La Toloméa
  "Monseigneur !"
  Une sentinelle vêtue d'un surplis de squelette venait de pénétrer dans le  grand édifice qui servait de lieu de résidence au mystérieux homme en noir.  L'âme damnée de l'Empereur des Ténèbres se leva de son trône et demanda au  garde :
  "Que me veux-tu ?"
  "Sa majesté veut vous voir le plus rapidement possible, bien que  j'ignore les raisons de cette convocation..."
  L'homme en noir sourit sous sa cape :
  "En ce qui me concerne, je crois savoir pourquoi...Pour en avoir la  confirmation, je vais me rendre le plus tôt possible dans la Giudecca. Tu peux  disposer, je ne ferai pas attendre l'Empereur des Ténèbres."
  "Très bien, monseigneur."
  La sentinelle partie, l'âme damnée de l'ennemi juré de la déesse Athéna  quitta rapidement la Toloméa pour la Giudecca. Sur le chemin menant à l'ultime  point des Enfers, il avançait le coeur battant et le sourire aux lèvres, comme  s'il avait un bon pressentiment, comme s'il sentait que l'Empereur des Ténèbres  lui apporterait de bonnes nouvelles. Après quelques minutes de marche, il  arriva en face des grandes tentures rouges qui abritaient le Dieu des Enfers.  L'homme en noir s'agenouilla rapidement :
  Me voici à votre disposition, votre majesté. Que puis-je faire pour votre  service ?
  La voix grave et mélancolique de l'Empereur des Ténèbres résonna alors  dans la Giudecca :
  "L'heure est venue..."
  Un sourire se dessina sur le visage de l'âme damnée du dieu ténébreux.
  "C'est aujourd'hui que ce qui devait arriver va se produire, poursuivit l'Empereur des Ténèbres. Comme je te l'avais annoncé, lorsque tu  es entré à mon service, il y a dix-huit ans..."
  "Je m'en rappelle très bien, votre majesté, approuva l'homme en  noir. Que faudra-t-il faire ?"
  "Peu de choses...Comme je te l'avais dit quelques heures auparavant,  "il" viendra de lui-même à nous ! Tu n'auras qu'à te rendre sur Terre  pour l'accueillir !"
  "Votre majesté...Veuillez excuser mon audace, mais comment cela  sera-t-il possible ?"
  Le silence envahit la pièce pendant dix secondes, puis l'Empereur des  Ténèbres reprit :
  "Son degré de perturbation va atteindre son maximum...Quand il  découvrira que le péché hante ce lieu qui l'a accueilli, il n'y tiendra  plus..."
  Le Dieu des Enfers parlait par énigmes, de telle sorte que son âme damnée  ne saisissait qu'à moitié ce qu'il voulait dire :
  "Votre majesté...après que ce qui doit se produire arrivera, cela  sera le signe que la lutte pour débarrasser la Terre du péché commencera  réellement ?"
  "Oui...Quand je serai sorti de l'ombre, la Guerre Sainte prendra  un nouveau tournant et mon triomphe se produira !"
  L'homme en noir sourit.
  "Pour cela, il va te falloir agir...Regarde sur ta  droite...Vois-tu cette boîte noire ?"
  "Oui, majesté..."
  "Bien...Prends-la...Voilà...Maintenant, ouvre-la et regarde son  contenu..."
  L'homme en noir s'exécuta, mais eut une surprise après avoir obéi à  l'ordre de son supérieur :
  "Je...Je ne comprends pas, cette boîte est vide !?"
  "Plus pour longtemps...Tends-la vers ces tentures..."
  L'âme damnée de l'Empereur des Ténèbres obéit et tendit la boîte ouverte  vers les grandes tentures rouges derrière lesquelles se trouvait le Dieu des  Enfers. Subitement, les tentures s'écartèrent pour laisser place à un halo  sombre qui manqua d'aveugler l'homme en noir, qui fut contraint de baisser les  yeux vers le sol et d'attendre que la boîte se refermât. Le mystérieux  personnage dut attendre une vingtaine de secondes avant de relever la tête et  d'apercevoir la boîte fermée entre ses mains. Il ne mit guère de temps à  comprendre ce qui s'était passé, sans doute guidé par son intuition et le  spectacle des tentures ouvertes devant lui. Il esquissa un bref sourire, puis  se retourna et marcha vers la sortie de la Giudecca en murmurant :
  "Cela va enfin arriver...Une nouvelle ère va apparaître sur  Terre...Une ère de renouveau sous la férule de sa majesté !!"
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  Le temple d'Athéna
  Le Grand Pope était agenouillé devant la déesse de la Guerre. La jeune  fille aux cheveux noirs et bouclés et aux yeux verts olive semblait sereine,  bien que tout portait à croire que des heures sombres s'annonçaient pour le  Sanctuaire et le genre humain. S'en rendant compte, le chef des chevaliers  sacrés demanda à la fille de Zeus :
  "Ma déesse...Pourquoi êtes-vous si calme alors que le pire peut  arriver d'un moment à l'autre ?"
  Athéna répondit :
  "Grand Pope...Après huit morts et autant de résurrections, j'ai pris  l'habitude de rester digne et de garder mon sang-froid, malgré les dangers  encourus par la Terre et ses habitants ! Les combats contre Arès et ses  bersekers, contre Poséidon pour la possession de l'Attique, contre Cronos et  les Titans...Tant de combats, dont le dernier date de l'an de grâce 1538 contre  le Dieu des Enfers, m'ont forcée à garder la tête froide, même dans les  situations les plus critiques !"
  La jeune fille se tut, avant de reprendre :
  "En revanche, Grand Pope, je sens que l'inquiétude est présente dans  votre coeur...Est-ce à cause de ce que vous m'avez dit quelques minutes  auparavant ?"
  "En effet, ma déesse...Le parallèle entre la situation de 1538 et  celle-ci me trouble fortement...Je crains, avec tout le respect que je vous  dois, ma déesse, que votre décision ne fasse courir un risque au  Sanctuaire..."
  Athéna répliqua en fronçant légèrement les sourcils :
  "Je ne suis point naïve, Grand Pope. Ce risque existe, je le sais.  Mais, comme je vous l'ai dit ce matin, aucune Guerre Sainte ne ressemble à la  précédente ! En se fondant sur ce parallèle, un risque plus grave aurait été  encore pris ! Nous ne pouvons nous permettre d'agir sur des estimations et des  doutes !"
  Puis, sur un ton plus reposé :
  "Je connais votre caractère, Grand Pope. En l'an de grâce 1538, vous  étiez le plus fort, le plus dévoué des douze chevaliers d'or de la précédente  génération, mais aussi le plus aventureux, ce qui a failli vous attirer des  ennuis, mais ne vous a nullement empêché de devenir mon représentant sur  Terre...Toutefois, en ces temps difficiles, il me faut reprendre l'initiative.  Je vous ai laissé agir jusque là, mais à présent, faites-moi confiance, comme  vous le faisiez il y a deux cent cinq ans ! M'avez-vous compris, Grand Pope  ?"
  La déesse de la Guerre dut attendre une dizaine de secondes avant d'avoir  une réponse de la part de son serviteur :
  "J'ai compris, déesse Athéna. Je suis prêt à vous obéir."
