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Cette fiche vous est proposée par : Dyvimm


Le Jugement dernier

7 ans plus tard…


Province de Guang Xi, Chine>

 


            Le soleil va bientôt se coucher sur les rizières. J’aime cet instant privilégié où ses rayons dansent sur les hautes herbes et se reflètent sur la surface de l’eau. Un deuxième astre apparaît, moins puisant mais tout aussi beau, la gardienne de la Terre.
            Bientôt la nuit engloutira ces derniers rayons. Les fines ondelettes vont se mettre à scintiller d’un million de petits éclats de lumière, de petites étoiles, une multitude attendant l’astre de nuit, attentives. Mais la Lune est faible. Les étoiles semblent orphelines, abandonnées. La nuit sera noire, profonde… pour combien de temps…


            « Urani ! Urani !... »


            Le jeune homme tourna la tête vers le garçon qui courait dans sa direction. Depuis combien de temps était-il assis ici à regarder dans le lointain ? Il n’avait pas vu l’heure passer.


            « Je suis là !…
_ Je t’ai cherché partout ! Li Hua te cherche aussi !
_ Que me voulais-tu ?
_ Euh, rien, on voulait juste être avec toi… Tu nous avais promis de nous montrer les étoiles ! »


            Urani ébouriffa les cheveux Nan Li. S’y ferait-il jamais ? Depuis 7 ans il l’avait vu grandir. Nan Li le considérait comme son grand frère bien qu’ils ne soient que cousins, très éloignés. Le garçon avait tout de la jeunesse européenne, animée, enjouée, parfois même un peu turbulente… avec la sensibilité asiatique, proche de la nature, s’émerveillant devant ses beautés. Son visage était déjà une perfection en soi. Mélangeant les longs traits européens et la douceur chinoise, le teint clair, les yeux d’un bleu profond, les cheveux d’un brun intense… La mère grecque et le père chinois de Nan Li lui avaient légué toutes les qualités de leur peuple respectif…
Urani non plus n’était pas de ce pays. Il n’était de nulle part d’ailleurs et ne possédait pas cette richesse. Ses traits étaient incontestablement européens. Sa peau trop blanche trahissait les longues heures passées sous la voûte céleste. Ses longs cheveux blancs ornaient un visage fin et délicat, lui conférant l’apparence d’une sagesse qu’il ne possédait pas.


            « Tu vois ces étoiles plus brillantes, c’est la constellation de Cassiopée… et les quatre étoiles en forme de croix, il s’agit du Cygne…
_ Mais ça ne ressemble pas du tout à un cygne ?
_ C’est que tu ne regardes pas avec les bons yeux… Ne vois-tu pas ce cou allongé et ces ailes déployées, la tête piquant vers le sud le long de la Voie Lactée ? »


            Urani adorait ces moments d’intimité passés avec le jeune garçon. Si jeune et pourtant déjà si charismatique ! Jamais auparavant il n’avait été si proche de celui qu’il avait le devoir de protéger. Lui et sa sœur jumelle, la petite Li Hua, au même visage enjoué... Nan Li deviendrait bientôt le protecteur de toutes ces étoiles dorées. Il veillerait sur elles en l’absence de la Lune et la Terre sera heureuse de revêtir sa parure scintillante…


            « Ah vous voilà tous les deux ! Et moi qui vous cherche depuis une heure ! »


La petite Li Hua accourut vers Urani et s’installa sur ses genoux en commençant à fermer les yeux.


            « Tu as vu Urani, la voilà qui s’endort déjà !
_ Ta mère va vous chercher partout. Vous devriez aller vous coucher !
_ Maman sait qu’on est avec toi ! Y a pas de problème et je n’ai vraiment pas sommeil comme meimei. Je veux que tu continues à me montrer les étoiles ! Maman a dit qu’on avait tous une étoile protectrice ! C’est laquelle la tienne ?
_ Je te la montre et ensuite on rentre se coucher… Alors regarde dans cette direction… Vois-tu la Grande Ours que je t’ai déjà montrée ? Alors maintenant prolonge la ligne qui part de sa queue. Tu vois, tu tombes sur deux étoiles plus brillantes. La deuxième s’appelle Spica. C’est celle là mon étoile. Spica de la constellation de la Vierge.
_ Pourquoi y a-t-il des étoiles qui brillent plus que d’autres ?... »


            Le jeune homme regardait son petit compagnon, étonné par cette question, cherchant la réponse…


            « Vois-tu, les étoiles brillent d’autant plus que l’on croit en elles. Quand les choses ne vont mal, alors il faut se tourner vers son étoile et elle t’apportera l’aide dont tu as besoin.
_ Alors elles nous écoutent !
_ Bien sûr ! Elles veillent sur nous ! Mais beaucoup ne font pas attention à elles alors elles brillent moins et si plus personne ne les regarde, elles finissent par disparaître…
_ C’est comme ces quatre étoiles qui ne brillent pas beaucoup ?
_ Oui il s’agit de la constellation de Pégase. Autrefois elles ont brillé très fort… et puis elles se sont éteintes. Mais sans doute que dans le futur elles brilleront à nouveau.
_ Oui, moi je les regarderai tous les jours et elles renaîtront ! »


 


Choquequirau, Cordillères des Andes

            « Halte-là ! Qui êtes-vous ?
_ Je m’appelle Lysippée de Thémiscyra et je viens voir sa Majesté.
_ Sa Majesté n’est pas disponible pour le moment et nous n’avons pas reçu ordre de vous laissez passer. Revenez plus tard, nous allons demander confirmation !
_ Sa Majesté n’est pas au courant de ma venue, mais je pense que vous devriez me laisser passer. Quel est votre rang ici ?
_ Je suis Garde du palais Curicancha… 
_ Alkavize, qui est cette dame ? »


            Un jeune homme au teint mât venait d’intervenir depuis l’entrée du Temple du Soleil de Choquequirau. Ses cheveux d’or renforçaient son port altier malgré sa tenue extrêmement simple de lin.
En face de lui se tenait tout aussi majestueuse celle qui se faisait appeler Lysippée de Thémiscyra. Son visage halé témoignait d’un long séjour au soleil et soulignait sa beauté prolongée par sa longue chevelure mauve de multiples tresses. Elle possédait une tunique élégante et seyante, mettant en valeur ses formes féminines. Une cape blanche flottait au vent. Sur le côté Alkavize avait baissé la tête devant le jeune homme en marque de respect.


