Le sanctuaire justement, loin d’être dans
l’état de dévastation de la vision de Shion, suffoquait sous le soleil de plomb
de « l’été indien ». Quelques gardes, harassés par cette chaleur imprévue,
attendaient avec une impatience non dissimulée que la relève arrive.
- Les gars, se risqua l’un d’eux. Je
crois qu’il y a de l’orage dans l’air !
Ce météorologue amateur ne se doutait
pas que, dans un des temples sacrés, l’orage battait déjà son plein. Dohko,
touché au visage, ne s’était pas privé pour faire savoir à Niemand qu’il
n’appréciait pas ce genre de coutume locale en lui rendant la pareille.
- Pourquoi m’attaques-tu, interrogea
Dohko. Je ne suis pas ton ennemi !
- Ennemi ou allié, peu m’importe ! Tu
vas mourir, MIST MOSAIC !!!
Comme dans la maison du Sagittaire, une
brume fantasmagorique s’éleva.
- J’ai un faible pour les ambiances
tamisées, s’amusa le Saint d’or. Elles stimulent ma créativité !
- Et à présent, que faisons-nous ?
- Mon ami, je pense qu’il nous faut nous
entretuer ! Dans les règles de l’art, cela va de soi !
- Je croyais que les Saints prônaient la
paix et la justice !? Je suis affreusement déçu !
- A vrai dire, je suis l’exception qui
confirme la règle ! Dommage que tu sois tombé sur moi ! Trèves de fariboles,
d’autres tueries m’attendent ailleurs ! En garde !
Les deux opposants, sur le qui-vive,
s’étudièrent sans bouger un muscle. Lassé de ce jeu sans parole, Niemand coassa
:
- Aurais-tu pris racine ! Attaque-moi,
je t’offre le plaisir d’ouvrir le bal !
Dohko, en pleine crise de mutisme aigu,
ne parut pas se soucier outre mesure de son adversaire. Sans doute pensait-il
que ce n’était qu’une nouvelle facétie de cet atypique Saint d’or.
- Je vois que tu tiens à me laisser la
primeur, qu’à cela ne tienne ! OCEAN POLTERGEIST !!!
L’aura de Niemand prit soudain l’aspect
d’un gigantesque feu follet. Plusieurs formes vaporeuses s’en extirpèrent en
poussant des râles de suppliciés. Ces êtes bondirent, ou plutôt flottèrent
jusqu'à Dohko. En bons esprits frappeurs, ils le martelèrent de coups aussi
rapides que puissants.
- Je te présente les damnés des sept
mers, déclara le Saint des Poissons. Autrefois, ils furent des pirates sans foi
ni loi qui pillèrent et tuèrent pour leur simple distraction. Leur trépas fut à
l’image de leur existence débauchée. Mais ils gardèrent une telle rancune à
l’égard du genre humain que l’entrée des enfers leur fut refusée. Depuis ce
jour ils hantent les océans, décimant navire et équipage ayant le malheur de
croiser leur éternelle cavalcade !
- Tu es un conteur né, ou un
affabulateur émérite ce qui revient au même. Je ne crois pas aux fantômes, tout
ceci n’est qu’illusion !
- Heureux que ta langue se délie enfin !
Mais tu as bien tort de provoquer ainsi ces âmes errantes ! Je ne pourrai peut
être pas endiguer leur courroux ravageur ! OCEAN POLTERGEIST !!!
A nouveau, les créatures fantomatiques
attaquèrent notre héros. Bien décidé à ne plus jouer les sacs de frappe, il
tenta de pulvériser ces surprenants adversaires. Mais leurs corps volatils se
dissolvaient à chacun de ses assauts, n’assurant aucune prise à une éventuelle
contre-attaque. Dohko estima que la meilleure solution serait encore de
trancher le mal à la racine.
- Tes illusions s’évanouiront avec toi,
cria-t-il. ENVOL DU DRAGON !!!
Poing en avant, il se projeta sur le
Saint. Mais celui-ci, usant du septième sens, l’évita. Le maître de Shiryu
s’arrêta brutalement. D’un mouvement du buste, il essaya de frapper son
adversaire, qui se trouvait dos à lui. Par malchance un fantôme, profitant de
l’ouverture, lui fit découvrir de plus prés son coude proéminent. Groggy, celui
qui deviendra le Saint de la Balance se remit lentement debout.
- Je t’avais prévenu ! Ces revenants ont
un humour beaucoup plus limité que le mien !
- Je ne suis qu’un sombre imbécile !
Comment ai-je pu me laisser berner aussi facilement !
- Pardon ?
- La brume ! C’est cette brume ton
secret ! Tu l’as donc rendu malléable au point de créer ces soi-disant fantômes
!
- Des fantômes de brume, s’étonna
faussement Niemand. Que voilà une drôle d’idée !
- Elle ne te sert pas qu’à cela ! Elle
te permet aussi de te dissimuler quand tu te déplaces à la vitesse de la
lumière ! Ensuite tu synchronises parfaitement tes coups avec ceux,
inexistants, de tes chimères ! Tes attaques sont d’une précision diabolique !