  La jeune fille sourit :
  "Je n'en attendais pas moins de vous, Grand Pope...A présent,  suivez-moi, nous allons nous rendre sur Star Hill pour y consulter les étoiles  !"
  Le vieil homme approuva d'un hochement de la tête, puis suivit sa déesse.  Tout en marchant, il songeait :
  "Quelque soit la position des étoiles, plaise à Dieu qu'elle nous  soit favorable..."
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  La maison du Lion
  Daniel scrutait attentivement l'horizon recouvert par la nuit. Un léger  vent automnal venait caresser son visage et frôler son armure d'or. L'air  grave, le chevalier du Lion pensait :
  "Un jour s'achève et les évènements ne se sont pas encore  précipités...Il n'y a pas eu d'alerte indiquant une attaque de la part des  sbires de l'Empereur des Ténèbres...Après un début de bataille avorté la nuit  dernière, je me pose encore des questions...Et dire qu'il nous faudra affronter  une centaine d'ennemis alors que nous ne sommes même pas quatre-vingts..."
  "Maître Daniel !"
  Le visage du chevalier d'or se tourna vers la droite et il aperçut deux  de ses disciples, Cristobal du Toucan et Edgar du Corbeau. Le gardien de la  cinquième maison du Zodiaque les salua :
  "Bonsoir. Que faites-vous par ici ?"
  "La nuit tombe, il nous a paru judicieux de venir ici,  maître."expliqua le chevalier du Corbeau.
  "Qu'est-ce qui vous fait dire ça ? Et si l'ennemi attaquait ?"
  "S'il se rend jusqu'aux douze maisons du Zodiaque, nous savons que  vous et les autres chevaliers d'or saurez les arrêter ! Vous êtes invincibles,  nous n'en doutons pas !"ajouta le chevalier du Toucan.
  Daniel objecta :
  "Détrompe-toi, Cristobal...Les chevaliers d'or ne sont pas  infaillibles, ils peuvent même connaître le doute et la peur, voire la  défaite..."
  "Maître..."
  Le chevalier du Lion se tut brièvement avant de reprendre :
  "Tôt ou tard, nous allons devoir nous battre contre 108 ennemis dont  nous ne savons pas grand-chose...Je ne devrais pas être là en train de douter,  surtout après la remarque que le Grand Pope m'a faite hier soir, mais je n'y  puis rien..."
  "Ne vous en faites point, maître, répondit Cristobal, vous n'êtes  pas devenu chevalier d'or par hasard ! Vous vous en sortirez, nous le savons !  Nous avons foi en vous et les douze chevaliers d'or !"
  Daniel sourit tristement :
  "Ne soyez pas trop optimistes...A l'heure actuelle, si l'on excepte  le chevalier de la Vierge, qui est l'homme le plus proche de Dieu, les gardiens  des maisons du Zodiaque appréhendent l'instant où ils devront se battre...J'ai  senti de l'inquiétude chez certains de mes frères d'armes, comme Bosching des  Gémeaux, pourtant réputé pour son caractère impitoyable, et la rumeur prétend  qu'Eon des Poissons aurait été pris d'une crise de sanglots la nuit  dernière...Nous sommes l'élite de la chevalerie d'Athéna, mais nous restons  néanmoins des hommes..."
  Le chevalier d'or marqua une nouvelle pause, avant de reprendre :
  "Cela dit, je ferai tout mon possible pour être digne de l'armure  que je porte depuis près de dix ans...Et vous, comment vous sentez-vous à  l'approche de ce grand combat ?"
  "Eh bien, maître, je suis à la fois impatient et inquiet de  combattre..."dit Edgar.
  "C'est une chose humaine, répliqua le chevalier du Lion. J'ai  récemment vu passer le chevalier d'argent de Persée, et il ne semblait pas être  très détendu..."
  "En ce qui me concerne, fit Cristobal, je me demande où est Emma,  l'une de mes deux disciples...Je tenais à la voir pour lui parler des prochains  combats, mais elle n'était pas à son lieu d'entraînement habituel..."
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  La demeure des Roligny
  Les époux Roligny venaient tout juste de rentrer de leur petite promenade  et s'apprêtaient à souper. Une fois qu'Etienne Roligny eut franchi le seuil de  la demeure prêtée par le Grand Pope, il appela son fils :
  "John ! Nous sommes rentrés ! Nous allons bientôt prendre place à  table !"
  Il n'y eut pas de réponse. Intrigué, le père du jeune homme l'appela de  nouveau, d'une voix un peu plus forte :
  "John ! Il va bientôt falloir souper !"
  Mais ce fut une toute autre voix qui répondit au négociant calviniste :
  "Vous êtes donc rentré avec votre épouse, Etienne ?"
  C'était la voix du révérend Valnoy. Le précepteur de John venait  d'apparaître devant les époux Roligny. Catherine se chargea de le saluer :
  "Bonsoir, révérend, nous venons juste de rentrer...Nous nous étions  promenés après avoir étudié quelques préparatifs pour notre voyage vers  Istanbul...Après ça, nous nous sommes promenés..."
  "Vous avez fait comme votre fils, en somme...Je ne sais si vous  l'avez remarqué, Catherine, mais il ne semblait point se porter très bien  !"
  "Nous l'avions remarqué ce matin, révérend, et même cet après-midi,  avant qu'il ne parte...J'ignore les raisons de son état, je dois  l'avouer...Est-il rentré depuis ?"
  "Il me semble, supposa le pasteur, qu'il est passé brièvement ici,  puis est rapidement reparti...Ne vous inquiétez point, Catherine, sitôt que  nous serons partis du Sanctuaire, votre fils ira beaucoup mieux ; il sera  éloigné de l'aura négative des serviteurs d'Athéna et pourra vivre de nouveau  comme le bon chrétien qu'il est !"
  Etienne Roligny sourit timidement :
  "Peut-être, révérend..."
  Catherine n'était guère convaincue :
  "Révérend, il me semble que ce n'est pas l'influence du Sanctuaire,  en tout cas, pas exclusivement, qui est à l'origine de la tristesse de  John...Il semble abriter une douleur secrète, qu'il n'ose confier à personne..."
  Valnoy posa brièvement sa main sur le bras de la mère de John, puis lui  dit d'un ton bienveillant :
  "Catherine, vous vous inquiétez pour votre fils. C'est votre devoir  de mère, vous le remplissez parfaitement, et c'est tout à votre honneur. Mais, croyez-en  un vieux porte-parole du Seigneur, je suis convaincu que la mélancolie dont  votre fils est victime disparaîtra sitôt que nous nous serons éloignés de ces  idolâtres que sont le Grand Pope et les chevaliers sacrés. Nous pourrons de  nouveau nous consacrer pleinement à la foi chrétienne, votre fils le premier,  nous partirons ensuite pour Istanbul, où John saura comment suivre votre  exemple, Etienne, fit le révérend en se tournant vers le père de John, puis  nous reviendrons à New Rochelle où John, devant l'Eternel, épousera Jeanne, sa  promise, et mènera une vie de négociant, d'époux et de père conforme à la  volonté divine. J'en suis certain, alors ne vous inquiétez guère pour votre  fils, il nous suffit d'un peu de patience, comme vous l'avez vous-même dit hier  soir, Etienne..."
