. Alors qu’Isis lui a confié le terrible secret de la disparition d’Osiris il se voit confier la mission de retrouver ses reliques sacrées à travers le monde. Bientôt mis au courant par la voix d’Hantacore, les Guerriers Sacrés présents au Sanctuaire se lancent sur la piste de ses 14 artéfacts sacrés ; c’est ainsi que Glokos et Asturias découvrent une première piste prometteuse menant au Cap Sounion, territoire consacré à Poséidon …
Mais, au-delà de cette nouvelle quête, c’est bien l’arrivée des Asgardiens au Sanctuaire qui mobilise les énergies de ces derniers jours ; pour la première fois depuis l’épisode tourmenté du Col des Tempêtes, l’ensemble des Elus est à nouveau réuni pour sceller ou non une alliance entre les deux sanctuaires …
Chapitre XIV – Le temps des Choix
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Confrontations
Les jours avaient passé, paisibles. Dispersés dans le Sanctuaire, les Asgardiens découvraient la richesse des lieux et profitaient de cette quiétude, quasi surréaliste en ces temps de malheur. Pourtant, petit à petit, de réelles tensions étaient apparues entre certains anciens Elus d'Hattousa. Pour y remédier, suivant un rendez-vous fixé par les leaders de chaque camp, une délégation des Guerriers d'Odin avait été conviée à rejoindre un lieu retiré de l'acropole. Dans une grande salle, chacun des camps se faisait face, se jaugeait. D'un côté, menés par Thenséric, Rahotep, Thrall et Yshba échangeaient quelques mots en attendant que les négociations s'entament. Selon un rituel fixé par Thenséric, le sort avait désigné Thrall et Yshba pour accompagner celui qui dirigeait à présent les Ases en la personne de Rahotep. Les représentants d'Athéna n'avaient pas caché leur étonnement mais n’avaient dit mot. Contrairement à ce qui avait été initialement prévu, Hantacore n'était pas présent ; Macubex, Seth et Asturias étaient seuls. D’un commun accord, Shiro avait décidé avec Frank de conduire Nibel et Akurgal sur le chemin d'Eleusis afin de leur faire profiter de la quiétude des lieux, tandis que les autres s'attelaient à suivre l'entraînement des jeunes recrues du Sanctuaire.
Tous étaient à présent installés et, après quelques messes basses, Asturias se leva et s'inclina.
« Mes amis. Nous avons été désignés par les autorités du Sanctuaire afin de sceller un accord final. Nous avons beaucoup échangé ces derniers jours, il convient de mettre un terme positif à nos échanges.
- Vous n'êtes que trois ? J'avais cru comprendre que Mâa devait nous rejoindre, du moins c'est ce qu'il avait dit hier.
- Il ne viendra pas, Thenséric, répliqua Seth. Il rencontre en ce moment le Maître du Sanctuaire et je le remplace pour évoquer les problèmes liés à l'Egypte.
- Très bien, alors je vais commencer ».
Le ton du dignitaire d'Asgard était froid. Depuis plusieurs jours, il n'avait pas caché son agacement vis à vis du Sanctuaire et de cette rencontre maintes et maintes fois reculée. Il se leva donc, le visage voilé par la colère.
« Hommes de Grèce. Hommes au service de celle que l’on nomme Athéna. Depuis le drame d’Astragoth, il est apparu que nos destins sont étroitement liés. Je ne vous apprécie pas, je ne vous demande pas de m’apprécier en retour. J'ai appris à me méfier des Grecs et je n'oublie pas que nous sommes adversaires d'un oncle de votre déesse. Cependant, comme combattants, je vous respecte. J’espère que vous en ferez de même pour nous autres. Aujourd’hui je vais vous exposer des vérités qui attendent de la part du Sanctuaire des réponses claires. Allons à l’essentiel. Nos hommes ont réussi par leur vaillance à vaincre le démon Kragden, ainsi que nous l'avions promis avant votre départ d'Asgard ».
Thenséric désigna alors un à un les Ases et Einherjars qui avaient participé à ce combat suivant les recommandations prodiguées des semaines auparavant par Erda. Par ce geste, la Grande Prêtresse tenait à ce que le Sanctuaire n'oublie pas la force de son allié.
« Cette glorieuse victoire nous a donné un artéfact, la Main de Sotar. Cette dernière nous permet désormais de pénétrer en Niflheim ; c’est le seul moyen existant. Vous avez longuement insisté sur le fait que votre déesse espère sauver les innocents exposés à la folie de ces temps, pour peu qu’ils la vénèrent en retour. Vous savez comme moi que le seul moyen est de refermer Astragoth, de condamner les plus terribles engeances du Chaos à l’enfer glacial du Niflheim. Il faut donc entrer dans le domaine d’Hel pour en finir avec ce spectre funeste. Cette ambition démesurée ne nous intéresse que dans la mesure où elle garantira la paix d’Asgard. A l'opposé, vous avez maintenant besoin de nous pour satisfaire votre déesse ».
Thenséric marqua un temps d’arrêt pour regarder fixement la délégation athénienne. Il fallait voir s’il avait marqué des points ; le visage de Macubex ne laissait rien transparaître, pas plus que celui de Seth. Seul celui d'Asturias semblait marqué par l’inquiétude.
« Dans notre lutte pour sauver Asgard des menaces qui pèsent sur notre Terre Sacrée, vous savez à présent que nous avons découvert que Poséidon, un éminent Olympien, s’est joué de Loki, apportant le malheur dans notre Royaume. Inutile de dire qu’il le paiera, tôt ou tard. En route vers le Sanctuaire, ses serviteurs ont déjà pu goûter à notre colère. Cependant, nous devrons rejoindre la Terre de Mü où nous attendent des Armes qui nous permettront de mettre définitivement Asgard à l'abri des tourments et de tirer une éclatante vengeance ».
La partie devenait serrée, car Thenséric, après avoir exposé la position de force des siens, devait démontrer leur faiblesse actuelle. Il décida donc de parler plus lentement, comme s'il menaçait directement les Guerriers Sacrés.
« Nous savons que pour rejoindre Mü nous devons aller en Egypte et obtenir du dieu Osiris le droit de passage vers cette terre. Or, nos recherches récentes nous ont amené à découvrir qu'Osiris serait mort.
Thenséric sortit de sa poche une petite urne. Des symboles hiéroglyphiques la parcouraient.
- Rahotep a traduit ces symboles : Repose dans le domaine des Morts, Ô Osiris ».
Il coula un regard ténébreux vers les Guerriers Sacrés.
« Mon marché est simple : au nom de notre Prêtresse, au nom d’Odin, guidez-nous à lui. Si nous parvenons à trouver le passage menant en Mü, Asgard se montrera très magnanime et nous vous guiderons vers le Niflheim. Refusez de nous aider et, JAMAIS, vous ne pourrez pénétrer en Niflheim ».
Thenséric se rassit. La balle était dans le camp du Sanctuaire. L’ambiance, oppressante, accompagnait de plus en plus l’idée que tout allait se jouer en quelques mots ; encore fallait-il choisir les bons. Macubex avait écouté avec attention les arguments de Thenséric, tout en surveillant du coin de l'œil Rahotep, Yshba et Thrall. Il prit alors la parole, après un rapide échange de regard avec ses amis.
« Je vais parler en mon nom et non au nom de tous ici. Je n'aime pas les Asgardiens, j’ai mes raisons pour cela. Toutefois, j'ai un profond respect pour toi Thenséric, depuis notre dernière rencontre en Asgard. Pour autant, je n'ai aucune confiance en tes Ases et Einherjars ».
Le visage dur, Macubex regarda tour à tour les trois guerriers d'Odin. Les traits d'Yshba ne laissait aucune part au doute ; il ne désirait à l'instant qu'une chose, lui faire regretter ses paroles. Cela fit sourire la Meute d'Argent.
« Maintenant, il semble que nous ayons besoin les uns des autres. Vous avez besoin de nous concernant Osiris, et nous avons besoin de vous pour entrer au Niflheim. Il semble donc inévitable que nous partagions certaines informations. Mâa vous a déjà renseigné sur Osiris, ce que Akurgal n'a jamais caché, ni toi non plus, Rahotep. Vous en savez donc autant que nous. De votre côté, je note que nous ne savons pas vraiment pourquoi vous désirez vous rendre en Mü ; vous conviendrez que ces Armes dont tu as parlé sont, à tout le moins, mystérieuses. Je note également qu'en venant ici, après avoir massacré des Serviteurs de Poséidon, vous avez placé le Sanctuaire dans une situation extrêmement dangereuse. Nous avions assez d'adversaires sans devoir en sus nous préoccuper de l'Ebranleur des Terres !
- Ils l'ont cherché ! souffla Yshba.
Un petit sourire narquois aux lèvres, Macubex ignora la remarque de l'Einherjar, se concentrant sur Thenséric.
- Pour ma part, pour le bien du Sanctuaire, je m'engage néanmoins à partager ce que je sais, si vous tenez votre promesse en retour. J'ai toutefois une condition à y mettre. Je sais très bien que vous recherchez un artefact légendaire. Je veux que vous suspendiez cette mission jusqu'à ce que nous arrivions au Continent de Mü. Par la suite, vous ferez ce que bon vous semble. Nous devrons concentrer toutes nos forces pour rallier le Continent caché, et je n'aimerais pas apprendre que vous avez trouvé les Pommes d'Or pendant que nous résolvions le problème d'Osiris. Je n'aime pas qu'un allié, fût-il temporaire, me plante une dague dans le dos ».