            « Elle se fait appeler Lysippée et désire parler à sa Majesté, mais elle n’a aucun laissez-passer…
_ Lysippée… J’ai déjà entendu parler de vous. Sa Majesté ne peut malheureusement pas vous recevoir pour le moment. Il est en entretien avec son Conseiller Personnel. Peut-être puis-je vous être d’une quelconque utilité ? Je suppose que pour vous être déplacée en personne aussi loin de chez vous, la raison doit être très importante…
_ Effectivement et c’est pourquoi je dois parler avec notre Maître. S’il n’est pas disponible, j’attendrai. Qui êtes vous ?
_ Je me nomme Ayar Manco et me mets à votre service… »


            Le jeune homme fit une longue révérence que la jeune femme toisa avec dédain.
           
            « Évitons toutes ces précieuses s’il vous plaît ! Pouvez-vous m’indiquer un endroit où je pourrai me rafraîchir ?
_ Bien sûr ! Suivez-moi dans ma demeure. Je réside assez près de ce temple dans la demeure que vous apercevez là-bas. Ayar lui désigna un splendide palais à gauche de la place centrale de Choquequirau, presque aussi imposant que le temple Curicancha.
_ Je vois que vous disposez ici de vos aises ! Puis-je connaître votre rang ?
_ Je suis Empereur de sa Majesté…
_ Empereur !... »


            Cette nouvelle fit grande impression sur la jeune femme qui d’un coup parut moins sûr d’elle. Le jeune homme lui avait dit cela simplement et se dirigeait déjà vers sa demeure. La jeune femme le suivit en jetant malgré tout un dernier regard hautain sur le malheureux Alkavize qui n’avait toujours pas redressé la tête.


            « Alkavize, veuillez informer vos supérieurs que l’Eloim de Nemamiah de Thémiscyra est arrivé et qu’on lui doit toutes les marques de respect dues à son grade. »


 


            Quelle étrange cité, pensait Lysippée. Me voilà en présence d’un Empereur, moi qui n’aie pu voir mon propre Empereur qu’en de rares occasions ! Et il s’adresse aux gardes avec les mêmes marques de respect qu’à quiconque. Je savais que les différences pouvaient être importantes, mais je n’aurais jamais cru à ce point ! Mieux vaut se plier aux coutumes locales… D’autant plus que notre Majesté a choisi ce lieu pour résidence... Et bien, si je peux m’enrichir au côté d’un être suprême tel qu’Ayar Manco, autant profiter de l’occasion. Je suis sûr qu’il a beaucoup à m’apprendre.
            Cependant quelque chose me dérange ici. Cette ville est trop… normale… Les gens s’y affairent comme dans n’importe quelle ville du monde. On y voit des enfants, des femmes et des hommes travailler et aller à leurs occupations comme partout. Sont-ils tous inconscients ou bien si sûr d’eux ? Je crois que j’ai bien fait de venir les prévenir…


 


            Après avoir descendu les innombrables marches du temple inca, le couple traversa une immense place au milieu de laquelle des dizaines de personnes tiraient l’eau d’un puits gigantesque et finement ouvragé. Partout les symboles du soleil resplendissaient d’or. En quelques années la ville avait totalement repris vie. Ses monuments, ses temples, ses habitations avaient retrouvé leur éclat d’antan et peut-être même d’avantage.
            Des enfants passèrent dans les jambes de Lysippée qui les évita de justesse, suivant toujours Ayar dont la démarche était simplement majestueuse. Contrairement au garde personne sur la place ne semblait faire attention à eux, ni même les remarquer ! Autour de cette place triangulaire si dressaient trois immenses palais en vis-à-vis formant un triangle dont la pointe guidait au Temple du soleil par l’immense allée qu’ils avaient descendue.
            Ayar se dirigea sur la gauche suivi de Lysippée qui se plaça à son côté.


            « Cette ville est immense et ses constructions somptueuses !
_ Oui, tout cela est dû à notre Majesté. Vous auriez dû venir il y a 7 ans, vous n’auriez rien reconnu.
_ Mais comment se fait-il qu’un Empereur tel que vous se promène ainsi au milieu de tout le monde ?! »


            Ayar la regarda avec le visage interrogateur.


            « Et bien comment voulez-vous que je me déplace si ce n’est en marchant au milieu des autres ?? Je ne vois pas en quoi cela est dérangeant ! J’aime voir cette cité vivre comme aujourd’hui. C’est un rêve qui est devenu réalité. Vous savez, tous les habitants sont dévoués à notre Majesté et tous vivent heureux et tranquilles. Que demander de plus ?
_ Mais cette tranquillité ne persistera pas ! Il va y avoir des batailles prochainement ! Qui sait, même cette cité n’y résistera peut-être pas !
_ Alors vous venez comme un oiseau de mauvais augures apporter de tristes présages, je présume ? Nous savons ce qui se passe ne vous en faites pas. Cette cité n’a rien à craindre, ni maintenant, ni jamais. Notre Majesté ne laissera jamais quiconque s’en prendre à elle.
_ J’espère que vous dites vrai… 
_ Voilà, nous sommes arrivés au palais Aniti-Suyu du Nord, chez ma femme.
Lysippée : Votre femme !! »


