6 avril 1987, Turquie, province d’Adana, monts Taurus
La brise, calme et légère, ballottait les branches des arbres. Pas un son, pas un bruit, n’ébranlaient la quiétude de ces terres, que les bras de Morphée enserraient déjà. Le ciel, dégagé et vierge de tout nuage, laissait apparaître les innombrables étoiles de cette douce nuit de printemps. Depuis la disparition de la mystérieuse éclipse, quelques heures plus tôt, tout était redevenu paisible. Peut-être un peu trop d’ailleurs…
Venu d’on ne sait où, un éclair déchira les cieux et frappa la dure roche des montagnes. La brise se tut, les branches des arbres s’enflammèrent, la terre trembla et de sombres nuages recouvrirent le ciel. De fines gouttes de pluie commencèrent à tomber et bientôt, cette région sèche croula sous des trombes d’eau. La tranquillité des monts Taurus venait d’être sacrifiée au profit de l’épiphanie d’une divinité furieuse. Cette dernière se redressa péniblement et, respirant avec difficulté, se mit à parler.
- Cette terre… C’est la terre des mortels… Après des milliers d’années de souffrance, je la foule à nouveau… Mais… Je souffre… Je souffre horriblement…
Le râle de la créature résonna dans le ciel et atteignit les étoiles. Ces dernières commencèrent à tourbillonner, elles semblaient danser. Danser pour célébrer le retour de cet être, danser pour annoncer un avenir trouble… Alors que les éclairs pourfendaient tour à tour les cieux, la pluie redoubla d’intensité et la brise devint tempête. La divinité reprit laborieusement son souffle et, levant les yeux vers la lune, marmonna un nom.
- A… thé… na…
28 juillet 2097, Royaume-Uni, Londres, Kensington Palace
- … et ainsi se tournera, j’en suis sûr, une nouvelle page de l’histoire de l’humanité !
Les acclamations de la foule envahirent les alentours du château mais également une grande partie de la planète. Ce cinquième congrès de la Nouvelle Triade était décidément riche en surprises ! Encore une fois, un énorme tapage médiatique avait été réalisé. On ne comptait plus le nombre d’affiches publicitaires, d’articles ou de sites Internet qui annonçaient cet événement et ce, plusieurs mois à l’avance. Cependant il faut avouer que chaque congrès apportait son lot de nouveauté et de décisions capitales dans l’avenir du monde.
Dans l’ombre, une silhouette observait tranquillement les événements. Ses courts cheveux bruns faisaient écho à ses habits sombres. Vêtu d’un long manteau et masquant son regard derrière des lunettes de soleil, heureux celui capable de déterminer son identité. Tout en se grattant la tête, l’inconnu soupira devant l’attitude du public.
- Eh bien… Cela fait déjà cinq ans et pourtant aucun de ces idiots ne remet en cause le fonctionnement de cette organisation ? Je te jure… Ces gars savent vraiment comment s’y prendre pour manipuler à long terme l’opinion publique… Un vrai lavage de cerveau ! Et… purée, qu’est-ce qu’il fait chaud ici ! J’ai beau avoir la classe avec mon beau manteau et mes lunettes de soleil, je suis en train de cuire ! Enfin… La beauté a un prix et autant le payer…
- Qu’est-ce que tu dis encore comme bêtises ? lança une vois féminine.
L’homme tout de noir vêtu se retourna et, malgré ses lunettes de soleil, lança un regard assassin à celle qui l’avait insulté. Adossée à un pilier, la jeune fille s’avança et esquissa un sourire narquois. Contrairement à son compagnon qui tâchait de rester le plus discret possible, ses cheveux roux en bataille et ses habits mêlant le rose et le blanc attiraient fortement l’attention. Même si elle semblait fragile d’apparence, ses iris pourpres reflétaient sa volonté de fer et son insondable force. Tout en jouant avec sa queue de cheval, elle affichait fièrement son sourire moqueur.
- Quelles sont ces paroles vernaculaires, jeune fille ? demanda l’homme.
- Et toi ? Tu parles en quelle langue, là ? Je me demande bien pourquoi on m’a mise avec toi, t’es pas marrant comme gars…, grommela la jeune fille.
- Non mais dis donc ! Espèce de…! Rah, pourquoi le Pope t’as placé sous ma pauvre aile innocente ?
- Pour que je « sorte un peu » et que je me « discipline », répondit-elle. Et d’abord, pourquoi tous ces gens applaudissent ? Il y a un concert de Unicorn Fantasy ?
- Oh, misère… Bon, j’ai compris. C’est parti pour un petit cours d’Histoire, t’es prête ? soupira-t-il.
- Une poule sur un mur, qui picote du pain dur…
- Je vais prendre ça pour un oui… Alors, la Nouvelle Triade - ou NT - a été fondée en 2092 pour répondre à la vague d’attentat qui secouait alors la planète. Cette organisation réunit les trois grandes puissances commerciales du monde, à savoir les Etats-Unis d’Amérique, l’Union des Pays Européens et de la Méditerranée et l’Union de l’Asie du Sud-Est. Ces deux dernières organisations furent créées dans la deuxième moitié du XXI° siècle pour des besoins économiques. En effet, malgré les crises successives, les Etats-Unis restent la puissance majeure de la planète. Est-ce que tu comprends ?
- … Picoti, picota, lève la queue et puis s’en va !
