Vendémiaire était furieux. Comme une bête enragée, il arpentait un sentier au cœur d’un verger, afin de rejoindre le manoir où nous l’avions vu précédemment. Assis autour d’une table d’orientation, quatre hommes, dont Thermidor et Ventôse, profitaient du doux climat. Enfin, pas seulement, chacun d’eux sirotait en fait un verre d’alcool coloré, reconnu pour être de l’absinthe.
- Sois le bienvenu, l’apostropha celui qui, religieusement, servait à boire à ses congénères. Viens donc trinquer avec nous ! L’absinthe est une manne divine réputée pour faire perdre la raison ! Ne sois dont pas le seul à rester sain d’esprit !
L’homme qui venait de s’exprimer de cette façon se prénommait Brumaire. Ses principales caractéristiques étaient ses yeux glauques et sa tignasse blonde et crépue, calvaire absolu du coiffeur le plus endurant. Tout de noir vêtu, il ressemblait un peu à ces poètes maudits qui, généralement, meurent aussi jeunes que déments. Le métis, dédaigneux, n’accorda pas même un salut à ses compagnons et continua sa route.
- Cela fait un bout de temps que l’on ne t’avait vu, lui dit alors Thermidor. Où te cachais-tu ?
L’écossais n’eut pas plus de succès. Ce fut le quatrième acolyte, un dénommé Nivose, qui parvint à lui arracher une parole en disant :
- Le manoir est vide ! Son excellence est partie en promenade, avec Messidor, qui plus est !
- Partie, s’étonna Vendémiaire.
- Ouais, clama gaillardement Thermidor. Il a tenu à s’acquitter lui-même d’une tâche plus que légitime, rendre leurs armures aux Saints d’ Athéna !
- Il est au sanctuaire, conclut d’instinct le métis. C’est du suicide, il va se faire lapider !
- Faux, l’arrêta l’écossais. C’est Germinal qui a été chargé de prévenir Athéna en se rendant au domaine sacré. Notre bien-aimé souverain, lui, a juste transporté les armures ailleurs. En un endroit foncièrement déplaisant…
Quittons le repaire des fils de la nouvelle aube pour la mer Ionienne où un bateau, véritable antiquité flottante, filait toutes voiles dehors. Niemand, en navigateur chevronné, agrippait fermement la barre. Habillé pour la circonstance d’une tenue de capitaine corsaire du plus bel effet, il sifflotait gaiement quand il reçut le plus avisé des conseils.
- Tu devrais ralentir l’allure ! Cette coquille de noix va finir par se disloquer !
Dohko, attelle au bras gauche et chevelure mouillée par les embruns, découvrait ainsi les joies de la navigation.
- L’Alcyon a résisté à plus de tempêtes que tu ne saurais en compter, s’offusqua le Saint des Poissons. Ce n’est pas cette croisière qui le torpillera par le fond !
- Bon ! Toi qui as un avis arrêté sur tout, pourrais-tu m’expliquer pourquoi je vous accompagne en mission ! Sans armure, qui plus est !
- Tu n’es là qu’en qualité d’observateur ! Ton intronisation en tant que Saint ne se fera qu’à notre retour ! Mais ne t’attends pas à une cérémonie en grandes pompes et tout le tralala ! Le sanctuaire mise avant tout sur la sobriété !
Dohko observa l’équipage formé de Fiodor et Vassili, de deux autres Saints d’argent, d’une cohorte de gardes et d’Auroch, monopolisant la proue du navire.
- Ce qui explique cette débauche de moyens pour récupérer une vingtaine d’armure, commenta-t-il. Je m’étais pourtant laissé dire que l’un des vôtres était un télékinésiste prodigieux ! Il aurait pu les téléporter en un battement de cil !
- Son pouvoir, aussi conséquent soit-il, ne peut agir en certains endroits précis de cette planète ! Le sanctuaire, par exemple, car le cosmos d’Athéna provoque des interférences, comme le dit Shion lui-même ! Le même phénomène se produirait ici !
Niemand montra du menton les cotes naissantes d’une île gigantesque, la Sicile. Puis il poursuivit sur tout autre sujet :
- Pardonne-moi d’être indiscret mais, entre nous, qu’est-ce qui t’a décidé à accepter finalement l’offre de son altesse ?
- Probablement la perspective hautement réjouissante de côtoyer régulièrement une canaille de ton espèce…
- Hum, voilà que je deviens contagieux ! Nous allons bientôt accoster, peut être me répondras-tu alors !
Un garde, posté en vigie, hurla soudain à son capitaine :
- Seigneur Niemand ! Récifs droit devant ! Il n’y a plus aucune possibilité d’avancer ! Nous devons jeter l’ancre !
- Des récifs ! Qu’à cela ne tienne ! Accrochez-vous à ce que vous pourrez !
Le Saint, par son aura, recouvrit de brume les récifs. Le navire, léger comme l’éther, glissa sur cette mer improvisée et s’échoua sur une plage de sable fin.
- Cale sèche, annonça Dohko, pas vraiment chamboulé.
- Messieurs, votre capitaine vous informe que nous sommes arrivés à bon port ! L’Alcyon vous attendra ici même tout le temps que dureront vos emplettes ! Ne tardez pas, l’endroit n’est pas sûr !
Les gardes, médusés, débarquèrent les premiers, talonnés par les Saints d’argent et par Auroch, fermant volontairement la marche. Fiodor et Vassili adressèrent un bref au revoir au Saint de la Balance et partirent en éclaireurs.
- Les deux acrobates t’aiment bien, à ce que je vois ! Savais-tu que, sans Calahël, aucun des deux n’aurait été admis comme Saint d’argent ?
- Comment cela ?
- Le code d’honneur des Saint est on ne peut plus strict. Leurs combats doivent nécessairement se dérouler en un contre un, c’est la règle. Fiodor et Vassili qui n’ont, ni l’un ni l’autre, le potentiel d’un guerrier de leur rang, sont pourtant autorisés à se battre en s’associant.
- Quel rapport avec Calahël ?
- Très simple ! C’est lui qui a conseillé au sanctuaire de laisser leur chance à ces deux gamins. Il a passé des heures à convaincre le Pope de ne pas laisser filer de tels combattants. Il est vrai qu’a deux, ils peuvent déplacer des montagnes…
- J’ai du mal à m’imaginer Calahël bafouant ainsi vos chers préceptes ! Mais pourquoi me racontes-tu cette histoire ?
- Parce que mon ami, il a fait de même pour toi. Après ton départ du sanctuaire, le Pope était tout disposé à te ficher la paix. Mais il l’a seriné pour qu’il l’autorise à aller te convaincre, et ce malgré l’état d’alerte. Mais il n’avait cependant pas prévu que Lawrence ne passerait pas par les voies protocolaires !
- Pourquoi se sont-ils donnés autant de mal, lâcha Dohko, un peu gêné.
- Va savoir ! Peut être parce que nous souffrons actuellement d’une forte carence en Saints d’or ! Ce qui a conduit le sanctuaire à s’octroyer les services de crapules telles que toi et moi, sans faire la fine bouche ! Ou alors, c’est qu’ils savent reconnaître les représentants de la justice, quand eux même ne se croient pas dignes de cette mission !
Niemand ôta son tricorne pour s’éponger le front. Dohko, pensif, lui demanda à brûle-pourpoint :
- Quelle était ta vie avant de prêter serment à la déesse ?
- Par la force des choses, j’étais un nomade ! Athéna m’a aidé à me sédentariser !