            Ayar ne releva pas l’injonction et monta les marches du palais. On apercevait de chaque côté des statues de pierre représentant des condors, à divers stades d’envol. Les deux dernières statues semblaient même en lévitation. Des condors s’envolant, magnifiques, vers le ciel. En y regardant de plus près on remarquait que les statues étaient bien rattachées à leur socle mais si étrangement qu’elles semblaient vouloir s’en dissocier comme si au lieu de les soutenir, ces socles les retenaient ! Une immense ouverture trapézoïdale aux parois sculptées de bas-reliefs donnait sur l’intérieur.
Lysippée était impressionnée devant tant d’ornements. Sa cité, Thémiscyra, était également magnifique, mais n’avait rien à voir avec celle-ci. Choquequirau semblait en apesanteur au milieu des cimes montagneuses, à plus de 3000m d’altitude, magnifique, avec ses temples et ses cours d’eau… sans parler de l’Amazonie à proximité… Elle comprenait que sa Majesté ait choisi de résider ici.


« Vous avez dit qu’il s’agissait du palais de votre femme ? Vous êtes donc marié ?
_ Oui, qu’est-ce que cela a-t-il de si étrange ?
_ Mais vous êtes si jeune ! Et vous êtes avant tout un combattant de sa majesté !...
_ Et ma femme aussi. En outre je ne suis pas aussi jeune qu’il y paraît. En fait je possède moi-même ma propre demeure au temple de Curicancha, mais j’ai remis l’ensemble de mes appartements à sa Majesté. Je vis donc avec ma femme Raziel dans son palais. Elle est elle-même Séphire de sa majesté si cela peut vous rassurer.
_ Séphire… »


            Décidément, je crois que je ne me ferais jamais à ce pays. Un Empereur marié, qui plus est à un Séphire, habitant sous le même toit, comme n’importe quelle famille ! Mais où suis-je donc ? Nous sommes si différents! Et dire que nous combattons pour le même Dieu !
           
            Les deux jeunes gens pénétrèrent dans le palais et une immense pièce dont la voûte montait à plusieurs dizaines de mètre au dessus du sol. On ressentait dans cette salle la même agitation que dans tout Choquequirau. Plusieurs personnes y étaient rassemblées parlant entre elles, regardant les gravures. Il y avait même des tailleurs de bas-reliefs. La pièce possédait de nombreux piliers rectangulaires s’évasant vers le haut. Ayar emmena Lysippée et ils pénétrèrent dans une salle plus petite, plus confortable aussi, avec ses coussins, ses tentures accrochées aux murs, mais où surtout ils étaient seuls. On y entendait seulement le tumulte extérieur.
            Ayar s’installa sur un tas de coussins dans un coin et présenta à Lysippée un autre angle de la pièce tout aussi garni. Une servante entra bientôt avec le même respect pour son maître que le garde, la tête baissée, sans lui porter le moindre regard. Ayar lui dit quelques mots avant qu’elle ne reparte rapidement.


            « Votre Empereur ?...
_ Vous pouvez m’appelez Ayar…
_ Est-ce que vous avez aussi des enfants ? »


            Lysippée avait décidé de ne plus être impressionnée par cet homme si différent. Ce n’était après tout qu’un soldat de sa Majesté. Si elle avait su plus tôt qui il était, peut-être n’aurait-elle même pas osé l’approcher.
            Ayar la regarda, amusé de la question, le visage emprunt de bons sentiments, presque heureux.


            « Non, nous n’avons pas d’enfant. Malheureusement comme vous l’avez fait remarquer, nous allons peut-être bientôt subir une guerre et ma femme et moi allons devoir combattre, même si ce lieu n’en a rien à craindre. Et vous ? »


            Piégée ! Lysippée n’avait aucune intention de parler d’elle-même. Sa curiosité lui avait encore joué un mauvais tour… Mais sa curiosité était-elle tant à plaindre ?


            « Non !! Je suis une combattante de sa Majesté et non une pondeuse ! Je laisse le soin d’avoir des enfants aux hommes ! »


            Ayar explosa d’un véritable rire ! Cette effusion de joie vexa Lysippée. Comment osait-il se moquer d’elle ! Il lui avait posé la question tout en sachant la réponse et maintenant il se permettait de la tourner en ridicule par son rire grossier ! Plus le temps passait, plus Lysippée trouvait cet « Empereur » antipathique ! Et puis il lui avait même peut-être menti !…


            «  Je ne vous permets pas de rire de moi ! Je suis moi-même surprise et étonnée que sa Majesté accepte que des membres de ses combattants forment un foyer ensemble ! Ce n’est pas là la tâche qu’il nous a donnée !
_ Excusez-moi, je ne voulais pas vous vexer ! Mais c’est que vous mettez tellement de conviction dans vos propos… Je ne suis pas habitué à tant d’assurance. Pour ce qui est de ma femme, j’étais marié à elle avant l’arrivée de sa Majesté sur Terre…
_ Mais quel âge avez-vous donc ?... Euh, si je puis me permettre…
_ Il n’y a aucun problème ! Je n’ai rien à cacher à personne et cette conversation me détend après cette dure journée. J’étais préoccupé par un détail… que j’ai fini par oublier grâce à vous ! J’ai 38 ans.
_ 38 ??! Mais vous en semblez à peine 20 !
_ Eh oui, il faut croire que l’air andin a des propriétés régénératrices…. Du reste nos ancêtres le croyaient… Maintenant que les présentations sont faites, si nous parlions de ce qui vous amène chez nous.
_ Je dois remettre un message à sa Majesté de la part de notre Empereur.
_ La chose doit effectivement être importante pour que l’on vous dépêche personnellement ici. Je pense que vous pourrez parler à sa Majesté ce soir. L’avez-vous déjà rencontré ?
_ Non…
_ Dans ce cas ne vous laissez pas surprendre par sa jeunesse et sa… fougue… Vous aurez d’ailleurs sans doute l’obligation de d’avantage vous expliquer avec Numa, son conseiller, un membre de sa garde rapprochée. Ce dernier est aussi âgé que notre Majesté est jeune… »


            Lysippée était impressionnée de ce franc-parler. Comment cet homme qu’elle ne connaissait pas vingt minutes plus tôt pouvait ainsi se permettre d’émettre des jugements de cet ordre sur ceux qu’elle-même avait du mal à imaginer. Sans doute leur présence au quotidien avait énormément dû les rapprocher. Tout de même, devant une étrangère… Enfin elle accomplirait sa mission et rien de plus, puis repartirait pour Thémiscyra sans attendre.


