Les Ombres
Le retour vers le village du Sanctuaire se passa calmement. La Grèce centrale
n'était pas très dangereuse. Confinée entre les domaines d'Apollon et d'Athéna,
cette région ne connaissait pas les turbulences de l'Anatolie ayant accueilli
les élus. Le paysage montagneux défilait paisiblement le long des petits
chemins menant au domaine du Sanctuaire, Yolos agrémentant le voyage de retour
de quelques cours sur l'hygiène de vie et le contrôle de ses émotions. Comme à
son habitude, ce fut le héraut qui reçut la troupe sur le pas de la porte du
village. Après les salutations d'usage il se rapprocha de Yolos et lui souffla
quelques mots. Ce dernier ne laissa transparaître aucune émotion spéciale, tout
juste fit-il comprendre d'un geste de la tête qu'il avait compris.
- Je vais devoir quitter le village, dit-il en se retournant vers ses élèves
qui s'étaient regroupés autour de lui. Ce fut une joie de vous guider vers la
voie de la découverte du Souffle Divin. Le chemin qu'il vous reste à parcourir,
vous l'accomplirez seuls.
- Maître, nous direz-vous ce que nous devons faire avant de partir ?
Devons-nous poursuivre notre entraînement ? Vous aviez parlé d'une dernière
épreuve ..., interrogea Mâa au nom de ses compagnons.
Yolos se tourna vers le héraut.
- Asham est-il arrivé ?
- Oui Maître, il est « là-bas ».
Yolos se retourna vers les éphèbes, fronçant les sourcils, ce qui lui donnait
un air plus grave encore qu'à l'habitude.
- Asham, Guerrier Sacré de Bronze de Pégase vous conduira vers la dernière
épreuve. D'elle dépend tout le reste. Pour certains ce sera le premier pas vers
le titre de Guerriers Sacrés, pour d'autres le dernier menant vers une vie
modeste au service du village, ou pire, le premier dans le Royaume des Ombres
d'Hadès.
- Ainsi donc, rien n'est tracé ? L'échec est possible, Athéna ne nous protège
pas ...
Le Guerrier Sacré se tourna vers Seth qui semblait perdu dans ses pensés,
parlant à voix haute sans même s'en apercevoir. Il le reprit au vol.
- C'est exact. Athéna ne vous protégera pas. Vous êtes face à vous-mêmes, à vos
peurs. Franchissez cette étape et vous connaîtrez alors la chaleur du Souffle
Divin d'Athéna.
- Merci pour tout ce que vous nous avez apporté, Maître Yolos. Je parle en mon
propre nom mais je crois pourvoir le faire pour tous mes amis. Votre
enseignement nous a ouvert sur un autre monde, nous serons à la hauteur de vos
espérances. Nous enflammerons notre Souffle Divin.
Même s'il avait voulu rester complètement impassible, Yolos laissa entrevoir
pour la première fois une pointe d'émotion dans son regard en entendant les
paroles d'Asturias. Il ne dit mot et quitta le village. Le héraut conduisit les
élus vers l'échoppe de Gardohou afin de les débarrasser de leurs paquetages
devenus inutiles. Tous se retrouvèrent finalement à table pour partager un
repas bienvenu après des journées de marche soutenue. Bien entendu, le fil de
la conversation tourna autour de cette fameuse dernière épreuve et du
mystérieux Asham.
- Un Guerrier Sacré de Bronze .... il doit être inférieur à Yolos qui est un
Guerrier Sacré d'Argent, affirma Nevali en s'adressant à Frank qui avait pris
place en face de lui.
Finissant son morceau de pain couvert de miel, ce dernier semblait tout à fait
d'accord.
- Bien vu Nevali. Je me demande ce qu'est ce Pégase. Yolos a pour signe le
Triangle .... Pégase est aussi un objet, tu penses ?
- C'est un cheval ailé, répondit Pallas qui se trouvait juste à côté de Nevali.
C'est l'une des créatures mythologiques les plus fameuses.
- Ainsi donc, ces constellations grecques peuvent être des objets ou des
animaux fabuleux, compléta Shiro en reposant son verre de terre cuite.
Chacun exposa son point de vue quant à l'épreuve qui les attendait. Deux
théories s'affrontaient amicalement. Shiro, Mâa et Asturias en tête pensaient
qu'il s'agissait d'éveiller le Souffle Divin, donc d'une épreuve physique ou
mentale. Les tenants d'un combat étaient plus nombreux, à l'instar de Séléné
qui affirmait qu'étant destinés à être des guerriers, il était normal que
l'épreuve fût un duel. Seul Darkhan ne s'était pas encore exprimé.
- Je pense pour ma part que cette épreuve tourne autour de nos peurs. La peur
est le sentiment qui peut le plus nous desservir si elle n'est pas maîtrisée.
Seth se tourna vers le jeune Asiatique l'air convaincu.
- Tu as raison. La peur est puissante. Il suffit de nous rappeler l'épisode de
Didymes ou de la Forêt des Morts.
La phrase de l'Egyptien rappela à tous la disparition de Cléops, d'autant plus
que les mots de Yolos avaient été sans ambiguïté quant au possible échec fatal
« ou pire, le premier dans le Royaume des Ombres d'Hadès. ». Le chef de la
garde du village entra dans la pièce, brisant le lourd silence qui s'était
installé. Sans prendre le temps de s'excuser le guerrier prit la parole.
- Voici les ordres d'Asham. Reposez vous tout ce jour. Demain matin, aux
aurores, rejoignez le petit étang. Vous y attendrez le signe. N'apportez aucune
affaire spéciale. Le chef de la garde quitta la pièce sans un mot de plus.
- Difficile d'imaginer plus aimable, dit Nevali d'un ton ironique.
- Bon, nous n'aurons pas longtemps à attendre, c'est tout ce qui importe.
Finissons ce repas tranquillement et profitons de cette journée pour nous
reposer. Je suis certain que demain, ce qui nous attend ne sera pas de tout
repos.
- Bien parlé Nekkar, rétorqua Artholos en levant son verre. Dans mon village,
il est d'usage de lever son verre pour fêter quelque chose. Je lève mon verre à
notre réussite !
Un par un ses compagnons levèrent leur verre, certains souriant, les autres
gardant un air grave en imaginant ce qui les attendait.
Les premiers rayons de soleil vinrent arracher Artholos à son sommeil. Le Germain
se leva rapidement, enfilant son armure de cuir qu'il avait gagnée dans son
lointain village. « On ne sait jamais », pensa-t-il, « en cas de combat je
serai prêt ». Poussant la porte de sa chambre, Artholos s'engouffra dans le
couloir et s'aperçut avec étonnement que les autres chambres étaient vides.
Alors qu'il allait rejoindre la salle principale, Nevali se présenta devant
lui.