- … Je vais encore prendre ça pour un oui… Continuons… L’Union des Pays Européens et de la Méditerranée - ou UPEM - est née de la fusion de l’Union Européenne et des pays du pourtour méditerranéen en 2061. Quant à l’Union de l’Asie du Sud-Est - ou UASE -, elle est née en 2078 et regroupe le Japon, les NPI de première et de deuxième génération ainsi que la Chine. La Nouvelle Triade a pour principal objectif de lutter contre le terrorisme et la criminalité dans le monde. C’est dans cet objectif qu’elle s’est dotée d’un fort budget militaire lui permettant de mobiliser des dizaines de milliers d’Hommes très rapidement. Des questions ?
- Mais contre qui luttent-ils en fait ? demanda la jeune fille, visiblement intéressée. En effet, dès que quelqu’un parlait de guerres ou de combats, elle répondait présent.
- Ô joie ! Elle m’écoute ! Elle n’est donc pas totalement sotte ! Merci Athéna ! se moqua l’homme aux sombres habits.
- Et mon poing, tu veux voir de plus près s’il est sot ? répondit-elle, énervée.
- Une autre fois peut-être, je dois finir mon cours… Bon, reprenons. La puissance de la Nouvelle Triade est contestée, notamment par ce que l’on appelle désormais les « Against States » ou « Etats Contre ». Ces derniers critiquent sa politique extérieure qui peut simplement se résumer à « vous êtes avec nous ou vous êtes contre nous ». Peu à peu, par peur de représailles massives, la majorité de la planète a adhéré à cette organisation qui domine véritablement le monde. Les « Against States » ne peuvent désormais mener le combat que clandestinement et s’opposer à la Nouvelle Triade que par la voie terroriste.
- Oh, ce sont pas de simples fonctionnaires alors. Mais qu’est-ce qu’on fait ici au fait ? J’ai oublié.
- Si on m’avait donné un tria à chaque fois que tu m’as dit ça, je serais aujourd’hui un homme multimilliardaire et entouré de sublimes bimbos…
- Dis tout de suite que je suis moche !
- C’est pas moi qui l’ai dit… Bon sinon, je vais t’expliquer de nouveau la raison de notre présence. Les trois organisations formant la Nouvelle Triade se réunissent une fois par an dans l’un des Etats membres. C’est le cas aujourd’hui. L’ordre du jour est la création de la Banque Militaire Commune - ou BMC - qui gèrera le budget militaire de la Nouvelle Triade afin de mieux lutter contre les « Against States ». Pour qu’une proposition des trois présidents des trois organisations soit validée, il est nécessaire d’obtenir l’accord de l’Assemblée de la Nouvelle Triade. Celle-ci étant corrompue, elle n’émet jamais la moindre objection. Pratique, n’est-ce pas ?
- Et on est ici pour quoi alors ?
- Pour se détendre en attendant l’appel du Sanctuaire.
- Se détendre ? On aurait pu faire du shopping plutôt…, grommela la jeune fille.
- Personnellement, je préfère admirer les miracles du lavage de cerveau. Regarde toutes ces personnes, elles sont heureuses. Elles sont persuadées que la Nouvelle Triade amènera la paix dans le monde en chassant le Mal.
- Ca, c’est notre boulot, annonça la jeune fille en esquissant un sourire.
Une sonnerie retentit. L’homme passa la main dans la poche de son manteau et commença à chercher…
- Purée ! Il n’y a pas assez de bordel dans ce manteau ! grommela-t-il.
Il finit enfin par mettre la main sur un téléphone portable. Heureux de l’avoir trouvé, il décrocha.
- Allô ween, ici trouille… Ouaip, Alexia est avec moi et elle en est tombée en pâmoison tellement elle me trouve sexy…, après avoir esquivé le coup de pied de l’intéressée, il se concentra sur sa conversation. Ouaip… Ouaip… Ouaip… Nan… Ouaip… C’est comme si c’était fait.
L’homme aux lunettes de soleil commença à composer un numéro puis porta le téléphone à son oreille.
- Allô pital, ici gogne…Comment ça « c’était nul » ?! Achète-toi de l’humour mon vieux ! Enfin bref, tu es arrivé à destination ? J’arrive tout de suite et je ne suis pas seul, malheureusement. En attendant tu peux t’occuper de la mission. Et n’oublie pas d’enfiler une cape noire pour l’effet Dark Attitude, conseil de bibi. Ciao.
Il rangea son téléphone et, comptant l’argent qu’il lui restait, soupira une nouvelle fois.
- Ah là là… Pourquoi t’as choisi un hôtel trois étoiles ? Je n’ai plus assez d’argent pour faire du tourisme… Il a de la chance l’autre de pouvoir voyager gratis, il n’a pas besoin de prendre des transports…
- C’est pas ma faute, une jeune fille comme moi a besoin du meilleur cadre de vie possible pour s’épanouir… Et pas question que je te passe mon argent de poche !
- Athéna, pourquoi ? soupira le sombre inconnu.
29 juillet 2097, Paris, Champs-de-Mars, Tour Eiffel
Morphée venait de recouvrir la capitale de France de son doux manteau. La plupart des habitants de Paris avaient déjà embarqué pour le paisible pays des rêves. Son souhait le plus cher aurait été de profiter de cette douce et chaude nuit d’été, mais malheureusement pour lui, le travail passe avant la détente. Perché au sommet du monument le plus célèbre de France, il observait les événements ; sa queue de cheval rousse flottait au gré du vent.
Le Champs-de-Mars, d’ordinaire tranquille la nuit, était depuis quelque temps le théâtre d’activités clandestines. En effet, chaque soir, une dizaine de personnes se rassemblait devant la Tour Eiffel pour échanger des informations. Du haut du monument portant le nom de son créateur, la silhouette rousse se contentait de suivre les transactions. Il semblait chercher une personne précise dans le petit groupe. Une fois trouvée, il se leva et ferma les yeux. Une faible lueur l’entoura puis il disparut.