            « Mais au fait, vous vouliez boire quelque chose… Que puis-je vous offrir ? Je vais aller faire demander ma femme. Vous aurez certainement plein de choses à vous raconter entre femmes… Du reste je dois aller voir une nouvelle hôte qui semble également vouloir rencontrer notre Majesté… Avec de moins honorables attentions que vous cependant…
_ Vous avez eu des espions ?
_ C’est comme cela que nous les désignons. Je dois aller l’interroger. Si cela ne vous dérange pas, je vais me retirer…
_ Est-ce que je peux vous accompagner ?!
_ Ne vouliez-vous pas vous rafraîchir ?
_ Je pense qu’il ne doit pas faire très chaud là où vous allez. Au diable les rafraîchissements !
_ Dans ce cas, comme il vous plaira. »


            La servante revint avec un verre d’eau que Lysippée vida en se levant. Ayar l’attendait, debout, un large sourire aux lèvres. Finalement cette femme semblait pleine de surprise et d’énergie. Ne lui rappelait-elle pas un peu sa Majesté ?


            Ils quittèrent tous deux cette pièce. Lysippée suivit Ayar à travers couloirs et différentes salles dont l’accès était gardé. Ils s’enfonçaient dans la montagne sous Choquequirau. L’air était de plus en plus frais et humide. Seule, Lysippée aurait bien été incapable de retrouver son chemin dans cet enchevêtrement d’allées, de gardes, de salles, qui tous se ressemblaient. De faibles torches éclairaient les basses voûtes qui toutes étaient parsemées de gravures des temps anciens. À moins qu’elles ne soient aussi nouvelles que la cité. Difficile ici de dire ce qui appartenait aux temps mythologiques ou à l’époque moderne.
            Ils descendirent enfin un escalier étroit avant de pénétrer dans une petite salle où trois gardes casqués et couverts d’une cuirasse partielle leur protégeant le poitrail. A l’entrée d’Ayar tous baissèrent la tête. Ayar leur prononça quelques mots d’un langage inconnu et un garde ouvrit une des lourdes portes en bois qui bordaient cette pièce. Derrière quelques gémissements frémirent en longues plaintes. Ayar fronça le visage. Il ne semblait guère apprécier descendre dans les entrailles de Choquequirau. Dire que l’on était parvenu ici depuis l’un des splendides palais de la surface !


            Ayar et Lysippée longèrent le couloir jusqu’à une pièce plus spacieuse puant le vomi et la sueur. Six molosses étaient affairés autour d’une malheureuse victime.


            « Et oui, même en temps de paix, il y a ici des prisonniers… La plupart sont des personnes qui ont manqué de respect vis-à-vis de notre Majesté ou qui ont commis des crimes  à l’encontre d’autres habitants de Choquequirau. Ils sont enfermés ici pour quelques années puis retrouvent l’air libre lorsqu’ils ont purgé leur peine. Certains ne revoient jamais le soleil… Ainsi en a décidé la justice divine. »


            Les geôliers quittèrent leur victime qui se trouvait être un jeune garçon, le visage sanguinolent. Il était attaché le long d’un pieu fiché dans le sol. Sa tête pendait sur le côté, inerte. Seule sa poitrine se soulevait de temps à autre indiquant qu’il était toujours en vie.


            « Pourquoi punissez-vous celui-là ?
_ Il a craché au visage de Nazca Acari, votre Grandeur. Nous lui apprenons les bonnes manières.
_ Et pourquoi se trouve-t-il ici ?
_ Nous n’en savons rien, Maître. On nous amène des prisonniers que nous devons garder pour un temps indéterminé. On revient le chercher lorsque sa peine est terminée.
_ N’est-il pas bien jeune pour se retrouver ici ? Il doit avoir au plus 14 ans. Ramenez-le dans sa cellule et prenez soin de lui à l’avenir.
_ Oui maître… »


            Deux gardiens le détachèrent et l’emportèrent, visiblement vexés de l’ordre qu’ils venaient de recevoir.


            « Où se trouve l’espion que l’on vous a amené tantôt ?
_ Suivez-nous votre Grandeur… Nous avons eu du mal à la mâter, mais nous en sommes venus à bout. Heureusement qu’elle était déjà dans un sale état. Elle paraît frêle comme ça, mais ne vous y fiez pas, elle possède la force de cent hommes au moins. J’ai rarement vu quelqu’un d’aussi tenace… »


            Le molosse ouvrit une nouvelle porte de fer et s’engagea dans un long corridor, torche à la main. Lysippée remarqua de nombreuses portes scellées, autant de cellules desquelles elle pouvait ressentir une profonde désolation. Quasiment toutes étaient pleines ce qui la surprenait. Y avait-il autant de prisonniers dans ces cachots ? Quels secrets gardait donc la cité de Choquequirau dans les entrailles de sa construction ?