Macubex se rassit, attendant la réaction des Asgardiens. Asturias le considérait avec circonspection, tandis que Seth souriait en coin. Son franc-parler avait encore fait merveille. On le lui reprocherait sûrement un jour. Il n'en avait cure. Bientôt, le temps viendrait, il le savait, et cela le réjouissait. De son côté, Seth avait semblé passer à côté de la majeure partie de la conversation, prenant visiblement un certain plaisir à voir évoluer un scarabée dans un coin de la pièce. Il paraissait perdu dans un rêve et, pourtant, il ne faisait aucun doute que la réunion avait toute son attention.
« Peut-être devrions-nous aussi, tant que nous y sommes, nous mettre d'accord sur un autre point … », énonça-t-il d'une voix faible. Son regard écarlate se tourna vers Thenséric.
« Tu dis que tu nous aideras ... Dès que nous t'aurons aidé à trouver cette Porte pour Mü. Certains de mes compagnons te font confiance, mais la confiance est un mot vide de sens pour moi.
Il leva la main pour couper court à la montée de sang de Thrall.
- Oh, je sais que vous êtes de grands guerriers et que votre parole tient lieu de serment. Mais si, une fois cette Porte retrouvée, ton dieu ordonne de t'y rendre sur-le-champ, prendras-tu vraiment le temps de nous donner accès au Niflheim ?
Sa voix se fit plus incisive :
- Je vais te donner un aperçu du savoir sur lequel nous avons mis la main. Il est dit que parmi les dieux qui régissent ce monde, l'un d'eux tenterait de duper les autres. Je crois savoir qu’Odin est connu pour son amour légendaire de la ruse …
- Comment oses-tu insulter Odin ! » fulmina Thrall. Thenséric le coupa dans son élan d’un simple regard. « Continue, Phénix », souffla-t-il en raccompagnant d’une poigne de fer l’épaule de l’Ase d’Ull.
« Oui ... Tu es intelligent ... Toi non plus ne prendrait pas un tel risque à ma place », se félicita Seth, la voix douce comme de la soie. « Nous devons tous œuvrer ensemble et, surtout, nous devons trouver un moyen d'avoir confiance les uns envers les autres, ne serait-ce que le temps que nous en finissions avec ce Chaos ». Ce fut à ce moment que l’Egyptien décrocha son premier sourire depuis son arrivée.
Face à ce qu’ils prirent comme une nouvelle provocation, Thrall et Yshba virèrent à l’écarlate. Thenséric dut à nouveau intervenir pour calmer les siens. Bien que très énervés, Rahotep, Thrall et Yshba obtempérèrent. La situation était tendue mais personne n'avait à gagner dans un combat ; du moins pas dans l’immédiat. L’Einherjar répondit enfin, se tournant d’abord vers Macubex.
« Etranger ; tu as cité les Pommes d'Idunn, n'est-ce pas ? Nous savons que certains Grecs les convoitent ; mieux, nous savons que le Sanctuaire est lié à l'assassinat de certains de nos soldats. Nous connaissons, nous aussi, le pouvoir de divination. Sache que ce trésor appartient à Asgard. Aussi je te retourne la proposition : cesse tes recherches jusqu'à ce que cette affaire soit réglée. Dans le cas contraire, tout accord deviendrait caduque, la Main de Sotar serait à jamais détruite. Je fais le serment de vous conduire en Niflheim si vous nous menez à cet Osiris et donc en Mü. Ce serment je le fais ici même, par le sang, sur Odin ! »
Thenséric tendit son bras droit et d'un geste rapide s'ouvrit une veine. Le sang commença à couler. Puis Thenséric remonta sa manche, laissant le sang imbiber le tissu. Macubex le fixa droit dans les yeux.
« Très bien, avança-t-il froidement, dans ce cas je n'ai plus rien à faire ici. Négocie avec les autres ; pour ma part, je refuse ta proposition et me tiendrais donc hors de toute décision. Ils feront ce qu'ils jugeront bon. Quant à ce trésor que tu décris comme vous appartenant, n'espère pas qu'il revienne en Asgard. Tant qu'il est perdu, il n'est pas dangereux. Mais entre vos mains, comme entre celles de l'Indicible ou d'autres, il deviendrait une menace pour nous, pour le Sanctuaire ».
Le Guerrier d'Argent s'adressa alors à ses compagnons.
« Vous saurez prendre la décision la plus juste, mais ne comptez pas sur moi pour m'allier aux Asgardiens. Si vous concluez une alliance, je ferais cavalier seul, que cela plaise ou pas ».
Sur ces paroles, Macubex se dirigea vers la sortie de la pièce. Furieux, Rahotep lui barra la route :
« Pour qui te prends-tu? Au nom de quoi le Sanctuaire serait plus à même de garder ce trésor ? Vous vous croyez supérieurs simplement parce que vous maîtrisez le Souffle Divin ? Sachez que nous n'avons rien à vous envier ! Arrêtez de vous croire au-dessus de tout et de voir le mal là où il n'est pas ! Et n’oublie pas une chose, Etranger : que tu le veuilles ou non, nous sommes liés. Tu es un Elu d’Hattousa, comme moi, comme nos compagnons d’armes !
L’Ase de Forseti fit un pas sur le côté et s'adressa aux deux autres Guerriers Sacrés :
- Vous comptez faire comme lui? Et bien soit, mais sachez que pendant ce temps le Chaos triomphe partout. Gardons nos rancœurs de côté et faisons ce marché qui nous est mutuellement profitable.
Rahotep se rassit, la mâchoire déformée par la rage qu’il contenait à peine.
- Les paroles de Rahotep sont justes, reprit Thenséric. Je suis ici pour parlementer. Il est clair que certains d'entre nous s'opposent à ce rapprochement. Il est aussi clair que la Guerre ouverte avec Poséidon vous met dans l'embarras. J'aurais pu demander la tête de l’Etranger pour le crime qu'il a commis sur nos terres, mais à nos yeux, notre alliance est plus importante ».
Tandis que Macubex quittait la pièce, il se retourna vers Seth.
« Sachez que la parole de l’Etranger ne vous engage pas ; à son propos, je sais ce que je voulais savoir, n’en parlons plus. D’ailleurs, en parlant d’échanges profitables, quelle est cette histoire de dieu destiné à nous duper ? Vous avez visiblement pris connaissance de faits qui nous échappent mais nous concernent ; je suppose que cela est lié à vos recherches sur le fameux sage, Yôô d'Hââ. Il serait bon de nous en dire plus, pour autant que vous désiriez réellement cette alliance ».
Asturias avait observé et écouté la réunion avec une attention soutenue. Certaines révélations ou déclarations lui amenèrent des froncements de sourcils, mais il avait gardé le silence, absorbé par ses réflexions. La tension que connaissaient la plupart des régions du monde semblait prendre corps dans cette pièce exigüe. Ici, très loin d'une débauche d'humeur déplacée, les rancœurs et les drames personnels des guerriers en présence étaient exacerbés. Jeunes gens au destin précoce et tragique, ils avaient dû apprendre l'atrocité et la cruauté du monde plus tôt que les autres. Beaucoup de propos avaient été échangés et, chacune des personnes qui s'était exprimée, l'avait fait avec courage, n'ayant pas peur de dire exactement ce qu'elle avait sur le cœur. Dans ce climat parfois délétère, mais néanmoins propice à une discussion constructive puisque tout y était dit carte sur table, le Dalmate décida, selon la tactique dialectique élaborée plus tôt avec Seth, de répondre enfin aux sollicitations de l’Einherjar. Il se leva et regarda tour à tour les Elus d'Asgard.
« Avant tout chose, je tenais à saluer et remercier les protecteurs d'Asgard d'être présents ici, à nos côtés. Si de par mon allégeance à Athéna, je suis devenu un Gardien du Sanctuaire, je n'en n'oublie pas moins notre destin commun scellé à Hattousa. Je suis un fils de la famille Dagorlad, héritier d'une ancestrale tradition de Gardiens de l'équilibre en des terres aujourd'hui dévastées. A ce titre, je n'oublie pas le passé de mes Ancêtres ; je n'oublie pas non plus le sang versé par le peuple d'Asgard pour aider les miens lorsque que, jadis, l’Indicible tenta de nous éradiquer. C'est une question de respect mutuel, une question d'honneur pour des gens qui, trop souvent, ont tout perdu. Un homme peut tout perdre : ses possessions matérielles, sa famille, ses amis, jusqu'à perdre sa dignité même. Mais il reste une chose que l'on ne peut lui enlever : sa volonté de croire en un avenir meilleur. Sa volonté de se battre pour y parvenir. Parfois, les mots peuvent sonner creux ; ils peuvent être péremptoires et dénués de sens ».
Le Dalmate se leva et posa fermement ses deux mains sur la table.
« Pourtant, à cette table, je vois des hommes porter les Armures Sacrées des légendaires Ases. Je vois l'honneur, le courage et le sens du sacrifice modeler ces protections qui sont devenues peu à peu le symbole de tout un peuple. Thor, Vali, Ull, Forseti ; pas un de ces Glorieux Guerriers de légende n'aurait permis que son Armure Sacrée tombe entre des mains impies. C'est pourquoi votre parole me suffit, Seigneur Thenséric, ainsi que celles de nos compagnons présents ici ».
Le jeune homme s'interrompit pour croiser le regard de tous les gardiens à qui il s'adressait. Il s’arrêta un court instant sur la blessure rituelle de Thenséric. Après un hochement de tête respectueux envers ce geste, il reprit :
« J'ai reçu le mandat de sceller un accord officiel entre nos Domaines. Telle est la volonté d'Athéna. Mes propos ne sont pas de vaines ou diplomatiques paroles ; ils constituent le reflet de ma pensée. Je suis déjà allé en terre d'Asgard, il y a quelques mois pour proposer alliance et soutien, et ce de ma propre initiative. Quoi de plus beau selon moi que de joindre mes forces à d'autres cœurs vaillants dans une lutte désespérée ? Une union guerrière a validé ce choix en nous permettant de percer une part des mystères du Col des Tempêtes ».