Du côté du Champs-de-Mars, les échanges semblaient terminés et les hommes prêts à de nouveau se séparer. Avant de se disperser, ils se rassemblèrent autour de l’un d’entre eux. Cette personne semblait être leur chef. Vêtu d’un sombre costume, les ténèbres de la nuit le masquaient complètement. Cependant une lueur brillait au niveau de son cœur. Elle semblait provenir d’un badge en argent… Un éclair pourfendit les cieux et s’abattit avec silence devant leurs yeux stupéfaits. Une silhouette humaine déchira le manteau de lumière puis s’avança vers le groupe ; sa queue de cheval rousse flottait au gré du vent.
Deux hommes vinrent à sa rencontre, visiblement avec des intentions hostiles. Ils l’empoignèrent par le col. Ses longs cheveux roux en bataille, ses larges vêtements, apparemment d’origines asiatiques, et les deux mystérieux points qu’il arborait sur son front, laissaient imaginer qu’il n’était pas du coin. Les hommes commencèrent à l’interroger.
- T’es qui, toi ? D’où tu sors ? C’était quoi cette lumière ? hurla l’un.
- T’es venu nous espionner ? T’es pas un peu jeune pour faire le mur ? vociféra l’autre.
L’inconnu, apparemment un jeune homme, ne dit pas un mot et se contenta de fixer celui qui l’empoignait. Une faible lueur entoura ce dernier. À sa grande surprise, ses pieds se détachèrent du sol ! Il lâcha prise et, affolé, tenta de retourner sur le bon vieux plancher des vaches, mais sans résultat. L’inconnu resta de marbre et, pointant la Tour Eiffel de son index, propulsa son agresseur contre la haute construction métallique. L’homme s’écroula, inconscient. Ses compagnons ne cherchèrent pas à lui venir en aide et, effrayés, s’enfuirent. L’inconnu tapota ses vêtements quelque peu froissés puis fixa le chef de ces incapables. Celui-ci n’avait pas bougé et restait stoïque. Il prit la parole.
- Étonnant ! Tu possèdes des pouvoirs paranormaux. Je suppose que l’éclair de tout à l’heure était de la téléportation ? Bien pratique pour ne pas payer les transports, hé hé… Bon, que veux-tu en échange de ton silence ? De l’argent ?
- Je ne suis pas venu pour vous et ce que vous faîtes ne m’intéresse absolument pas. De plus, je ne vous permets pas de me tutoyer, moi, votre aîné.
L’homme, étonné, s’avança dans la lumière et laissa apparaître son visage. D’âge mur, il devait avoir environ une cinquantaine d’année.
- Peux-tu répéter, jeune homme ? demanda-t-il.
- Vous êtes encore bien jeune, répondit le mystérieux personnage en souriant. Enfin bref, comme je vous le disais, je ne suis pas venu pour vous. Ma mission consiste simplement à châtier un traître.
- Un traître ?
- Oui, l’homme qui vous sert de garde du corps et qui s’apprête à me couper la tête à l’aide de sa lame.
Effectivement, au moment même où il prononça ces mots, un homme, protégé par quelques pièces d’armure et muni d’un glaive, se rua sur l’interlocuteur de son supérieur dans l’intention de lui couper la tête ! Sa cible devint comme transparente et s’évanouit dans les airs. Le garde du corps esquissa un sourire.
- Tu viens du Sanctuaire, toi aussi, n’est-ce pas ? demanda-t-il.
Le jeune homme apparut dans le dos de son ennemi…
- En effet. Je suis venu t’éliminer, toi qui a osé le trahir. Je n’éprouve pas particulièrement de plaisir à exécuter les renégats mais malheureusement, je n’ai pas le choix. S’il te plaît, ne bouge pas. Ainsi tu souffriras moins.
- Tu te fous de moi ou quoi ?! hurla le traître en se retournant, le glaive à la main.
Sa lame s’envola dans les airs, tout comme son avant bras. Le renégat hurla de douleur. Sa haine envers le Sanctuaire venait de s’amplifier. Mais pour l’heure, son seul objectif était d’éliminer son adversaire. Il se précipita sur lui, porté par la rage et la souffrance. Le bourreau soupira.
- Bon, si tu veux souffrir, à ta guise… dit-il.
Alors que des faisceaux lumineux se formaient, une vive lumière dorée se concentra entre ses mains. L’envoyé du Sanctuaire leva son poing droit, qui avait emmagasiné toute la lumière. Le traître s’arrêta, ébloui par la puissante lueur d’or. Elle lui rappelait quelque chose…
- Attends… Cette lumière… Cette pose… Cette apparence… Mais oui, c’est le…
L’inconnu à la queue de cheval rousse ouvrit sa main. D’innombrables traînées de lumière s’en échappèrent et entourèrent le renégat. Ce dernier fut englouti par une formidable lumière dorée puis son corps se consuma, brûlé par l’intense chaleur dégagée. La colonne de lumière créée éclaira les Champs-de-Mars avant de disparaître aussi vite qu’elle était apparue. Dans un dernier râle, le traître se souvint du nom de son bourreau.
- La Starlight Extinction… Tu es bien un Chevalier d’Or… Le Chevalier d’Or Kijô du Bélier…
Ce furent ses derniers mots. Le Chevalier d’Or contempla son œuvre, visiblement peu envahi par le bonheur du travail accompli. Ses yeux se remplirent de tristesse, il ne comprenait sans doute pas pourquoi son ancien frère d’armes avait trahi leur déesse. Le supérieur du renégat était toujours présent. Il s’approcha de Kijô, une liasse de billets à la main.