- Ah, te voilà. Tu es le dernier, dépêche-toi. Pas le temps de prendre quelque
chose, nous devons rejoindre l'étang au plus tôt. Il serait dommage de rater le
rendez-vous, conclut-il en souriant.
Nevali semblait totalement détendu, il faut dire que depuis le début de
l'aventure, l'ami de Séléné se distinguait par son optimisme, sa joie de vivre,
son insouciance et ses régulières moqueries à l'égard de chacun. Nevali formait
un drôle de duo avec Séléné, mais finalement tout le monde l'appréciait,
apportant une touche de second degré permettant d'adoucir la gravité de
certains moments. Les deux éphèbes retrouvèrent leurs compagnons devant la
porte principale du village. La troupe s'élança tranquillement vers les champs
du Sanctuaire, Frank et Mâa ouvrant la voie. Après une petite demi-heure de
marche paisible, l'étang fut en vue. Une légère brume recouvrait l'eau, la
froideur matinale obligeant les plus frileux à se blottir dans leurs manteaux
de laine de mouton. Gardohou avait insisté pour que chacun en prenne un,
affirmant que le lendemain le temps resterait couvert.
- Gardohou est réellement surprenant, il ne s'était pas trompé hier, le temps
est maussade, dit Pallas en regardant le ciel couvert de nuages sombres.
Asturias se rapprocha du jeune Grec.
- Tu as déjà vu pareil temps en cette saison Pallas ?
- A vrai dire non. On dirait qu'un orage se prépare. En cette saison, c'est
très étrange. Zeus doit être courroucé.
- Cette croyance est réellement surprenante, Pallas. Je ne pense pas que les
dieux expriment leur mécontentement par des orages. Râ envoie des calamités
pour punir les mauvais hommes, mais son mécontentement, c'est aux prêtres qu'il
le fait savoir, affirma Mâa qui s'était rapproché de ses deux compagnons en
suivant le fil de leur conversation.
- Nos cultures sont différentes, c'est un bonheur de pouvoir les partager en
tout cas, répondit Asturias en souriant.
Plusieurs minutes passèrent. Les treize éphèbes s'étaient maintenant installés
sur l'herbe humide, de petits groupes se formant par affinités. Nekkar, Séléné,
Nevali et Artholos échangeaient leurs points de vue sur le combat qui semblait
pour eux inéluctable. Les érudits s'étaient retrouvés autour d'une conversation
traitant du Souffle Divin. Mâa et Darkhan les avait rejoints semblant très
intéressés par cette idée de Souffle Divin .... Idée qui rappelait au jeune
Chinois chaque jour davantage les dernières paroles de son père. Un dernier
groupe s'était formé autour de Frank qui prodiguait quelques conseils à propos
de plantes qu'il avait accumulées au cours du séjour.
- Celle-ci enfin, conclut-il, « permet de dormir d'un sommeil profond et
réparateur. Il faut la faire infuser dans une eau très chaude pour qu'elle soit
efficace ».
- Tu es une vraie mine de savoir médicinal, Frank, répondit Pallas admiratif. «
Merci pour ces conseils en tout cas ! »
La brume se faisait plus dense mais rien ne se passait. Le Guerrier Sacré de
Bronze qui devait les attendre n'était pas là. Pallas se détacha du groupe en
observant que la brume s'accumulait entre deux rochers, comme si elle venait de
là.
- EH ! Venez voir, il y a un passage !
Les compagnons accoururent auprès du jeune Grec.
- C'est peut-être par là qu'il faut aller, nous aurions mal compris,
proposa-t-il.
- De toute façon autant y aller, ici il n'y a rien, affirma Nekkar en
s'avançant dans l'étroit passage, rapidement suivi de ses amis. Après quelques
minutes de marche le groupe se retrouva à l'entrée d'un cimetière. De
nombreuses tombes reposaient là. Pallas lut quelques inscriptions à ses amis «
Des guerriers du Sanctuaire, tous » affirma-t-il. La brume se fit plus dense
encore, ne cachant pas encore une statue d'Athéna et un olivier sacré sur
lequel un homme était à demi allongé, surplombant les élus du haut de sa
branche tortueuse.
- Bienvenus au cimetière du Sanctuaire. Je suis Asham, je vous attendais. Que
la fête commence !
Les élus furent pris par surprise, mais leur entraînement reprit très vite le
dessus. Une année aux côtés de Yolos avait porté ses fruits. Lorsque les
éphèbes virent fondre sur eux les silhouettes squelettiques, tombant du ciel
dans un vol fulgurant et une odeur âcre, ils se mirent en garde, et leurs cris
donnèrent l'hallali tandis qu'ils commençaient à se battre pour sauver leurs
vies et empêcher leurs adversaires de prendre un avantage décisif. Asham ne bougeait
pas, observant attentivement les mouvements de chacun.
Mâa entama une prière à Râ, tandis que Séléné faisait un rempart de son corps,
brandissant ses poings rageurs avec détermination pour bloquer le passage du
guerrier décharné qui fonçait sur lui. Le géant, concentré sur son adversaire
ne vit pas le squelette qui invoqua une sphère de lumière dorée, puis une
seconde, éclairant brillamment le cimetière transformé en champ de bataille.
- Séléné fais attention à toi, hurla Nevali, un sorcier ! Sur ta gauche !
Au même moment, Nevali ne put éviter la charge d'un des squelettes le frappant
violemment au visage, projetant le jeune apprenti contre une tombe située à
plusieurs mètres, les deux boules de lumières venant exploser contre lui. Alors
qu'un guerrier porteur d'une armure à demi détruite aux couleurs noires allait
l'achever, un pied apparut devant ce dernier, le frappant de plein fouet et
l'obligeant à reculer. Darkhan enchaîna par plusieurs coups de poing dans une
rage indescriptible, un ultime coup arrachant le crâne du guerrier qui
s'effondra tel un pantin désarticulé. Darkhan enjamba son cadavre pour se jeter
à nouveau dans le tumulte des combats.
Les défenseurs du sanctuaire se battaient vaillamment, mais ils furent débordés
par le nombre. Mâa acheva sa prière, et une aura lumineuse s'étendit sur tous
les combattants, comme si Râ jetait un œil protecteur sur ces hommes affrontant
la mort. Mais quatre assaillants, trois portant une armure fantômatique aux
formes étranges et un revêtant la panoplie d'un hoplite du sanctuaire,
fonçaient vers l'entrée du cimetière pour couper tout espoir de retraite aux
élus. Un démon apparut dans un nuage de poussière grisâtre et froide plantant
son regard de braise dans les yeux de Darkhan, qui hurla de terreur et se mit à
genoux en levant les mains aux cieux, implorant l'aide de son père. Les quatre
guerriers passèrent près de lui sans s'arrêter et se ruèrent au cœur de la
bataille.
