L’art tragique
Taran faisait face à son adversaire, plus déterminé que jamais. Du doigt de son ennemi partit un rayon lumineux qui lui percuta le front. Un cri aigu se réverbéra dans toute la vallée. Taran tomba à genou, les yeux révulsés, alors que son esprit s’envolait à nouveau pour l’entre-deux mondes. Du sang ruissela de la main de l’homme et s’écoula à terre en gouttes régulières…
« C’est toi qui m’a interrompu ! Ne pouvais-tu donc pas attendre ton tour ? »
En haut des escaliers menant au palais du Cancer se profilait Mintaka, le Séphire de Malkuth.
« Bonjour Melpomène. Ravis de te revoir ici !
_ Tu te rappelles de mon nom. Je me souviens aussi de toi au temple de Diomède. Tu entraînais un apprenti…
_ Que fais-tu ici ? Je ne savais pas que tu étais un Chevalier d’Athéna.
_ Effectivement, je n’appartiens pas à cet ordre. Mon maître Apollon m’a chargé de venir aider la déesse de la Guerre.
_ Je comprends mieux. Ainsi Apollon a choisi son camp. Bien mal malheureusement. Ne sais-tu pas que c’est un défi honorable qui a été lancé à Athéna ? Nul autre dieu n’a le droit d’intervenir.
_ Il n’y a pas d’honneur à venir massacrer une chevalerie décimée par ses combats contre Poséidon et Hadès ! Votre rôle n’est que celui de carnassiers. Vous vous en prenez à ceux qui ne peuvent plus se défendre comme des rapaces. J’espère que vous êtes malgré tout surpris de la résistance qui s’oppose à vous. Les défenseurs d’Athéna sont les meilleurs Chevaliers que la Terre ait jamais portés et vous le savez bien !
_ Arrête tes idioties ! Ils sont incapables de protéger cette Terre qui a besoin d’une vraie reprise en main. Mars est là pour ça !
_ A quoi bon essayer de t’expliquer des choses que tu ne comprends pas. Puisque tu es parvenu jusqu’ici, je vais t’affronter et nous verrons bien qui de nous deux à raison. Je suis juste un peu triste que tu n’aies pas pu voir la splendeur que j’avais bâtie ici. Il n’en reste que ces monceaux de pierre. Tu dois cela à ton ami Raphaël qui gît dans les gravas en attente de la mort.
_ Tu as pu le mettre au sol, tu dois vraiment être très puissant. Je n’en attendais pas moins d’une Muse d’Apollon. Mais je fais confiance à Raphaël. Tu aurais dû le tuer tant que tu en avais encore le temps.
_ Suffisamment parlé ! LE DESTIN DES OMBRES !! »
Un nouveau rayon fusa en direction de Mintaka, mais il n’eut aucune difficulté à l’éviter et à contre-attaquer immédiatement en se lançant sur Melpomène. Ce dernier évita l’uppercut du Séphire, mais ne put bloquer son autre poing qui le frappa violemment au ventre.
Crachant du sang, Melpomène se redressa aussitôt pour fondre sur son ennemi. De violents coups étaient échangés, certains parés, mais beaucoup faisaient mouche, aussi bien sur la Muse d’Apollon que sur le Guerrier de Mars. Seule l’armure les protégeant leur permettait de faire durer cet échange d’éclairs.
« Tu es plus rapide que ton copain ! Mais cela ne t’empêchera pas de succomber toi aussi ! VISION D’OUTRE-TOMBE ! »
A cette distance, Mintaka ne put se prémunir des rayons de la Muse qui reçut également de plein fouet les coups de son adversaire, ce qui le projeta à plusieurs mètres.
En se relevant, Melpomène eut le déplaisir de voir devant lui son adversaire, affichant un large sourire. Comment avait-il évité cette attaque qui aurait dû l’envoyer aux portes de la mort ?
« Alors déçu ? Sache que cette attaque ne fonctionnera pas contre moi ! Je t’ai déjà vu l’utiliser contre Taran. Cette façon d’envoyer tes ennemis dans l’entre-deux mondes pour les y faire périr est vraiment peu digne de toi. Je te conseille de ne pas tenter de la réutiliser.
_ Il est vrai que mon attaque est moins puissante que celle de feu mon maître. Je n’espérais de toute façon pas t’y retenir bien longtemps… Mais j’aurais pu achever tranquillement ce Kéroubim qui m’a l’air d’être en bonne passe de s’en sortir…
_ Je vois. Contente-toi d’un seul combat à la fois si tu ne veux pas mourir vite ! A moi de te faire voir ce que je sais faire : BILLION RAY OF LIGHT !! »
Une multitude de jets de lumière fondirent dans sa direction. Il essaya bien d’éviter les premiers, mais leur vitesse était telle qu’il fut totalement balayer par l’attaque. Lorsqu’il se releva, son armure affichait des zébrures un peu partout.
