Les arènes du sanctuaire
grouillaient de vie. Dohko, en ermite patenté, détestait les bains de foule. La
vision d’une telle affluence de gardes, Saints et disciples divers assombrit considérablement
son humeur.
- Seigneur Dohko,
osa timidement un garde. Les seigneurs Niemand et Ganymède vous
demandent ! Suivez-moi, je vous prie !
S’il est une chose
que Dohko détestait encore plus que la foule, c’étaient ces ronds de jambe dont le gratifiaient, à
présent, ceux qui le croisaient. Comme si le simple fait de porter cette armure
faisait de lui un homme meilleur.
- Voilà notre belle
au bois dormant, s’exclama Niemand. Tu viens enfin prendre part à notre
kermesse !
- Si ce n’est pas
trop vous demander, pourriez-vous m’expliquer ce qui se passe ici ?
- Nous comblons
notre retard, rétorqua Ganymède. Cela fait une semaine que vous avez ramené les
armures et depuis nous avons patiemment attendu. Les fils de la nouvelle aube
ne donnent plus signe de vie. Hadès, pour sa part, n’est pas encore prêt à
passer à l’offensive. Les résurrections intempestives n’étaient que des mises
en garde. Une façon sournoise de nous faire découvrir l’étendue de sa
puissance.
- Comment peux-tu
être aussi catégorique ?
- Il nous l’a
affirmé, déclara le Saint des Poissons, en désignant le Pope en pleine discussion
avec Shion et deux Saints d’argent. Nous ignorons comment il se débrouille,
mais le fait est qu’il a toujours raison ! Ca en est même fortement
agaçant !
- Soit ! Mais
vous n’avez pas répondu à ma question ! Que signifie cette
agitation ?
- Très simple,
renchérit Ganymède. Pour te faire un résumé succinct, lors de la disparition
des armures de bronze, la majorité des camps d’entraînement furent laissés à
l’abandon. Leurs occupants se réfugiant en nos murs en attendant l’évolution de
la situation. Toute activité fut gelée pendant ce temps. A présent que tout est
rentré dans l’ordre, nous pouvons remettre aux plus méritants les armures qui
leur incombent !
- Si je comprends
bien, tous ces gamins vont se battre afin d’obtenir une armure ! Vaste
programme !
- En effet,
intervint le Pope, arrivant comme un cheveu sur la soupe. La situation est un
peu insolite mais puisque tous étaient déjà au sanctuaire… Nous allons recréer
ici les épreuves d’obtention des armures de bronze. Chaque maître jugera ses
disciples et, officieusement, vous assurerez la sécurité de tout un chacun.
Ouvrez l’œil ! Nos ennemis pourraient profiter de la confusion générale
pour s’introduire au cœur du domaine !
- Grand Pope,
s’immisça Shion. Le Saint de Céphée, garant de l’île d’Andromède, souhaite
s’entretenir avec vous ! Il prétend
que les conditions pour recréer je ne sais quel sacrifice ne sont pas
réunies !
- Les ennuis
commencent ! Messieurs, soyez vigilants ! Le poids du sanctuaire
pèse, plus que jamais, sur vos épaules !
- Quel comédien,
lâcha après son départ Niemand.
- Que veux-tu
dire !?
- Qu’il omet de nous
parler d’un détail crucial, compléta le Saint du Verseau. Tout ceci n’est que
de la poudre aux yeux ! Une diversion bruyante servant à attirer
l’attention sur le domaine sacré ! Ne remarques-tu rien d’inhabituel ?
- Si, répondit
Dohko. Athéna n’est pas là !
- Exact ! Pas
plus que Lawrence et Calahël ! Etrange coïncidence, vous ne trouvez
pas !
- Sans doute
sont-ils partis en promenade à la campagne afin de se changer les idées,
proposa Shion ; cueillant une fleur poussant sur la pavage de l’arène. Les
carrés de verdure sont malheureusement bien rares ici bas…
Shion ne pensait pas
aussi bien dire. Loin de là, dans une contrée voisine d’un certain royaume
d’Asgard un carrosse, trop banal pour l’être vraiment, fendait justement la
campagne. Un petit garçon, riant aux éclats, avait pris place aux côtés du
cocher et singeait chacun de ses gestes.
- Lucas, le
réprimanda une voix féminine venant de l’intérieur. Cesse d’embêter notre
conducteur !
- Ne vous en faites
pas madame, répondit le cocher, un petit bonhomme trapu à la moustache
grisonnante et broussailleuse. Il ne me dérange pas ! Au contraire !
Plongeant dans
l’habitacle du carrosse, nous découvrons Athéna, le visage dissimulé par une
capuche ecclésiastique, entourée de Rebecca et d’une autre jeune femme. Cette
dernière venait de s’adresser au garçonnet. Elle referma la trappe permettant
de parler au conducteur et tenta de se détendre. Elle était l’archétype de la
beauté scandinave avec ses yeux turquoise, sa silhouette élancée et ses longs
cheveux clairs. Sur la banquette opposée Lawrence et Calahël, habillés en
riches colporteurs itinérants, observaient le paysage défilant à leur fenêtre.
- Isild, déclara
Lawrence. Laisse-le s’amuser ! C’est de son âge !
- Je le sais !
Mais je ne peux m’empêcher de m’inquiéter ! Ce doit être l’instinct
maternel qui reprend le dessus !
Le Saint du Scorpion
prit la main de la jeune femme et la serra tendrement. Athéna et Rebecca,
complices, gloussèrent devant cette scène mignonnette. Calahël, lui, eut un
soupir d’exaspération voulant tout dire.
