De l’autre côté de
la planète le domaine sacré, après une période d’alerte maximale, relâchait
enfin la pression. Trois gardes, effectuant leur ronde quotidienne, croisèrent
la route de la tendre Rebecca, les bras chargés de provisions. Contre toute
attente, elle déclina l’offre galante qu’ils lui firent de l’aider à porter ses
encombrants colis. Elle longeait les arènes de combat lorsqu’elle tomba nez à
nez avec un promeneur plutôt inattendu. Shion, délaissant sa demeure, hantait
en effet les lieux.
- Tu es bien matinal,
constata la jeune fille après les salutations d’usage.
- J’avais besoin de
me dégourdir les jambes, répondit simplement le Saint.
- Dis plutôt que,
pour la énième fois, tu es allé vérifier toi-même les différentes entrées du
sanctuaire ! La sécurité a été renforcée au maximum ! Même un insecte
ne pourrait franchir les lignes de défense sans que tu n’en sois aussitôt
averti ! Qu’est-ce qui peut bien te rendre aussi nerveux !
- Nerveux !? Tu
es bien la première à me qualifier de ce nom-là ! D’ordinaire, on me
définirait plutôt comme quelqu’un de froid, sans émotion…
- Les autres n’y
connaissent rien en psychologie ! Moi non plus d’ailleurs, mais je sais
voir quand un homme s’inquiète ! Et quant cet homme est un des plus puissants
Saints d’or, c’est que le danger doit être immense !
- Tu devrais
retourner auprès de Calahël, éluda-t-il. Il n’apprécie guère de te voir
discuter avec une personne du sexe opposé, Saint d’or ou non !
- Mon cher cousin me
considère encore comme une enfant ! Mais je ne peux pourtant pas lui en
vouloir de me surprotéger ainsi ! Sur son lit de mort, mon père lui a fait
promettre de veiller sur moi comme sur la prunelle de ses yeux ! De plus,
je suis sa seule famille, désormais !
- Un jour, il
réalisera que tu as grandi et qu’une femme aussi ravissante que toi a aussi
besoin d’indépendance. !
- Je… Je dois y
aller, bafouilla Rebecca, dont le visage s’était soudain empourpré. On se verra
plus tard…
Un sourire effleura
les lèvres du Saint. Il se recoiffa de son heaume et allait finir son tour
d’inspection, quand il s’aperçut qu’il n’était pas seul. Il se téléporta au
cœur de l’arène et en guise de sommation, annonça :
- Toute intrusion
dans l’enceinte du sanctuaire est passible d’exécution ! Je vous conseille
de vous montrer, si vous ne tenez pas à ce que j’applique à la lettre le
règlement !
Un homme, camouflé
dans les gradins, bondit à sa rencontre. Son aspect général surprit le
flegmatique Shion. Il portait un pantalon bouffant et une veste qui ne semblaient
formés que d’une seule étoffe, habilement nouée autour du torse. L’ensemble
était, somme toute, assez saillant malgré une prédominance de couleurs vives. Sa
chevelure, d’une improbable teinte cramoisie, était composée de ce que nous
appellerions aujourd’hui des dreadlocks, d’une longueur honorable. Une
barbichette bien taillée grignotait son menton, enrichissant par la même
occasion son visage émacié. Ses yeux d’un bleu intense, pour finir, étaient
pailletés d’éclats dorés du plus bel effet.
- Je me rends,
plaisanta l’inconnu. Inutile de faire parler les canons !
- Je suis Shion,
Saint d’or du Bélier ! Tu as trois secondes pour me convaincre de ne pas
te réduire en poussière ! Sois concis,
j’ai horreur des histoires trop longues !
- Je me nomme ou plutôt
on me surnomme Germinal ! Si j’ai commis l’acte abominable de pénétrer vos
frontières, c’est pour remettre en mains propres une très importante missive à
ta déesse ! La voici, d’ailleurs !
Fouillant dans la
sacoche qu’il portait en bandoulière à la taille, l’intrus y pêcha un feuillet
marqué d’un cachet de cire.