« Tes coups ressemblent fort à ceux d’un ancien Chevalier d’Or… Je regrette que vous ne vous soyez jamais rencontrés, le combat aurait été magnifique !
_ Tu as de la chance de posséder cette armure, sinon ton corps serait déjà en lambeaux !
_ Ne me sous-estime pas trop. J’avoue avoir été stupide de ne pas avoir employé contre toi la totalité de ma force dès le début. Puisque tu m’y obliges, tu seras le deuxième après Raphaël, à en subir les conséquences. Cette attaque n’est pas héritée de mon maître, il n’aurait jamais pu l’atteindre avec le peu de justice qu’il possédait alors. Mais il s’est bien racheté depuis, ce que je n’aurais jamais cru de lui ! Je vais donc lancer cette attaque en l’honneur d’Angelo, le Chevalier d’Or du Cancer ! TRAGEDIE DES AMES !! »
Mintaka fut à son tour submergé par l’étendue de la puissance de Melpomène. Il contre-attaqua immédiatement avec son Billion ray of light, mais ces derniers ne parvinrent pas à bloquer les coups. Melpomène laissa son corps se faire zébrer des jets de lumière de son ennemi, fléchissant quelque peu. La douleur que ressentait Mintaka affaiblissait son attaque alors que la Muse maintenait la sienne de toutes ses forces, malgré le sang qui coulait abondamment des plaies de son corps sur son armure scintillante, formant de longues traînées rougeâtres…
Le Séphire essayait de concentrer tout son cosmos afin de résister à la douleur qui lui vrillait les centres nerveux. Il avait déjà enduré toute sorte de torture dans sa jeunesse, mais celle-ci dépassait de loin ce qu’il avait vécu.
« Je te félicite Mintaka. Personne n’avait jusqu’à présent soutenu ce degré de douleur. Pas même ton ami Raphaël ! Mais il est inutile de lutter, tu faibliras avant moi ! »
Le sang continuait à couler des blessures de Melpomène, amplifié par l’effort pour soutenir sa propre attaque.
Le Phoenix veille…
Toujours ces interminables marches ! Des guerriers de leur rang étaient capables de se déplacer plus vite que n’importe quel engin terrestre et ils en étaient réduits à courir pour progresser le long de cette montagne. Sanosuke ressentait l’aura d’Athéna partout dans ce lieu, comme un fardeau sur leurs épaules. N’était-ce pas une erreur de venir affronter la déesse directement sur son terrain ? Ils n’étaient plus que cinq et un seul Séphire sur une troupe initiale de plus de plus de vingt combattants, et ils n’avaient même pas franchi la moitié des maisons zodiacales.
D’un rapide coup d’œil sur sa gauche, Sanosuke vérifia l’horloge dont les feux s’éteignaient un à un. Seulement huit brûlaient encore, dont un qui menaçait de s’éteindre. Ils avaient perdu tant de temps.
La cinquième Maison s’élevait devant l’Empereur, en tête du groupe. Personne à l’entrée, mais Sanosuke savait maintenant que les Saints d’Athéna étaient plein de ressources.
Ils ne ralentirent pas pour franchir l’entrée.
A l’intérieur, des piliers colossaux avaient été tranchés nets et leurs restes étaient éparpillés sur le sol, témoins d’un précédent combat titanesque. L’allée centrale était cependant déblayée, même si la pierre gardait des traces visibles de l’affrontement.
« Gaboria, tu t’occuperas de notre adversaire, nous avons perdu trop de temps jusqu’à maintenant. Rejoins-nous rapidement ! »
Le Séphire acquiesça.
Une voix retentit du fond du temple.
« Pas si vite ! Je n’ai pas l’intention de laisser passer le moindre d’entre vous ! »
Un homme apparut, auréolé d’un éclat couleur feu. Gaboria était à la fois surpris et soulagé. L’homme en question ne possédait qu’une armure partielle, très légère en comparaison de l’armure d’or de Masque de Mort qu’ils venaient de rencontrer. Ce devait être une armure de bronze. Le combat serait rapide, d’autant plus que son adversaire semblait des plus insouciants, sûr de pouvoir arrêter à lui seul la progression de l’armée de Mars.
« Je serai ton adversaire chevalier, moi, Gaboria, Séphire de Yésod ! »
Le combattant se mit en position imité par l’homme en face de lui.
« NAKED MOND !