            « Nous l’avons enfermée dans la cellule du fond, la mieux protégée. On est obligé d’aller la voir quasiment toutes les heures pour la corriger un peu afin qu’elle reste calme. Du reste, elle ne bouge plus beaucoup désormais… »


            Le molosse ouvrit une nouvelle porte blindée dont les gonds grincèrent. L’intérieur de la pièce était totalement obscur. Il pénétra dans la cellule et l’éclaira. Une jeune femme aux cheveux de jade, mêlés et englués de sang séché pendait lamentablement. Ses deux bras étaient retenus au mur par des chaînes passées dans des anneaux de pierre. Le visage penché vers le sol, elle semblait plus morte que vive. Lysippée remarqua un masque à terre, brisé en plusieurs morceaux. C’était donc là le secret de la force de cette femme, qui n’en était pas une…


            « Laissez-nous.
_ Bien maître. »


            Lysippée récupéra la torche du garde. Ayar s’approcha de la jeune femme et prit son visage entre ses mains, délicatement. Il lui releva la tête ensanglantée. Lysippée fut surpris par le visage si pur et tendre de cette fille au bord de la mort, dans un état d’abandon complet.  Elle avait les yeux clos, incapable visiblement de les ouvrir et paraissait inconsciente.
            Lysippée ressentit une brusque montée d’énergie dans la pièce, une aura chaude et chaleureuse qui émanait des mains de l’Empereur. Jamais auparavant elle n’avait ressenti une telle bonté et une telle force réunies. Les deux mains d’Ayar étaient appliquées sur le front de la jeune femme qui semblait reprendre vie. Elle ouvrit faiblement les yeux et regarda implorante l’expression sereine de l’Empereur.


            « Vous allez mieux maintenant. Quel est votre nom ? »


La jeune femme murmura quelque chose qui ne paraissait être guère plus qu’un souffle. Mais Ayar semblait avoir compris.


« Shina, que venez-vous faire ici ? Qui vous a envoyé ? » 


La jeune femme détourna son regard sans répondre.


« Il s’agit sans doute de la même personne que pour celui que nous avons capturé à Thémiscyra… »


Ayar se tourna vers Lysippée.


« Parce que vous avez également eu affaire avec un espion ?
_ … C’est en fait l’objet de ma visite. Je dois en avertir sa Majesté…
_ Je ne pense pas qu’il s’agisse de la même personne. Mais je peux me tromper… Cette jeune femme ne dira pas un seul mot de plus sur sa mission. Je peux lire la volonté dans ses yeux. Il ne sert à rien de l’interroger d’avantage.
_ Alors l’interrogatoire est déjà terminé ?! Vous n’essaierez même pas de la faire parler ?
_ A quoi bon ? Elle m’a déjà quasiment tout révélé pendant son inconscience… »


            La prisonnière du nom de Shina scruta l’Empereur, les yeux grands ouverts. Elle ne pouvait pas croire non plus avoir dit la moindre chose dans son inconscience.


« Qui… qui êtes-vous ?... »


 Ayar la dévisagea le visage souriant.


« Je m’appelle Ayar Manco. Et je suis Empereur de sa Majesté Mars. »


 


Limite de la province du Xin Jiang et Xi Zang, Monts Kouen Louen en Chine

            Au milieu des monts Kouen Louen séparant le nord-est de la Chine du Tibet se trouve une petite enclave inaccessible aux êtres humains. On y entend pourtant des cris s’élever, des échos de luttes incessantes. De l’autre versant, ces bruits ressemblent au son strident du faucon et les paysans disent de cet endroit qu’il correspond au foyer du prédateur et qu’on y trouve des milliers de nids. Majestueux et craints, personne ne s’y aventure autre que les hommes en détresse, chassés de leur famille trop pauvre, bannis de leur village… Mais c’est également dans le gouffre qui longe la montagne que l’on jette les rejetons indésirables. On dit que parfois un faucon attrape le nourrisson dans sa chute et le donne en pâture à ses petits. Bien sûr cette pratique n’a officiellement plus lieu… pourtant parfois…
           


« Nusakan, relève-toi et affronte Mintaka ! Tu dois pouvoir le battre cette fois ! Je t’ai montré comment faire pour éviter ses coups ! Faits honneur à ton sang sinon je serais obligé de te renvoyer ! »


            Le jeune homme était décidé. Le regard assuré, du sang perlait de son arcade sourcilière et ses jambes tremblaient sous l’effort. Pourtant il le devait, pour tout ce qu’on avait fait pour lui. Il devait maintenant s’en montrer digne. Un samouraï impassible lui faisait face, les yeux fermés. Mintaka. Cet homme était indestructible. Plus rapide que la lame du Katana, ses mouvements étaient invisibles à l’œil nu. Et pourtant Mintaka les accomplissait les yeux fermés, impassible, d’une puissance phénoménale.
            Mais Sanosuke lui avait montré les gestes qu’accomplissait son adversaire. Il lui avait également montré les façons de les parer. Cela paraissait simple alors, mais en face du samouraï, Nusakan était tombé à trois reprises et chaque fois ses blessures étaient plus importantes. Pourtant Mintaka n’était pas beaucoup plus âgé que lui ! Mais assurément Sanosuke lui avait aussi appris ces gestes, bien avant.


            Nusakan devait faire abstraction de tout ce qui l’entourait. Les bruits d’entraînement qui lui parvenaient devaient disparaître. Se concentrer sur Mintaka et aussi dur que cela puisse lui paraître rassembler ses dernières forces pour bloquer l’attaque sans faille de son opposant.
            L’air se mit à vibrer autour de son corps, ses cheveux indigos furent balayés d’un frisson alors qu’en face de lui Mintaka ne semblait pas vouloir attaquer. Et puis en une fraction de seconde Nusakan le vit se précipiter sur lui à une vitesse dépassant l’imagination. Il lui était impossible de saisir tous les mouvements, mais en cet instant il exécuta à nouveau tous les gestes que lui avait montrés Sanosuke et qu’il connaissait par cœur…
           
            Mintaka avait repris sa position, les bras croisés comme s’il ne s’était jamais déplacé.