Le Dalmate se releva et ferma les yeux un instant. Les rouvrant brusquement, il empoigna un bout de tissu.
« Assurément, il existe des tensions ancestrales entres les puissants ordres qui régissent ce monde ; serviteurs d'Odin et serviteurs d'Athéna n'échappent pas à cette réalité. Mais les tensions et les erreurs réciproques de gestes ou de paroles entre nous ne me feront pas oublier pour autant la voix de la raison ».
Il porta le tissu à son front et essuya les perles de sueur naissantes.
« Je ne connais pas véritablement les motifs qui ont fait quitter cette salle à mon ami, l'Etranger », avança-t-il en baissant les yeux. Il se reprit, plus résolu que jamais.
« Je sais que d'autres parmi mes proches compagnons et certains parmi vous sont farouchement opposés à cette alliance. Mon rôle n'est pas de m'immiscer dans les drames personnels ; l'Histoire oubliera les tensions et les tragédies du passé ; mais faisons simplement en sorte que l'Histoire des Hommes existe encore à l'avenir ! Nos familles, nos amis, les faibles et les innocents seront les premiers à pâtir de nos erreurs, à défaut de nous-mêmes ».
Asturias s'interrompit et inclina la tête, laissant chacun prendre la mesure de ses paroles. « J'ai beau être un passionné des textes, reprit-il en souriant, je connais la valeur des faits et des actes sur les mots ».
Son regard se porta sur Thenséric.
« Ainsi, Seigneur, vous êtes venus ici avec les Gardiens de votre peuple chercher informations et renseignements. C'est parfait, cela fait longtemps que j'attendais ceci. Je suis donc tout prêt et disposé à communiquer ce que vous recherchez. J'ai confiance en vous pour nous épauler en retour, mes compagnons et moi-même, dans les épreuves épiques qui nous attendent.
- Je suis honoré de cette confiance, fit Thenséric.
Rahotep sembla se détendre à son tour.
- Pour ma part, affirma l’Egyptien d'une voix posée, je n'avais aucun doute te concernant, Asturias, pas plus que je n'en ai vis à vis de la majorité d'entre vous. Parle, je te garantis que nous vous aiderons de toutes nos forces ».
Seth se pencha vers Asturias : « Sacré bonhomme, si tout le monde était comme toi, il n'y aurait jamais de guerre, mais nous aurions sacrément mal au crâne ! »
Asturias sourit. Ce moment de relâchement venait à point nommé. Il exposa les faits en se référant comme à son habitude à son carnet devenu légendaire chez ses amis.
« Seigneur Thenséric, ainsi vous devez rejoindre le Continent mystérieux de Mü et avez donc besoin de l'aide du dieu égyptien Osiris. Les informations concernant sa tragique disparition sont, hélas, tout à fait exactes. L'auteur de ce déicide serait Seth ou l'un de ses alliés. Pourtant, cette quête n'est peut-être pas perdue, comme vous le savez à présent. Il existe un moyen de ramener à la vie le dieu vaincu. Sa divine femme, Isis, serait en effet en mesure de réaliser ce prodige. Mais pour ce faire, elle a besoin que nous lui ramenions l'essence divine de son mari contenu dans quatorze pièces symbolisant le corps du défunt. Il semble clair qu'il ne s'agisse pas en effet du corps lui-même, du moins c'est ce que je pense. Ces artéfacts ont été répandus aux quatre coins du monde et certainement protégés par la puissance de Seth et de ses gardiens. Sachez qu'Athéna, par la voix du Maître du Sanctuaire, a décidé d'aider Isis. Nous aussi devrons rejoindre le Continent de Mü ».
Seth fixa avec délectation les quatre Asgardiens qui ne cachaient pas leur surprise. Feignant de ne rien voir, Asturias poursuivit.
« Pour ce qui est de Yôô d'Hââ, le Sage des Sages a bel et bien disparu, laissant derrière lui un texte que nos meilleurs érudits s'attachent à traduire. Ce texte parle bien, en effet, d'une divinité vouée à duper toutes les autres et du Continent de Mü. Surtout, ce texte évoque le fait que l'Indicible soit capable de tuer les dieux. Nous devrons donc un jour le combattre ; nous pouvons cependant profiter pour le moment de la bataille qu'il mène face au Maître des Tumultes et Arès, ainsi que nous en avons discuté avant-hier avec Akurgal et Rahotep ».
Il fronça les sourcils. « Le choix des hommes va déterminer ainsi l'avenir des dieux, c'est du moins ce que nous en avons compris. Si vous êtes toujours prêts à faire alliance, je suis prêt à vous en expliquer plus, que ce soit sur la résurrection espérée d'Osiris ou sur le maelstrom qui secoue le monde ».
Asturias inclina courtoisement la tête en respect du temps de parole qu'on lui avait accordé. Face à lui, Thrall échangea quelques mots avec Yshba, mots étouffés par le souffle d'un coup de vent extérieur.
« Tu parles toujours aussi sagement, Asturias de Dalmatie, glissa Thenséric après quelques instants de silence. L’Etranger, ton ami, désire vouloir prendre le trésor d’Idunn, appartenant à Asgard. Sache que nous ne nous y opposerons nullement. Je sais de quoi il retourne à présent ; il n'a aucune chance de parvenir à ses fins. Je sais qu'elles finiront par nous revenir ou disparaître à jamais ».
Thenséric marqua une courte pause. « A présent qu’il n’existe plus de problèmes entre nous concernant cette affaire, j'aimerais revenir sur Yôô d'Hââ. Vous avez accès à son texte : pourrions-nous espérer un jour le voir ?
- Cette décision n'est pas de mon ressort, répondit Asturias, qui cachait mal sa gêne, mais sache que moi-même je n'ai pu l'approcher.
Thenséric, qui semblait s’attendre à cette réponse, le réconforta.
- Ce n’est pas bien grave ; peut-être plus tard ».
Il se tourna vers Rahotep et lui fit un signe de la tête. Ce dernier sortit alors un parchemin, se leva et le lut à voix haute.
« Avant de vous rejoindre, nous avons discuté hier soir des bases d'un accord possible, officiel et reconnu par tous. Voici ce que nous vous donnons :
*Un droit de passage en notre compagnie en Niflheim.
*Une aide dans cette quête des "morceaux" d'Osiris.
*Un droit de poursuivre vos recherches sur les Pommes d'Idunn.
Rahotep redressa la tête.
- Je ne reviendrais pas sur les Pommes d’Idunn, tout a été dit.
Il reprit sa lecture, comme si de rien n'était.
- Enfin, des informations que notre Grande Prêtresse jugerait utile de vous fournir. La confiance entre nous sera plus que difficile à obtenir, mais les serviteurs d'Odin sont des hommes d'honneur. Maintenant, voici ce que nous demandons :
*Considérant les liens de longue date entre le Sanctuaire et Isis, confirmés par les récents événements, nous demandons de nous mener à Osiris ; ainsi nous le convaincrons de nous montrer la voie du Continent de Mü.
*Secondement, tenez-nous au courant des découvertes liées à Yôô d'Hââ.
*Enfin, partagez tout ce que vous savez sur ce qui semble nous menacer, tous ».
Thenséric prit la parole à son tour tandis que l'Egyptien se rasseyait.
- J’ajouterai que ces requêtes ne sont plus négociables.
- Tes paroles sont éclairées, Thenséric. J'avais bien dit que tu étais intelligent, répondit Seth avec un petit sourire au coin des lèvres. Alors écoutez, Hommes du Nord, car voilà ce que je propose à mon tour en notre nom. Asgard tiendra sa parole en désignant deux hommes, deux des êtres que votre divin protecteur chérit le plus, ceux que vous nommez Ases, pour nous guider vers Niflheim. En retour, le Sanctuaire désignera lui aussi deux hommes, deux Guerriers d'Argent, si chers au cœur de notre déesse Athéna, pour guider les Asgardiens vers Mü que nous rejoindrons ensemble. Ainsi, chacun sera tenu d’être fidèle à sa parole, ou devra sacrifier deux de ses plus valeureux éléments.
Seth devint étrangement absent.
- Tel est l'accord que je propose. Vous semble-t-il juste ? Ou vous obstinerez-vous à me parler de ce mot vide de sens ... La confiance ? »
L'Egyptien sembla un moment dégoûté que ce mot soit passé par ses lèvres. Puis il reprit, calmement :
« Ceci est l'accord que j’accepterai. Sinon, je me joindrai au Guerrier qui a quitté cette pièce, et tenterai par mes seules forces de réussir ma mission ».
Seth se rassit, apparemment indifférent à la suite. Thenséric se retourna vers ses compagnons ; le marché semblait honorable. Chacun des serviteurs d'Odin se regardait et songeait à qui pourraient être ces représentants médiateurs d'Odin, devenant sorte d'otages de cette improbable alliance ....
« Pour ma part, ceci me convient. Cela garantira la tenue du Pacte. Je propose que les deux Ases qui se sont montrés les plus à même de discuter avec vous soient nos deux représentants : Rahotep et Akurgal. Au regard de leurs origines égyptienne et mésopotamienne, ils sont aussi les plus qualifiés pour cette mission. Nous vous conduirons en Niflheim, mais pas avant que nous soyons tous prêts. Car je dois vous avertir : le Domaine de Hel ne permet à aucune divinité, pas plus Odin qu’Athéna, de pouvoir nous venir en aide ... nous n'aurons le droit qu'à une seule tentative. Nous tiendrons parole ; à vous de faire un geste : que savez-vous que nous ne savons pas ?