_ Par l’ENVOL DU PHOENIX !! »
Les deux attaques se percutèrent l’une et l’autre et se stabilisèrent au centre du temple, en crépitant. Une boule d’énergie monumentale entre les deux ennemis menaçait d’emporter vers la mort Sanosuke et ses combattants, qui avaient dû se retirer. Deux hommes au regard déterminés se faisaient face, un courant brûlant prolongeant les mains du Chevalier du Phœnix et bloquant la sphère froide et mauve lancée par Gaboria.
Lui-même n’en revenait pas. Comment ce simple chevalier de Bronze pouvait-il ainsi maîtriser une de ses plus puissantes arcanes ? Même si le Séphire avait conscience de ne pas avoir mis toute sa force dans ce coup (il n’en jugeait pas l’utilité deux minutes plus tôt…), elle était néanmoins suffisante pour anéantir n’importe quel Chevalier d’Argent. Pire, Gaboria voyait maintenant son ennemi augmenter le flux de sa propre parade et repousser la boule d’énergie. Il était déjà obligé de puiser dans ses ressources pour contenir l’Envol du Phœnix.
Autour des deux chevaliers, un cratère se creusait dans la Maison du Lion où les adversaires n’avaient pas attendu pour s’affronter, meurtrissant les dalles. Gaboria avait cru pouvoir en terminer immédiatement avec ce Chevalier et poursuivre sa course avec l’Empereur, mais il constatait que ça ne serait pas si simple.
Sanosuke jaugeait la situation. L’énergie dégagée par les combattants était tout simplement prodigieuse et leur barrait l’accès à la Maison de la Vierge. Lui-même pouvait à la rigueur franchir cet espace tourmenté, mais ses compagnons n’y parviendraient certainement pas. Le chevalier en face d’eux n’était pas n’importe qui, malgré sa protection sommaire qui brillait toujours davantage au fur et à mesure que l’attaque du Phœnix s’amplifiait. Au contraire, l’Arcane du Séphire faiblissait sous la pression et les premières fissures apparaissaient alors qu’elle était censée être l’une des quatre plus puissantes armures des défenseurs de Mars.
La situation empirait et l’énergie maintenant concentrée entre les deux adversaires menaçait de détruire toute la Maison et d’enterrer tous ses occupants.
« Qui es-tu Chevalier ? Tu n’es pas un simple chevalier de Bronze !
_ Je suis le chevalier de Bronze du Phœnix, Ikki, et la Maison du Lion sera ta tombe, ainsi que celle de tes compagnons ! »
Au prix d’un ultime effort, Ikki accentua encore son attaque, lorsqu’il perçut un brusque revirement de situation. La sphère de destruction qui s’avançait inexorablement vers le Séphire prit une teinte vert de jade et implosa, dégageant un souffle considérable sur le Chevalier d’Athéna. Ce dernier s’envola avant d’être submergé par l’explosion.
Gaboria se protégea du souffle, encore estomaqué par ce qui venait de se produire. Alors qu’il allait être emporté par la sphère, une aura s’était élevée près de lui et avait repoussé l’attaque du Chevalier du Phœnix. Sanosuke lui rendit son regard en souriant.
« Gaboria, occupe-toi de ce chevalier, moi et les autres, nous continuons vers la Maison de la Vierge ! »
Un pan du plafond s’effondra au milieu de la pièce qui présentait maintenant une ouverture béante par où le soleil au zénith s’engouffrait. La moitié de la Maison venait d’être réduite en ruines sous la puissance de la déflagration et la sortie, auparavant entravée par de multiples piliers, se dessinait désormais clairement.
Les combattants de Mars s’élancèrent aussitôt pour gravir les marches du Sanctuaire d’Athéna. Gaboria réalisa qu’il venait d’être sauvé par l’intervention de son Empereur. Hébété, le Séphire chercha des yeux son adversaire. Un bras dépassait sous un amas de décombres. Le Chevalier du Phœnix accusait le coup et ne reprenait pas conscience. Gaboria rechignait à finir ainsi son opposant, vainqueur d’un combat qu’il aurait dû perdre sans cette intervention opportune. Il décida d’attendre que le Chevalier reprenne connaissance pour poursuivre leur affrontement.
Aux limites du rêve…
Un pensionnaire en Italie
« Raphaël ! Raphaël, vas-tu m’abandonner ?
_ Non, maman… Je vais bientôt revenir … »
Raphaël était de retour dans le pensionnaire de son enfance. Petit garçon, il était assis au chevet du lit de sa mère mourante. Cette dernière le fixait de ses grands yeux malades tout en posant sur lui le regard doux d’une mère aimante, égrainant un chapelet entre les mains.