Adossés à une statue représentant leur déesse protectrice, Shiro, l'Etranger et
Seth les attendaient. Les guerriers fantômatiques marquèrent un temps d'arrêt
devant les trois hommes. Le démon se dirigea vers Artholos qui se portait au
secours de ses trois amis.
Les deux premiers guerriers se jetèrent sur Shiro, qui portait seulement sa
toge, mais dégageait le plus de sérénité. Une aura bleu intense entourait
l'Hindou, lui donnant l'apparence d'une torche vivante. Sans s'en rendre
véritablement compte, Shiro venait de réveiller le premier son Souffle Divin.
Les deux guerriers approchèrent, et des traits de lumières jaillirent de leurs
doigts quand ils frappèrent Shiro. Ce dernier esquiva l'une des attaques, mais
les doigts griffus de l'autre adversaire entaillèrent profondément son épaule
droite. Invoquant le nom d'Athéna, il abattit son poing sur la tête du
squelette qui l'avait blessé. L'aura bleutée flamboya, irradiant le long de ses
bras et se concentrant sur son poing qui parut chauffé à blanc. Le coup porta,
brisant le crâne de la créature qui poussa un hurlement d'agonie. Mais déjà,
l'autre revenait à l'assaut. Seth de son côté parait tous les coups portés par
son adversaire, s'appuyant sur la statue d'Athéna. La pluie de coups ne lui
laissait pas le temps de riposter. « Ça suffit ! » hurla-t-il en serrant
soudainement ses deux poings. Son regard devant noir, sans vie, au moment où il
serra sa main droite sur le visage du squelette et propulsa son autre poing
dans les côtes de l'être d'autre monde. Le poing de l'Egyptien traversa les
côtes et pulvérisa la colonne vertébrale du guerrier revenu d'entre les morts.
Seth tenait à bout de bras un demi squelette prit de convulsions et poussant
des cris de rage. L'Etranger éprouvait beaucoup plus de difficultés devant le
hoplite qui avait fait apparaître un hoplon parant tous les coups et un kopis
qui entaillaient les chairs du jeune apprenti.
- Tes jambes, brise-lui les genoux avec tes pieds ! Leurs os sont friables,
attaque l'Etranger, admonesta Seth avant de se ruer sur le démon qui semblait
invoquer de nouvelles créatures au-devant d'Artholos.
Macubex suivit le conseil de son compagnon mais au moment où il porta un
violent coup de pied au niveau des genoux du hoplite, ce dernier sauta en
arrière et fut pris d'un rire glaçant.
- Pauvre mortel, tu crois que nous n'entendons pas ? Tu vas me rejoindre dans
l'oubli, tu ne seras jamais un Guerrier Sacré, tu vas devenir l'un des gardiens
de ce cimetière ! dit-il d'une voix lugubre.
Tout à sa surprise, Macubex se sentit pâlir. « Ils entendent, ils vivent, c'est
impossible ... », pensa-t-il en se remettant en garde, le front dégoulinant de
sueur. Le guerrier d’outre tombe chargea Macubex pour lui porter le coup fatal
lorsqu'il se volatilisa en centaines de morceaux et de poussière sous le coup d'un
trait de lumière bleue. Shiro s'avança dans le nuage de poussière et regarda
Macubex droit dans les yeux.
« Sers-toi de ton Kosmos, Étranger, concentre-toi, puise au plus profond de
toi. Nous devons réussir. Allez viens, Artholos et Seth vont avoir besoin de
nous », dit-il en se retournant vers le démon qui achevait son invocation à
quelques mètres de là.
Le démon faisant face à Artholos et Seth portait un long manteau blanc vieilli
par le temps, un temps ancestral qui achevait de le réduire en lambeaux. Son
visage était celui d'un homme d'âge mûr, translucide et marqué de traits
extrêmement durs. Ses yeux étaient rouges un instant, noirs, puis jaunes ...
Les croiser ne pouvait que remplir de cœur des élus d'une peur incontrôlable,
instinctive. « C’est un prêtre », murmura Seth en se rapprochant doucement
d'Artholos. « Prêtre ou magicien il ne résistera pas à mon courroux » assura
Artholos qui se préparait à bondir sur son adversaire lorsqu'il se retint en
voyant le démon achever une phrase incompréhensible. Autour des doigts du
prêtre naquit une sphère d'énergie, qui s'enfla et s'éleva, puis une autre.
Bientôt, huit boules de feu ardent dessinèrent un motif régulier au-dessus de
la tête du démon. Ses yeux brillaient d'un feu surnaturel tandis qu'il guidait
de sa volonté les sphères au dessus des tombes, encerclant du même coup les
deux amis. « Seigneur des Ombres, que ton feu sacré dévore ces mortels ! » cria
le prêtre. Suivant le mouvement de ses bras tendus, les sphères s'envolèrent en
une nuée de météores, traçant dans la brume un sillon d'étincelles avant
d'exploser au milieu des deux éphèbes. Seth avait eu le temps de pousser
Artholos à terre et d'effectuer une roulade mais l'explosion les avait
littéralement propulsés en l'air, les deux corps retombant inconscients sur les
débris de tombes entrouvertes. Ricanant en voyant le résultat de son attaque,
le démon se préparait à une seconde offensive.
Pallas venait de se débarrasser d'un squelette lorsqu'il vit la scène et
accourut auprès de ses deux amis plus morts que vifs.
- Seth ! Artholos ! Commet allez-vous ? Réveillez vous, hurla-t-il de toutes
ses forces en tâchant de les sortir de leurs comas par des secousses répétées,
quasi frénétiques.
- Tu devrais te concentrer sur ton prochain adversaire, avertit Asham qui
restait tranquillement assis sur la plus grosse branche de l'olivier sacré. «
Grâce à la présence d'esprit de Seth ils vivent tous deux. Tâche de les imiter,
ce démon, s'il te tue, les tuera immanquablement ».
Pallas se retourna un instant vers le Guerrier Sacré de Bronze. « Il ne bougera
pas pour nous aider. Maudit ! » dit-il en serrant ses dents. Nekkar bondit à
ses côtés, suivit de Shiro et de Macubex. Ils faisaient face maintenant au
prêtre.