            « Sanosuke : Et bien tu vois que ce n’était pas si difficile ! »


            Quoi ?! Nusakan se releva péniblement et regarda ses bras. Les longues entailles d’où coulait abondamment son sang étaient les seuls vestiges de la parade qu’il venait d’effectuer. Il ne ressentait nulle douleur et il avait réussi ! Les coups que lui avaient portés Mintaka avaient été arrêtés ! Cela voulait dire qu’il s’était déplacé aussi rapidement que lui !


            « Effectivement, cette parade était très réussie ! Mais si ton adversaire avait utilisé toute sa force, tu aurais été balayé comme un fétu de paille… »


            Les bruits d’entraînement cessèrent et tous les visages se tournèrent vers la personne qui venait de parler.
Il s’agissait d’un grand garçon portant une longue toge blanche et pourpre, les cheveux courts, bordeaux, un poignard sur le côté. Cet accoutrement absurde paraissait d’autant plus étrange au milieu de tous ces hommes en kimonos noirs ou blancs. Il avait le regard sérieux et empli d’une tristesse résignée…
            Toute l’arène était à l’affût, une trentaine de personnes rassemblées en ce lieu. A chaque coin un pilier finement ouvragé ne soutenait aucune voûte alors qu’un monumental temple chinois se dressait contre le flanc de la montagne. De chaque côté d’autres dépendances plus petites les entouraient, toutes de ce style Ming bien caractéristique. Un grand portail forgé et clos fermait l’enceinte. On devinait au bruit d’autres samouraïs en train de se battre au delà. Le cri d’un faucon résonna dans la vallée.


            Le garçon qui venait de parler était appuyé contre un pilier, les bras croisés, le regard porté sur celui qui se faisait appeler Sanosuke. Ce dernier avait le visage étrangement calme, serein et même bon. Son regard d’un vert profond vous sondait l’âme et s’accordait avec ses cheveux d’un noir profond rejetés en arrière par une couette. Il était le seul qui ne portait pas le kimono traditionnel mais plutôt un habit d’apparat noir, rouge et or.


            « Qui es-tu étranger ? Comment es-tu parvenu jusqu’ici sans te faire remarquer ?
_ Melpomène. Je suis un voyageur. Je parcours le monde pour en découvrir les richesses.
_ Que viens-tu faire ici ? Ne sais-tu donc pas que ce lieu est interdit et que nul ne peut y pénétrer sans courir de graves dangers. Tu n’es pas le bienvenu. Repars immédiatement et oublie ce que tu as vu !
_ Je vois que la courtoisie n’est pas votre fort. Je ne viens pas en ennemi, simplement en curieux. J’ai entendu dire tant de chose sur cet endroit. Je me suis présenté, peux-tu me donner ton nom ? 
_ Mon maître n’a pas à vous répondre ! Vous avez entendu son ordre alors maintenant partez pendant qu’il vous laisse la vie sauve ! »


Nusakan s’était avancé vers Melpomène, couvert de sang, chancelant même… mais résigné. Melpomène sourit.


            « Je crois que tu devrais aller te faire soigner. Tu es en train de perdre tout ton sang…
_ Il a raison Nusakan, va rejoindre Menkalinan.
_ Mais Maître, cet étranger ! Je peux…
_ Non, tu ne feras rien, jeune samouraï. »


            La voix avait retenti depuis les marches du temple à quelques dizaines de mètres de là. Un très vieux samouraï y était soutenu par une fine canne ciselée. Il portait le même genre de tenue que Sanosuke, mais là où chez ce précédent se trouvait du noir cette tunique possédait la blancheur de la neige immaculée.
            Aussitôt tous les hommes de l’arène inclinèrent la tête en signe de respect.
            Sanosuke fut le premier à la relever et s’avança vers son maître.


            « Maître, cet homme s’est introduit dans l’enceinte sacrée. Laissez-moi le reconduire au-delà.
_ Sanosuke, si cet homme a réussi à s’introduire ici sans se faire remarquer d’aucun d’entre vous alors je crois que vous devriez lui marquer un peu plus de respect ! »


            Le Maître Suprême s’avança vers l’arène, s’appuyant sur la canne dont il ne semblait d’ailleurs pas avoir véritablement besoin. L’intrus le regardait tristement droit dans les yeux ce qui avait le don d’énerver Nusakan. Il ne marquait aucun respect pour leur Maître à tous. Malgré les multiples blessures qui lui parcouraient le corps et ses jambes qui allaient d’un moment à l’autre refuser de le porter, il n’avait qu’une envie : apprendre les bonnes manières à cet arrogant étranger.


            « Bonjour étranger. Je m’appelle Diomède et je suis le gardien de ce domaine. Voici mon fils, Sanosuke, et ses élèves. Que nous vaut l’honneur de cette visite ?
_ Très honoré. Comme je l’ai déjà dit, je ne suis qu’un voyageur un peu curieux qui parcourt le monde. Je n’ai pas de but à cette visite, sinon combler ma curiosité.
_ Sanosuke, prépare un saké pour notre hôte. Il prendra le Hong Cha avec nous. J’espère que vous accepterez de vous joindre à nous pour le thé ?
_ Volontiers. »


            Melpomène quitta son pilier et se dirigea avec Diomède et Sanosuke à l’intérieur du temple. Sur l’arène les combattants reprirent leurs entraînements. Mintaka s’approcha de Nusakan qui regardait les trois personnages disparaître avec un regard sceptique. Dès qu’ils disparurent, le jeune homme sentit que ces jambes flanchaient et s’effondra. Mintaka tendit le bras et le rattrapa.


            « Elle n’était pas mal ta parade tout à l’heure ! Cela faisait longtemps que l’un de mes coups n’avait plus été arrêté ! »
            Nusakan regarda la tête rousse de son précédent adversaire. C’était la première fois qu’il l’entendait parler !