  "Dieu seul sait ce qu'il en est, révérend, répondit le père de John.  Mais en attendant, il serait bon que notre fils nous rejoigne...Je me demande  où il peut bien se trouver à l'heure qu'il est..."
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  La maison des Poissons
  John se trouvait derrière la porte de la chambre d'Eon et s'était  immobilisé devant ce qu'il voyait. Un événement inattendu qui avait toutefois  été déjà vu par Emma, celle qu'il désirait. Le chevalier de la Colombe n'avait  pas songé à frapper avant de pénétrer dans la pièce et s'était retrouvée face à  quelque chose que les habitants du Sanctuaire étaient loin d'imaginer. Elle  avait vu le chevalier des Poissons dans son plus simple appareil et découvert  que le gardien de la douzième maison du Zodiaque était en fait une gardienne ;  Eon des Poissons n'était pas un homme particulièrement efféminé, mais une femme  à part entière. Une femme aux cheveux entre le brun et le roux, qui lui  tombaient presque sur les épaules et qu'elle dissimulait d'ordinaire sous le  casque de l'armure des Poissons. Sitôt après avoir été démasquée (s'il était  possible de s'exprimer de la sorte), Eon avait tâché de paraître plus décente  en couvrant ses formes de son drap, puis s'était effondrée sur son lit. A  présent, elle pleurait amèrement, sous le regard masqué, mais navré d'Emma et  sous les yeux abasourdis de John, qui s'efforçait de ne pas se faire remarquer.  Mal à l'aise, le chevalier de la Colombe tentait de s'excuser :
  "Eon...Je...Je suis désolée...Je...Je n'aurais pas dû entrer comme  ça..."
  Le chevalier des Poissons lui répondit entre deux sanglots :
  "Tu...Tu n'y es pour rien...Il fallait bien que cela arrive...un  jour ou l'autre...on ne peut éternellement masquer sa vraie nature..."
  "Mais de quoi parles-tu, Eon ?...Et pourquoi avoir caché pendant  sept ans ta féminité ?"
  Eon pleura encore pendant une minute, puis regarda Emma de ses yeux  rougis par les larmes et s'expliqua tant bien que mal :
  "C'est...C'est assez compliqué...Il...Il y a tant de choses à dire  sur ce sujet...L'entrée...L'entrée dans la chevalerie d'Athéna n'est pas aisée  pour les femmes, bien que nous obéissions à une déesse...Toi-même es bien  placée pour le comprendre...tu es la seule avec ma disciple Elvira à avoir eu  ce privilège, mais les élues sont bien peu nombreuses...Et il n'est point  possible pour une femme de faire partie de l'élite de la chevalerie, en  l'occurrence les douze chevaliers d'or...L'on a découvert un peu par...par  hasard mon potentiel et il était celui d'un chevalier d'or, je ne pouvais me permettre  de gagner...gagner l'armure des Poissons sous mon identité de femme...Ce qui  m'a poussée à bander mes seins et à coiffer mes cheveux de sorte que l'on me  confonde tout à fait avec...avec l'homme que je ne suis pas..."
  Derrière la porte de la chambre, John entendait à peine son coeur battre,  tant il était encore sous le choc :
  "Et...Et dire que j'avais du mal à m'imaginer que ce chevalier  d'or soit un homme...Et pour cause !...Quelque part, je n'en suis point fâché,  cela signifie que je n'étais pas en proie à des pulsions indignes...d'un  certain point de vue..."
  Le fils d'Etienne Roligny fut cependant sorti de ses réflexions par une  question que venait de poser Emma à la jeune femme :
  "Eon...Tu m'as dit que tu avais été découverte un peu par  hasard...Il y a sûrement autre chose qui t'a poussée à masquer ta  féminité..."
  Le chevalier d'or renifla un bref instant avant de répondre à la femme  chevalier :
  "C'est...C'est exact..."
  "Et qu'est-ce donc ?"
  Eon répondit après avoir émis un court soupir :
  "Ce...Ce n'est pas facile de le dire...Une...Une crise d'identité  m'a saisie quand j'avais... treize ans, à l'orphelinat de Mytilène où je  vivais, sur l'île de Lesbos...Je me posais des questions sur moi-même, sur ce  que j'étais vraiment...C'est...C'est un peu ça, avec la possibilité de devenir  chevalier d'or, qui m'a conduit à dissimuler mon identité sexuelle, si j'ose  dire...Parfois, je me demandais qui j'étais vraiment, homme ou femme...Tu l'as  vu ; à l'état naturel, je suis une femme, mais je peux aussi bien passer  pour...pour un homme complètement efféminé qui pouvait troubler les membres de  la gente masculine..."
  Derrière la porte de la chambre, John esquissa un bref sourire. Alors que  le trouble ressenti devant le visage ravissant d'Eon l'avait perturbé à court  terme, il l'amusait désormais.
  "Tout s'est mélangé à partir de là, poursuivit le chevalier des  Poissons. Pendant ces nombreuses années où j'ai dû lutter pour pouvoir devenir  la gardienne...ou plutôt le gardien de la douzième maison du Zodiaque, je me  suis habituée à me complaire dans l'ambiguïté...Et pourtant, chaque soir où je  rentrais dans ma chambre, je redevenais une femme...Ce sont des choses bien  compliquées, Emma...Mais je pense que tu as tout compris...Ma crise d'identité  et mon possible avenir dans la chevalerie d'Athéna m'ont poussée à me montrer  au grand jour sous l'apparence d'un homme...Un homme aux traits féminins, mais  un homme tout de même..."
  Emma avait écouté attentivement les explications du chevalier d'or. Elle  avait rapidement remarqué qu'Eon s'était exprimée parfois avec hésitation,  parfois avec douleur, mais elle avait tout compris. La jeune femme précéda le  chevalier de la Colombe dans les mots en lui demandant :
  "Je suppose que tu as compris où je voulais en venir, n'est-ce pas,  Emma ?"
  "J'ai compris, approuva la jeune fille. Tu mens mal."
  "Quoi ?!"lâcha Eon en sursautant sur son lit.
  Emma poursuivit :
  "Je sens que tu caches quelque chose au fond de toi, Eon. Quelque  chose que tu estimes terrible, qui te répugne, que tu hais jusqu'à te haïr  toi-même. Je ne sais point si le fait d'être une femme comme toi me pousse à  tirer ces conclusions, mais les faits sont là. Tout ce que tu m'as raconté  n'était pas faux, mais il dissimule la vraie raison de ton  travestissement...Ai-je raison, Eon ? Si tel est le cas, tu peux te confier à  moi, je sais garder un secret..."
  ************
  "A ce moment précis, dit John au révérend Trevor, j'ai vu Eon poser  sa main droite sur sa bouche et son autre main sur son coeur...Elle s'est mise  à avoir des convulsions brutales et tremblait de toutes parts...J'ai...J'ai eu  la brève impression qu'elle allait tout bonnement vomir son coeur et ses  entrailles...Et ce sentiment était légitime, quand on sait le secret que le  chevalier des Poissons cachait depuis plus de sept ans..."