- Beau travail. Vous êtes bigrement efficace, dites-moi. Ca ne vous intéresserait pas de travailler pour moi ? J’ai besoin d’hommes comme vous, rejoignez-moi ! déclara-t-il en agitant la liasse de billets sous le nez de Kijô.
- Ainsi c’est comme cela que vous avez corrompu mon frère d’armes… Préférer la richesse et le pouvoir à notre cause, c’est pathétique, dit-il en se saisissant de la liasse.
- Allons, allons ! Ne soyez pas si sévère, tout le monde a besoin d’argent. C’est ce qui fait tourner le monde.
- Vous avez sûrement raison…, répondit le Chevalier d’Or en souriant. Une lumière dorée enveloppa alors l’argent qui disparut.
- Hé ! Mon argent !
- L’argent fait tourner le monde mais seulement le vôtre. Le nôtre n’en a pas besoin. Et si vous voulez récupérer votre argent, rendez-vous au sommet de la Tour Eiffel.
Le chef, en colère, préféra se retirer. Peut-être sa vie lui apparaissait-elle plus précieuse que son argent. Kijô le regarda s’éloigner puis leva les yeux pour profiter de ce ciel d’été dégagé. Un vacarme résonna alors dans le Champs-de-Mars. Il tourna la tête et vit le chef à terre, mort. Un autre bruit attira son attention. Il se retourna de nouveau et aperçut devant ses yeux un amoncellement de cadavres. Ceux des hommes qui s’étaient enfuis peu après son arrivée. Une voix féminine retentit alors.
- Hé ! Kiki ! Tu pourrais mieux faire ton boulot quand même ! Je te rappelle que nous, on est là pour faire les magasins et pas pour assurer tes arrières, vieux ! La prochaine fois, pense à zigouiller tous les témoins !
Une jeune fille rousse s’approcha du chevalier d’Or, accompagnée d’un homme vêtu de sombres habits et portant des lunettes de soleil. Ce dernier prit la parole.
- Mon bon seigneur Kijô, je sais bien que vous n’aimez pas tuer sans raison des personnes mais l’autre furie n’a pas tout à fait tort. Si l’on apprend que le Sanctuaire intervient dans les affaires de ce monde, cela pourrait devenir problématique.
- Pourtant, nous l’avons toujours fait, répondit Kijô.
- En effet mais seulement lorsque le Sanctuaire est directement impliqué. C’était le cas aujourd’hui avec ce traître.
- Mais dans ce cas, pourquoi avoir éliminé les autres ? Leurs magouilles ne nous concernent pas !
- Justement si, gros bêta, répondit la jeune fille.
- Alexia, calme-toi. Visiblement, le Grand Pope ne l’a pas mis au courant…, constata l’homme aux sombres habits.
- Il ne m’a pas mis au courant de quoi ? De quoi parles-tu, Fukashi ?
L’homme, qui se faisait appeler Fukashi (1), retira ses lunettes de soleil et avança vers le cadavre du chef du groupe. Il retourna le corps calciné et saisit le badge argenté qui baignait dans la lumière de la Lune. Relativement petit, il était constitué d’une épée dont la garde reposait sur un cercle. Le tout était entouré de branches de laurier. Sur le cercle était gravé une vipère. Fukashi lança le badge au Chevalier d’Or.
- Tu vois ce badge ? Ne te rappelle-t-il rien ? demanda Fukashi.
- On dirait… On dirait l’emblème de la Société Thulé…, répondit le Chevalier d’Or.
- C’est exactement ça, confirma son compagnon. La Société Thulé, ou Ordre de Thulé, était une société secrète allemande de Munich. À l’origine, le groupe Thulé s’intéressait à la mythologie et à l’Antiquité Nordique. C’est ce groupe d’études qui a servi de base à la création de la Société Thulé en 1918. Fondée par Rudolf von Sebottendorf, cette société s’est rapidement développée dans le contexte de l’Allemagne d’après-guerre, plongée dans la crise et marquée par le Diktat de Versailles. Elle est finalement devenue profondément antisémite, antirépublicaine, raciste et j’en passe. Bien sûr, ses membres croyaient en l’existence de surhommes et d’une race humaine supérieure, j’ai nommé les Aryens. Ces derniers auraient vu le jour dans le mythique Hyperborée, un continent disparu dont Thulé serait justement le dernier vestige. Parmi les stars de la Société Thulé, on trouve par exemple Adolf Hitler ou ses proches : Dietrich Eckhart, Rudolf Hess et bien d’autres…
- Très bien, mais quel est le rapport entre cette société secrète, aujourd’hui dissoute, et le Sanctuaire ?
- Eh bien, depuis quelque temps, certains actes terroristes sont revendiqués par un groupe nommé « Neo-Thulé ». Comme je te l’ai dit, les affaires de ce monde ne concernent pas le Sanctuaire cependant…, Fukashi marqua un temps d’arrêt.
- Cependant ? demanda Kijô.
- Cette société fait principalement appel à des guerriers du Sanctuaire pour parvenir à ses fins, compléta Alexia. En plus, il semblerait que les têtes pensantes de ce groupe s’intéressent de très près au Sanctuaire.
- En effet. Mais cela ne reste que des suppositions. En attendant, vous avez accompli votre mission, Kijô, nous pouvons donc rentrer. J’espère que vous pouvez tous nous téléporter car côté argent, je suis sur la paille.