- En ma qualité de Héraut du Sanctuaire, je prends acte et valide cet accord, répondit Asturias. Et je vais joindre le geste à la parole en répondant à votre requête : vous devez savoir qu'en des temps reculés, un jeune guerrier au courage désormais légendaire, permit à certain dieu de remporter la victoire des cieux. Râ, Zeus et Enlil, grâce à la main innocente du jeune combattant, purent enfermer les dieux vaincus dans un lieu perdu et abandonné, au cœur du monde dans les profondeurs du Niflheim, dont Astragoth constitue la porte de sortie. Mais le sceau qui renfermait les anciens démons fut brisé lors de notre passage. Et bien sachez que nous pensons que ce jeune guerrier fut Odin en personne ! Voilà pourquoi tant d’entités voudraient la perte d’Asgard. Nous souhaitons entrer dans Niflheim pour refermer le sceau. Je vous en raconterai plus, au fur et à mesure que notre alliance sera effective. Cela me paraît normal, Seigneur Thenséric ne trouvez-vous pas ? Considérez déjà que nos connaissances sont grandes, y compris à propos de vos terres … Peut-être souhaiteriez-vous dès maintenant expliquer votre hâte à rejoindre le légendaire continent de Mü qui n'est pas réputé pour sa collection d'orchidées sauvages, auquel cas je serai disposé à vous en apprendre davantage, dans la limite de mes moyen, bien entendu ... Que devrions-nous savoir Seigneur Thenséric, afin de lancer notre alliance sous les meilleurs auspices ?
- Odin nous a envoyé un signe : cette terre est la clé d’un Mystère qui nous permettra de préserver à tout jamais Asgard des vicissitudes de ce monde. Voilà, tu en sais autant que moi ».
Thenséric avait donné cette réponse sans hésiter, regardant Asturias droit dans les yeux. Puis, il sourit. « Voilà, maintenant ce pacte est lancé sous de bons auspices ! »
Soudain, l'unique porte de la pièce s'ouvrit avec fracas, brisant la concorde qui semblait enfin présider aux destinées de cette réunion. Séléné apparut dans l'embrasure et s'avança, calmement. Il tira une chaise et posa un pied dessus, tous les regards fixés sur lui.
« Cette mascarade a assez duré. J'aimerais connaître les raisons de la présence ici de Barbares tels que vous. Alors comme ça on veut nous empêcher de récupérer les Pommes d'Or ? Bon, apparemment, vous possédez quelque chose qui pourrait nous être utile, mais ce n'est rien comparé à ce que nous nous avons ! Vous voudriez sûrement que l'on vous donne nos informations, chose que nous ne ferons pas ! Vous n'êtes que de faibles Barbares à peau de bête, un peuple déchu, enfermé dans des grottes glaciaires ! Vous n'avez jamais prouvé votre valeur réelle, vos guerriers sont faibles ! Je n'ai aucune confiance en vous et vous espérez pouvoir nous empêcher de mener à bien notre quête ! »
Alors que le Cimmérien se campait sur ses puissantes jambes fier de sa tirade, les bras croisés, le sang du Dalmate ne fit qu’un tour.
« Séléné, tu n'as rien à faire ici ! Excuse-toi tout de suite et sors !
- Ta gueule ! Au lieu de parlementer avec cette merde, tu devrais soutenir tes compagnons ! Que je sache, l’Etranger est l’un des nôtres ! Tu nous trahis !
- J’ai dit sors ! A l’instant !
- Laisse donc, Asturias », fit Thenséric.
Le noble se tourna vers Séléné qui le toisait. Il le dévisagea lentement.
« Tu es de forte stature et la puissance transpire dans chacun de tes mouvements. Je ne doute cependant pas un instant que je pourrais te tuer sur le champ. Si tu es aussi sur les traces des Pommes d’Idunn, tu dois faire partie des assassins qui ont souillé notre terre. Tu es prêt à tout pour elles, n’est-ce pas ? Et bien vas-y. Suis l’Etranger. Faites donc ; je sais que vous échouerez ».
Se retournant vers Seth et Asturias, Thenséric se fit plus grave.
« Tenez à l’avenir vos jeunes coqs tranquilles ; un Barbare de ma trempe pourrait bien un jour s’emporter. Reprenons nos négociations et laissons cet ignorant s’agiter dans son coin ».
« Non, c’est trop facile ! » éructa Thrall. Il poussa violemment la table et se leva, prêt à bondir sur Séléné.
« Ecoute-moi bien, abruti sans cervelle : nous sommes venus ici pour sceller une alliance. Vous avez besoin de nous ! Si, dans vos rangs, certains ne partagent pas les idées qui sortiront de cette réunion, alors cette union restera vide de sens ! Il est inconcevable que je me batte à côté de ce genre de débile !
- Le débile va te bouffer tout cru ! » Séléné écarta d’un geste violent la main d'Asturias qui tentait de le retenir. « Je mènerai ma mission jusqu'au bout ! Je ramènerai les Pommes d'Idunn ! Mais avant, je vais offrir ta tête à Kröm !
Yshba éclata de rire.
- Si la stupidité était une divinité, tu en serais assurément le représentant. Sombre crétin, vas-y, vas chercher les Pommes Sacrées. Tu as notre bénédiction ! Mais n’espère surtout pas pouvoir toucher à l’un des Nôtres sans dommage ; tu n’es pas de taille ».
La porte, que Séléné avait laissée ouverte, se ferma lentement dans un léger crissement. L’assemblée se retourna vers le nouvel arrivant. Vêtu un peu à la manière des Asgardiens, c’était pourtant un serviteur d’Athéna qui venait d’entrer. Le Maître de Crystal, qui était là depuis quelques minutes, avait attendu le moment opportun pour pénétrer dans la pièce.
« Séléné, toujours là où nous ne l'attendons pas. Il semblerait que cette période troublée aiguise les passions destructrices. Par Athéna, je respecte Asgard. La pureté de son sol enneigé n’a pas d’égal dans ce monde. Vos ciels d’aurore boréale sont autant d’instants magiques que la terre ancestrale de Grèce ne peut connaître. Le moment de tester nos forces n’est pas venu, loin de là ».
Ludoxandros vint à côté de Séléné. Il lui posa la main sur l’épaule. Il plongea lentement ses yeux noirs dans son regard enragé.
« Séléné. Guerrier Sacré de l’Ours. Ton courage n’est plus à démontrer ; il est aussi légendaire que ta stupidité. Dans ce qui nous attend, nous aurons besoin de ces «barbares», comme ils auront besoin de nous. C’est la volonté d’Athéna ; tu dois t’y plier ».
Le Maître de Crystal marqua une pause et balaya calmement l’assemblée.
« Au nom d’Athéna, je suis venu vous confirmer la parole de nos émissaires : Asgard aura tout notre soutien dans le cadre des luttes communes qui nous attendent. Qu’il soit clair que nous allons partager des moments tragiques. La confiance est un vain mot, si elle n’est pas suivie d’actes concrets. Je laisse à Asturias d’Arachné le soin de conclure cette alliance. Qu’il organise au nom du Sanctuaire les opérations en collaboration avec les vôtres, Hommes d’Asgard ; tels sont les ordres de notre déesse. Quant à moi, je suis ici pour me battre et ôter des vies divines, pas pour gérer les humeurs de quelques excités. Toute personne qui mettra en danger cette alliance sera à jamais enfermée dans un cercueil de glace afin d’y méditer sa bêtise ; Asgardien, Guerrier Sacré, peu m’importe.
Il se tourna vers Séléné.
« Modère tes propos, Ours de Bronze ; réponds aux ordres sans faillir. Bientôt, tu pourras épancher ta soif de combats. Sors d'ici maintenant et rejoins l'Etranger ; il t’attend ».
Séléné poussa la chaise et, sans un regard, s'apprêta à quitter la pièce lorsqu’Asturias lui prit le bras.
« Nous sommes tous ici des hommes libres et nous avons tous le droit de nous exprimer en tant que tels. Il faut en revanche se plier à l’intérêt commun ; n’oublie pas non plus que je suis ici au nom d’Athéna, tout comme Seth ; tu dois nous obéir. Quant aux barbares, qualification honteuse dont tu affubles les Elus d'Asgard ici présents, j'aimerais te rappeler certaines évidences. Je ne suis pas non plus un Grec de sang. Suis-je alors un barbare primitif ? Et toi ! Cimmérien ; ton peuple n'est pas réputé pour son penchant pour l'art et la lecture, il me semble. Ta capacité à juger ce qui est barbare de ce qui ne l'est pas m'a l'air fort compromise. Il n'est pas question de s'aventurer dans les missions dangereuses qui nous attendent avec une vision aussi étriquée du monde. J'espère que tu es capable d'autre chose que des accès de colère et ce sourire narquois dont tu nous affubles dès à présent que tu as fini de beugler. J'ai de l'estime pour toi, et tu sais que je t'ai soutenu dans de nombreuses situations. Mais ne va pas t'imaginer que tes caprices seront supportés sans conséquences. Aucun des Asgardiens présents ici ne t'a demandé en mariage. A partir de là, la seule chose qui motive ta présence ici est ta fidélité à Athéna. Prouve-le avec un comportement adulte et responsable. Nous sommes tous des guerriers au service de nos divinités. Il est temps d'agir comme tel et de remplir nos objectifs ».
Le Dalmate relâcha l'étreinte et fixa son ami d'un air moins dur.
« Je compte sur tes sens surdéveloppés et ton courage pour affronter nos adversaires qui n'ont que faire de nos origines et de nos croyances. Ne nous abandonne pas au moment où nous avons le plus besoin de rentrer en guerre. Si ce n’est pour toi ou Athéna, fais-le pour Kröm ».
L’Ours de Bronze soutint son regard quelques instants puis quitta la pièce sans un mot, simplement accompagné par les grognements réjouis de Thrall et d’Yshba. « C’est valable pour vous aussi ! » fustigea Rahotep en tapant du poing sur la table. « Ceux qui ne souhaitent pas aider les Grecs n'ont qu'à partir. Le Destin de ce monde ne trouvera une issue positive que si nos guerriers ont un cœur vaillant et la foi en nous ».