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  John, depuis la porte de la chambre d'Eon, et Emma observaient  attentivement la jeune femme qui tremblait tout le long de son corps et  appuyait sa main contre son coeur, comme si elle se retenait de le recracher.  Ses yeux étaient à nouveau embués de larmes. Le fils d'Etienne Roligny et le  chevalier de la Colombe durent attendre près d'une minute avant que la  gardienne de la dernière maison du Zodiaque ne se décidât à répondre :
  "Soit...Autant...Autant aller jusqu'au bout de ma honte..."
  Eon marqua une pause, puis dit à Emma :
  "Emma...J'aimerais te poser une question..."
  "Je t'écoute..."
  La voix larmoyante, le chevalier des Poissons demanda :
  "Emma...Ne...Ne dit-on pas en...en permanence...que...que (elle  hoqueta nerveusement à deux reprises)...qu'un homme est...est fait pour...pour  une femme ?..."
  "Oui."approuva ingénuement la jeune fille.
  Eon regarda le chevalier de la Colombe de ses yeux embués et livides et  lui dit d'une voix étouffée et à moitié audible :
  "Désormais, tu connais la raison qui m'oblige à me faire passer pour  un homme."
  ************
  "COMMENT !?"
  Le révérend Trevor avait bondi de sa chaise, comme s'il avait été projeté  par une catapulte. Le pasteur, d'ordinaire si calme, commençait à serrer les poings,  son visage se contorsionnait nerveusement, son regard s'était rempli  d'indignation, comme s'il avait vu quelqu'un profaner son temple. Il resta dans  cet état pendant deux minutes. De son côté, John s'était subitement enfermé  dans un curieux mutisme, il ne regardait plus Trevor et avait les yeux rivés  sur son bol de soupe. Un silence inquiétant régnait dans la pièce, l'on  n'entendait plus que la pluie qui, depuis peu, martelait plus que jamais les  fenêtres de la maison du pasteur et le tonnerre qui grondait. Finalement, au  bout de deux minutes, le révérend Trevor se décida à rompre le silence :
  "John...Ai-je bien entendu ce que vous venez de me dire ?"
  "Je suppose que oui, révérend. Et je comprends votre stupéfaction ;  moi-même, j'ai failli crier en apprenant la nouvelle, mais je me suis  retenu...Heureusement, faute de quoi, les conséquences auraient été funestes  pour moi."répondit timidement le jeune homme.
  Trevor leva les yeux au ciel :
  "Seigneur...Je comprends encore mieux l'indignation de mon ami, le  révérend Valnoy...Un Sanctuaire dédié au culte d'une idole, passe encore, après  tout, ce genre de cultes n'a point disparu, on le voit chez les sauvages du  Nouveau Monde...mais...mais ça ! Cette...Cette déviance, cette infamie,  cette perversité...Oui, le mot est juste...Le chevalier des Poissons était non  seulement une femme, mais aussi une perverse, c'est bien cela, John ?"
  "Une tribade, révérend. Oui, vous avez compris qu'Eon se  travestissait en homme pour dissimuler le fait qu'elle était une  tribade..."
  "Tribade, perverse, c'est tout un, John ! rétorqua avec virulence le  révérend Trevor. Souvenez-vous de ce que Paul a écrit aux Romains, en parlant  des passions contre-nature de certaines femmes égarées ! Souvenez-vous  aussi de ce que Dieu a dit à Adam et Eve, Croissez, fécondez,  multipliez-vous. Comment faire lorsqu'on est en proie à de telles pulsions  démoniaques ? Souvenez-vous également de Gomorrhe, pendant féminin de Sodome la  fornicatrice ! Souvenez-vous encore des paroles de l'Eternel à Moïse, Tu ne coucheras  point avec un mâle comme on couche avec une femme, c'est une abomination ! L'inverse ne peut qu'être vrai !...John, je suis désolé pour vous que vous ayez  dû assister à l'aveu d'une débauchée pareille !!"
  Le fils d'Etienne Roligny ne répondit pas. Le pasteur tendit l'oreille et  écouta la pluie tomber bruyamment sur ses fenêtres, le tonnerre gronder et crut  même percevoir un ou deux éclairs déchirer le ciel, aussi lâcha-t-il :
  "Le temps est plus que jamais maussade...Lorsque vous êtes arrivé,  il n'était déjà point brillant, mais depuis peu, il semble plus capricieux que  jamais..."
  "Ce n'est pas un hasard, révérend..."
  "Comment ça ?"
  "Asseyez-vous, révérend, je vais vous expliquer..."
  Dès que Trevor se fut rassis, John répéta :
  "Je ne pense point que cela soit un hasard, révérend. Si le temps se  dégrade à nouveau, ce n'est pas une coïncidence, mais un rappel du  Seigneur..."
  "Un rappel du Seigneur ? Qu'entendez-vous par là, John ?"
  Le jeune homme avala une gorgée d'eau, puis regarda fixement son ami et  lui avoua :
  "Voyez-vous...Je pense que le Seigneur a envoyé ces signes pour me  rappeler que je vais aborder là l'un des passages les plus pénibles de mon  récit..."
  ************
  John s'était figé derrière la porte de la chambre d'Eon. Son visage était  empli de stupeur et il contemplait désormais le chevalier des Poissons avec des  yeux entre effroi et indignation. De son côté, la jeune femme regardait Emma  avec des larmes dans les yeux, mais ne pouvait percevoir sa réaction, en raison  du masque de porcelaine qui cachait le visage du chevalier de la Colombe.  Finalement, n'y tenant plus, Eon prit sa tête entre ses mains et éclata en  sanglots ; maintenant qu'elle avait confié son terrible secret, elle savait que  les choses ne seraient plus les mêmes. Tandis que le chevalier des Poissons  versait toutes les larmes qu'elle pouvait, Emma s'approcha d'elle et commença à  lui parler :
  "Eon, je..."
  Mais la jeune femme la repoussa violemment :
  "Ne me touche pas !"hurla-t-elle d'une voix entrecoupée de  sanglots.
  Après que la jeune fille eût reculé, Eon pleura de plus belle, à la fois  à cause de son aveu et de son comportement brutal. Emma restait immobile devant  le chevalier d'or, qui gémissait :
  "Voilà...J'en...J'en viens à me montrer désagréable, moi qui suis si  peu colérique d'habitude...Quelle honte...Regarde bien ce que je suis,  Emma...L'on a souvent dit de moi que j'étais le plus beau des chevaliers  d'Athéna, que ma beauté rayonnait entre le ciel et la Terre, qu'elle pouvait  égaler celle de la lune et des étoiles...Si seulement ces gens savaient à quel  point ils...ils ont tort ! Tu le vois ; derrière le plus beau chevalier  d'Athéna, il y avait un monstre répugnant !"
  ************
  "Qu'avez-vous, révérend ?"
  Alors que John venait de finir de relater les propos d'Eon, il remarqua  qu'un sourire était apparu sur le visage du révérend Trevor, un sourire  marquant l'envie de rire. Le jeune homme posa de nouveau sa question :
  "Révérend, est-il possible de savoir ce qui vous amuse ?"
  Le pasteur regarda fixement John dans les yeux, puis lui répondit :
  "La lucidité de ce chevalier, John. Plus précisément, quand elle a  dit elle-même être un monstre. Comme quoi, l'on peut être à la fois pervers et  lucide, ce n'est point incompatible..."