« Raphaël, mon petit, je vais bientôt aller mieux et alors nous partirons tous les deux. Nous irons nous établir dans une autre ville, vers l’Est, où nous serons heureux. Le Seigneur veillera sur nous…
_ Oui maman… »
Un grand docteur à la blouse tâchée de sang consultait un calepin malpropre.
« Petit, tu n’as rien ta mère ou toi qui nous permette de la guérir ?
_ Non docteur… C’est mon père… »
Raphaël était seul face au médecin de ce pensionnaire de religieuses. Même eux étaient incapables de la sauver dans son état sans se procurer des médecines onéreuses.
« Cela fait trois semaines que ta mère est ici et sans une opération, elle ne pourra pas s’en remettre. Son état ne cesse d’empirer. Il lui faut des soins particuliers dont nous ne disposons pas ici. Il faudrait l’emmener dans un hôpital…
_ Mais nous n’avons pas de quoi payer l’hôpital…
_ Et ton père, où est-il ?… »
Raphaël serrait les poings en repensant à son monstre de père. Tout ceci était de sa faute ! Tous les soirs il revenait ivre mort et quand il avait encore quelques forces, il en profitait pour battre sa femme et son fils. Raphaël était très jeune, huit ans, mais déjà il détestait son père. Pourtant sa mère refusait de se séparer de l’homme avec qui elle s’était unie devant dieu. En journée, elle emmenait le petit Raphaël à l’église prier pour son salut, se débrouillant pour procurer à manger à son fils et son mari.
Mais ce soir-là, son père avait été encore plus violent que d’habitude. Il avait frappé sa mère tellement fort que cette dernière était tombée d’une masse sur le sol de la cuisine. Raphaël s’était précipité vers lui avec le tisonnier de la cheminée et avait frappé de toutes ses forces d’enfant.
Un seul coup avait suffi. Le bout recourbé du tisonnier avait pénétré la boîte crânienne, tuant sur le coup.
Flash-back
Depuis tout s’était enchaîné. Les voisins avaient découvert la mère inconsciente et le père mort. La mère avait été conduite dans ce pensionnaire où l’on s’occupait des plus nécessiteux. Les autorités avaient conclu à la légitime défense et avaient abandonné la famille sans ressource. Raphaël, si jeune, faisait maintenant des allés et retours entre leur masure et le pensionnaire, essayant de passer le plus de temps possible au chevet de sa mère. Les voisins pris de pitié pour ce jeune enfant, bientôt orphelin, lui donnaient la soupe le soir.
Il avait prié Dieu si fort pour que sa mère se réveille, que le miracle s’était accompli à la surprise des religieuses qui n’y croyaient plus. Pourtant, le mal continuait de se répandre en elle. Un docteur qui passait régulièrement avait remis son verdict : la mère souffrait d’une très grave blessure au crâne. Des morceaux d’os étaient entrés dans le cerveau et elle pouvait mourir d’une embolie à n’importe quel moment si une intervention très délicate n’était pas entreprise. Des médicaments lui permettaient de calmer la douleur. Mais le prix d’une telle intervention était inabordable pour Raphaël et sa mère. Le gamin avait donné tout l’argent qu’il avait pu trouver dans la maison pour payer les médicaments et il n’y avait maintenant plus rien.
Si Raphaël avait du mal à comprendre l’état exact de sa mère, il savait cependant qu’elle allait mourir s’il ne faisait rien pour elle.
Alors en journée, il partait dans les rues, sur les marchés, et essayait de trouver l’argent, le plus souvent en dérobant celui des autres, tout en essayant de ne pas se faire remarquer. Il avait déjà été pris par deux fois, mais les passants le relâchaient tant il avait l’air complètement perdu.
Puis il revenait au chevet de sa mère, admirait sa beauté et priait Dieu pour qu’elle guérisse, en essayant de la soulager grâce aux rares médicaments qu’il pouvait payer.
Autour de lui, les religieuses s’attendrissaient pour ce gamin des rues, mais n’avaient pas assez de temps pour s’occuper de lui et le laissaient donc vaquer à ses occupations.
La situation ne faisait qu’empirer et l’état de Raphaël se dégradait en même temps que celui de sa mère. Dieu ne pouvait rien faire de plus pour la sauver. Raphaël était au bord des larmes en entendant sa mère crier de douleur.
Le pensionnaire
« Petit, tu ne dois pas rester ici.
_ Mais c’est ma mère !!… »
La religieuse retenait l’enfant dans ses bras. Le docteur était de l’autre côté du rideau avec une autre nonne et sa mère criant sous la douleur.