 


Choquequirau, temple du soleil de Curicancha

Dans une salle où se multipliaient colonnes et piliers de l’art inca, sculptés et gravés de scènes antiques, de nombreuses plantes exotiques aux larges feuilles s’épanouissaient, procurant un avant-goût de l’Amazonie toute proche. Un bassin de baignade était rempli d’une eau tiède et transparente au centre de la pièce. Au milieu de ce bassin s’extirpait une imposante coupole incurvée en son centre représentant le soleil, totalement recouverte d’or pur. Elle illuminait la pièce du reflet solaire pénétrant depuis le plafond à ciel ouvert. Des rayons de lumière étaient projetés dans les moindres recoins de ce solarium antique. Une atmosphère exotique régnait dans la salle, mélange d’or et d’émeraude où bruissaient les feuilles agitées par un courant d’air frais permanant. Ce murmure végétal se mêlait au clapotis de l’eau retombant en cascade depuis la gueule de quatre serpents à chaque angle du bassin. Cette pièce donnait sur l’extérieur également nimbé de soleil.
Là de nouvelles plantes, mais également des statues dont certaines rappelaient d’avantage l’art gréco-romain remplissaient une esplanade gigantesque toute de la même pierre volcanique blanche. L’emblème du soleil était omniprésent accompagné de l’effigie du Dieu Viracocha porteur des deux sceptres. Un large lac bordait l’esplanade, enclavé dans la montagne dont les cimes formaient une barrière infranchissable. Le soleil se réfléchissant à la surface de l’eau y imprimait un deuxième disque tout aussi éblouissant aux contours soulevés de soubresauts.
Mais le monument le plus imposant de ce décor idyllique restait sans conteste l’immense statue sur le côté de l’esplanade, d’une hauteur d’au moins 20 m, juste un peu plus élevée que le somptueux temple que l’on venait de quitter. Cette statue n’était pas sans rappeler un Dieu grec, revêtu d’une légère tunique lui tombant à mi-cuisse, portant un casque à longue pointe, soutenant un bouclier immense dédié au soleil et une lourde épée, emblèmes totalement d’or massif.
Dans cet univers luxueux de bancs, coupoles, fontaines, couches, des hamacs s’offraient aux visiteurs. Il en parvenait la voix de deux hommes, le premier d’une quinzaine d’étés et l’autre bien plus âgé, d’une cinquantaine d’hivers. Le plus jeune avait le physique typique des latinos. Pas très grand, le teint mat, des cheveux noirs, coupés courts, parcourus d’une étrange mèche bleutée lui tombant sur le front, des yeux tout aussi sombres, étirés mais rieurs, un corps bien bâti, solide. Il portait une veste de soie blanche liée à la ceinture par un cordon bleu, sur un pantalon de lin blanc, large, avec sandalettes. Le vieil homme au contraire avait les cheveux gris, le visage allongé et ridé, les yeux quasi clos et une longue toge blanche avec un soleil d’or sur la poitrine…


« Diego, vous allez avoir de la visite sous peu. Soyez prêt à la recevoir. Il s’agit de l’émissaire d’un de vos plus puissants Empereurs.
_ Que m’importe sa venue ?! Que dira-t-il que je ne sache pas déjà ? Je ne veux voir personne en ce moment. Je dois réfléchir ! Tout va beaucoup trop vite pour moi, répondit le jeune garçon.
_ Mais le destin en a décidé ainsi. Quelles questions pouvez-vous bien vous poser à cette heure critique ? Bientôt le monde va basculer et c’est vous qui devrez en prendre la direction.
_ Justement, ça ne me plaît pas ! Je ne comprends pas cette mission dont tu me parles, ni ce destin qui me tend la main. Les choses ne vont-elles pas comme il faut ?
_ Malheureusement cela ne durera pas, je vous l’ai déjà expliqué… (Le vieil homme semblait abattu de devoir répéter éternellement la même chose.) Personne en ce moment n’est assez fort pour protéger la Terre. Celle-ci est la merci de toutes les puissances obscures de l’Univers. Qui sait ce qui va advenir dans quelques années ? Que ferons-nous alors si la Terre n’est pas prête à cette confrontation ? Elle disparaîtra ! Votre sœur n’est plus ici pour veiller sur elle. On lui a donné une nouvelle tâche qu’elle accomplit d’ailleurs parfaitement. Et ce n’est pas ce narcissique de frère qui pourra nous protéger, mais tout au plus égarer les mortels… Non les Hommes ont besoin d’un homme grand et fort qui pourra les guider vers le salut, Vous en l’occurrence !
_ Mais qui suis-je ? Tu ne cesses de me parler de mes « divines capacités », mais je n’en ai aucune connaissance ! Ne t’es-tu pas trompé ? Je n’ai jamais été un guide ou quelqu’un que l’on écoute ! Tout juste se taisait-on de peur d’avoir affaire à moi ! Comment pourrais-je aider tant de personnes alors que mon propre pays est en ruine ! Les gens meurent de faim partout, se combattent les uns contre les autres. Sans parler des derniers fléaux qui ont failli tous nous tuer…
_ Justement ! C’est vous qui empêcherez cela de se reproduire ! N’avez-vous pas vu au cours des sept dernières années comment les choses changent autour de vous ? Regardez cette cité qui était morte et qui a repris vie depuis que vous y êtes arrivé ! Et vous n’êtes pas seul ! Partout aux quatre coins du monde, des combattants sont prêts à vous épauler et vous seconder. C’est votre réveil qui leur a permis d’être toujours plus nombreux, de s’entraîner en rêvant de ce monde où les guerres ne seront plus un fléau, où un Dieu leur redonnera une raison de vivre. Ils croient en vous, vous ne pouvez pas les décevoir ! Regardez Ayar Manco ! »


            Le jeune homme se leva du banc sur lequel il était assis et s’avança vers le lac scintillant sous les reflets du soleil.