  John ne répondit pas à la remarque du révérend Trevor et se contenta de  poursuivre son récit.
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  Eon gémissait tout son soûl, lâchant parfois quelques bribes de phrases  reflétant ses états d'âme :
  "Je...Je me hais ! Je me dégoûte !...Maintenant, je...je peux le  dire tout haut, après l'avoir si souvent pensé dans ma chambre, quand j'étais  seule le...le soir !!"
  Après avoir difficilement étouffé un sanglot, elle cria :
  "Je suis un monstre !!"
  Alors qu'elle se replongeait dans sa crise de larmes, Emma s'avança vers  elle sans dire un mot. S'en rendant compte, le chevalier des Poissons leva la  tête, puis la vit ôter lentement son masque de porcelaine. Le chevalier de la  Colombe dévoila son magnifique visage devant la gardienne de la douzième maison  du Zodiaque, un visage que John aperçut en partie, mais suffisamment pour  afficher un sourire radieux.
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  "Et dire que je souriais naïvement devant le visage d'Emma, soupira  John. Si seulement j'avais su..."
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  Eon, les yeux rougis par les larmes, le visage tuméfié par les sanglots,  contempla brièvement le doux visage de la femme chevalier avant de lui demander  :
  "Pourquoi...Pourquoi me regardes-tu avec cet air paisible, Emma ? Tu  ne devrais pas ! Tu as un visage d'ange, moi, je cache ma monstruosité sous mon  armure, alors ne te donne pas cette peine-là ! Une horreur de la nature comme  moi ne peut...!"
  Le chevalier des Poissons n'eut pas le temps de finir sa phrase : Emma  avait déjà posé ses lèvres sur celles de la jeune femme. Ce baiser fut bref,  mais sa simple vision suffit à faire crisper la main de John sur la poignée de  la porte de la pièce. Le chevalier de la Colombe recula de deux pas, laissant  Eon se remettre de sa surprise. Une chose qui ne fut pas aisée ; le chevalier  d'or porta sa main à sa bouche et dut admettre, après quelques dizaines de  secondes, qu'Emma l'avait effectivement embrassée. Le rouge aux joues, Eon  regarda la jeune fille, qui lui souriait tendrement, et lui demanda d'une voix  tremblante :
  "Emma...Non...Ne...Ne me dis pas que...toi...toi aussi, tu...tu  aimes les femmes ?"
  "Non, Eon...Je n'aime pas les femmes, je t'aime, toi. Depuis que tu  fais partie de la chevalerie d'Athéna, tu m'as troublée, comme beaucoup  d'autres hôtes du Sanctuaire...Maintenant, j'ai beau connaître ton identité,  mes sentiments pour toi n'ont pas changé...Tu n'es pas devenue l'horreur de la  nature que tu n'as jamais été, tu restes pour moi le plus beau des chevaliers  d'Athéna."
  Les paroles d'Emma surprirent encore plus le chevalier des Poissons et  semblèrent décomposer le visage du fils d'Etienne Roligny, qui se tenait  toujours derrière la porte de la chambre. Le chevalier de la Colombe fit  quelques pas en arrière jusqu'à se retrouver contre le mur, puis regarda Eon  d'un petit air coquin et lui dit simplement :
  "Viens..."
  Toute tremblante, Eon s'avança, toujours recouverte de ses draps, jusqu'à  ce que ses doigts de pied se trouvent contre les bottes du chevalier de bronze.  Emma la regarda malicieusement et lui murmura :
  "Embrasse-moi..."
  Tandis que John serrait encore plus la poignée de la porte et que ses  yeux se remplissaient d'une curieuse horreur, Eon s'était immobilisée et  songeait :
  "L'embrasser...Non...Je...Je ne peux faire ça...La dernière fois  que je l'ai fait, cela s'est fini par...!" 
  Le chevalier des Poissons trembla nerveusement pendant quelques secondes,  avant de se replongerdans ses pensées :
  "Seigneur...Ce terrible souvenir me redonne des frissons à chaque  fois...De...D'un autre côté, ils...ils ne sont plus de ce monde...et je suis  seule avec elle...Emma...Elle...Elle m'aime malgré ce que je suis...Et son  visage est pareil à celui d'un ange...Je...Je ne peux plus lutter contre ma  nature, elle...elle a été dévoilée ! Alors..."
  Eon pencha alors sa tête vers Emma et l'embrassa timidement. Le contact  des lèvres du chevalier de la Colombe fit songer à la gardienne de la douzième  maison du Zodiaque :
  "Sept ans...Cela faisait sept ans que goûter à des lèvres  féminines me manquait..."
  Se comportant de manière plus démonstrative, le chevalier des Poissons  prit le visage d'Emma entre ses mains et l'embrassa plus intensément, des  baisers que la jeune fille rendit avec autant de passion, tout en passant ses  bras autour du cou de la jeune femme. L'étreinte et les baisers durèrent plus  d'une minute, avant que le chevalier de la Colombe n'ôtât ses bras du cou d'Eon  et lui dit avec un grand sourire, alors que le chevalier d'or avait encore du  mal à réaliser ce qui venait de se passer :
  "Tu vois, Eon...Tu n'avais pas à cacher ta vraie identité...Avec tes  baisers, tu viens de m'offrir le plus beau moment de ma vie."
  ************
  "Ce fut le moment le plus douloureux de mon existence."soupira  John.
  Un rictus de dégoût était apparu sur le visage du révérend Trevor,  choqué par ce que venait de lui révéler le jeune homme. Ce dernier poursuivit :
  "J'étais horrifié par ce que je voyais...Celle que je désirais  s'était amourachée d'une tribade, mais elle s'en moquait...Après...Après avoir  dit à Eon qu'elle lui avait offert le plus beau moment de sa vie, le chevalier  des Poissons, qui versait presque des larmes de joie, l'a remerciée, et l'a de  nouveau embrassée. Elles...Elles se sont jetées dans les bras l'une de l'autre  et se sont caressées, embrassées fougueusement, et..."
  Trevor se leva brusquement de sa chaise, la main à sa bouche. Il courut  vers la fenêtre et, en dépit du temps pluvieux, l'ouvrit rapidement pour  prendre l'air, se souciant peu des gouttes de pluie qui aspergeaient son  visage. Dix secondes après, il referma sa fenêtre et dit à John :
  "Excusez-moi, John, mais je n'y tenais plus...Quelle...Quelle  obscénité de la part de ces deux créatures...Je comprends de mieux en mieux  l'attitude de mon ami Valnoy...Si seulement ces deux pécheresses avaient suivi  les Evangiles et ne s'étaient point mises au service de la déesse Athéna, jamais  elles n'auraient sombré dans une débauche pareille...Je n'ose imaginer ce que  Valnoy a dû en penser..."
  John se mura dans le silence pour toute réponse. Trevor fut intrigué par  un tel mutisme, mais, vingt secondes plus tard, il dit au jeune homme :
  "Vous pouvez poursuivre votre récit, John..."