Je comprends maintenant ce qu’entendait Calahël par tours de passe-passe !
- Bravo, siffla le Saint. Tu dois
posséder une grande expérience du combat pour déchiffrer si rapidement les
fondements de mon attaque ! Dis-moi, qui es-tu réellement ? Toi qui risque ta
vie pour l’armure du Dragon ! Au regard de tes techniques, tout porterait à
croire que tu en es le propriétaire. Toutefois, elle ne frémit même pas quant
tu te trouves en danger ! Alors, es-tu un Saint ou une version alambiquée du
cheval de Troie ?
- Je ne peux fournir les réponses aux
questions qui te taraudent, ma mémoire n’est qu’une coquille vide !
- Comment ?!
-Il y a un peu plus de deux ans, je me
suis éveillé à l’orée d’une inextricable forêt, noire comme l’enfer ! Je
n’avais aucun souvenir de ce qui avait bien pu me conduire en ces lieux
sinistres. Pire encore, je ne parvenais plus à me rappeler mon nom, ni aucune
bribe de souvenir, qu’il soit lointain ou récent ! Peux-tu t’imaginer ce que
l’on ressent quand on n’a ni but ni origine ? C’est un sentiment horrible que
de ne rien savoir ! Pendant des mois, j’ai erré de région en région, de pays en
pays et de continent en continent, à la recherche de visages ou d’endroits
familiers. Toujours sans succès ! Mais d’aventure en aventure, je me suis
progressivement découvert cet étonnant pouvoir, que vous nommez cosmos !
- Dont tu as d’ailleurs une bien belle
maîtrise ! Mais, qu’est ce qui t’a amené en résidence à Rozan ?
- Quand mes pas me conduisirent à cette
cascade, j’ai éprouvé pour la première fois un sentiment de familiarité.
J’ignore comment, mais mon ancienne vie est liée à cet endroit et à cette
armure ! Là-bas ma mémoire s’est très superficiellement réactivée. Je fais
depuis un rêve récurent, me montrant une femme à l’agonie m’appelant Dohko. J’en
conclu qu’il devait s’agir de mon nom de baptême. D’autres songes faisaient
apparaître un homme, dont je ne peux voir le visage, exécutant la Colère du
dragon. Attaque que je repris à mon compte par la suite. Voilà tout ce que je
connais de ma vie avant ces deux dernières années. Plus le tatouage de tigre
qui apparaît dans mon dos, quand mon énergie est à son summum.
- N’as-tu jamais songé à retourner dans
cette forêt afin d’élucider les causes de ton amnésie ?
- A quoi bon ! A Rozan, j’ai retrouvé
paix et équilibre ! Mon passé est mort et enterré, j’en ai fait le deuil depuis
longtemps !
- Ton histoire est encore plus tirée par
les cheveux que tous les boniments dont je t’ai gratifié ! Mais en supposant
que tu dises la vérité, pourquoi tout me raconter dans les moindres détails ?
- Je n’ai rien à cacher. Et après tout,
ce combat n’avait-il pas pour but d’en apprendre plus sur ma personne ? Autant
te faire gagner du temps.
- Tu es plus malin que je ne le pensais
au premier abord ! Mais il reste beaucoup trop de questions en suspens. Il
serait plus sage que je m’en remette aux autorités compétentes. Avant cela, je
dois m’assurer d’une chose. OCEAN POLTERGEIST !!!
- C’est inutile ! COLERE DU DRAGON !!!!
Dohko ne visa pas Niemand, mais la brume
elle-même. Capable de renverser le cours tumultueux de la cascade de Rozan, son
attaque n’eut aucun mal à la dissiper. Avant que le Saint des Poissons,
pantois, ne réagisse il était déjà sur lui. Leurs poings se croisèrent et
atteignirent leurs cibles. Les deux combattants furent durement repoussés.
Dohko, atteint à la tempe, découvrit qu’un mince filet de sang s’écoulait de
son oreille gauche. Niemand, à peine mieux loti, essuya quant à lui le sang qui
lui perlait du front, avant qu’il n’atteigne ses yeux. Il ramassa son bandeau,
ou plutôt ce qu’il en restait sur le sol et s’exprima ainsi :
- C’est bien ce que je présumais. Il
n’est encore qu’à l’état embryonnaire mais tu connais déjà les principales
bases du septième sens ! Ta vitesse est l’égale de la mienne, ce qui te rend
d’autant plus dangereux !
Le Saint leva le poing en signe de défi
mais le rabaissa aussitôt.
- Je ne demanderais qu’à te faire la
démonstration de mes autres techniques, mais cela risquerait de ne pas plaire
en hauts lieux ! N’est-ce pas, Majesté !
- Tu as entièrement raison ! Veuillez
cesser cet affrontement, s’il vous plaît !
La personne venant de parler aussi
courtoisement se présenta sous les traits d’une jeune fille, divinement belle.