- Ouais, il est trop radin ce gars! Il a rien voulu me payer ! grogna Alexia. Et toi Kiki, pourquoi t’as fait disparaître le fric de l’autre vieux mafieux ?!
- Arrête de m’appeler « Kiki » s’il te plaît, demanda le Chevalier d’Or.
- Ben, c’est ton vrai nom, non ?
- Hum, en fait, je ne veux plus être appelé comme cela. Quand je suis devenu Chevalier d’Or, j’ai décidé de prendre un nom plus… « sérieux ». En japonais, kijô signifie « brave » ou « courageux ». C’est mon maître qui m’a inculqué les valeurs de bravoure et de courage. J’ai décidé de prendre ce nom lorsque j’ai obtenu le droit de revêtir son armure, expliqua le Chevalier du Bélier. J’espère ainsi me montrer digne de son souvenir.
- Snif, que c’est émouvant ! déclara Fukashi en cherchant un mouchoir dans sa poche.
- Ca y est, il pleure… Bon, on rentre Kiki ? Le Sanctuaire se chargera des cadavres.
- Merci de t’intéresser à mon histoire…Enfin bref, c’est parti !
Une intense lumière dorée envahit le Champs-de-Mars avant de disparaître. La capitale française pouvait dès à présent retrouver la quiétude de sa douce nuit d’été.
30 juillet 2097, ???
- Henri Mahaut est mort.
Dans la salle, cette annonce eut l’effet d’une bombe. Un brouhaha envahit la pièce, toutes les personnes présentes restaient étonnées par le décès de ce Henri Mahaut. Un homme les observait tranquillement, les mains dans les poches et adossé à un mur. Mur sur lequel se trouvait une tapisserie où figurait le même motif que sur le badge d’argent, à savoir le symbole de la Société Thulé. Si l’on y regardait de plus près, on pouvait constater que toutes les personnes présentes portaient ce badge et également au niveau du cœur.
L’homme sortit ses mains de ses poches et s’avança vers ses camarades. Ses courts cheveux blonds contrastaient avec la noirceur de la pièce. Ses yeux bleus reflétaient une profonde détermination et une forte confiance en lui-même. Sur son costume bleu se trouvait également le fameux badge. Il s’arrêta, quelqu’un essayait d’entrer en contact avec lui, télépathiquement. Une voix de femme résonna alors dans son esprit et commença à lui parler.
- Regarde… Admire ce ramassis d’incapables. Ils se troublent pour un rien…, murmura-t-elle avec un mépris non dissimulé.
- Mahaut n’était pas n’importe qui quand même. Il s’était infiltré dans le palais de l’Élysée et nous donnait de précieux renseignements, non seulement sur la France mais également sur l’Union des Pays d’Europe et de la Méditerranée et sur la Nouvelle Triade, répondit l’homme.
- Ah oui, c’est vrai, j’avais oublié. Mais était-ce vraiment important ?
- Dois-je vous rappeler que récolter des informations sur les puissantes organisations de ce monde est l’un des principaux objectifs de Neo-Thulé ? Avez-vous également oublié notre but ? C’est pour cela que vous nous avez rejoint, n’est-ce pas ? demanda-t-il avec ironie.
- Je crois, oui. Nous partageons les mêmes objectifs…, se contenta de répondre la voix de femme.
- Enfin bref, pourquoi continuez-vous à communiquer avec moi par télépathie ? Dois-je vous rappeler que cela me cause d’horribles maux de têtes ?
- Qu’il est douillet… J’en suis fort désolée mais je ne pense pas que tes collaborateurs seraient heureux d’apprendre qu’en réalité ils travaillent également pour moi…
- En effet, ils pensent seulement que Neo-Thulé a pour seul objectif de déclarer une III° Guerre Mondiale en nous servant du Sanctuaire mais ce n’est pas aussi simple… Personne ne connaît la véritable finalité de cette organisation, dit l’homme en esquissant un sourire.
- En attendant, va rassurer tes troupes puis lance le plan « Vipère ». Je te contacterai plus tard et cette fois-ci, nous serons face-à-face mon lapin…
L’homme porta sa main à son front. Visiblement, les maux de têtes venaient de commencer. Une fois la douleur quelque peu passée, il s’avança et monta sur une estrade puis prit la parole devant ses camarades.
- Mes amis, un peu de calme je vous prie ! Cela ne sert à rien de s’affoler. Henri est mort, c’est un fait.
- Sait-on qui l’a tué ? Pour quelles raisons ? Est-ce que vous nous cachez quelque chose ? Répondez ! lança un membre.
- Pourquoi est-ce que je vous cacherais quelque chose ? Je n’ai absolument aucun intérêt à le faire. Vous devez juste savoir que le Sanctuaire a découvert que nous utilisons quelques uns de ses guerriers et qu’il a, par conséquent, commencé à bouger.
Cela ne doit pas nous perturber, nous l’avions prévu lorsque nous avons entamé la phase 1 de notre plan.
- Monsieur Kissinger, où sont les autres dirigeants de Neo-Thulé ? Pourquoi ne sont-ils pas avec vous ? demanda une autre personne présente.
- Monsieur Monnet et monsieur Naoyuki sont actuellement occupés dans leur pays respectif. Ils n’ont pas pu se libérer mais ils sont au courant, répondit Kissinger.
- Pensez-vous que le Sanctuaire représente un danger dans nos plans ? S’il est facile de corrompre de simples soldats ou des apprentis, je ne pense pas qu’il en sera de même avec les Chevaliers Sacrés. Nous ne possédons pas d’armes suffisamment puissantes pour nous opposer aux protecteurs d’Athéna. Et je ne pense pas que le Grand Pope acceptera de nous aider bénévolement à conquérir le monde.