  Le fils d'Etienne Roligny prit sa respiration, puis se décida à se lancer  :
  "Je...Ma main se crispait de plus en plus sur la poignée de la  chambre d'Eon...Au fur et à mesure que je voyais Emma et Eon s'embrasser et se  caresser, je sentais qu'une saveur rance envahissait ma bouche et que mon coeur  se soulevait peu à peu...Je...J'ai bien cru que j'allais vomir...J'étais si  tétanisé par ce que je voyais que je ne faisais rien...Mais...Mais en sentant  que mon corps commençait à me faire souffrir, j'ai...je n'ai plus supporté ce  spectacle...J'ai...J'ai poussé un grognement de désespoir et j'ai commencé à  courir hors de la maison des Poissons..."
  ************
  Le bruit émis par John n'avait pas échappé aux deux femmes. En dépit de  leur ouvrage amoureux, elles avaient pu entendre un grognement désespéré, Eon  la première. Cessant d'étreindre Emma, elle lâcha :
  "On nous épiait !"
  Affolée, elle courut vers la porte de sa chambre, mais ne vit rien. Elle  jeta quelques coups d'oeil dans tous les recoins de la maison des Poissons,  mais il n'y avait aucune âme qui s'y trouvât. Après une inspection de trois  minutes, elle dut se rendre à l'évidence ; non seulement quelqu'un l'avait vue  en train d'embrasser Emma, mais en plus cette personne avait fui. Le chevalier  d'or rentra dans sa chambre, la main sur son coeur battant la chamade, et dit  au chevalier de la Colombe :
  "Que...Qu'allons-nous faire ? Nous avons probablement été épiées  et...et si l'on découvre ce que nous avons fait, la...la colère d'Athéna ou  celle du Grand Pope sera terrible !"
  Moins tracassée que le chevalier des Poissons, Emma s'avança vers elle,  le sourire aux lèvres et lui répondit en lui caressant la joue :
  "Ne t'en fais pas, Eon...Tu sauras bien lui régler son compte, tu  fais partie de l'élite de la chevalerie d'Athéna après tout ! Tu es une femme  superbe, mais aussi fort puissante, je n'en doute pas ! Aie confiance, le mal  qui n'en est pas un est fait ! Nous avons commencé, autant poursuivre  !"acheva-t-elle en posant ses mains sur les hanches du chevalier d'or.
  Eon, surprise au départ par l'optimisme et l'assurance du chevalier de la  Colombe, finit par afficher un sourire radieux et remercia la jeune fille en  l'entraînant près de l'un des murs de sa chambre et en l'embrassant plus  passionnément que jamais.
  ************
  Pendant ce temps-là, John, déçu et choqué par l'attitude d'Emma, faisait  la traversée des douze maisons du Zodiaque dans le sens inverse. S'il eut la  chance de ne pas apercevoir Christian dans la maison du Verseau, en revanche,  il tomba sur Felipe dans la maison du Capricorne. Le gardien de la dixième  maison du Zodiaque commença à le saluer :
  "Bonjour, John, comment vas-tu...?"
  Le fils d'Etienne Roligny ne lui répondit pas ; il était trop occupé à  fuir. Fuir, c'était bien là le mot. Fuir une jeune fille qu'il désirait et qui  avait sombré dans le péché, fuir un Sanctuaire consacré à une déesse qu'il  n'avait jamais prié, fuir un endroit où il se sentait mal depuis hier. Aussi,  le jeune homme franchit rapidement la dixième maison du Zodiaque, sous le  regard intrigué de son gardien :
  "Que lui arrive-t-il ? On dirait qu'il a vu le diable en  personne..."
  Se souciant peu des interrogations du chevalier d'or, John poursuivit sa  descente des douze maisons du Zodiaque à une allure folle, il semblait avoir  perdu la notion de fatigue et ne sentait plus sa respiration. Après avoir  traversé les maisons du Sagittaire et du Scorpion en évitant d'attirer  l'attention de Philoctète et Diomède, il parvint à la maison de la Balance, où  Dohko se trouvait :
  "John ! Alors, as-tu trouvé Emma ?"
  Le simple fait d'entendre ce nom, hier synonyme de désir, depuis peu  synonyme de perversité, serra encore plus le coeur du jeune homme, qui accéléra  et traversa furtivement la maison protégée par le plus jeune chevalier d'or, un  comportement qui n'échappa pas à ce dernier :
  "C'est étrange...J'ai senti une douleur profonde dans le coeur de  John, bien qu'il ne soit pas resté longtemps dans ma maison...Je ne sais pas si  c'est dû au fait que nous soyons tous deux nés un 20 octobre, mais les faits  sont là...John...Que t'est-il arrivé ?"
  Après avoir franchi la maison de la Balance, John se hâta de poursuivre  sa traversée des douze maisons du Zodiaque en sens inverse. Il se sentait guidé  par un curieux potentiel qui le faisait franchir les demeures des chevaliers  d'or plus vite que ne l'aurait fait un autre mortel. Il parvint à éviter le  regard de Gautama (ce dernier était de toute façon en pleine méditation, comme  d'habitude), croisa furtivement ceux de Daniel et Vittorio, Bosching préféra  lui tourner le dos, tant il avait peu d'estime pour le fils d'Etienne Roligny.  Shad voulut l'interpeller, mais n'y parvint pas, à la différence de Shion :
  "John ? Que t'est-il arrivé ?"
  Mais le jeune homme ne lui répondit pas. Il se souciait trop de son  objectif pour répondre au chevalier du Bélier. Et cet objectif, c'était fuir le  Sanctuaire, fuir Emma et les chevaliers sacrés. Certes, il y avait encore ses  parents et le révérend Valnoy, mais il lui était impossible de se confier à  eux, honneur familial oblige. Il passa cependant à proximité de la maison cédée  temporairement par Athéna et le Grand Pope à sa famille. Etienne et Catherine  Roligny étaient à l'intérieur, mais le révérend Valnoy avait le nez à la fenêtre,  afin de respirer un peu l'air du soir. Ce fut ainsi qu'il aperçut le jeune  homme en train de courir :
  "John ?...Que lui arrive-t-il ? Il me faut le découvrir...Mieux  vaut ne pas prévenir Etienne et Catherine, ils se font suffisamment du souci  pour leur fils !"
  Quelques instants plus tard, John parvint à la sortie du Sanctuaire. Elle  était surveillée par trois gardes, mais, par chance, ceux-ci étaient occupés à  regarder les étoiles, tant la nuit leur paraissait belle. Saisissant  l'occasion, John accéléra de nouveau et finit par se retrouver hors du  Sanctuaire.
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  "Je me demande encore comment j'ai pu traverser si aisément les  douze maisons du Zodiaque et fuir le Sanctuaire, dit John en poussant un  soupir. Sans doute était-ce sa volonté...L'on ne peut échapper à son  destin, comme le disait le roi de Skygard à son plus fidèle guerrier..."
  "Mais de qui parlez-vous, John ?"demanda le révérend Trevor.
  Le jeune homme resta silencieux quelques secondes avant de répondre :
  "Je vais y venir, révérend...Mais...Mais soyez patient et indulgent,  car cela n'est pas facile pour moi...Je ne puis entendre son nom dans ma tête  sans me trouver mal..."
  John regarda un bref instant le plafond de la maison du pasteur, puis  poursuivit son histoire.
