L’horloge pyrique indiquait à présent l’heure
du Sagittaire. Mais c’était du temple de la Balance que Dohko, naviguant encore
à contre-courant s’approchait à grands pas. Son humeur, d’abord colérique,
s’était à présent transformée en un profond sentiment de doute.
- Et si elle avait raison, songea-t-il.
Si la clé de l’énigme se trouvait ici ! Cela…
Des images de ses cauchemars lui
revinrent en tête, véritable florilège de scènes de violence et de rage. Amer,
il conclut encore une fois qu’un tel passé ne valait pas la peine d’être
exhumé. Résolu, il entra dans la demeure de la Balance, bien décidé à quitter
cet endroit le plus tôt possible. Il ne remarqua pas que, loin derrière lui,
cinq silhouettes gravissaient quatre à quatre les marches séparant la maison du
Verseau de celle des Poissons. Dans cette bâtisse, Athéna, après un long
conciliabule avec le grand Pope et les deux Saints, rendait enfin sa décision :
- Nos forces sont, à l’heure actuelle, trop diminuées ! Notre priorité est avant
tout d’assurer la garde du sanctuaire ! Aussi devons-nous attendre le retour de
vos compagnons d’armes ! A ce moment-là, tu pourras partir enquêter sur place !
Ganymède, à qui cette remarque était adressée, acquiesça. Le rapide va-et-vient
de son talon droit indiquait, toutefois, qu’il bouillait d’impatience contenue.
- Bon, clarifia le Pope. Il est plus que temps que chacun retourne à ses
fonctions ! Altesse, permettez que je vous ouvre la marche !
Le régent et sa souveraine gagnèrent la sortie du temple. Le Saint du Verseau
salua son comparse et se retira. Mais brusquement, il se projeta sur la déesse
en hurlant :
- Attention ! Nous sommes attaqués !!
Bousculant la jeune fille, il dévia de leur trajectoire quatre boules de feu
fonçant sur elle. D’autres projectiles infernaux, dans une folle sarabande,
pilonnèrent les murs et colonnes du temple sacré. Niemand, en bouclier humain
protégeant sa déesse, gronda :
- Ma demeure n’est pas un terrain d’essai pour feux d’artifices ! Qui que vous
soyez, je vous conseille de stopper immédiatement ces enfantillages !
- Comme il te plaira, répondit une voluptueuse voix féminine. Khamsin, ne
gaspille pas inutilement ton énergie, nous sommes découvertes !
Cinq formes humaines jaillirent littéralement des contreforts du temple. Ce
petit bataillon se composait uniquement de femmes toutes plus belles les unes
que les autres. Ganymède, effaré, se remémora les légendes ayant bercé son
enfance et s’écria :
- Les… Les princesses Amazones !!
- En chair et en os, rétorqua celle qui, d’après sa position centrale au sein
du groupe, devait diriger les opérations. Je me nomme…
- Sapho de la Goule, l’interrompit le Saint du Verseau. Et vous êtes respectivement
Lilith des Lémures, Asmodée de la Veuve noire, Evora de la Biche d’airain et
Khamsin de la Chimère !
Sapho et ses compagnes échangèrent des regards circonspects. La dénommée
Asmodée s’exclama :
- Ravie de voir que l’histoire n’a pas oublié qui nous étions !
- Comment pouvez-vous… ?
- Etre en vie, compléta Sapho. Question pertinente mais ô combien inutile ! Il
n’est qu’un seul être, sur cette terre maudite, capable de ressusciter les
morts ! C’est le souverain noir ! Celui dont le royaume n’est que peine et
désolation !
- Évidemment, intervint le Pope. Nous nous doutions bien que c’était LUI qui
vous a ramenées des limbes ! Mais il ne l’a assurément pas fait sans
contrepartie ! De quelle tâche vous a-t-il investies ?
- Autrefois, nous luttions contre les mêmes ennemis ! Nous avons donc trouvé
naturellement un arrangement satisfaisant ! Il nous a libérées à condition que
nous lui amenions cinq personnes de haute valeur pour prendre notre place !
Malheureusement, votre garde d’élite semble avoir déserté les lieux ! Nous qui
pensions faire bonne chasse ici, avons dû nous contenter d’un seul gibier de
potence, pour l’instant !
- Calahël, s’écria Athéna. Qu’avez-vous fait de lui ?
- N’ayez crainte ! Vous allez très vite le savoir ! En garde !!!
Le grand Pope, voyant la situation lui échapper, parla télépathiquement à
Niemand :
- Conduis Athéna en lieu sûr ! Nous nous chargerons de ralentir ces tigresses !