- Quelle intelligence mon cher, lança ironiquement Kissinger. Ne vous inquiétez pas, nous possédons la technologie de notre côté. La science enterrera sans difficulté ces pseudos pouvoirs occultes et ce que les chevaliers appellent « Cosmos ».
- Je ne comprends pas… Vous voulez créer des espèces de « Chevaliers d’Acier » pour prendre le contrôle du Sanctuaire ?
- Mais quelle idée stupide, décidément vous êtes en forme aujourd’hui ! se contenta de répondre l’homme blond. Vous saurez tout en temps et en heure. La réunion du jour consiste à préparer la phase 2 de notre plan. Je vous rappelle que la première phase consistait à faire sortir le Sanctuaire de l’ombre. La phase 2 consiste à en prendre le contrôle.
- Mais monsieur Kissinger, pourquoi mettre autant d’acharnement à vouloir le contrôler ? Pourquoi ne pas simplement le détruire ? Cela nous prendrait moins de temps et moins d’argent.
- Disons que nous avons nos raisons. Les cadres dirigeants de Neo-Thulé veulent mettre un point d’honneur à soumettre l’organisation la plus puissante du monde. Cette organisation plus influente que la nôtre ou que la Nouvelle Triade, que nous contrôlons déjà. Lorsque le Sanctuaire sera entre nos mains, nous pourrons démarrer la phase 3, à savoir mettre en place la III° Guerre Mondiale, puis nous passerons à la quatrième, qui consistera à « sauver » le monde et ainsi, à le contrôler lui aussi… Avec l’appui du Sanctuaire, nous deviendrons de véritables surhommes, mes amis ! annonça Kissinger, en levant ses mains vers les cieux.
Les membres de Neo-Thulé applaudirent leur supérieur avec une énergie retrouvée. Visiblement, le discours de Kissinger et ses talents d’orateurs avaient brisé les doutes qui avaient assailli le cœur des personnes présentes, suite au décès de Henri Mahaut. Kissinger se retira de la pièce, une main dans une poche, l’autre au front, mais néanmoins le sourire aux lèvres. Il pensait déjà au futur… à son futur.
- Oui, pauvres imbéciles, applaudissez-moi… J’ai encore besoin de vous pour prendre le contrôle du Sanctuaire. Et une fois cela fait, je pourrais me dispenser de vos services. Puis il ne me restera plus qu’à l’éliminer et je deviendrai alors un véritable dieu !
5 août 2097, Grèce, Sanctuaire, Salle du Grand Pope
- Kijô du Bélier, Alexia du Lion et Fukashi au rapport, Grand Pope !
Agenouillés sur le sublime tapis rouge bordé de soie dorée, les trois envoyés du Sanctuaire venaient enfin de rentrer de mission pour faire leur rapport au représentant d’Athéna. Ce dernier, assis sur son trône, arborait le fameux casque qui masquait son visage. Sa longue tunique, faîte de tissus mauve et d’or, recouvrait l’intégralité de son corps. Cet être saint se démarquait du reste des habitants du Sanctuaire par son expérience et sa sagesse. En qualité de représentant d’Athéna, il se devait de diriger le domaine sacré de sa déesse en son absence. Pour l’heure, sa seule préoccupation était d’écouter le rapport de ses hommes.
- Je suis heureux de vous revoir mes amis, mais… Votre retour ne fut pas aussi rapide que prévu, déclara-t-il.
Kijô et Fukashi échangèrent un regard puis pointèrent du doigt la jeune fille rousse, qui se trouvait entre les deux hommes. D’une même voix, ils l’accusèrent.
- C’est sa faute, Grand Pope. Elle nous a vidés de nos dernières économies pour faire du tourisme à Paris.
Alexia, telle une lionne emportée, frappa ses deux compagnons d’une vitesse supérieure à celle de la lumière, à n’en pas douter ! Alors que ces derniers se tordaient de douleur, elle plaida sa cause.
- Mais, Grand Pope ! Ils ont pas voulu m’acheter des souvenirs alors j’ai dû user de tous mes atouts féminins pour les faire céder !
- C’est-à-dire ? demanda curieusement le maître du Sanctuaire.
- Elle s’est mise à pleurer devant tout le monde pour que nous apparaissions comme des bourreaux d’enfants ! répondirent les deux hommes.
- Ch’uis pas un enfant d’abord, j’ai seize ans ! Et pis après tout c’est votre faute Grand Pope ! C’est qui qui voulait que je « sorte un peu » et que je me « discipline », hein c’est qui ?
- Euh, je suis le Pope ! Un peu de tenue quand même, jeune fille ! se contenta de répondre le représentant d’Athéna.
- Toujours aussi immature ma pauvre amie…
Cette phrase résonna dans toute la salle, bordée de piliers et autres colonnes. Une silhouette se dessina devant l’entrée. Revêtue également d’une Armure d’Or aux reflets étincelants, la nouvelle venue s’approcha du trône du Pope. Ses longs cheveux d’ébène se mouvaient à chacun de ses pas tandis que ses yeux bleus, aussi sombres qu’une nuit sans Lune, scrutaient le Chevalier du Lion. D’apparence, elles semblaient avoir le même âge, mais de maturité, elle paraissait bien supérieure. Par respect, elle s’agenouilla également devant le Grand Pope.
- Evangeline du Verseau au rapport, Grand Pope.
- Eva ! Comment que ça va bien ? cria Alexia.