  ************
  John se retourna rapidement et s'aperçut qu'il avait effectivement  franchi les limites du Sanctuaire. Toutefois, voulant s'en éloigner le plus  possible, il reprit sa course, sans songer à s'arrêter pour souffler un peu. Il  courut ainsi pendant cinq minutes, jusqu'à ce qu'il atteignit un petit village  du nom de Rodorio. Les rues de ce village étaient désertes, car la nuit était  tombée depuis un certain temps. Le fils d'Etienne Roligny savait toutefois  qu'il pouvait aisément avoir affaire aux soldats du sultan qui surveillaient  les lieux et faisaient leurs rondes de nuit, mais au point où il en était, cela  n'avait plus beaucoup d'importance pour lui. Il finit par arriver dans une  ruelle sombre et isolée, un lieu qu'il trouva approprié pour achever sa course  hors du Sanctuaire.
  John s'appuya alors contre un mur et reprit lentement son souffle, bien  que l'exercice fût moins pénible qu'il ne l'imaginait. Il souffla lentement  pendant près de deux minutes, puis reprit peu à peu ses esprits. Il s'adossa au  mur, regarda vers le ciel et pensa à la chose dont il était devenu l'infortuné  spectateur :
  "Emma...Elle et...Eon...Le chevalier des Poissons que je croyais  être un homme était en fait une débauchée et...Emma...celle que je  désirais...elle...elle l'a préférée à moi !...Emma...Pourquoi avez-vous préféré  le péché à moi ? Pourquoi ne puis-je goûter à votre corps ?"
  Les yeux du jeune homme commençaient à s'humidifier. Alors qu'il sentait  sa gorge se nouer, il songea de nouveau à son malheur :
  "Je me suis fourvoyé...J'ai oublié ma promise pour une jeune  fille qui avait le vice en elle...et je ne parviens point à m'y faire...Je la  veux encore, mais je ne peux pas ! Je ne pouvais pas déshonorer ma...ma  famille...maintenant, je ne peux plus toucher Emma parce qu'elle est avec...une  autre ! Elle s'est vautrée dans le péché, mais je la veux encore ! Mais je...je  ne peux pas !"
  Finalement, n'y tenant plus, et bien qu'on lui ait souvent dit qu'un  jeune homme digne de ce nom ne versait pas de larmes, le fils d'Etienne Roligny  mit ses mains devant ses yeux, tomba à genoux et pleura amèrement. Il lui  fallait évacuer tout ce qu'il avait en lui : Emma, son désir déçu, sa  souffrance physique et morale, les brimades de certains chevaliers sacrés comme  Omar de Persée, ses doutes, la peur de ne pas être l'un des élus de Dieu,  l'écoeurement qu'il avait éprouvé devant les étreintes impures d'Eon et d'Emma,  sa solitude, son désarroi...Oui, il lui fallait tout vider dans un grand  torrent de larmes, après tout, personne ne le verrait pour lui faire comprendre  sa honte. 
  John pleura alors pendant plus de cinq minutes, tant sa peine était  grande et son coeur le faisait souffrir. Finalement, sentant qu'il se calmait  peu à peu, il leva sa jambe gauche, ôta peu à peu ses mains de ses yeux et eut  un brusque mouvement de recul. Ses mains étaient imbibées d'un liquide rouge et  poisseux, dont l'odeur était peu agréable pour l'odorat. Malgré ses yeux flous,  le jeune homme observa attentivement ses mains durant une quinzaine de secondes  et se dit :
  "Non...Ce...Ce n'est pas vrai...Je dois faire un stupide  cauchemar, comme celui de la nuit dernière...!"
  Il s'était peu à peu relevé en même temps qu'il se parlait à lui-même et  s'était immobilisé en voyant son reflet dans la fenêtre d'une maison  abandonnée. Ses joues étaient teintées du même liquide rouge qui couvrait ses  mains et ce liquide rouge coulait encore lentement de ses yeux. John se mit à  frissonner tout le long de son corps,tant il était stupéfait et  horrifié par la réalité qui s'offrait à lui.
  Les larmes qu'il avait versées n'étaient pas des larmes ordinaires.
  C'étaient des larmes de sang.
  Posant un genou à terre, le jeune calviniste observa attentivement ses  mains une fois de plus, puis murmura :
  "Seigneur...Je suis complètement fou...Ou alors maudit (il commença  à se relever)...Maudit parce que j'ai voulu pécher au fond de moi...!"
  Il s'immobilisa une fois de plus après avoir croisé de nouveau son regard  dans la fenêtre. Ce n'étaient plus ses yeux. C'étaient les yeux sombres et  vitreux qu'il avait vus dans la demeure provisoire de ses parents juste après  avoir eu affaire à Omar et Thérava. Des yeux qui n'étaient non seulement plus  les siens, mais qui semblaient le regarder avec une sordide attention. Ils le  regardèrent étrangement pendant plus de trente secondes, puis disparurent comme  par magie, laissant de nouveau la place à ses yeux habituels. Plus perturbé que  jamais, John se sentit fléchir sur ses jambes, avant de tomber à genoux, de  regarder le ciel et de crier, complètement désespéré :
  "MON DIEU ! POURQUOI M'AVEZ-VOUS ABANDONNE ?"
  Bien qu'il répétât les paroles du Christ sur la croix, le jeune homme se  sentait plus dans la situation de Job, frappé des pires maux existant sur Terre  alors qu'il s'était toujours efforcé de vivre conformément selon les règles du  Tout-Puissant. Certes, John avait été frôlé par la tentation, mais avant cela,  il avait vécu dans l'austérité et la rigueur voulue par la religion de ses  parents et du révérend Valnoy. Le jeune homme aurait encore voulu pleurer, mais  cette fois-ci, il n'en avait plus du tout la force. Tout ce qu'il pouvait  désormais faire était de regarder le sol d'un air livide et de trembler sur ses  jambes, tant il pensait perdre l'esprit. 
  Soudain, une brise fraîche vint souffler dans son cou et une voix rauque  se fit entendre :
  "Comme le disait Jésus à Marthe, soeur de Marie et de Lazare, vous  êtes en souci et vous vous tourmentez de beaucoup de choses, mais il n'est  besoin que d'une seule...Qu'importe, la bonne vous a été remise et ne vous sera  point enlevée..."
  Intrigué par ces propos étranges, bien que figurant dans les Evangiles à  l'origine, John se releva lentement, puis se retourna et une nouvelle surprise  vint s'offrir à lui.
  ************
  Près de la sortie du Sanctuaire
  Le révérend Valnoy approchait peu à peu de l'endroit qui marquait la  limite entre le Sanctuaire d'Athéna et le reste du monde. Courant aussi vite  qu'il le pouvait, il songeait en même temps :
  "John...Que vous arrive-t-il donc ? Je me doutais déjà que  l'influence de ces serviteurs d'une idole mythologique vous nuisait, mais je ne  pensais point que vous en arriveriez là...Je vous retrouverai et vous ramènerai  près de votre famille et demain soir, vos tourments cesseront et vous pourrez  enfin retrouver la paix de l'âme !..."
  "Arrête !"