Il se calma et s'adressa à tous : « La route sera longue, mais nous parviendrons à nos fins si nous arrivons à contenir nos membres les plus virulents.
- Tu as raison Rahotep ! » s’enthousiasma Asturias, sous le regard amusé de Seth.
Il se retourna vers les autres membres de l'assemblée, l'air plus déterminé que jamais : « Oui, c'est une guerre. Et les malheureux qui subissent de plein fouet les horreurs et les supplices générés par les puissances occultes n'ont aucun intérêt pour nos divergences. Ils ont au contraire besoin d'hommes de courage et de vaillance, prêts à se sacrifier en commettant l'impensable : vouloir contrarier le plan des dieux. Cette simple pensée m'aurait fait sourire il y a encore peu. Pourtant, nous avons tous pu voir que les divinités sont comme les Hommes, capables de mesquineries et de bassesses. Nous sommes, hélas, très loin d'égaler leur puissance ; nos victoires sur des dieux mineurs ne prouvent rien de déterminant, si ce n'est les immenses progrès que nous avons faits. Il est temps pour les hommes de tous les horizons de prendre les armes, il est temps de leur montrer que l'humanité ne souffrira pas, ne capitulera pas sans se battre. Il est temps que la peur change de camp ! »
Seth se rapprocha de Ludoxandros et lui souffla à l’oreille : « Cette fois-ci, on ne l’arrêtera plus ; il est parti pour deux heures de discours ! »
La Dalmate, emporté par son enthousiasme, ne releva pas cet aparté et poursuivit en se tournant vers Rahotep.
« Je partage ta vision des choses. Niflheim n'a pas été nommé la porte des Enfers pour rien et nos querelles ne nous serons pas d’une grande aide pour l’affronter.
- Tu as raison. La liste des entités qui ont pu s'échapper d'Astragoth est longue de lamentations et de destructions. Nous devrons être prêts à tous les sacrifices avant de pouvoir y pénétrer.
- Ils seront en effet difficilement vaincus, eut égard à leur force ou à leur nombre. Mais, pourtant, les subtilités de la guerre nous offrent encore le plus sûr moyen de vaincre sans combattre nos adversaires. En tant que représentant d'une divinité guerrière qui allie sagesse et ruse, Hantacore nous a suggéré d’entraîner nos ennemis sur un terrain où ils ne seront plus maîtres du jeu. Ainsi, en refermant Niflheim, nous n'aurons pas à les affronter directement. Je doute que ces dieux pensent que nous puissions nous rendre dans le domaine infernal de Hel ; méprisant les Mortels, ils ne porteront pas leurs regards vers ce qui sera leur ultime tombeau, si notre plan se réalise. Concernant nos objectifs plus proches, notamment égyptiens, il est clair que la déesse Isis est au cœur de nos enjeux. De par sa capacité à ranimer Osiris, son défunt mari, elle pourra nous aider indirectement à rejoindre le continent de Mü ».
Asturias se tourna vers Ludoxandros qui, d’un signe de la tête, lui donna son accord.
« En gage de bonne entente, dit-il, et puisque vous nous l'avez révélé vous concernant, sachez qu'Isis en échange de notre soutien nous donnera également accès à de larges connaissances. Ainsi la première : savoir qui ou ce qui, à terme, nous permettra d'agir contre les démons et les entités échappées de Niflheim ; en d’autres mots, des éléments nous permettant de survivre aux épreuves qui nous attendent. La Quête d'Isis est donc un objectif commun décisif ; elle passera par des recherches réparties aux divers confins du monde, sur les traces des reliques perdues. Sachez en outre qu’il a été établi de manière quasi certaine que Seth et Anubis ont dispersé certaines reliques ici même, en Grèce ; nous sommes sur leurs traces. Les deux divinités ont utilisé des messagers, dont une Momie, être en provenance du monde des Morts à la puissance redoutable. Mais il y a peut-être d'autres priorités, d'autres voies à explorer. En avez-vous en tête ? »
Thenséric se retourna vers ses compagnons. Après avoir échangé quelques mots avec eux, le Seigneur se retourna vers les trois serviteurs d'Athéna : « Il y a bien autre chose, en effet. Comme vous le savez, la première est que les dieux de Mésopotamie lancent des attaques hostiles contre nos terres. Nous tentons d'en apprendre plus grâce à Akurgal mais les raisons demeurent encore obscures. La seconde concerne le cas de Poséidon : nous devons nous mettre d’accord. Notre Grande Prêtresse a été très claire : vous devez à tout le moins montrer une bienveillance affirmée dans notre lutte face au Souverain des Mers.
- Nous vous laisserons agir selon vos intérêts et n’interviendrons pas contre vous, répliqua Ludoxandros, le sourire aux lèvres. A présent que nos différends ont été balayés, je pense que nous devrions mettre au point un plan de bataille afin de mener de front toutes ces missions. Cette nuit sera longue mais, au petit jour, nos deux Domaines Sacrés ne feront plus qu’un : une force qui, j’en suis certain, conduira ce monde vers une nouvelle ère ! »
***
Sanctuaire, le lendemain
Il marchait sur les pierres froides et lisses. Seul. Il était seul. Il avait oublié de rejoindre les Ombres lorsque la Mort s’était penchée sur lui. Il n’avait pas répondu à son appel, pourtant réconfortant. Il avait décidé de vivre ; il avait alors cessé d’exister. Il fit quelques pas, d'une démarche lourde, les pierres gémissant sous ses pieds. Il aurait pu espérer que tout s’arrête. Mais il avait vu, au seuil de son trépas, les images d’un futur qui restait incertain. Alors, il avait choisi de ne pas disparaître. Il luttait pour que ses désirs enfouis ne fissent pas voler en éclat cette muraille, ce Masque si ténu qui le séparait de ses aspirations les plus profondes. Il luttait pour ne pas regarder en lui. Le Maître du Sanctuaire s'accrochait désespérément à une pensée unique qui l'obligeait encore à avancer mécaniquement entre les fléaux de ce monde à l’agonie. Une vision. Une mission. Avancer, droit devant lui, un pied après l’autre ; les conduire jusqu’au bout, avant de plonger dans l’Oubli, enfin.
« J’avoue avoir du mal à tout saisir, Hantacore ».
La voix presque geignarde du Guerrier de la Coupe, tira le vieux sage de ses pensées.
« Tu es là pour servir Athéna, tout comme moi Krateros, répondit-il mécaniquement. Il n’y a pas matière à discuter les ordres de notre déesse.
- Ce n’est pas le propos, et tu le sais, riposta son interlocuteur, agacé. Nous avons été les premiers Guerriers Sacrés, nous avons donné nos vies au Sanctuaire. Ce que nous avons bâti de nos mains est en train de s’effondrer. Nos compagnons, ceux avec qui nous avant tant partagé, Galandros, Philomène, Astalos, tous sont morts. Et tu nous demandes à présent de laisser ces jeunes affronter seuls ces forces terrifiantes ? Nous connaissons parfaitement le monde qui nous entoure ; cette nouvelle génération, ces « Elus » comme tu aimes à les appeler, qui sont-ils vraiment pour avoir de telles responsabilités ?
- Hantacore t’a signifié les ordres d’Athéna : n’étale pas tes doutes au grand jour, souffla froidement Ludoxandros qui était adossé au mur, les bras croisés.
- Je ne doute pas, je m’interroge. Je ne suis d’ailleurs pas le seul visiblement, ainsi que l’a montrée ton intervention hier soir.
- C’était sur recommandation d’Actée, rectifia le Maître de Crystal. Voyant cet idiot incontrôlable qu’est Séléné se diriger vers la salle du conseil, elle m’a convaincu d’agir afin de sauver les négociations en cours.
- Mais tu es resté toute la nuit, ce qui suggère que tu avais plus à faire que de t’occuper de cet idiot », souffla Krateros en s’arrêtant soudain.
Les trois hommes se jaugèrent un instant. Il faisait étrangement assez froid pour la saison et Hantacore resserra son manteau autour de ses épaules. Le Maître du Sanctuaire fit quelques pas et s’assit sur la balustrade du chemin qui surplombait la partie basse de l’acropole.
« La vallée du Sanctuaire est le plus bel endroit qu’il m’ait été donné de voir », confia-t-il en laissant son visage quitter son hiératisme usuel. Ses deux compagnons vinrent à ses côtés et profitèrent à leur tour du paysage, voilé d’une fine couche de brume. Krateros plissa son regard.
« Alors, tout est écrit à présent, dit-il d’une voix grave.
- Tout est écrit depuis bien longtemps. La seule chose que nous ne connaissons pas encore est le chemin qu’ils vont emprunter. Mais pour le reste, tout a commencé.
Krateros se tourna vers Hantacore.
- Je suis heureux de revoir ton sourire, mon ami.
- Vous êtes les deux seuls à le connaître, en dehors d’Athéna. Il est rare que je puisse venir ici et laisser le vent caresser ma peau, rafraîchir mes vieilles joues usées par le temps.
- Je suppose que tu ne nous as pas faits venir ici pour rien.
- Non Ludoxandros, en effet, vous n’êtes pas venus pour profiter de mon charme.
Le Maître de Crystal esquissa un sourire.
- Qu’en est-il de Mâa ? questionna-t-il après un échange de regards complices avec ses amis.
- Il sera celui qui écrira une nouvelle page du Sanctuaire. Il organisera le nouvel ordre appelé à nous succéder le moment venu.
- Alors Isis a gagné, avança Krateros. Nous n’aurions pas dû répondre à son appel. Cette histoire de reliques va nous exposer inutilement.