Et puis les cris s’étaient arrêtés. Raphaël s’était dégagé et rué au chevet de sa maman. Son visage n’exprimait plus aucune douleur. Il semblait au contraire serein, délivré de toute souffrance. Raphaël comprit qu’elle était partie rejoindre les anges comme elle le lui avait dit, mais il n’arrivait pas à être heureux pour elle. Une douleur immense s’empara de lui alors qu’il réalisait qu’il ne la reverrait plus jamais.
« Raphaël, je suis désolé…
_ MAMAANNN !!!!… »
Et puis il était venu s’occuper de lui. Un homme très âgé, qui regardait la scène, s’était arrêté devant Raphaël pleurant sur le cadavre de sa mère. Il avait relevé le rideau blanc, s’était approché de l’enfant et avait posé sa main droite sur son épaule. Raphaël avait senti une intense chaleur parcourir son corps et le réchauffer, et avait tourné ses yeux vers le vieillard. Il avait de longs cheveux blancs légèrement bouclés, une longue barbe tout aussi blanche et se soutenait par une canne qui semblait faire partie de son corps. Son regard était empreint de compassion, tristesse et réconfort.
Gudgi, puisque c’était son nom, s’était alors chargé de Raphaël. Il s’était fait passer pour son grand-père et avait organisé l’enterrement de sa mère. Il lui avait procuré une tunique blanche propre et de quoi manger, avait payé un prêtre et une pierre tombale sans rien demander. Raphaël avait beaucoup pleuré à ses côtés lors de l’enterrement.
La formation
Et puis tout cet épisode passé, Gudgi lui avait fait raconter son histoire. Raphaël se sentait responsable de tout ce qui était arrivé. Il en voulait à la Terre entière et à Dieu de ne pas avoir sauvé sa mère. Le vieil homme l’avait réconcilié avec le Seigneur et les autres Hommes. L’enfant ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même de ne pas avoir été assez fort pour protéger sa mère. Dieu avait placé en lui les ressources disponibles, mais il n’avait pas su les exploiter. Gudgi lui avait proposé de l’entraîner pour qu’il devienne plus fort et qu’il soit capable de sauver ceux qu’il aime.
Raphaël l’avait suivi dans les montagnes d’Europe centrale où avait débuté un entraînement intensif. Le vieil homme paraissait très faible, mais il avait pu se rendre compte de son réel pouvoir. Il lui avait appris à maîtriser le cosmos, puis le septième sens qui permettait de contrôler tout son corps et d’amplifier son emprise sur les éléments. Gudgi avait également continué à lui inculquer les préceptes de Dieu, lui fournissant un pouvoir spirituel autant que physique.
A l’âge de treize ans, Raphaël était devenu aussi fort que son maître qui s’émerveillait de ce jeune prodige, alors que son corps à lui commençait à marquer de sérieuses faiblesses. Pourtant, au fond de lui, il gardait toujours le souvenir de sa mère si tendre, si belle et si généreuse. C’était pour elle qu’il était devenu si fort.
Son maître et lui avaient ainsi pu entreprendre un de leurs plus longs voyages jusqu’aux lointaines contrées de Chine. Là, au milieu des Monts Kouen Louen, Raphaël et Gudgi avaient rencontré Diomède et ses samouraïs. Le vieil homme s’était longtemps entretenu avec le maître des lieux.
« Raphaël, je n’ai plus rien à t’apprendre maintenant… Ton avenir se trouve ici, au milieu de ces combattants. C’est ici que tu termineras ta formation et deviendra le défenseur de Dieu ! Ecoute bien ce que ces hommes ont à t’apprendre !
_ Mais maître, et vous ?
_ Jeune disciple, mon temps est fini sur cette Terre. Je vais partir pour mon dernier voyage. Dieu me rappelle à lui. J’ai accompli ma mission sur Terre et te voilà prêt à affronter la vie. Je t’ai formé comme mon Maître m’avait formé. Tu dois suivre ta voie et moi la mienne…
_ Merci maître pour tout ce que vous m’avez enseigné. Merci Gudgi pour m’avoir sauvé de mon destin dans le pensionnaire de mon enfance… »
Raphaël serra son vieux maître dans ses bras avant de le voir s’en aller pour la dernière fois.
Les Monts Kouen Louen
Commença alors pour lui un entraînement qui n’avait rien à voir avec ce qu’il avait vécu en compagnie de Gudgi. Il était extraordinairement puissant par rapport aux autres, de sorte que Diomède s’occupa tout spécialement de sa formation davantage axée sur le côté psychique que sur la force brute qu’il maîtrisait déjà. Raphaël apprit à contrôler son mental en toute occasion. Il apprit à lutter contre les démons de son passé. De temps en temps, Diomède le mettait en compétition contre Sanosuke et Raphaël pouvait voir l’ampleur de la différence de force entre eux deux. Sanosuke était capable d’accomplir des exploits qui dépassaient l’entendement. Il contrôlait parfaitement son cosmos et son énergie alors que la maîtrise, pourtant exceptionnelle, de Raphaël ne suffisait à vaincre celui qui allait devenir leur Empereur et qui depuis son plus jeune âge avait été formé par le maître des lieux.