  Valnoy leva la tête et vit six gardes armés de lances qui avaient  l'intention de lui barrer la route :
  "Il est interdit de quitter le Sanctuaire ! Quiconque désobéit à  cette consigne subira la peine capitale ! Telle est la volonté de la déesse  Athéna et du Grand Pope !"
  Profondément outré par les paroles des gardes, le précepteur de John leur  rétorqua :
  "Sachez, maudits mécréants, que je ne reconnais ni votre déesse, ni  son serviteur idolâtre ! Je ne m'incline que devant le Seigneur Jésus-Christ  !"
  "Comment ça ?!"
  Ce fut alors qu'un garde dit à son compagnon :
  "Je le reconnais, l'un des gardes qui surveille le palais du Grand  Pope m'a parlé de cet énergumène ! Un véritable exalté, ils ont dû s'y mettre à  plusieurs pour qu'il salue le Grand Pope !"
  "Peu importe ! On ne va pas le laisser fuir le Sanctuaire, les  ordres sont les ordres !"
  Les six gardes se précipitèrent alors sur Valnoy, qui tâcha néanmoins de  ne pas perdre son calme et de s'en remettre à Dieu :
  "Seigneur...Faites que je franchisse ces sentinelles impies et  permettez-moi de retrouver John Roligny !"
  Alors que les six gardes se rapprochaient du pasteur, ce dernier prit son  élan, sachant qu'il pouvait aussi bien esquiver les sentinelles que se heurter  à elles, entama une brève course et passa à travers les six gardes.
  "L'Eternel soit loué !" pensa Valnoy.
  Une fois qu'il eut franchi les limites du Sanctuaire, il se mit  rapidement en route vers Rodorio, le village le plus proche. Quant aux six  gardes, ils venaient à peine de se rendre compte que le précepteur de John  était parvenu à fuir :
  "Il nous a échappé !"
  "Qu'est-ce qu'on va faire ?"
  "On va le rattraper, si le Grand Pope apprend ça, je ne donne pas  cher de nos vies !"
  Sitôt dit, sitôt fait, les six gardes se lancèrent à la poursuite du  révérend Valnoy. Celui-ci avait cependant pris de l'avance et continuait de  penser au jeune homme à qui il avait appris tant de choses :
  "John...Où que vous soyez, je vous retrouverai !"
  ************
  Le village de Rodorio, dans une ruelle  isolée
  Lorsque John s'était relevé, puis retourné, il avait vite compris qu'il  n'était pas au bout de ses surprises. Il avait déjà appris qu'Eon était une  femme, puis une tribade, qu'une relation amoureuse avait commencé entre elle et  Emma, découvert que ses larmes étaient faites de sang et aperçu de nouveau un  curieux regard dans ses yeux. Désormais, il était en face d'un mystérieux  personnage, tout de noir vêtu, qui n'était autre que le serviteur de l'Empereur  des Ténèbres, mais John l'ignorait. Toutefois, en observant l'inquiétant personnage,  il ne pouvait s'empêcher de penser :
  "Mon Dieu...Qui...Qui peut bien être ce curieux personnage ?  Il...Il me donne la chair de poule..."
  S'apercevant du désarroi du fils d'Etienne Roligny, l'homme en noir lui  dit :
  "Vous avez peur, je le sens...Pourtant, vous ne devriez pas...Votre  coeur est envahi par la peine et l'inquiétude, alors qu'il devrait être gagné  par la joie et l'allégresse...Les choses sont parfois surprenantes en ce bas  monde..."
  Le jeune homme demanda en claquant nerveusement des dents :
  "Que...Qui...Que...Que me voulez-vous ?"
  L'âme damnée de l'Empereur des Ténèbres commença à s'avancer vers John  tout en lui répondant :
  "Je vous veux tout, sauf du mal, jeune John Roligny..."
  Ce fut une surprise de plus pour le fils d'Etienne Roligny :
  "Comment ?! Vous...Vous connaissez mon nom ?"
  "Oui, John...Enfin, j'ignore pourquoi j'emploie un tel nom pour vous  désigner, car il ne me sera bientôt plus utile..."
  L'homme en noir fit quelques pas de plus vers John, puis poursuivit :
  "Oui, il existe des choses bien curieuses en ce monde...Vous avez  été hébergé au Sanctuaire d'Athéna, puis vous l'avez fui de votre propre chef,  comme sa majesté me l'avait dit, et vous êtes venu là où ce qui devait arriver  va s'accomplir..."
  ""Sa majesté" ? "Ce qui devait arriver va  s'accomplir" ? Quel est donc ce galimatias ?"songea le jeune  homme, dont le trouble était encore plus grand, ce qui n'échappa pas à l'âme  damnée de l'Empereur des Ténèbres :
  "Ne vous en faites point, vous ne tarderez pas à apprendre ce que  vous devez apprendre !"
  "Mais de quoi parlez-vous ? répliqua John d'un ton énervé. Qui  êtes-vous et que me voulez-vous ?"
  ************
  "John ?"
  Alors que le jeune homme venait d'arriver à ce point du récit, il se prit  la tête dans les mains, regarda son assiette de soupe et resta stoïque durant  près d'une minute, ce qui n'échappa pas au révérend Trevor :
  "John ?...Que vous arrive-t-il ?"
  "Ce...Ce nom...Je l'entends derechef...Il...Il martèle mon cerveau,  abîme mes tympans, perturbe mon coeur...Seigneur...Le moment que je redoutais  tant d'aborder a fini par arriver..."
  Bien que n'arrivant pas à comprendre le malaise du fils de son défunt  ami, Trevor essaya de le rassurer, tant bien que mal :
  "Ecoutez, John...Si cela vous met si mal à l'aise, vous pouvez faire  une pause dans votre récit..."
  "Non, révérend, objecta le jeune homme, je...sais que je dois le  faire...De toute manière, ce n'est qu'un moment désagréable parmi tant d'autres  dans cette sordide histoire..."
  Alors que John allait s'emparer du verre d'eau qui se trouvait sous ses  yeux, un violent coup de tonnerre résonna à l'horizon, donnant des frissons au  révérend Trevor et faisant songer au jeune calviniste :
  "Seigneur...Permettez-moi d'aborder ce douloureux passage de mon  récit avec courage...Je vais en avoir grand besoin..."
  John avala son verre d'eau, déglutit avec peine, et finit par reprendre  son récit.
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  "Qui êtes-vous et que me voulez-vous ?"
  John soupira après avoir posé cette question, car cela ne lui ressemblait  guère de s'emporter de la sorte. L'homme en noir n'était plus qu'à un  demi-mètre de lui et affichait un sourire large. Finalement, il ôta la capuche  qui couvrait la partie supérieure de son visage et se dévoila à un John qui eut  un bref mouvement d'appréhension. Pourtant, son vis-à-vis n'avait rien de  terrifiant. C'était un homme fort âgé, qui avait probablement près de soixante  ans. Son front était dégarni, mais sa tête était encore couverte de cheveux  blancs. Ses yeux étaient gris et fort éveillés. C'était là un homme des plus  ordinaires, malgré son aspect peu engageant quand il était couvert de sa longue  cape noire. Cinq secondes après s'être découvert, il s'agenouilla devant un  John abasourdi et lui dit sur un ton des plus solennels :
  "Je me nomme Moloch et je suis à votre service, majesté Hadès  !!"