- Je doute qu’Athéna ait eu le choix, rectifia Hantacore. Nous devons nous assurer de contrôler les deux dernières Portes accessibles pour avoir une chance de réussir à sauver ce qui peut l’être ».
Une rafale plus forte emporta les remontrances de la coupe d’Argent. Finalement, il souffla entre ses mains jointes. « Mü, glissa-t-il finalement. Ils vont aller sur le Continent Oublié. J’aurais aimé être des leurs et m’initier au Grand Mystère.
- Nous avons un autre rôle à jouer », fit le Maître du Sanctuaire en jouant avec ses bagues. Il coula un regard amical vers son compagnon. « Et de ton côté, tout est en place ? »
Krateros fit mine de réfléchir un instant.
« Oui, tout est prêt. Kamènes doit déjà être à Hattousa avec les Guerriers qu’il commandait afin de préparer la défense du Sanctuaire de Cybèle. Pour le reste, nos forces sont prêtes.
- Humly ?
- Il travaille toujours sur les fameuses Boîtes qui doivent permettre de régénérer les Armures Sacrées. Il prépare également l’expédition vers Mü, rassemblant toutes les informations nécessaires.
Hantacore hocha la tête.
- Et l’Etranger ? Qu’as-tu décidé à propos de sa mission ? questionna Krateros.
- C’est une pièce essentielle dans notre jeu. Il fera ce que bon lui semblera, du moins pour le moment.
- Il risque de nous poser problème, assura Ludoxandros, visiblement aussi sceptique que le Guerrier de la Coupe. Je doute que ses compagnons restent les bras ballants s’il créé des tensions avec les Asgardiens.
- Tu as raison, mais c’est une décision qui a été tranchée. Athéna a ses raisons, nous devrons composer avec l’Etranger ; elle tient beaucoup à ces Pommes d’Or. D’ailleurs, pour rebondir là-dessus, que penses-tu de l’accord d’alliance ?
- Asturias est un Guerrier que j’apprends à apprécier. Il parle beaucoup, jusqu’à en être insupportable, mais ses talents de négociateur sont affutés et appréciables. Finalement, je ne regrette pas sa survie après le siège ; il a toute son utilité. J’ai parallèlement été surpris par Seth ; ce n’est pas un Guerrier de Bronze comme les autres, il a quelque chose en plus.
- Athéna a insisté pour qu’il soit présent à la place de Shiro ; elle croit beaucoup en lui.
- Alors, coupa Krateros, et cet accord ? »
Ludoxandros se plongea dans une réflexion intense. Il y a avait tant à dire qu’il ne savait pas par où commencer. Finalement, il se lança.
« Asgard et le Sanctuaire seront alliés jusqu’au départ vers Mü. Nous sommes convenus que, durant ce laps de temps, Poséidon sera un ennemi commun que nous affronterons si ce dernier attaque Asgard. Il nous a été impossible de faire moins. Je sais par ailleurs qu’Athéna ne voit pas d’un bon œil la mainmise de ce dernier sur les terres qui étaient sous notre garde, nous avons donc une raison légitime de nous battre. Je doute de toute façon que Poséidon agisse avant … »
Un pli barra son front. Il ne savait comment aborder la question, ni même s’il devait le faire. Le Maître de Crystal se retint et chercha ses mots.
« Avant l’Epilogue, fit Hantacore.
- Oui, c’est ça, merci. Avant l’Epilogue ». Le Maître de Crystal souffla lourdement, semblant se libérer d’un poids trop lourd.
« Pour le reste, reprit-il, c’est assez simple. Les Elus, menés de concert par les Ases et les Guerriers d’Argent, accompliront la quête d’Isis, ouvrant ainsi l’accès à Mü. Dans un second temps, nous en finirons avec Shamash et la menace qu’il représente pour la terre d’Asgard et les populations non protégées par les dieux en général.
- J’ai de gros doutes au sujet de cette histoire ; Enlil n’a pas besoin de Shamash pour détruire Asgard. Il n’a pas besoin de faire fondre la glace pour ravager ces terres.
- Peut-être Krateros, mais Thenséric affirme que la Grande Représentante d’Odin a vu un signe, un lien entre les troubles affectant Asgard et Shamash. Tôt ou tard, nous devrons en finir avec la maison d’Enlil ; il sera intéressant de voir les Elus à l’œuvre. En échange de notre collaboration face à cette menace, Thenséric et Rahotep, les deux principaux négociateurs, nous laissent la liberté de récupérer l’Objet dans l’Antre de l’Indicible. Je crois qu’ils ont renoncé à courir plusieurs lièvres à la fois ; ils ne se doutent pas de l’importance du Livre. Une fois cet acte accompli, il sera temps de préparer l’expédition pour Niflheim. Entre temps, les Asgardiens resteront ici et iront sans doute en quête des Pommes d’Or d’Idunn. Ils semblent sûrs de leurs faits et ne craignent pas la concurrence de l’Etranger. Ils sont d’ailleurs assez assurés pour laisser Asgard sans la protection des Ases.
- Ils doivent disposer d’un atout non négligeable qui nous échappe encore. Odin est un grand devin, maître de connaissances qui échappent aux Olympiens eux-mêmes.
- C’est une certitude, Hantacore. Outre d’autres Einherjars, je pense qu’Odin a dû réveiller des forces lui permettant de confier sa terre dans des bras redoutables. J’ai toujours considéré qu’il valait mieux avoir Asgard avec nous que contre nous. Ce peuple pourrait causer la perte de tous ceux qui oseront braver la fougue de ses guerriers ».
Ludoxandros marqua une pause et se leva. Il croisa les bras et regarda longuement la vallée embrumée, semblant y voir les signes avant-coureurs des épreuves à venir.
« Lorsque Astragoth sera refermée, nous avons décidé de convenir d’un moment pour rejoindre, tous ensemble, la Terre de Mü. Il sera temps pour chacun de reprendre sa liberté.
- Mü. Poséidon. Plus j’y songe, plus je pense que nous risquons de semer là les graines d’une guerre future, lâcha Krateros. Je doute réellement que le Roi des Océans nous laisse pénétrer ses terres, d’autant que le pacte qui le lie à Zeus et Hadès est très clair sur ce point. Athéna risque gros, très gros, à se lever contre sa famille.
- Zeus est occupé à garder le Tartare dans lequel il a enfermé les Titans. Le désordre actuel ne fait qu’accentuer la menace d’un effondrement du Tartare et, de là, un retour de Cronos. Hadès, quant à lui, doit affronter les myriades d’adversaires du Monde des morts afin de s’y tailler un royaume, il est peu probable que le sort de son frère l’occupe réellement. Quant à Poséidon, l’inimitié qui le lie à Athéna fait que ce conflit doit arriver un jour ou l’autre ; notre position aux côtés d’Odin le confirme à loisir. Non, conclut Hantacore, rien de tout cela ne m’inquiète plus qu’Astragoth. Je n’oublie pas non plus qu’Athéna jouit de la protection de son père ; Poséidon ne tentera pas d’attaquer directement le Sanctuaire parce que nous violons une terre qui lui a été confiée, mais qui ne lui appartient pas. Mü n’est pas son Sanctuaire sous-marin ».
Krateros acquiesça d’une moue dubitative. Il décida de relancer la question qui occupait son esprit depuis quelques minutes : « Et l’Epilogue ? »
Ludoxandros se retourna vers son compagnon pour répondre, mais Hantacore le devança. « Athéna décidera quand le moment sera venu. Jusqu’ici, tout se déroule ainsi que je l’avais établi. Lorsque qu’Âtman aura fini son œuvre, plus rien ne pourra nous arrêter.
- Il n’a pas uniquement trouvé le moyen de réparer nos Armures, n’est-ca pas ?
- Il a ouvert la voie vers la seconde Porte. Tu le rejoindras en temps voulu, Ludoxandros, mais en attendant, que ceci ne quitte pas cet endroit. Lorsqu’ils auront été libérés, il sera temps de nous hâter.
- Tu crois réellement que les dieux laisseront cette prophétie s’accomplir ?
- Ludoxandros a raison : Baal et Shiva ne le permettront pas.
- Mais, mes amis, jamais les dieux de ce monde n’ont voulu que le sceau d’Astragoth fût déchiré ; et, pourtant, ces Elus l’ont fait. Vous me demandez si la Prophétie va s’accomplir ? Mais tout a déjà commencé ; Baal pas plus qu’un autre ne pourra s’y opposer ».
Les trois hommes se turent. Le visage d’Hantacore se figea et il se leva, regardant en contrebas la course de quelques enfants. Ils se dirigeaient vers Frank, de retour d’Eleusis avec Shiro, Akurgal et Nibel. Le Guerrier du Lézard était particulièrement aimé au Sanctuaire où sa gentillesse et sa proximité faisaient merveille. Pour Hantacore, la solitude allait reprendre le dessus. Aussi, un dernier instant, il se serra contre Ludoxandros et Krateros. Puis leurs chemins se séparèrent.
Le trophée de Dimitre
« Vas-y Meijuk !!! Massacre-le !!! »
Dimitre n’en pouvait plus. Surexcité, il sautait sur les gradins de l’arène et brassait de l’air comme un fou, comme s’il devait affronter un adversaire terrible.
« Mais dégage-toi bon sang !! Par Odin, tes coudes, plante tes coudes dans ses côtes !
- Il ne peut pas, l’étreinte de Minosandre est trop dure.
- Ta gueule Hanz ! Ces Grecs trichent ! Quelle idée de se battre nus comme des vers, enrobés d’huile ! Ils doivent avoir l’habitude eux, c’est facile ! »
Dans un ultime effort, Meijuk se dégagea mais le genou droit de son adversaire vint le cueillir et l’envoya mordre la poussière. Dimitre poussa ses voisins et sauta dans l’arène. Arrachant littéralement ses vêtements, il pointa du doigt les spectateurs médusés.