Lors d’un entraînement où Raphaël resta seul à méditer en harmonie avec son environnement, une forme floue recouverte d’une ample cape à capuchon vint à lui. Lorsque la forme se fut suffisamment approchée, il découvrit le visage de sa mère. Cette dernière dont les yeux étaient masqués par l’obscurité releva légèrement la tête. Son cœur battait à tout rompre.
« Mon fils… Quand te réveilleras-tu ?
_ Maman ?! Cela fait si longtemps que je te cherche ! As-tu réussi à revenir dans ce monde ?
_ Non Raphaël, tu te trompes… Ce n’est pas moi qui suis dans ton monde… Ton temps n’est pas terminé…
_ Quoi ? Je ne comprends rien… Es-tu un fantôme ?
_ Mon tout petit… ta place n’est pas ici. Je n’ai pas donné ma vie pour que tu te laisses mourir si facilement… Ce qui t’entoure n’est qu’un rêve que tu fais indéfiniment… Ton esprit a quitté le monde réel depuis que tu as affronté cet homme dans le Sanctuaire d’Athéna…
_ Le Sanctuaire d’Athéna ? Mais que racontes-tu ? Je n’y suis pas encore… »
Les propres paroles que Raphaël venait de prononcer le laissèrent perplexe.
« Raphaël, tu n’es pas encore tout à fait mort… Je sais que tu as la force de revenir sur Terre, alors fais-moi ce plaisir… N’abandonne pas tout maintenant… Tu as suffisamment fait le rêve de ton enfance, de ta vie… Arrête de tourner en boucle sur tes souvenirs… Je suis venue ici pour t’avertir… »
L’environnement autour de Raphaël se mit soudain à évoluer avec rapidité, les mêmes souvenirs défilant devant ses yeux… Ainsi tout cela n’était que des réminiscences de son passé…
Les images s’arrêtèrent soudainement sur la vision d’un homme qui se tenait en face de lui et prononçait le nom d’une attaque : TRAGEDIE DES AMES !
Raphaël n’appartenait plus vraiment à ce monde qu’il voyait. Un rideau le séparait de cet homme. Lui et sa mère se trouvaient de l’autre côté.
« Je comprends… Je subis en ce moment l’attaque de mon adversaire…
_ Ton esprit a été attaqué directement… Il se trouve à la frontière de mon monde… Tu dois continuer ton chemin sur Terre et cesser cet aller-retour permanent sur ton passé… »
L’image de sa mère encapuchonnée s’éloigna lentement tout en prononçant ces paroles.
« Maman… tu es venue me prévenir… Je n’ai pas le droit d’abandonner. Pour toi, je reviendrais sur Terre ! »
Le cosmos de Raphaël se mit à emplir l’espace…
Les Plumes de Nacre du Yésod
Gaboria venait de perdre plusieurs plumes. Un rapide coup d’œil à son Arcane l’informa que sa protection avait été plus qu’endommagée par l’Envol du Phœnix et des fissures étaient apparues sur l’alliage de nacre alors que le Chevalier de Bronze se relevait péniblement mais avec une armure intacte. Pourtant il ne portait qu’une simple protection de bronze.
« Tu te relèves enfin chevalier. Je n’ai pas le temps de m’appesantir ici, je dois rejoindre mon Empereur.
_ Tu es très fort, je dois le reconnaître… Sans l’intervention de ton compagnon, notre combat aurait abouti à la destruction pure et simple de cette Maison. Cette fois je ne ferais plus l’erreur de retenir mon attaque !
_ Retenir…
_ En garde Berseker ! »
Ikki plongea sur le combattant, enchaînant coups de pieds, poings et parades à la vitesse de la lumière. Gaboria se sentait submergé devant la fougue du Chevalier mais il n’abandonna pas, exécutant machinalement les contres adéquats tels que Borée les lui avaient enseignés, avec une précision et une vitesse d’exécution parfaite.
Ikki était impressionné par la maîtrise que cet homme avait de ses moindres gestes. Il était sûr que tous ses coups étaient portés au maximum de leur vitesse, et pourtant aucun n’arrivait à toucher le guerrier, Gaboria parvenant presque à prévoir ses mouvements avant leur exécution. Accentuant brusquement son cosmos, il fit exploser son énergie entre ses mains ; le Séphire fut aussitôt soufflé par l’attaque et s’écrasa contre les restes d’une colonne, lâchant un long râle.