Darkhan, Séléné et Harald combattaient côte à côte depuis de longues minutes,
minutes qui paraissaient des heures interminables tant la tension du combat les
prenait au cœur. Darkhan se montrait très habile, esquivant, frappant rarement
de ses poings mais justement à chaque fois. Nevali ne bougeait plus, Frank le
protégeait de son mieux et tentait de lui administrer quelques soins entre deux
coups échangés contre les squelettes qui revenaient à la charge malgré ses
échecs répétés. Séléné avait vu son ami se retrouver au seuil de la mort et sa
rage en avait été décuplée. Il avait littéralement broyé entre ses mains un de
ses adversaires et il se servait des restes des ossements comme d'une massue,
chargeant au milieu d'un groupe de neuf hoplites squelettiques et faisant tournoyer
son arme de fortune au gré de son ire. Déjà trois hoplites avaient vu leurs
crânes réduits en morceaux, Harald secondant le géant en s'occupant d'un être
décharné, squelette à demi recouvert de chairs mortes, capable de faire jaillir
des traits de lumières qu'il évitait avec de plus en plus d'aisance. C'était
comme si le temps ralentissait, Harald voyait les gestes de son ennemi devenir
de plus en plus lent, distinguant même le moment où les éclairs jaillissaient
des doigts crochus de son adversaire. L'apprenti Guerrier Sacré finit par
passer à l'attaque au moment où l'être baissa sa garde. Harald n'en crut pas
ses yeux lorsqu'il sentit cette force incroyable jaillir de son poing,
pulvérisant le squelette en un cri de rage qui stupéfia l'ensemble de ses amis.
Dans l'allée principale du cimetière, tandis que Mâa se débarrassait de ses
adversaires sans trop de difficulté, avec une sérénité presque divine, Asturias
affrontait un démon noir tout droit sorti des enfers. A plusieurs reprises, le
Dalmate avait réussi à esquiver le dard mortel de la queue empoisonnée, et
avait frappé le démon noir de ses poings, mais les puissantes griffes et les
redoutables mâchoires du monstre avaient réussi à déchirer son armure de cuir
clouté, lui infligeant plusieurs blessures. La longue queue barbelée du démon
avait laissé sur son corps des sillons sanglants qui l'affaiblissaient. « Un
Daimonos, ce n'est pas pensable que cet être soit ici », pensa-t-il en
esquivant tant bien que mal un nouveau coup.
Galvanisé par les voix de ses compagnons qui s'encourageaient mutuellement
derrière lui, et par la vision fugitive de son père lui enseignant l'art du
combat lorsqu'il était plus jeune au sein de son monastère, Asturias surmonta
l'engourdissement causé par le fouet magique du Daimonos, évita les deux mains
griffues du démon noir et plongea sur le côté, contournant son adversaire et
lui assénant un coup terrible sur la colonne vertébrale. La créature hurla, et
se retourna d'un mouvement vicieux, sa queue flexible empalant la jambe de son
adversaire. La douleur fulgura dans le corps d'Asturias, suivie par la brûlure
intense du poison. Le démon cria de triomphe, puis de douleur quand la main de
Mâa s'abattit sur ses reins, aggravant une blessure précédente et paralysant le
monstre, qui s'écroula. Incapable de se redresser, il fouettait l'air de sa
queue empoisonnée et cherchait à lacérer de ses griffes tout ce qui passait à
portée. Asturias l'acheva de colère, puis se tourna vers Mâa.
- Tu m'as sauvé, je ne l'oublierai jamais mon ami.
- Tout est devenu si limpide Asturias. J'ai vu des étoiles, j'ai su où le
frapper. Je ne me l'explique pas, mais je savais.
Frank avait fini par administrer un lourd coup de pied à son adversaire, le
projetant contre une tombe. Le squelette semblait vaincu, Frank put s'occuper
de Nevali. Ce dernier reprit péniblement connaissance, juste à temps pour
hurler qu'un nouvel adversaire se présentait face à eux.
« Frank !!!! Derrière toi ! »
Frank fit volte face et blêmit en voyant une femme grisâtre, hideuse et
défigurée par le mal les regarder. La femme était en fait un vampire,
reconnaissable à des canines apparentes. D'hideux son visage devint angélique,
d'une douce voix elle s'adressa au jeune médecin.
- Je ne te veux pas de mal, je puis être une femme pour toi, viens à moi.
- Sorcière, tu essaies de me troubler mais tu n'y arriveras pas. Tu es une de
ces monstres essayant de nous tuer !
- Pour vous éviter des souffrances, reprit-elle en souriant, être Guerrier
Sacré c'est souffrir mille maux. Venez avec nous, dans le Royaume des Ombres
.... Si nous avons échoué, vous ne pourrez y parvenir, vous ne serez jamais des
Guerriers Sacrés.
Frank se retourna vers Nevali qui lui tirait la manche.
« Tue-la, c'est un test tout ce cirque. Regarde Asham, il ne bouge même pas.
Explose-la ! »
Frank se mit debout et en garde, montrant à son adversaire toute sa
détermination à lutter jusqu'au bout. Voyant que le combat devenait
inéluctable, le vampire reprit son visage terrifiant, décidée à utiliser tous
ses pouvoirs. L'adversaire était plus fort que Frank ne l'avait pensé au
départ. Un éclair jaillit des griffes du vampire, frappant le jeune apprenti de
plein fouet avant de se répercuter dans tout le cimetière, dispersant les
encouragements de ses compagnons dans des cris de douleur. Frank fut projeté à
plusieurs mètres, mais il encaissa le choc. Il se mit péniblement à genoux,
puis releva la tête pour regarder la femme qui s'avançait lentement vers lui,
un fouet barbelé en main, un rictus vicieux sur son visage grisâtre. Ses
cheveux hérissés par la décharge encadraient comme une auréole le visage
déterminé du médecin, et malgré les brûlures, il se prépara à l'assaut. Une
lumière jaune se matérialisa au milieu de sa main, déchiquetant le vampire qui
fut bientôt réduit à l'état de bouillie sanguinolente.
« Qu'ai-je fait ? » murmura Frank étonné en regardant ses mains.
« Tu viens de libérer ton Kosmos, Frank, comme moi », répondit Mâa qui s'approchait
doucement en aidant Asturias à marcher.
Le regard de Seth croisa celui du démon, et le voile de peur qui abusait son
esprit se déchira brutalement. En un éclair, il vit la créature sous sa
véritable apparence, et une rage froide l'envahit. D'un geste rapide, il se
jeta sur elle et frappa de toutes ses forces. Le démon sentit le danger, mais
trop tard. La poing enragé broyait les côtes délicates du prêtre qui hurla de
douleur et de fureur, et recula en grondant jusqu'à une pierre tombale toute
proche.
- Tu as osé profaner ce sanctuaire de ta présence, et offenser ma déesse en
prenant l'apparence d'un prêtre. Je vais te détruire, démon !
- Je vois, tu ne connais pas la peur. Du moins tu ne la connais plus, dans ce
cas je vais donner toute l'essence de mon pouvoir pour vous réduire en cendres
! hurla le démon qui venait de prendre l'apparence d'un spectre blanchâtre.