- Puis-je, si ce
n’est pas trop te demander, savoir qui est l’expéditeur de ce courrier ?
- Les fils de la
nouvelle aube, répondit du tac au tac Germinal. Maintenant que tu es renseigné,
pourrais-tu me conduire à ta maîtresse ?
Une onde de surprise
et de colère parcourut la moelle épinière du Saint d’or.
- Fais-tu, toi
aussi, parti de ce groupuscule, questionna-t-il avec hâte.
- J’en suis un
membre éminent, effectivement !
- Tu ne manques pas
d’audace d’oser te montrer ici, après toutes les exactions commises par ceux
que tu représentes !
- Je présume que tu
parles de l’emprunt de vos armures sacrées. Je conçois aisément la rancœur que
tu dois avoir à mon égard. Mais, confidence pour confidence, j’aimerais te
signaler que cette lettre a un rapport direct avec ce que tu nommes des exactions !
Il y est même question de restitution. Aussi, j’apprécierais que tu m’aides,
sans attendre, à remplir mon office. Où se trouve Athéna ?
- Je suis tout
disposé à lui transmettre cette missive ! Confie-la moi et je tacherai
d’oublier cette entrevue !
- Très aimable, mais
je suis contraint de décliner cette proposition. Si tu ne souhaites pas me
renseigner, tant pis ! Je trouverai seul mon chemin !
- Un pas de plus, et
ton espérance de vie fondra comme neige au soleil !
- Nous voilà dans
une impasse ! Il est plus que certain qu’aucun de nous ne voudras lâcher
du lest ! La seule issue serait de nous affronter et de laisser le
vainqueur imposé sa volonté au vaincu !
- Cette solution me
paraît équitable ! Mais tu pars avec un profond désavantage ! Je suis
équipé d’une armure d’or, protection totale si il en est ! Alors que toi…
- N’aie crainte, je
vais équilibrer les forces, clama Germinal, en sortant de sa besace une
statuette creuse.
Selon le même phénomène
que celle de Vendémiaire, elle se métamorphosa en armure de combat qui se
greffa à lui. Shion, expert en la matière, se troubla :
- Cobalt…,
pensa-t-il seulement.
- Eh bien, recommença
Germinal en admirant son uniforme vermillon. De quoi ai-je l’air ? Je dois
t’avouer que c’est la première fois que j’essaye cette carapace !
- D’un ver de terre
engoncé de force dans un écrin de cuivre !
- Sûrement !
Toi qui sembles bon analyste, peux-tu me dire ce qu’est ceci ?
L’intrus piocha dans
la sacoche, toujours fixement accrochée à sa taille, une poignée de graines.
Devant l’indifférence du Saint, il répondit de lui-même :
- De simples
graines ! Minuscules, mais douées de possibilités infinies ! Difficile
d’imaginer qu’en l’état, elles recèlent déjà toutes les caractéristiques de
l’arbre ou de la plante qu’elles ne deviendront que des mois, des années, voire
des siècles plus tard !
- La botanique n’est
pas mon violon d’Ingres ! Je suppose que tes graines ont leur utilité en
combat, mais j’imagine difficilement comment !
- Le secret se
trouve dans les proportions, assura Germinal en semant au compte-gouttes sa
précieuse poignée. Trop les espacer appauvrirait bien sûr la récolte. Mais trop
de semis dans le même périmètre peut, à contrario, freiner leur
croissance !
- Rien ne pousserait
sur ces pierres, remarqua Shion, jouant soudain le jeu de son incroyable
adversaire.
- Détrompe-toi !
D’ici à peine quatre jours, les premières pousses apparaîtront ! Ce sera
ma contribution à l’embelli de ce lieu de mort !
- Soit ! Et
notre affrontement, que devient-il ?
- Tu es bien
empressé de mordre la poussière ! A ta guise ! Je suis Germinal du
Follet ! En garde !
Les cosmos des deux
belligérants irradièrent de concert. Comme de coutume, le Saint d’or ouvrit les
hostilités en employant son attaque Stardust Revolution. L’homme à la sacoche
fut entraîné dans une ascension tourbillonnante et s’écrasa, tête la première,
sur le sol pavé de l’arène.