Le combattant fixait Ikki de son regard farouche, un filet de sang coulant lentement de sa lèvre inférieure ; l’instant suivant une énergie mauve s’éleva de son corps et toute lumière disparut de la salle. Alors que l’obscurité s’installait, une lune blanche fit son apparition derrière lui. Le chevalier de Bronze eut à peine le temps de comprendre qu’un flot d’énergie dévalait sur lui.
NAKED MOND !!
Ikki s’envola dans les airs obscurs. PAR L’ENVOL DU PHŒNIX !!
Gaboria vit une gerbe de lumière impacter sa propre décharge d’énergie, déclenchant une explosion qui détruisit un peu plus la Maison du Lion. A peine avait-il eu le temps de récupérer de son attaque qu’un deuxième souffle ardent vint le percuter de plein fouet. Cette fois il fut emporté dans les airs avant de reprendre le contrôle de son corps et de voir un Chevalier de feu se jeter sur lui et le cribler de coups incandescents qui l’envoyèrent s’écraser au sol dans un nuage de poussière.
« Berseker, tu ne tiendras pas longtemps face à mes coups. Si tu acceptes ta défaite et jure de ne plus t’attaquer à Athéna, je te permets de rentrer chez toi !
_ Je n’ai de place qu’à côté de l’Empereur de l’Equilibre et c’est là que j’irai. Athéna n’est plus à même de défendre la Terre ! Son heure est venue, il est temps pour elle de laisser Mars en prendre le contrôle.
_ En prendre le contrôle pour en faire un monde de carnage ! La réputation d’Arès l’a devancé. Comment pourrait-il défendre la Terre alors que c’est lui-même qui menace de plonger les Hommes dans le chaos.
_ Tu te trompes ! Mars ne veut pas de ce monde que tu décris. La Terre a besoin de quelqu’un de suffisamment puissant pour la protéger contre les autres dieux. Si Athéna pouvait prétendre remplir ce rôle jusqu’à aujourd’hui, elle en est maintenant incapable. Il suffit de voir ce qu’il reste de sa chevalerie. Toutes les Maisons que nous avons traversées, hormis celle du Cancer, n’avaient plus de Chevaliers d’Or pour les défendre.
_ Que dis-tu ? Masque de Mort serait…
_ Athéna est obligée de mettre des Chevaliers de bronze pour défendre son Sanctuaire. Même si je dois reconnaître que tu dépasses largement ce stade, ce ne sera pas suffisant pour nous arrêter et malheureusement pour vous, nous traverserons les douze Maisons en moins de douze heures. Alors Athéna devra se soumettre !
_ Je vois qu’il ne sert à rien de te raisonner. Tu ne passeras jamais le seuil de cette Maison, je t’en fais la promesse. Que les flammes de l’Enfer t’emportent !! »
Cette variante de l’Envol du Phœnix atteignit Gaboria au plexus, brisant le plastron de son armure en une multitude de plumes nacrées. Il perdit le souffle en même temps qu’il ressentit la douleur foudroyante se propager dans son corps. Sans son armure, il serait probablement mort sous ce coup.
Le Combattant perdait son sang. Cette fois son armure était plus qu’endommagée et ne le protègerait guère davantage des attaques d’Ikki. Rien ne serait simple avec lui, il possédait des techniques offensives avec lesquelles il ne pouvait pas rivaliser. Le phœnix était donc supérieur à la plume de nacre du point de vue de la force brute. Ce combat serait certainement un de ses plus difficiles.
« Je n’ai encore jamais rencontré un adversaire avec une telle force, mais je ne suis pas homme à abandonner si facilement et sache que tu n’as pas encore gagné, loin de là ! J’ai pu voir à trois reprises l’Envol du Phœnix et cette attaque sera désormais inefficace contre moi.
_ C’est ce que nous verrons. Personne n’a encore réussi à résister longtemps à cette attaque. L’ENVOL DU PHŒNIX !! »
Mais à sa grande surprise, le Séphire de Yésod disparut immédiatement de son champ d’action pour se rematérialiser à sa gauche. NAKED MOND !! Ikki fut aveuglé par la lumière UV qui l’entourait, avant de ressentir une douleur omnidirectionnelle qui le vida de toutes ses forces.
Ikki retomba au sol ; son armure commençait à s’effriter.
« Je vois… Comme Mü, tu as un pouvoir de psychokinésie qui te permet d’échapper à tes adversaires. Mais tu ne m’échapperas pas longtemps et la prochaine fois, mon attaque te sera fatale !