Le spectre se mit en garde, et ses doigts tracèrent un symbole dans l'air
devant lui. Une étoile dorée apparut, brillant d'un éclat aveuglant. Seth ne
pouvait en détacher son regard, et la lumière le brûlait horriblement. Hurlant
de rage et de souffrance, il porta ses mains sur son visage, le spectre en
profitant pour lui asséner un violent coup de pied dans le visage. Pendant ce
temps Pallas et l'Etranger se battaient vaillamment contre quatre squelettes
qui venaient de faire leur apparition.
« Il faut aider Seth », lança Nekkar à Shiro et Artholos qui se tenaient à ses
côtés.
Ils se regardèrent et d'un commun accord se jetèrent sur le spectre en poussant
un cri de guerre. Nekkar balaya l'espace de ses poings, et le spectre évita le
choc de justesse, ripostant d'un coup de pied qui déchira le flanc de son
ennemi. Sa main bloqua un second coup porté par Artholos, et les adversaires se
retrouvèrent proches à se toucher. Le spectre plongea son regard livide dans
les yeux clairs de Seth, cherchant à lui imposer sa volonté. Mais c'était peine
perdue, l'Egyptien ayant appris depuis l'épisode de Didymes et de la Forêt des
Morts à contrôler son esprit, du moins à davantage maîtriser ses émotions....
De sa main libre le spectre empoigna l'épaule de Nekkar, drainant sa force
vitale pour se régénérer, se grisant d'énergie volée pour voler la vie du
pauvre chasseur. Le visage de Nekkar se crispa de souffrance, mais au lieu de
se dégager, il porta brusquement son poids vers l'avant, poussant le spectre
par-dessus la pierre tombale et lui assénant en même temps un coup de genoux
dans les jambes. Le spectre se sentant tomber activa son pouvoir de
téléportation, et Artholos, Nekkar et Seth le virent disparaître alors que son
corps allait toucher le sol.
Shiro avait suivi l'action et se retrouva nez à nez avec le spectre. Apposant
sa main au niveau du cœur de son adversaire, l'Hindou murmura quelques mots.
« Je sais qui tu es, tu as échoué, nous allons réussir. Je ressens le Souffle
Divin parcourir mes entrailles, ressens sa puissance ».
Le spectre porta son regard sans vie sur la main de Shiro qui disparut dans un
flot de lumière. La lumière grandit, embrasant tout le cimetière et dissipant
la brume qui s'était levée depuis le matin même. Lorsqu'il rouvrit les yeux,
Shiro vit que le spectre avait disparu, tout comme tous les autres adversaires.
Asham sauta de son arbre et s'avança vers les élus qui se remettaient à peine
de leurs émotions.
« C'est assez impressionnant. Vous avez passé l'épreuve avec succès, il n'y a
pas eu de mort .... Maître Yolos avait donc raison de croire en vous. Certains
ont même découvert le Souffle Divin ! Oh, bien entendu, vous ne le maîtrisez
pas encore, mais c'est un bon début. Allez, relevez-vous, aidez les blessés et
suivez-moi, nous allons pouvoir rejoindre le Domaine Sacré. Vous voilà de
véritables guerriers du Sanctuaire ! »
Péniblement, les treize compagnons se regroupèrent derrière Asham sans dire un
mot. Le combat avait été rude, certains étaient blessés, tous étaient encore
sous le choc. Le Guerrier Sacré de Pégase emprunta un escalier qui était apparu
comme le brouillard s'était levé. Les marches s'engouffraient dans la montagne,
rejoignant en son sommet lointain un ensemble de temples et de bâtiments de
marbre. Le Sanctuaire d'Athéna était là, devant eux, enfin !
La découverte du Sanctuaire
Après une heure de marche, qui acheva de puiser dans les forces des éphèbes,
Asham pointa du doigt une double porte de bronze qui complétait une muraille de
pierres taillées de plusieurs mètres de hauteur.
- Voici la porte d'entrée du Sanctuaire d'Athéna. Voilà plusieurs années, j'ai
moi aussi connu l'épreuve du cimetière, avec mes compagnons. Nous étions alors
dix-huit, seuls onze d'entre nous ont pu rejoindre cette porte conduits par
Yolos en personne. Aujourd'hui, nous sommes quatre à avoir pu devenir des
Guerriers Sacrés, les autres ont échoué et sont morts, à l'exception de
Gardohou que vous avez rencontré au village. Vous allez découvrir un monde
extraordinaire, mais surtout vous reposer dans un premier temps, car je sens bien
que vous n'en pouvez plus, finit-il en éclatant de rire.
- Je te trouve bien désagréable, objecta Nekkar en regardant froidement le
Guerrier Sacré de Pégase. Tu as beau être un Guerrier Sacré, tu pourrais
montrer un peu plus de respect envers nous. Nous venons de subir une épreuve
terrible, je ne vois pas ce qu'il y a de marrant !
- Je sais très bien ce que vous venez de vivre pour l'avoir vécu, comme je vous
l'ai dit. Vos têtes portent les séquelles de votre fatigue et d'une grande
lassitude. Il me semble que vous devriez vous détendre maintenant, vous
reposer. Garde, cria-t-il en se retournant vers la porte de bronze. Ouvrez,
c'est Asham de Pégase. Je suis avec les apprentis de Maître Yolos, ils sont
fourbus, hâtez-vous !
La porte s'ouvrit lentement, deux gardes poussant les lourdes portes de métal
dans un grincement désagréable. Treize hommes en chlamyde beige apparurent, se
rapprochant en colonne du groupe. Asham se porta à leur rencontre.
« Conduisez-les dans leurs appartements. Prenez leurs affaires, faites ce qu'il
faut pour qu'ils se reposent, mangent, se lavent. Qu'ils profitent de ces
moments de tranquillité, demain je viendrai les revoir pour faire le tour du
Sanctuaire. En attendant qu'ils ne quittent pas le bâtiment de vie. Je compte
sur vous ! »
Un nouvel arrivant fit son apparition. De grande stature, les cheveux ramassés
en arrière, il portait une toge blanche contrastant avec sa peau noire.
Lorsqu'Asham le vit, ce dernier posa un genou à terre, se relevant en suivant
le signe auguste de l'inconnu. Ce dernier portait une chlamyde blanche qui lui
donnait une certaine noblesse. Son visage dur contrastait avec sa chevelure
brune bouclée, finement parée de fils dorés, l’empêchant de tomber en cascade
sur ses larges épaules.
- Maître Graal, je ne savais pas que vous étiez ici, je disais simplement que
...