- Arrête de m’appeler comme cela. Je reviens de mission, j’ai besoin de calme, de silence et surtout de tranquillité. Trois mots qui ne font sûrement pas partie de ton vocabulaire, répondit le Chevalier du Verseau.
- Beuh, méssante ! C’est comme ça que tu parles à ta meilleure copine ? Snif…
- Euh bon, mettons de côté le mélodrame… soupira le représentant d’Athéna. Qu’as-tu découvert, Evangeline ?
- Quel était l’objet de son enquête, Grand Pope ? demanda Kijô.
- Le badge d’argent qu’arborent tous les membres de Neo-Thulé, répondit l’adolescente.
- C’est-à-dire ? Qu’a-t-il de particulier ? questionna le chevalier du Bélier.
- Eh bien, comme vous devez le savoir, ce badge ressemble comme deux glaçons à l’emblème de la Société Thulé. Cependant, il y a une différence, certes mineure mais qui a toute son importance.
- Laquelle ? s’interrogea Fukashi.
- Ce qui est gravé sur le cercle… Sur l’emblème de la Société Thulé, on trouve la croix de Wotan (2), qui rappelle la croix gammée des nazis, alors que sur celui de Neo-Thulé, on trouve une vipère.
- Et la vipère a un sens philosophico-mystico-métaphorico-religieux ? demanda Alexia.
- Le serpent peut représenter le péché par exemple, répondit Kijô. Ils ont donc des intentions maléfiques ?
- Waaah ! c’est un groupe satanisme !!! lança Alexia.
- Non, je ne pense pas, dit Fukashi. Neo-Thulé commet des actes terroristes un peu partout sur la planète à l’aide de guerriers du Sanctuaire. Cependant, d’après les quelques échos que j’en ai, cette société ne semble pas se vouloir destructrice mais plutôt salvatrice. En gros, ils pensent faire le bien en bousculant la Nouvelle Triade. Ils n’ont pas tout à fait tort mais de nombreux innocents périssent dans leurs soi-disant « actes bienfaiteurs » et de plus, ils détournent par des procédés inconnus des soldats et des apprentis du Sanctuaire.
- La question est de savoir comment sont-ils parvenus à pénétrer dans le Sanctuaire et à corrompre des serviteurs d’Athéna, annonça Kijô. Je ne pense pas que l’argent soit le principal responsable de ces nombreuses trahisons, il doit y avoir autre chose… Mais quoi ?
La discussion tourna court lorsqu’un garde affolé fit irruption dans la salle du Grand Pope, à la grande surprise des personnes présentes. Dans la précipitation, il oublia de s’agenouiller et vint tout de suite à l’essentiel.
- On vient de m’informer qu’un Chevalier d’Argent s’attaque à Athènes ! Il est en train d’éliminer tous les passants, sans distinction d’âge ! parvint à dire le garde, malgré son souffle court.
- Un Chevalier d’Argent ? En es-tu bien certain ? demanda le Grand Pope, visiblement surpris par cette nouvelle.
- Parfaitement certain, seigneur ! Il s’agit de Mah Taï du Grand Chien !
- Même les Chevaliers d’Argent nous trahissent ?! Mais que se passe-t-il à la fin ? Kijô ! Je n’aime pas en donner l’ordre mais tu sais ce qu’il te reste à faire ! Va ! ordonna le représentant d’Athéna, troublé.
Le chevalier du Bélier serra les dents et disparut aussitôt dans une lumière dorée. L’étonnement se lisait également sur le visage de ses frères d’armes. Qu’un soldat ou qu’un apprenti puisse trahir Athéna est une chose, mais un Chevalier Sacré… La surprise et l’incompréhension venaient d’envahir la salle du Grand Pope ; et cela ne semblait être que le commencement…
5 août 2097, Grèce, Athènes, place Syntagma
Lorsque Kijô arriva sur place, tout n’était que cendres et ruines. Le chaos s’était emparé de l’une des plus fameuses places de la capitale grecque. Des cadavres d’innocents jonchaient les rues tandis que leur sang rougissait les gravas. Le Chevalier du Bélier ne put retenir sa colère devant une telle barbarie, des larmes perlèrent au coin de ses yeux. Des larmes de rage mais également des larmes de compassion, pour apaiser les souffrances des morts…
Soudain, un cri résonna non loin du lieu où il se trouvait. Il se précipita pour en découvrir la source et c’est là qu’il découvrit une jeune fille, en larmes. Ses cheveux mi-longs, aussi dorés que les blés, cachaient ses yeux, de la même couleur, rougis par ses pleurs. Lorsqu’elle vit l’Armure d’Or de Kijô, elle se précipita vers lui. Ce dernier la prit dans ses bras.
- C’est fini, c’est fini… Je vais ramener l’ordre et la paix dans cette ville, tu peux me croire. Alors ne pleure plus, d’accord ? dit Kijô en cherchant à la consoler.
- Cette Armure… Vous êtes un Chevalier d’Athéna ? Je vous en supplie ! Venez-nous en aide ! Mes parents, mes amis, ils ont tous été… Elle ne put terminer sa phrase tant la tristesse et la souffrance l’envahirent.
- Ne t’inquiète pas, tout va bien se passer maintenant. Je suis là…
- Tiens, un camarade…
Kijô leva les yeux. Devant lui, sur des gravas, se tenait le responsable de ce massacre. Le Chevalier d’Argent tenait encore entre ses mains les restes d’une de ses victimes. Kijô ne croyait pas qu’un homme aussi expérimenté et serviable que Mah Taï puisse être l’instigateur de cette boucherie. Le Chevalier d’Or remarqua que celui qu’il avait en face de lui avait exactement le même regard que le soldat qu’il avait tué à Paris. Ce constat le troubla.