_ Je ne sais pas qui est Mü, mais encore faudrait-il que tu réussisses à m’atteindre avant de périr sous mes coups ! NAKED MOND !!
_ L’ENVOL DU PHŒNIX !! »
A nouveau, les deux attaques se neutralisèrent en suspension dans l’air. L’énergie qui s’en dégageait achevait de détruire l’Arcane de Yésod alors que celle du Phœnix se fissurait davantage. Gaboria se sentait ployer sous la rafale. Alors qu’il allait céder, l’attaque d’Ikki cessa brutalement. Le casque du Séphire rebondit au sol ; un rayon partant du doigt de son adversaire venait de le frapper au cerveau.
Ikki se retourna pour observer le Séphire qui venait d’être frappé par l’Illusion du Phœnix. Dans quelques instants il serait débarrassé de lui et pourrait rattraper ceux qui venaient de traverser sa Maison.
Aux portes d’Elysion
Lorsque Shun entra dans la salle où Athéna développait son immense cosmos, il fut, comme toujours, envahit de plénitude et de bonté envers celle à qui il avait juré fidélité… Elle était assise à même le sol, les yeux clos, les mains jointes, priant pour l’humanité et les âmes qui affluaient aux Enfers. Mais une partie de ses prières était également dirigée sur Terre, dans ce lieu mythique qui l’accueillait tous les 273 ans : le Sanctuaire. Shun ressentait également la formidable énergie que déployaient en ce moment ses frères pour ralentir la progression des armées de Mars jusqu’à la chambre sacrée du Grand Pope. Les arrêter totalement était pure illusion, il l’avait compris très tôt, et cela l’affligeait et le désespérait en même temps. Les Chevaliers d’Athéna, parmi les plus puissants sur Terre, ne pourraient rien faire pour endiguer le flot de combattants aguerris et en pleine possession de leur moyen. Ils avaient déjà subis trop de batailles et étaient à peine remis de leurs précédents affrontements.
Shun déploya son aura dans cette salle et vint soutenir sa déesse, s’harmonisant avec la magnifique mélodie que cette dernière créait pour ses Chevaliers. Saori ouvrit légèrement les yeux et lui sourit avant de les clore à nouveau. Le Chevalier Divin s’avança jusqu’à sa déesse et s’assit en tailleur face à elle, joignant à son tour la paume de ses mains et fermant les yeux.
Le Sanctuaire lui apparaissait clairement. Il voyait son frère combattre durement le Séphire de Yésod. La lutte qui opposait ces deux guerriers était titanesque. Aucun ne parvenait à prendre le dessus sur l’autre. Son frère, Ikki, un des plus puissants Chevaliers Divins était tenu en respect par le combattant de Mars. Lui qui avait réussi à vaincre un dieu ne parvenait pas à réaliser ce miracle devant un simple humain.
Cela ne surprenait finalement pas tellement Shun. Lui et ses compagnons avaient jusqu’à présent accompli tant d’exploits… À chaque fois, leur foi en l’humanité et leur amour pour Athéna les avaient poussés jusqu’au bout de leurs limites. Mais à présent, elle était bien loin d’eux. Elle avait un nouveau rôle… et leurs ennemis étaient si farouches et persuadés de la justice de leur cause. Shun, prisonnier de ce monde ne pouvait pas non plus leur venir en aide. Et puis il y avait…
Shun suivait par l’esprit la suite de coups qu’enchaînaient les deux adversaires. Ils étaient tous deux aussi rapides l’un que l’autre. Leurs attaques mentales n’avaient pas porté leurs fruits… il ne leur restait que la force brute… aucun ne sortirait véritablement vainqueur de ce combat. Ikki serait sans doute davantage protégé par son armure divine, et encore… celle-ci supporterait-elle le choc ? Les deux guerriers avaient conscience de ce point. Ils savaient qu’aucun d’eux ne pourrait remporter de victoire sans défaite. Que faire dans ce cas ?
Les guerriers de Mars avaient passé la Maison du Lion et se dirigeaient vers celle de la Vierge… la maison de Shaka… Shun avait beau rechercher le gardien que le Grand Pope y avait placé, il ne parvenait à déterminer son origine. Et pourtant, un faible cosmos s’en dégageait, à l’affût, prêt à défendre cette Maison dans les décombres qui la composaient. Etait-ce Shaka, le Chevalier d’Or de la Vierge qui avait donné sa vie face à trois Chevaliers d’Or, qui était venu ici-même aux Enfers pour guider sa déesse, et puis était mort face à ce même mur de Guidecca, éternellement transpercé d’un long tunnel, menant à Elysion ?