- Je sais, coupa son interlocuteur. Dévisageant les élus les uns après les
autres, il poursuivit. « Alors les voilà donc. Je suis Graal, Guerrier Sacré
d'Argent de la Coupe. Je suis en charge du bâtiment de vie dans lequel vous
vivrez en attendant que votre destin soit connu. Dans quelques temps, Yolos
viendra et vous conduira vers notre prêtresse qui vous révélera votre
constellation de tutelle : alors vous rejoindrez votre centre d'entraînement
pour tenter de gagner votre armure, de devenir des Guerriers Sacrés. En
attendant, je serai votre hôte. Asham que vous connaissez déjà se chargera de
vous guider ces prochains jours ».
Graal frappa deux fois dans ses mains et les treize serviteurs prirent les
affaires que les élus avaient posées sur le sol en arrivant. Ces derniers
suivirent sans un mot leurs nouveaux guides, trop épuisés pour objecter quoi
que ce soit. Pour tous, la journée s'acheva dans une modeste chambre de pierre,
dans un lit de bois, seul meuble disponible avec une petite table et un petit
tabouret. Avant de fermer les yeux pour dormir, Macubex eut une pensé fugace «
nous quittons une prison pour une autre, nous ne connaîtrons donc plus la liberté
? ».
Le lendemain matin, les éphèbes se retrouvèrent dans une salle d'assez grande
taille pour prendre un premier repas. Ce dernier fut bien moins bon que ceux
servis dans le village du Sanctuaire, ce qui fit regretter à quelques-uns de
l'avoir quitté. Asham vint chercher le groupe pour mener tambour battant une
visite approfondie du Sanctuaire. Concentrés sur les explications de leur
guide, les compagnons découvrirent leur nouvel univers.
- La grande bibliothèque satisfera aisément les érudits qui sommeillent en
vous. Vous pourrez y aller bientôt, à partir de demain. Le silence doit y être
observé. Le scribe du Sanctuaire vous en dira plus lorsque vous rejoindrez ce
fabuleux endroit. Toujours dans ce bâtiment, que l'on nomme le Naos, le cœur
intellectuel du Sanctuaire, se trouve la salle de réception de la prêtresse
d'Athéna, poursuivit-il en indiquant une porte de bois barrant le passage d'un
couloir encadré de colonnes de marbre noir. C'est là que vous connaîtrez votre
destin.
- Excuse-moi Asham, coupa Mâa en s'avançant, mais nous connaissons déjà notre
destin : servir une déesse inconnue, Athéna ... au mépris de notre précédente
vie, de nos croyances les plus profondes.
- Tu ne peux parler ainsi Mâa. Tu es bien celui qui servait Râ. Une déesse t'a
choisi, ton dieu ne t'a pas retenu il me semble ... Garde ta rancœur, Athéna
est une grande déesse. Quant à votre destin, je voulais dire vos
constellations, vos ordres. Vous saurez bientôt qui deviendra hypothétiquement
un Guerrier Sacré d'Argent ou de Bronze.
- Quelle est la différence ? demanda Pallas, devançant de peu Asturias qui se
tût écoutant attentivement la réponse du Guerrier Sacré de Pégase.
- Et bien, c'est assez simple en réalité. Les Guerriers Sacrés de Bronze sont
destinés à défendre les intérêts des Hommes partout dans le monde, ce sont des
guerriers. Les Guerriers Sacrés d'Argent sont les défenseurs du Sanctuaire et
du dogme d'Athéna, ce sont en quelque sorte les sages.
Séléné apostropha Asham d'une voix lourde de sous-entendus : « Qui sont les
plus forts ? Bronze ou Argent ? Moi seule l'idée d'être le plus fort
m'intéresse. Réponds-moi, es-tu plus fort que Yolos ? »
Asham sourit, comme s'il avait préparé cette question bien à l'avance.
- Ce qui caractérise la puissance d'un Guerrier Sacré, c'est son Kosmos. Les
Armures de bronze sont un peu moins résistantes que les Armures d'argent ....
Asham marqua un temps d'arrêt en baissant les yeux, plongé dans une intense
réflexion, cherchant les meilleurs mots. Il reprit d'une voix assurée : « Yolos
est plus puissant que moi car il maîtrise le Souffle Divin depuis bien
longtemps. Mais s'il est un Guerrier Sacré d'Argent, c'est uniquement parce
qu'il est plus sage que moi, plus enclin à réfléchir à nos rites, nos missions
... C’est un état d'esprit en fait, plus qu'une différence de puissance. »
- Et qui décidera de notre appartenance à tel ou tel rang de Guerrier Sacré ?
s'enquit Asturias de plus en plus intéressé par ces révélations, au même titre
que Shiro qui s'avança à son tour comme pour mieux écouter Asham.
- Le sort est déjà scellé, depuis votre naissance. La Pythie a révélé votre
personnalité secrète, notre prêtresse vous en dira davantage très bientôt. En
attendant suivez-moi, il nous reste quelques bâtiments à visiter.
- Il reste une dernière question, si tu le permets Asham.
Le Guerrier Sacré de Bronze cacha maladroitement son énervement par un soupir
prolongé et se rapprocha de Macubex qui venait de l'apostropher.
- Oui, que voulez-vous savoir encore ?
- Qui étaient ces êtres qui nous ont attaqués dans le cimetière ? Pourquoi
certains d'entre nous ont su réveiller leur Souffle Divin quand d'autres, dont
moi, éprouvions les plus grandes difficultés à nous battre ..., demanda-t-il
d'une voix grave, soutenu par quelques murmures de ses compagnons, Nevali en
tête qui avait le plus souffert du dernier combat.
- Graal vous expliquera tout ceci en temps voulu. Mon devoir est de vous faire
découvrir le Sanctuaire, ce genre de questions trouvera réponse plus tard.
Bien qu'agacés par le manque de réponses les élus poursuivirent leur visite
sans poser davantage de questions. Les mines étaient graves et finalement ils
suivirent Asham sans véritablement profiter des lieux. Le Sanctuaire s'étalait
à flanc de montagne en de multiples bâtiments plus majestueux les uns que les
autres. Les temples étaient assez rares, tous dédiés à Athéna de par un
qualificatif spécial : Athéna Invincible, Athéna Victorieuse, Athéna
Miséricordieuse, Athéna la Sage ... Au sein même du Sanctuaire vivaient des
enfants, des femmes, des guerriers et des marchands. Tous déambulaient entre
les édifices de pierre et de marbre. Quelques jardins d'oliviers apportaient un
peu de verdure, quelques bassins de la fraîcheur aux plus chaudes heures de la
journée. Asham acheva sa tournée par la visite d'une arène où luttaient deux
adolescents sous les cris d'une foule encourageant les champions. Il s'agissait
de lutte à main nue, les deux combattants rivalisant de technique de mettre
leur adversaire au sol. Le vainqueur était celui qui parviendrait à maintenir
les deux épaules de son opposant pendant un temps donné contre la terre
rougeâtre de l'arène. Séléné se montra très intéressé par le combat, montrant
par ses commentaires qu'il avait beaucoup appris auprès de son maître en arts
martiaux à Hattousa. Il fini par poser la question qui brûlait les lèvres de
chacun.