- Cobalt n’avait pas
menti, s’exclama-t-il en se relevant. Cette armure offre une protection
stupéfiante ! Sans elle, j’aurais été broyé par ton attaque ! Dire
qu’au départ, je refusais même l’idée d’en avoir une…
- J’avais donc vu
juste ! Cobalt est bien le créateur de cette armure !
- Exact ! C’est
un individu hautain et prétentieux ! Mais il faut avouer que, dans son
domaine, c’est un pur génie capable de courber et modeler la matière selon son
bon vouloir ! Mais je ne t’apprends rien, n’est-ce pas ?
- Où se trouve-t-il,
s’enquit expressément Shion, oubliant jusqu’à la missive d’Athéna.
- Quelle
inconstance ! Il y a une minute, tu rêvais de m’écorcher vif, alors qu’à
présent c’est à peine si tu remarques ma présence ! Terrasse-moi, et peut
être que je répondrai à ta question ! En attendant… REVIVAL PRISM !!!
- CRYSTAL
WALL !!!
La barrière de
cristal, prétendue infranchissable, fut pourfendue par un rayon prismatique.
Ledit rayon toucha le Saint, apparemment sans résultat. Mais Shion, crispé, se
téléporta sans attendre.
- La télékinésie,
s’extasia Germinal. Quelle faculté fabuleuse ! Les tiens ont de la chance
de posséder cette capacité dès la naissance !
- Peu de personnes
partagent ton point de vue ! Ce « don » a longtemps été
considéré comme une affliction par les hommes qui se qualifiaient eux-même de
normaux !
- L’humanité est
ainsi bâtie ! La peur est sa principale fondation et l’envie son
mortier ! Ajoutons à cela quelques matériaux, comme l’égoïsme et la
vanité, et nous obtenons un portrait saisissant des différentes structures
dirigeantes !
Shion regarda
brusquement son adversaire d’un œil différent. Sans commenter cette philosophie
fataliste, il déclara :
- Notre duel
continue ! STARDUST REVOLUTION !!!
Les étoiles filantes
personnelles du Saint assaillirent Germinal. Toutefois, par son attaque Revival
Prism, ce dernier réussit à en annihiler une bonne moitié, réduisant d’autant
leur effet destructeur. Celui qui deviendra le maître de Mû énonça
calmement :
- Une modification
moléculaire ! J’aurais dû le comprendre plus tôt ! Tu n’as pas détruit ma poussière d’étoile, tu
l’as tout bonnement transformée ! Reste à savoir en quoi !
- Bonne
question ! Tu le découvriras par toi-même ! REVIVAL PRISM !!!
- Pas si je te
métamorphose avant en lumière d’étoile ! STARLIGHT EXTINCTION !!!
La technique de
Shion atteignit son adversaire et l’engloba de sa lumière meurtrière.
Cependant, Germinal réapparut sain et sauf, après la disparition de celle-ci.
Sans délai, il tendit sa lettre au Saint qui la téléporta à lui.
- J’abandonne !
Ce combat ne nous mènera qu’à une destruction commune ! Je vais donc agir
comme tu me l’as conseillé et déguerpir ! Tâche d’oublier mon existence…
Pour l’instant !
- Pourquoi ferai-je
cela ! Après tout, je pourrais te retenir suffisamment longtemps pour que
mes amis viennent te cueillir en surnombre !
- Certes ! Mais si tu l’avais voulu, tu
aurais déjà fait sonner le tocsin ! Cela m’attriste de l’admettre, mais je
ne représente rien pour toi ! C’est lui que tu recherches, et nul
autre ! N’est-ce pas pour cela que tu as rejoint les rangs de cette déesse
d’opérette !?
- Je t’interdis de…
- je m’en
vais ! J’espère que tu n’égareras pas ce courrier ! A très
bientôt !
Germinal tourna les
talons puis, sans raison, déclara :
- En ce monde
corrodé, la pitié est un luxe que les êtres tels que nous ne peuvent
s’offrir ! Cobalt l’a bien compris, lui !