« Par les couilles de Loki ! On s’est fait avoir ! C’est à mon tour ! Pour une revanche ! Qui vient m’affronter ?
Artholos se leva.
- C’est fini Dimitre, les règles étaient claires depuis le départ. Un champion pour chaque camp et un combat loyal. Meijuk a perdu, c’est tout.
- Mauviettes !
- Allez Dimitre, fit Canagan, viens donc par ici. Nous allons fêter la victoire de Minosandre en buvant un peu de leur vin. Les gagnants régalent.
- Des femmes, les Grecs ne sont que des femmes », pesta le Caucasien en se rhabillant.
Plusieurs jours avaient passé depuis la signature de l’acte d’alliance et les tensions avaient cessé, même si elles restaient vivaces dans les cœurs de certains Elus. Après le départ de Thenséric pour Asgard, décision avait été prise de rejoindre Hattousa. Les Elus espéraient pouvoir rencontrer Cybèle et obtenir un oracle, afin de trouver les différents artéfacts d’Osiris. Cette nouvelle mission réjouissait les cœurs ; ils se retrouvaient tous ensemble en quête d’éléments mystérieux, comme jadis ils avaient dû retrouver les filles de Cybèle. Les dieux semblaient aimer jouer avec les Mortels et la ruse de Seth avait quelque chose d’un immense jeu. Les compagnons s’étaient séparés en trois groupes. D’un côté, les érudits travaillaient autour des pistes révélées par les enquêtes des divers Guerriers d’Argent. Deux éléments semblaient avoir été localisés, mais Hantacore avait insisté sur le fait que des forces obscures protégeaient les artéfacts, et qu’il faudrait certainement un cérémonial pour les en défaire. Pour le moment, il avait donc été décidé de ne pas intervenir directement, mais d’attendre les conseils de Cybèle, car les Elus voulaient mettre toutes les chances de leurs côtés. Un second groupe avait été envoyé dans le port d’Araphen afin de préparer le périple marin. Il s’agissait d’armer un navire, mais aussi de préparer le nécessaire à un long périple. Ils le savaient, le retour au Sanctuaire risquait de prendre des semaines, des mois. Il faudrait parcourir le monde par petits groupes, ce qui ne pouvait s’improviser. Enfin, un dernier groupe, le plus nombreux, avait décidé de rester tranquillement au Sanctuaire. Les Guerriers Sacrés avaient intégré les Asgardiens à leurs entraînements et chaque jour chacun rivalisait de prouesses. Ases comme Einherjars montraient des ressources insoupçonnées pour des Guerriers Sacrés souvent prompts à minimiser les talents de leurs alliés. Le soir venu, ces derniers avaient institué des veillées dans une grande pièce qu’ils avaient aménagée à cet effet.
Ce soir-là, un feu crépitait dans le foyer d’une modeste cheminée. Tous les Elus s’étaient réunis avant le grand départ. Parmi les conséquences inattendues des guerres divines, le dérèglement des saisons n’était pas le moins spectaculaire. En quelques semaines, de violentes tempêtes avaient cédé la place aux assauts de la neige, avant qu’une canicule de six jours n’assomme littéralement les serviteurs d’Odin, Akurgal et Rahotep exceptés. Depuis deux jours, un froid sec avait reprit le dessus, et personne ne s’en plaignait, si ce n’est la végétation qui, partout, supportait de moins en moins ces excès en tous genres.
« Dis-moi Dimitre, quelque chose me turlupine. Ton trophée, tu vas le laisser ici ?
Harald sortit de sa torpeur naissante.
- Un trophée ? De quoi parle-t-il ?
Dimitre s’étrangla et maudit du regard Inyan, visiblement fier de son coup.
- Comment-ça, tu ne sais pas ? Shiro ne t’a rien dit ?
Ce dernier, serré contre Mérope au coin du feu, resta de marbre.
- Tu es fier de ta connerie ?
- Oui Dimitre, très fier ! Allez, raconte donc. Tu verras, je suis certain que nos amis feront moins les malins. C’est vrai après tout, en lutte à l’huile, nous avons été ridicules ; il serait bon de les rassurer sur nos capacités martiales !
- Tu as raison, concéda le Caucasien. Allez, venez autour de moi ».
Seul Shiro se tint à l’écart. Il souffla quelques mots à Mérope et le couple s’effaça dans la pénombre, rejoignant l’étage.
« Inyan, joue-nous un air !
- Je ne sais pas bien jouer, Nibel plutôt.
- Je croyais que tu étais un Ase musicien ?
- Faut croire qu’on s’est trompé d’Armure, mon cher frère ! Tu sais que je ne joue pas de musique. Nibel, vas-y.
L’Ase de Balder s’allongea sur le côté, posant sa tête dans le creux de sa main.
- Pas d’inspiration. Je pense que le spectacle perdrait en intérêt de toute façon, Dimitre se suffit à lui-même ».
Ne sachant comment prendre cette dernière remarque, l’Ase de Tyr haussa les épaules. Ses amis s’étaient réunis en cercle autour de lui et attendaient en silence que le spectacle commence. Dimitre commença par narrer le périple depuis Asgard jusqu’au sud de la Dalmatie. Le voyage n’avait pas été de tout repos ; des éléments égarés de la Horde s’étaient rassemblés autour de quelques meneurs improvisés et rendaient les routes dangereuses. Partout, le spectacle de désolation avait remplacé les riches forêts d’antan, partout les morts venaient gonfler les rangs de l’Indicible dont le pouvoir s’étendait un peu partout même si l’assaut de Caturix en avait limité la portée. De partout naissait un bruit atroce, une plainte angoissée : déchirante complainte de suppliciés qui accompagnait ces Guerriers esseulés. Souvent, les cris leur vrillait le crâne ; se boucher les oreilles ne servaient à rien. Des images terribles les assaillaient ; leurs yeux s’écarquillaient d’horreur sur ce monde en train de succomber. Les rares familles rencontrées vivaient dans la peur et se terraient ici dans une grotte, là dans un sous-bois étrangement épargné par le Chaos. De temps à autres, le Caucasien demandait des conseils à ses amis lorsque ses souvenirs le trahissaient, mais d’une manière générale sa narration était enlevée et captivait les auditeurs. Après un tableau sinistre, le récit arriva enfin à l’entrée en Grèce. La voix de Dimitre, jusqu’alors calme, ne masqua plus son excitation.
« Nous marchions depuis deux ou trois jours dans une vallée. La nuit, il faisait bon, ce qui nous changeait un peu de la pluie et de la brume de Dalmatie. Grâce à Yshba et son loup, nous savions que nous étions pistés par un groupe de guerriers. De sacrés numéros ; impossible de ressentir leur présence. Pourtant, nous sentions leurs regards posés sur nous. Au départ, nous avons pensé à des brigands. On avait tort ! En fait, c’est leur attaque qui nous a permis de les confondre. C’était plutôt pas mal pensé ; une passe étroite. Nous avancions en file indienne. Ils nous sont tombés dessus, comme ça. C’est Memnoch qui ouvrait le passage ; il a dessoudé sans coup férir les trois guerriers qui ont tenté de l’avoir, tandis que Thrall, avec l’arc d’Ull, arrosait les autres. Un massacre. C’est alors que le chef est sorti, avec ses gonzesses.
- Des Amazones ? demanda Darkhan totalement pris par le récit.
- Je sais pas, c’est quoi une Amazone ?
- Des femmes-guerrières d’Artémis. Elles détestent les hommes et se battent avec des arcs. Leur poitrine est enserrée dans un carcan de cuir, elles sont souvent recouvertes de symboles de lune ou de tissu végétal.
- Ah, je vois que tu en connais un rayon Darkhan ! Et bien non, ce n’était pas des Amazones. C’était des femmes nues, recouvertes d’écailles, comme des poissons. Inyan était fou !
- Elles étaient belles, je sais reconnaître ce genre de qualité chez une femme. De sacrées femmes. Je suis certain, vu leur ardeur au combat, qu’elles étaient des furies au lit.
L’assemblée pouffa de rire, puis Dimitre reprit.
- Personnellement, quand je vois ce qu’elles ont fait, je ne préfère pas les avoir dans mon lit ».
Dimitre marqua une pause. Tandis que le feu crépitait, Nibel sortit une petite lyre et se mit à jouer un air sombre. La bataille allait pouvoir commencer.
***
Plusieurs semaines auparavant, nord de la Grèce
Sur tous les visages des serviteurs d’Odin, on pouvait lire le doute et l’horreur. Très vite, ils se reprirent. Celui de Dimitre était à présent habité par une sombre fureur ; il contemplait les êtres marins avec des yeux avides de sang. Les femmes à peau d’écailles se mirent à chanter et leur chant fut bientôt si intense que la douleur pénétra les crânes tandis que les entrailles des hommes étaient à la torture. Les femmes levèrent leurs bras et firent tournoyer des lances et des glaives de coraux au-dessus de leurs têtes en dardant sur les serviteurs d’Odin le regard de leurs yeux fous.
« J’en avais assez des guerriers de seconde zone. On va enfin pouvoir rire un peu », dit Dimitre en serrant les dents.
Bjarnulf se porta à la hauteur du chef des Ases.
- Rahotep ? »
L’Egyptien analysa la situation. Si les femmes représentaient un danger immédiat, leur chef portait une Armure qui ne laissait que peu de doutes ; en partie semblable à celles que portaient les Guerriers sacrés, il devait s’agir d’un combattant dangereux, disposant de pouvoirs à même de rendre la partie difficile. Deux hypothèses se battaient sous le crâne de l’Ase de Forseti. Ou l’inconnu pensait avoir à faire à une bande de guerriers classiques, et il avait attaqué sans prendre la mesure de ce qui l’attendait. Ou alors il savait parfaitement à qui il avait à faire, ayant ressenti l’Asu flamboyant qui courait dans leurs êtres. Dans ce dernier cas de figure, l’inconnu se savait assez puissant et ces femmes étaient plus dangereuses qu’il n’y paraissait. Rahotep distilla ses ordres sans perdre de vue ses adversaires.