- Vous n’y pensez pas ! Je n’ai pas l’habitude de m’enfuir et…
- C’est un ordre ! Obéis !!
- Bien, mais je reviendrai vous prêter main forte…
Le Saint des Poissons, jouant la carte de la diversion, créa une brume aussi
épaisse que salvatrice. Dans la confusion générale qui s’ensuivit, l’écho
furtif de nombreux bruits de pas parvint aux oreilles du Pope. Après une minute
de parfaite immobilité, il dissipa la brume d’un claquement de doigts. Comme il
l’imaginait, la totalité des protagonistes avait quitté la scène. A l’exception
d’une Amazone, qui s’était décidée à rester en tête-à-tête avec le haut
dignitaire.
Pendant ce temps, au sommet d’une
vertigineuse montagne, un nuage de brume se cramponnait désespérément à son
éphémère vie. En vain, il se disloqua, dévoilant un Saint d’or portant dans ses
bras une magnifique jeune fille.
- Pardonnez cet excès de familiarité altesse, dit-il en la déposant doucement.
Je ne suis pas habitué à servir de cavalier à une personne de votre rang !
- Ce n’est rien, répondit Athéna, rougissante. Où sommes-nous ?
- A Star Hill ! C’est ce lieu qui sert d’observatoire au grand Pope dans ses
divinations.
- Je pensais que l’accès en était réservé à sa seule utilisation ! Comment as-tu
pu nous y amener aussi facilement ?
- Eh bien… Vous le savez, je suis extrêmement curieux… Un soir, je m’ennuyais
particulièrement, alors…
Athéna laissa échapper un rire bon enfant, en guise de sentence. Puis, jaugeant
le temple derrière-elle, elle proclama :
- Retournes-y ! Je serai en sûreté ici ! Et tâches de revenir sain et sauf,
sinon je ne pourrai te réprimander pour ta curiosité !
- Entendu ! Je serai bientôt…
Un orbe enflammé vola la vedette à Niemand. Il se posa sur la voûte surplombant
l’entrée du temple. A l’intérieur, on devinait l’esquisse d’un corps féminin
élancée.
- J’ai l’impression que nous avons été suivis, lâcha le Saint, observateur.
Non loin de là, au pied de
l’inébranlable statue d’Athéna, les trois Amazones restantes allaient commettre
le plus incroyable des larcins. Sans le moindre remord, elles s’approchèrent de
la titanesque effigie et sortirent le bouclier sacré de l’étreinte de la déesse
de pierre. Par une alchimie difficile à expliquer en ces pages, le bouclier vit
sa forme se modifier. Son diamètre ainsi que sa structure diminuèrent.
Comme dans une fable, le gigantesque
bouclier de pierre devint un bouclier d’or, d’une circonférence à peine plus
élevée que la moyenne. Une des princesses le sangla habilement sur son dos et,
suivant ses compagnes, s’escamota sans bruit. Mais c’était sans compter sur un
certain Ganymède qui, le plus nonchalamment du monde, leur bloqua, par sa
présence, tout repli vers la salle du Pope.
- Voilà donc le véritable enjeu de votre mission, constata-t-il. Je concevais
difficilement que l’empereur des morts fasse appel à vous pour une simple
attaque de front ! Ce n’est, par définition, pas le meilleur terrain pour tirer
le meilleur parti de vos fugitives capacités !
- Ta tête paraît aussi bien faite que bien pleine, s’amusa Asmodée. Quel
dommage qu’il faille te l’arracher du corps ! En l’art du combat, j’avoue ne
pas être au fait des dernières nouveautés ! Que dirais-tu de m’aider à me
mettre à niveau !
- Avec joie ! Mais ce sera à tes risques et périls !
- Asmodée, grogna Evora, l’Amazone transportant le bouclier. Ce n’est pas ce
qui a été prévu ! A trois, nous ne ferions qu’une bouchée de ce pitoyable
insecte ! N’espère pas que nous te laisserons l’affronter seule !
- Il est ma proie exclusive, répondit-elle sauvagement. Le sanctuaire regorge
de guerriers talentueux, trouvez-vous vous-même de quoi vous distraire !
- J’en ai assez de ces initiatives personnelles, déclara Lilith, la troisième
Amazone. Evora, partons ! Si elles tiennent toutes à perdre leur temps ici,
laissons-les se débrouiller !
- Tu as raison ! Allons nous acquitter de notre part du marché !
Les deux Amazones concernées dévalèrent prestement les marches de la salle du
grand Pope. Ganymède, croyant les poursuivre, fut assailli par Asmodée. Parant
vivement l’attaque, il se stabilisa d’une cabriole.
- Tu es très agile, admira-t-elle. Ce combat promet d’être passionnant !