- Et le vainqueur, il aura quoi ?
- Ces deux jeunes garçons de treize et quatorze ans luttent pour pourvoir
devenir des Guerriers Sacrés de Bronze. Ils vivent ici depuis leur naissance et
ont préparé ce moment toute leur vie. Tous deux sont sous la protection de la
constellation de la Licorne. Le vainqueur partira en quête de cette armure de
Bronze, le vaincu entrera au service du Sanctuaire, comme guerrier.
Le combat faisait rage et c'est le plus jeune, un adolescent assez fluet, brun
aux cheveux longs, qui avait maintenant l'avantage, esquivant chaque attaque et
harcelant son adversaire de petits coups dans les côtes flottantes, travail de
sape qui semblait devoir payer au regard de l'épuisement du plus costaud des
deux.
- Nous devrons nous aussi passer par cette arène ? questionna Pallas sans
quitter du regard le combat.
- Non, vous êtes déjà désignés. Une constellation pour chacun d'entre vous.
Vous n'êtes pas du Sanctuaire, et vous êtes ... Asham marqua une pose ... «
Différents. Ça y est, c'est fini », conclut-il en observant l’un des
combattants mordre la poussière.
Dans une dernière vaine tentative, le jeune garçon blond se jeta en avant vers
son adversaire qui fit un pas de côté et lui assena un coup de poing au plexus
solaire. « Ploutos debout ! Relève-toi ! » hurla une partie de la foule. Las,
le combat était fini. Vincoron fut déclaré vainqueur. Le plus fluet avait gagné
le droit de tenter de devenir un Guerrier Sacré, honneur suprême du Sanctuaire.
Treize éphèbes le regardaient du haut d'une tribune, espérant le suivre bientôt
dans cette nouvelle vie.
De Bronze et d'Argent
- Ce que j'aime ici, c'est la tranquillité. Inutile de nous inquiéter, on ne
nous prévient qu'au dernier moment. D'ailleurs c'est assez simple, le schéma
est toujours le même : on nous convoque, on nous emprisonne, nous avons le
droit d'avoir une occupation, nous faisons un petit tour, un gros combat
arrive, on nous dit « voilà vous allez commencer une nouvelle vie » et tout
recommence.
- Tu es bien cynique Seth, mais tu as raison, soupira Harald en regardant le
soleil se refléter dans l'eau du bassin.
- Nous sommes ici depuis dix-huit jours et rien, plus de nouvelles. Asham ne
sait que répondre « bientôt », Graal a disparu, tout comme Yolos ... Le temps
devient long ! Au moins au village, nous avions la nature, les champs ... là du
marbre, des cailloux, quelques oliviers certes, mais que la nature me manque,
dit Frank d'une voix mélancolique.
Seth se leva et s'étira.
- Bon, nos érudits sont à la bibliothèque, je suppose. Shiro, Asturias, Mâa,
Darkhan et l'Etranger ne quittent pas cet endroit. Les autres passent leur
temps dans le centre d'entraînement, à faire des exercices physiques, soulever
des poids, simuler des combats ...
Frank se leva à son tour, regardant la silhouette qui s'avançait au loin.
- Séléné, répondit-il sans quitter le nouvel arrivant du regard, « passe son
temps seul, à frapper la roche ». Frank se tut et regarda au loin. « Lui »,
reprit-il, « je ne sais pas ce qu'il nous veut mais il vient vers nous ».
Harald se pencha et reconnut le premier l'homme portant une chlamyde blanche et
dégageant une grande prestance, accentuée par le décor de temples majestueux
reflétant le soleil qui régnait dans le ciel azur.
« C'est Graal ! On dirait que les choses vont enfin bouger ! »
Effectivement Graal s'avançait d'un pas soutenu vers les trois éphèbes. En
quelques mots, il leur demanda de convier tout le monde dans le bâtiment
central, la prêtresse d'Athéna devait les recevoir. Graal expliqua qu'ils
allaient enfin comprendre ce qui s'était passé dans le cimetière et surtout ce
qui les attendait dans les jours à venir. Il fallut une bonne heure, le temps
de trouver tout le monde et surtout Séléné dans les montagnes toutes proches
mais labyrinthiques du Sanctuaire. Graal accueillit les éphèbes sur le pas de
la porte menant à la salle de la prêtresse.
« Voici un grand jour pour vous », commença-t-il. « Vous allez enfin savoir qui
vous êtes, ce qui vous attend. Voilà plusieurs jours, vous avez quitté le
village du sanctuaire en franchissant l'épreuve du cimetière. Vous avez su
résister aux morts, résister à la peur, et pour certains découvrir une partie
infime, mais réelle, du Souffle Divin. Je subodore que vous aimeriez savoir qui
étaient vos adversaires. C'est normal, il est temps que le voile se lève. »
Graal se mit à marcher de gauche à droite, expliquant avec force gestes ce qui
s'était passé. Le Guerrier Sacré de la Coupe n'avait rien à voir avec Yolos.
Alors que ce dernier était très posé, quasi hiératique, Graal avait un visage
enjoué, le crâne chauve à l'exception d'une petite tresse de cheveux bleutés.
Sa musculature apparente ne laissait aucun doute quant à ses capacités de
combat, mais tous savaient maintenant qu'en tant que Guerrier Sacré, son réel
pouvoir résidait dans son Souffle Divin.
« Lorsque qu'un mortel entre au service d'Athéna et obtient le droit de devenir
un Guerrier Sacré, c'est un immense honneur. Mais qui dit droit ne dit pas dû.
Pour devenir un Guerrier Sacré, il faut trouver son armure de tutelle et
réveiller le Souffle Divin qui vit en elle. Rejoignant celui de son porteur les
deux ne forment alors plus qu'un, un Guerrier Sacré. Entrer en quête de cette
armure, c'est enclencher un destin qui n'a que deux conclusions possibles : la réussite
ou l'échec. L'échec est généralement sanctionné de mort, mais parfois l'échec,
c'est l'acte de trahison envers Athéna. Je dirais même que la quête ne cesse
jamais. Devenu un Guerrier Sacré, on peut toujours faillir, trahir ... »
Graal se tut un instant pour que tous puissent saisir l'importance des mots
qu'il prononçait avec de plus en plus de gravité : « Ceux que vous avez
combattus sont ceux qui, par le passé, ont trahi Athéna ou sont morts à son
service. Pour les premiers ce sont d'autres Guerriers Sacrés qui ont exécuté la
sentence divine. Entrer au Sanctuaire, c'est appartenir pour l'éternité à
Athéna. Ceux qui sont morts par vaillance, défendant leur déesse jusqu'au bout,
sont assurés de la miséricorde d'Athéna, leur esprit sera à jamais honoré. Pour
ceux qui ont failli par faute, ceux qui ont trahi, notre déesse impose pour
l'éternité de sonder l'âme des éphèbes dans un combat à mort. L'apprenti qui
est faible d'esprit et de conviction mourra, il remplacera alors celui qui
trahit jadis. Ce dernier pourra se reposer dans les limbes du Sanctuaire. Quant
aux autres, le Royaume d'Hadès les accueillera de nouveau, au milieu des pires
criminels et monstres qui soient. »
Une nouvelle fois, Graal marqua un temps de silence, dévisageant les éphèbes
qui ne masquaient pas leur effroi. Leur vie était visiblement scellée, sur
Terre, mais aussi dans l'au-delà ...