- Mah Taï ! Tu étais l’un des plus fidèles Chevaliers d’Argent au service d’Athéna ! Pourquoi la trahir ? Pourquoi nous trahir ? vociféra le Chevalier du Bélier.
- Tu ne peux pas comprendre, Kijô. C’est une mission sacrée, je dois l’accomplir. Nous sommes les véritables sauveurs de ce monde ! Ce n’est pas au Sanctuaire qu’incombe le devoir d’apporter la paix ! C’est à nous de réaliser ce rêve ! répondit le Chevalier du Grand Chien.
- Quand tu dis « nous », tu parles de Neo-Thulé ?
- Exactement. Tous les membres de cette société sont les véritables élus des dieux. Ce sont eux qui sauveront le monde. La mission des Chevaliers Sacrés est d’amener la paix sur Terre et pour que cet objectif soit mené à terme, ce n’est pas à Athéna que nous devons prêter notre force mais à Neo-Thulé ! annonça Mah Taï.
- Et tu comptes amener la paix en tuant des innocents ? Des innocents comme cette pauvre enfant ? Explique-moi, je ne comprends pas !
- Elle est du côté des déchets, du côté du diable, du côté de ceux qui ne sont pas élus… tout comme tous ceux que j’ai tués ! Et si tu refuses de nous rejoindre, alors tu subiras le même sort que ces cadavres !
En disant cela, il saisit le crâne de la dépouille qu’il transportait et l’écrabouilla avec une joie non dissimulée. Kijô observa la scène, choqué par l’attitude de son frère d’armes, tandis que l’adolescente continuait de pleurer. La nuit venait de tomber. Mais le ciel, d’ordinaire aux doux reflets bleutés, se teinta cette fois-ci de la rougeur des flammes et de celle du sang.
En un instant, la silhouette de Mah Taï se volatilisa. Kijô prit alors précipitamment la jeune fille dans ses bras, comme pour la protéger, puis leva son bras gauche pour contrer l’assaut de son ennemi, qui venait de réapparaître. Le Chevalier du Bélier le projeta au loin à l’aide de ses pouvoirs paranormaux puis édifia un Crystal Wall devant sa protégée. Ensuite, il le modifia de telle façon à ce qu’il ressemble à un cube. De cette façon, l’adolescente serait à l’abri de toute attaque.
Rassuré sur ce point, il se précipita sur son adversaire et tenta de le paralyser à l’aide de cercles psychiques. Mah Taï, qui connaissait bien son adversaire, les évita et entama sa contre-attaque. Il attrapa le Chevalier du Bélier par le coude puis le projeta dans les airs avant de le ruer de coups. Protégé par son Armure, Kijô s’en sortait sans grand dommage mais il dut reconnaître la vitesse d’action de son adversaire, proche de celle d’un Chevalier d’Or. Cependant, il restait le plus rapide.
Alors que Mah Taï repartait à l’attaque, Kijô se téléporta dans son dos puis, concentrant son Cosmos dans sa main gauche, lui asséna un violent coup de poing. Le Chevalier d’Argent s’écrasa au sol. Également protégé par son Amure, les dégâts furent moindres. Cependant, Mah Taï réalisait bien qu’il avait affaire à un Chevalier d’Or. Kijô s’approcha de lui et commença à lui parler.
- Je ne tiens pas à t’exécuter mais je n’ai pas le choix. Je te demande de te repentir de tes actes, au nom d’Athéna. Ainsi, tu pourras mourir en véritable Chevalier Sacré.
- Athéna… ne sauvera pas le monde…L’harmonie n’est pas la solution…, déclara le Chevalier d’Argent, avec un dernier sourire provocateur.
- Dommage…
Une colonne de lumière éclaira la nuit durant quelques secondes. Sur le champ de bataille ne restait plus que l’Armure d’Argent du Grand Chien, une jeune fille en pleurs et un homme dépité… Kijô s’approcha de l’adolescente et lui demanda une nouvelle fois de sécher ses larmes. Cette fois-ci, c’était vraiment terminé… Ne désirant pas la laisser seule après tout ce qu’elle avait vécu, Kijô décida de l’emmener avec lui, au Sanctuaire.
- Je suis désolé pour tout ce qui s’est passé. Écoute, je te propose de venir avec moi au Sanctuaire. Nous allons te trouver une nouvelle famille à Rodorio. C’est un petit village calme et paisible proche du domaine d’Athéna. Je suis certain que tu t’y plairas. Tu es d’accord ?
L’adolescente, quelque peu surprise par cette proposition, ne prononça qu’un seul mot en guise de réponse.
- D’accord.
Elle esquissa un sourire, elle qui pensait avoir tout perdu. Kijô fit de même. Aider cette jeune fille lui permettait d’oublier, ne serait-ce qu’un peu, l’exécution de l’un de ses anciens compagnons.
- Au fait, quel est ton nom ? Moi c’est Kijô, le Chevalier d’Or du Bélier.
- Je suis Helena, enchantée.
Des milliers de kilomètres plus loin, Kissinger observait cette touchante scène à travers un écran. Il avait également assisté au combat grâce à un satellite de l’armée. Il esquissa un sourire puis leva les yeux.
- Phase 2, plan « Vipère » : Start.
Dans le ciel de Grèce, les étoiles semblaient danser…
~--------------------~ *** ~--------------------~
Notes
(1) Fukashi : Signifie « invisible » en japonais. Ici, il s’agit d’un pseudonyme.
(2) Wotan : Autre nom d’Odin.