« Elles sont assez nombreuses pour nous occuper tous. Thrall, au contact avec Inyan, Memnoch et Yshba. Vous prenez celles qui sont sur la butte. Akurgal, Bjarnulf, Meijuk et moi, nous fonçons tout droit sur le groupe de six. Thenséric, Hanz, Ryusei, Liu, Nibel et Canagan le gros morceau : la dizaine qui se trouve à droite.
- Et moi ? Je veux ma part de viande froide !
Rahotep se tourna vers Dimitre.
- Le chef. Tu voulais te rattraper depuis l’épisode de Kragden ; voilà l’occasion d’apporter la justice de Tyr ».
La bataille s’engagea alors. Les femmes n’attendirent pas le choc pour se porter au-devant de leurs adversaires. Elles mordaient, piquaient, ceignaient les combattants d’Odin de carcans d’algues et de coraux, poussant des cris d’horreurs stridents. Rien ne put cependant changer le cours du destin. Einherjars comme Ases se montraient terrifiants dans le combat, rendus à demi-déments par le dégoût et les cris de ces êtres bientôt réduits à l’état de débris de sang, de monticules de chair, sur lesquelles des guerrières se ruaient pour reprendre des forces à travers quelques bouchées avides. Au cœur de la bataille, Hanz para la lame tournoyante d’une de ces femmes marines et, pour un instant, croisa le regard dément de la bête tandis qu’un frisson le parcourait. Son bras frappa alors, et le coup qu’il porta à son adversaire fut dévié par un bras qui n’avait rien de naturel ; les cheveux de l’être s’étaient emmêlés pour former de multiples bras aux doigts crochus qui griffaient les vêtements du guerrier mais s’acharnaient en vain sur l’Armure de Brokkr. Le temps de se dégager et de se redresser, il déclencha une onde de choc qui fit valser la créature dans les airs. Fou de rage, il sauta vers elle et plongea sa Hache sacrée dans le tendre abdomen de l’être qui succomba dans un cri démentiel.
« Tes femmes n’ont aucune chance contre nous.
- En effet, lâcha le guerrier.
- Tu sais que je ne te laisserai pas t’échapper. J’aimerai savoir qui je vais tuer.
- Tu sembles bien assuré. Ton Armure est d’excellente facture, ton épée a dû commettre de nombreux crimes. Je doute que cela soit suffisant pour affronter dignement un Triton de Poséidon ! Je suis Thémiclès, Triton du Serpent de Mer ».
Dimitre oscilla un instant entre surprise et rage. Il brandit les bras vers le ciel et exulta jusqu’à s’en rompre les cordes vocales.
« GLOIRE A ODIN ! »
L’Ase de Tyr planta son regard dans les yeux de Thémiclès.
« Fils de loutre avarié, tu vas regretter d’avoir croisé mon chemin. Je vais te faire payer le crime de ton enfoiré de Maître. Je vais ensuite t’émasculer et je garderai tes couilles pour les lui faire bouffer.
Le Triton se mit en garde, ne cachant pas son trouble.
- Rejeton de l’enfer ! articula-t-il d’une voix étranglée. Les Ases ! Les Ases nous attaquent ! Je dois avertir nos Rois, mais avant, je vais te faire mordre la poussière pour avoir offensé Poséidon !
- A la bonne heure, ma petite couleuvre, je t’attends ».
Sans attendre, Thémiclès concentra toute son énergie entre ses poings. Devant lui, Dimitre écartait les bras et attendait le choc en souriant. « Pauvre idiot, tu feras moins le malin lorsque le Serpent des Mers t’aura englouti ! » pensa-t-il.
« Tu vas périr dans le tumulte des flots vengeurs de mon Maître ! ENGLOUTISSEMENT ! »
Dimitre sentit un léger vent frais venir caresser sa peau. Il sourit. « Engloutissement. Je suis stupéfait ! Et alors quoi, tu vas me noyer ? Laisse-moi rire ! Tu aurais pu penser à autre chose. C’est là la force de ton pouvoir ? »
Thémiclès ne répondit pas. Il avait fermé les yeux et ses bras exécutaient une danse frénétique qui attira le regard de Canagan qui se trouvait non loin de là, après avoir achevé sa seconde guerrière d’écailles.
« Dimitre, hurla-t-il, fais attention, je ressens quelque chose de très puissant ».
Les regards de ses compagnons convergèrent vers lui : il se passait quelque chose d’inquiétant autour de l’Ase de Tyr. A ses pieds, le sol se gorgeait petit à petit d’une eau froide qui jaillissait entre ses pieds. En quelques secondes, la flaque d’eau mesura près de deux mètres de rayon et un air humide enveloppa le Caucasien.
« La ferme Canagan. Occupez-vous de vos affaires, c’est mon duel. Je veux voir ce qu’il a dans le ventre, le petit. Allez, fit-il en trépignant, vas-y, frappe-moi ! Noie-moi ! »
Un long frémissement parcourut son corps, partagé entre l’excitation du combat et des douleurs réelles qui commençaient à le tourmenter. La pression de l’eau semblait agir sur son Armure et la protection offerte par Tyr semblait réagir violemment à cet assaut à la manifestation inattendue. Dimitre regarda autour de lui. Il était à présent dans une prison liquide et l’air saturé d’humidité oppressait ses poumons. Le vent humide et froid se leva un peu plus.
« Tu vas périr écrasé par la pression de cette prison marine, Ase. Tu ne pourras pas résister longtemps aux effets dévastateurs de mon arcane. Quand bien même, elles sauront te ramener à elles. Je parle à un cadavre ».
Au moment où Dimitre entendait ces paroles, il crut voir une onde se propager dans l’eau sombre qui recouvrait le sol. Il pensa tout d'abord qu’il s’agissait du vent qui en agitait la surface, mais il eut rapidement la sensation que c’était l’eau elle-même qui prenait vie. Celle-ci libéra petit à petit des mains griffues, puis des bras sous le regard fasciné de Dimitre. Il observa les formes tortueuses et torturées se dresser lentement et prendre la forme de ces êtres marins qui venaient d’être tués par ses compagnons. L’une d’elle se changea soudain en serpent et le mordit, entaillant profondément son bras et lui arrachant un cri de douleur. Au même moment, des gerbes ensanglantées jaillirent du corps de Dimitre. Celles-ci se mêlèrent à l’eau et prirent immédiatement la forme de serpents de mer qui revinrent frapper l’Ase de Tyr. Puis, dans un bruit sourd, Dimitre disparut, englouti par les flots.
Thémiclès posa un genou à terre. Il était exténué. Il porta son regard autour de lui ; il y avait trop d’adversaires, impossible de les affronter. Son Maître lui avait appris à générer des brumes capables de noyer les adversaires les plus faibles. A tout le moins lui permettraient-elles ici de pouvoir fuir pour avertir Maxendre. Le jeune Triton entendit le gémissement aigu de l’épée avant de recevoir l’impact en plein abdomen. La lame de Dimitre lui entailla profondément le bras. Il étouffa un sanglot de douleur et tenta de riposter, mais vit avec horreur son autre bras voler dans les airs ; pourtant l’épée ne l’avait pas touché ! Il hurla à en déverser ses entrailles. L’Ase de Tyr s’approcha doucement et releva le guerrier qui s’était prostré à genoux dans son sang.
« Belle attaque, merci pour le spectacle. L’Epée de Tyr est capable de couper les corps de l’intérieur ; quel beau prodige, n’est-ce pas ? Tu m’as bien distrait, je vais à mon tour te rendre la pareille. Tu as le Souffle Divin des Grecs, nous avons l’Asu. Je n’ai pas tout compris, mais c’est assez proche. Je vais t’achever avec une attaque un peu spéciale. Bon, bien entendu, elle n’est pas sans douleur, aussi serre les dents ! »
Thémiclès n’entendit pas vraiment les mots employés par Dimitre ; il se retrouva soudain au beau milieu d’un hachoir fait de fines lames au fil aigu. De son corps, il ne restait rien. De son Armure, pas plus. Le métal et le sang entremêlés étaient dispersés aux pieds de Dimitre. Il tendait le bras. La vision du Grec se voila. Il n’avait pas mal. Il plissa les yeux une dernière fois. Dimitre le tenait par les cheveux. Il le balança doucement et pencha la tête du malheureux vers le sol jonché de ses restes. Décapité, il emporta avec lui dans la mort, terrifié, ce spectacle macabre.
***
« Et voilà, conclut le Caucasien, vous savez tout. J’ai gardé sa tête en souvenir. Je garde toujours un souvenir de mes victimes. Généralement, c’est une dent, une oreille, parfois un doigt. Là j’ai voulu marquer le coup. Ces poissons infirmes ont décidé d’attaquer notre domaine, ils vont apprendre à le regretter. J’ai fait ce qu’il faut pour que cette tête se conserve bien, elle restera donc avec moi, dans mon sac.
- Mais, intervint Séléné très intéressé par le récit, comment as-tu fait pour éviter son attaque ? Tu étais bien pris dans sa prison de flotte, non ?
- Ça mon vieux, c’est mon petit secret. Mais comprenez bien une chose, mes amis : soyez heureux d’avoir les Ases et les Einherjars à vos côtés, et non comme adversaires ».
Le silence emporta cette dernière recommandation. La soirée avançait. Il était temps de se détendre une dernière fois et ce fut aux sons des chants et du concours de boisson initié par Nevali que les plus solides terminèrent la fête. Une dernière nuit de tranquillité avant d’affronter à nouveau leur sombre destin.