- Pardonnez-moi, Maître Graal, mais je crois que tout n'est pas si aisé,
objecta Asturias en baissant son regard pour ne pas offenser plus avant le
Guerrier Sacré qui lui jeta un regard sombre. « Il n'y avait pas que des morts
parmi nos adversaires, il y avait aussi un Daimonos, horreur infernale s'il en
est ... »
- Et aussi un démon magicien, et un vampire, poursuivit Frank.
Graal ferma les yeux.
« Le Royaume d'Hadès est trouble ... Je suppose que ces êtres ont du suivre nos
morts vers la lumière du Sanctuaire ... l'important est que vous les ayez
vaincu, avec un certain brio d'ailleurs, ce qui m'amène au second point ».
Graal recula d'un pas et cessa de marcher. Il se ficha devant ses auditeurs,
prenant une voix plus douce.
- Vous allez bientôt connaître vos constellations de tutelle. Vous partirez
alors vers des terres inconnues, chacun de votre côté, en quête de vos armures.
Cela prendra pour certain des mois, des années ... Cela prendra le temps que
vous réveilliez vos Souffles Divins et surtout que vous les maîtrisiez. Shiro,
Mâa ou Frank ont su réveiller leur Souffle Divin dans le tumulte de la
bataille. Vous y parviendrez tous, c'est une certitude. Mais le maîtriser sera
une longue route ... longue mais nécessaire pour réveiller vos armures.
Personne ne vous aidera, vous serez seuls, seuls face à vous-mêmes. Derrière
moi se trouve notre Grande Prêtresse. C'est elle qui va désigner en sondant vos
âmes ceux qui tenteront de devenir des Guerriers Sacrés de Bronze ou d'Argent.
Il est temps que la vérité voit le jour ! conclut-il en se retournant et en
ouvrant la grande porte de bois. Il fit un pas sur le côté et d'un signe de la
main indiqua aux éphèbes de pénétrer dans la salle.
La salle était entièrement de marbre blanc. De grands voiles de tissu rouge
pendaient entre des colonnes soutenant un plafond représentant une nuit
étoilée. Debout sur une estrade, apparaissant petit à petit derrière un écran
de fumée se tenait une femme d'une grande prestance. Elle portait une tunique
rouge et noire, de longs cheveux blonds tenus par des bijoux en or et dans sa
main droite un sceptre dont les extrémités scintillaient d'une lueur jaune
pale. Machinalement les élus se mirent en rang, faisant face à cette femme qui
leur rappelait par certain traits la prêtresse d'Hattousa.
« Vous voici devant moi pour connaître la vérité révélée par la Pythie. Vos
âmes ne peuvent mentir, je sais qui vous êtes à présent. Dans quelques
instants, certains atteindront le rang d'éphèbes de Bronze. A eux la charge de
remporter leurs armures pour défendre les hommes partout dans le vaste monde.
Aux autres de remporter leurs armures d'Argent. A ces derniers la charge de
défendre le sanctuaire et le dogme de notre déesse, mère de sagesse et mère des
guerriers les plus farouches, Athéna ... »
Le visage de la prêtresse demeurait en partie caché par le voile de fumée et la
pénombre qui s'amplifiait maintenant. Seules scintillaient les deux extrémités
de son sceptre. Elle tendit ce dernier en avant, visant Darkhan qui se trouvait
à l'extrémité gauche du groupe. Un trait de lumière vint le frapper, bientôt
suivi de douze autres frappant chacun des éphèbes. Comme ces derniers étaient
encore sous le choc et se préparait comme Nevali à bondir sur la prêtresse
cette dernière leva son spectre vers les étoiles peintes au plafond. Treize
constellations brillèrent, chacune éclairant l'un des élus.
- C'est fantastique, murmura Darkhan en retenant le bras gauche de Nevali.
Regardez, les constellations nous ont choisies !
- Harald, Artholos, Nekkar, Nevali, Séléné, Darkhan, Seth, et Pallas, avancez
d'un pas et posez un genou à terre à présent.
Sans objection, les compagnons obéirent. Darkhan admirait la voûte céleste
comme s'il découvrait pour la première fois une nuit étoilée.
- Vous rejoindrez dans un mois vos armures de bronze dans des contrées souvent
hostiles. Nul doute que vous triompherez. Vous reviendrez comme Guerrier Sacré
de Bronze, défenseurs de l'Humanité au service d'Athéna. Vous autres, faites à
votre tour deux pas en avant, posez un genou à terre.
Asturias, Macubex, Shiro, Mâa, et Frank s'exécutèrent, comprenant ce qui les
attendait.
« Vous serez vous cinq des Guerriers Sacrés d'Argent, défenseurs du Sanctuaire
et du dogme. Avant de rejoindre à votre tour vos armures, vous devrez encore
démontrer votre courage en servant Yolos lorsqu'il reviendra. »
La prêtresse fit signe aux treize éphèbes de se relever. Conservant son ton
mystérieux et presque irréel, elle conclut.
« Dans un mois, vous connaîtrez vos lieux de quête. Dans un mois vous saurez
quelles constellations vous ont choisis. En attendant, profitez de ces longues
semaines pour parachever votre formation, compléter votre entraînement. Vous
serez bientôt seuls, dans des endroits hostiles. La mort rôdera à chaque
instant. Préparez-vous au pire, préparez-vous à affronter votre pire ennemi :
vous ! Ce n'est qu'en acceptant ce que vous êtes, qu'en dépassant vos limites,
que vous réussirez dans la voie qu'Athéna a tracée pour vous. »
Ils étaient ensemble depuis le début. Voici que le destin voulait les séparer
une nouvelle fois. Du moins savaient-ils maintenant qu'ils allaient reprendre
les rênes de leur vie, seuls face à leur destin.
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[1] Bouclier grec concave de forme
circulaire, généralement de bronze.
[2] Glaive grec à un seul tranchant,
légèrement courbé vers l’intérieur.