- Je continue de
penser que c’est une mauvaise idée, dit-il. Surtout dans le climat
actuel !
- Cette
visite furtive était prévue de très longue date, clama sa souveraine. Le
seigneur Hedger m’a certifié que, à part lui-même et quelques gens de
confiance, nul n’est informé de notre visite en Asgard ! Nous n’avons rien
à craindre !
- Peut être !
Mais il suffirait qu’une seule information ait filtré… Nos ennemis seraient
probablement ravis de vous trouver avec une escorte aussi restreinte !
- L’autre moitié de
la si légère escorte te fait remarquer que deux Saints d’or équivalent à une
armée, s’exclama Lawrence. Qui plus est, nos armures sont à portée de
main !
Il tapota de la
phalange du doigt la cloison sur laquelle tous deux se tenaient adossés.
Rebecca, effrontée, déclara :
- Si mon cousin est
aussi grognon, c’est parce qu’il s’est fermement opposé à ma venue ! Sans
doute a-t-il peur que je succombe au charme des fiers guerriers d’Asgard !
Le Saint du
Sagittaire se renfrogna. Son humeur, déjà maussade, se dégrada encore quand il
s’aperçut que le véhicule s’immobilisait.
- Que se passe-t-il
Anthelme ?
- La route est
obstruée par un arbre énorme, rétorqua le cocher. Il a dû souffler une sacrée
tempête pour déraciner un tel mastodonte !
- Je vais y jeter un
œil, proclama Lawrence.
- Sois sur tes
gardes, lui fit promettre Isild, épouse attentive.
Le Saint du Scorpion
s’employa bien vite à dégager la voie. Sous les yeux admiratifs de son fils, il
réduisit en miettes l’encombrant obstacle.
- La voie est
libre ! Nous…
Lawrence ne termina
pas sa phrase. Rôdant silencieusement autour du carrosse, une créature féline
lui décocha un grognement de salut. Au cours de sa carrière, il avait rencontré
nombre d’animaux féroces, mais aucun n’égalait, par ses proportions, ce
magnifique spécimen. Ce fut la longueur de ses crocs qui impressionna surtout
le Saint. Une seule morsure lui aurait certainement permis de décapiter le plus
puissant des taureaux. Malgré ce gigantisme, aucun des occupants du véhicule ne
semblait avoir remarqué sa présence.
- Ne… Bougez… Pas,
souffla le Saint, dégainant son aiguillon mortel.
L’horrible créature
parut comprendre les intentions de Lawrence. En dépit de son imposant gabarit,
elle bondit sur le toit du carrosse et, d’un coup de griffe, envoya Anthelme
retrouver ses ancêtres. Avant que le
Saint n’ait pu la mettre en joue, elle saisit délicatement par sa chemise Lucas,
trop effrayé pour hurler, et disparut sans laisser de trace.
- Lucas !!!!
Isild, hystérique,
se jeta à la poursuite de son fils. Mais Calahël la retint solidement par les
épaules.
- Qu’elle est cette
abomination ?!
- Ma future descente
de lits !! Isild, ne t’inquiète pas ! Je ramènerai notre fils au
péril de ma vie, s’il le faut !!
L’armure du Scorpion,
pulvérisant le coffre du carrosse, se greffa à un Lawrence plus remonté que
jamais. Laissant ces dames au bon soin de Calahël, il s’engagea dans un
sous-bois ténébreux. Isild, soudain calmée, murmura :
- Tu y arriveras.
J’ai confiance en toi.
Le Saint du
Sagittaire trépignait, mais il lui était impossible d’abandonner les jeunes
femmes.
- Je le ressens
maintenant, songea-t-il. Un cosmos guide cette créature ! Non, plus qu’un
cosmos, un lien psychique…
La course-poursuite
fut plutôt brève. La créature, après s’être engagée dans une carrière de pierre
désaffectée, s’arrêta et déposa avec précaution son inestimable proie. Un
homme, attendant probablement son retour, s’approcha et lui caressa les flancs.
- Bon travail Nadir !
Quoi qu’il puisse se produire, surtout n’intervient pas !
Lawrence arriva deux
secondes plus tard. La configuration du lieu le conforta dans son intuition. Le
but de cette créature était bel et bien de l’attirer ici.
- Ton fils est
simplement évanoui ! Je puis t’assurer qu’aucun mal ne lui sera
fait !
Le Saint considéra
celui qui devait être le maître de la bête et harangua :
- Tes méthodes sont
exécrables, fils de la nouvelle aube ! Qui t’a permit de t’en prendre à
cet enfant !?
- La fin justifie
les moyens, répliqua sèchement l’homme connu sous le nom de Messidor.
- Je suis Lawrence
du Scorpion ! Et tu es… ?
- Mon nom n’a que
peu d’importance ! Mais sache que mon compagnon d’infortune se nomme Nadir !
Si tu survis, promets-moi de faire de lui une description honnête !
Jusqu'à présent, les portraits le décrivant ne furent que caricatures ou
approximations peu flatteuses !
Séquence désormais
habituelle, Messidor brandit une statuette qui enfla et devint une armure de
combat. Détail troublant, l’armure était une représentation très ressemblante
de la créature. Une fois équipé, l’homme au catogan de gentilhomme
s’écria :
- Il faut que tu
comprennes que je n’ai pas de haine à ton égard ! Mais ce combat est
nécessaire ! Chacun de nous, s’il reste en vie, constitue un danger trop
important pour le camp adverse !