J’ai lu quelque part que l’on est le résultat de la somme de nos expériences. Je suis assez d’accord avec cette maxime.
Par où commencer ? J’ai tellement de choses à te raconter, tellement d’aventures ponctuées de joie mais aussi de tristesse et de colère face aux sacrifices que nous avons subis, mes compagnons d’infortune et moi-même. Oh je ne me plaints pas. C’était notre rôle, notre quête, celle d’une vie peut-être. Et nous avons accompli des miracles ensemble, en croyant aux vertus les plus profondes qui donnent un sens à la vie d’un être humain : amour, courage, fratrie…. La fratrie…
Tu ne peux t’imaginer en lisant ces lignes combien mon bonheur est grand de te savoir grandir dans des âges moins troubles, où l’on peut de nouveau espérer et vivre sans la crainte de nouvelles horreurs, de nouveaux jours sombres ! Tu dois te dire en lisant ces quelques lignes que ton père n’est plus vraiment le héro qu’il était auparavant, que les notions même de courage, de combativité ou de dépassement de soi ne sont plus qu’un lointain souvenir, enterrées à jamais avec les ennemis du passé. Je ne peux pas t’en blâmer, tu as, comme tout enfant envers son père, besoin de croire et d’être fier. Avant d’en venir à l’histoire que je vais te conter (je crois que je sais malheureusement par où commencer), laisse-moi te dire ceci : je n’ai jamais été ni le plus fort, ni le plus vaillant des chevaliers mais j’ai toujours eu avec moi cette conviction d’aimer son prochain, d’arriver à persuader qu’il existe d’autres formes de combat que celles auxquelles j’ai été confrontées, l’entente par la parole, le renoncement par l’esprit, la capitulation sans le sang. Mais, malgré tous mes efforts, les affrontements, la mort et la violence nous accompagnaient dans chaque bataille et je trouvais alors dans la foi en notre Déesse Athéna toute l’abnégation nécessaire à la victoire de la justice et des hommes, à notre victoire. Mais il est des choses que l’on ne peut effacer, des plaies que l’on ne peut refermer, des morts que l’on ne peut ressusciter, quand bien même pourrions-nous renouer avec certains pouvoirs divins. Le temps fait son œuvre, l’herbe repousse toujours et recouvre les traces, dit-on. Je ne le crois pas.
Alors laisse-moi te raconter une histoire, celle de chevaliers confrontés à quelque chose qu’ils n’auraient pu imaginer, à une époque où les forces divines qui leur étaient conférées prirent fin, une époque que l’on pourrait appeler le juste retour des choses, si tant est que cette expression soit appropriée.
Laisse moi te raconter comment nous, chevaliers de Bronze d’Athéna, défenseurs de la paix et de la justice, avons présumé du don de la vie pour mieux embrasser la mort.
Laisse moi te raconter, mon fils, afin que tu réalises l’importance de l’équilibre et des attributs de l’existence, notre ultime combat, celui qui nous a amené bien malgré nous à affronter Gaïa, Déesse originelle et mère de la Terre, face à laquelle nous avons perdus compagnons, certitudes et liens que l’on croyait indéfectibles. Je sais, je ne t’invite pas à faire un voyage agréable, mais il faut que tu saches pourquoi. C’est ton héritage en quelque sorte, et mon expiation tardive, comprend-le. Maintenant, tourne la page, si tu le veux bien, et plonge avec moi dans ce funeste souvenir.
Ton père, Shun.