            « Oui, lui est unique. C’est le seul homme que je connaisse qui soit vraiment extraordinaire, d’une éternelle jeunesse, d’une sagesse incomparable, et d’une force sans égale…
_ … Et il croit en vous ! Vous ne pouvez pas le décevoir ! Même lui vous a reconnu, je ne suis pas le seul. Si vous ne me faites pas confiance, ayez au moins confiance en lui ! Vous n’avez pas encore eu l’occasion de rencontrer vos autres Empereurs. Ils vous sont tout aussi dévoués et ne vous ont jamais vu ! Ils ont cependant ressenti votre aura, celle que vous dégagez en permanence, sans vous en rendre compte.
_ Et pourquoi moi, je ne la ressens pas ?
_ Et pourtant vous avez réduit en poussière un rocher de plusieurs tonnes !
_ Oui… je n’ai pas compris non plus comment c’était possible… »


            Le jeune homme s’avança d’avantage vers le lac et y mit un premier pied. Des marches descendaient dans l’eau. Une légère vapeur monta de l’eau troublée. Diégo regardait droit devant lui, au loin, fixant ce soleil qui lui faisait face.


            « Maître, vous êtes sa réincarnation. Vous êtes Lui, autant qu’Il est Vous. Vous ne pouvez rien à cela. Vous n’êtes pas différents l’un de l’autre, et c’est le rôle qui m’a été confié depuis des millénaires que de vous retrouver et de guider vos premiers pas. Le monde change et le moment est venu de vous révéler à lui pour le salut de la planète… »


            Diego continua à s’enfoncer dans le lac. Au fur et à mesure qu’il y entrait, l’eau se vaporisait au contact de sa peau.


            « Il va maintenant falloir que vous receviez cette envoyée. Elle a fait beaucoup de chemin pour vous rencontrer, elle aussi. Et ce n’est pas la seule ! Nos gardes ont pris ce matin une femme qui essayait de pénétrer dans ce temple sans permission. Ayar l’a interrogée. Elle s’est révélée être une envoyée du Sanctuaire ! »


            Le garçon arrêta son mouvement et tourna vivement la tête vers le vieil homme en sortant de l’eau.


            « Quoi !! Et on ne m’en a rien dit jusqu’à maintenant ! »


            Son visage était menaçant et trahissait un combat intérieur.


            « Pourquoi le Sanctuaire a-t-il envoyé une espionne ici ?
_ Eux aussi ressentent maintenant votre présence et celle de vos dévoués serviteurs… Ils s’inquiètent probablement…
_ Et ils ont raison ! Cette situation ne peut pas durer ! La Terre doit être dirigée par quelqu’un qui en a la force ! Et non laissée à l’abandon ! Faits prévenir cette envoyée que je vais la recevoir dans une heure. Quel est son nom ?
_ Lysippée. C’est une de vos Guerrières.
_ Non, je parle de l’espionne que vous avez capturée ce matin ! Je veux la voir.
_ Mais à quoi bon ?… Ayar l’a déjà interrogée… Il n’y a rien à en tirer…
_ Discuterais-tu mes ordres ?? Je veux la voir et ceci dans une heure. Préparez-la comme vous voudrez ! Je veux qu’elle me parle de ce Sanctuaire, cet endroit imprenable qui est sensé protéger la Terre.
_ Majesté, elle pourrait se révéler dangereuse ! On dit qu’elle possède une force extraordinaire !
_ Vas-tu finir de te moquer ! Je sais que vous êtes là pour me protéger et qu’il ne peut rien m’arriver ! Ne m’as-tu pas toi-même affirmé il y a quelques instants que j’étais Dieu ?
_ Un Dieu… encore jeune et inexpérimenté et que je dois conseiller… Cette entrevue ne vous apportera rien. La femme qui se fait appeler Shina ne dit pas un mot, même sous la torture ! Seul…
_ La torture ? Parce que vous avez torturé une femme ?! Je ne veux plus de ces pratiques ! Elles étaient bonnes il y a des centaines d’années, depuis l’homme a évolué ! Il y a d’autres façons de faire parler les gens et même de leur bonne volonté… Tu devrais savoir ça, toi, mon guide ?
_ Oh, on ne l’a pas vraiment torturée… Mais elle se débattait comme une furie au point qu’on a dû la calmer comme on pouvait. Seul Ayar Manco a réussi à lui soutirer des informations …
_ Je suppose que lui au moins ne l’a pas torturée… ça ne lui ressemblerait pas… (Le jeune homme traversa l’esplanade et s’engouffra dans le temple.) Je rencontrerai les deux femmes puisque tu y tiens tant. Dans une heure j’ai dit… Et j’espère pour toi que l’envoyée du Sanctuaire sera encore capable de parler ! »


 


            Stupide vieillard ! Où est donc Ayar ? Je préfèrerai l’avoir pour conseiller plutôt que Numa, il est quand même plus sympathique ! Enfin Numa connait sans doute plus de choses et c’est lui qui est venu me chercher à  San Pietro, le village dans lequel je moisissais, orphelin, chez les sœurs. Je me demande ce qu’elles sont devenues les nonnes… Si elles savaient que leur pauvre pensionnaire se retrouvait maintenant dans la peau d’un Dieu adoré par des milliers de personnes ! Elles n’en reviendraient sûrement pas, elles qui adoraient leur Dieu unique ! Avaient-elles plus raison que moi maintenant ? En tout cas je ne veux pas être le Dieu terrible et cruel dont Numa m’a parlé ! Je ne suis pas comme ça, même s’il peut m’arriver parfois de m’emporter… Je veux être un symbole de paix et de justice pour tout le monde… mais attention, pas non plus ce Dieu pour fillettes qu’elles chérissaient ! Ce monde est dur et y vivre est une épreuve de tous les jours. Les hommes doivent être forts pour l’affronter et y montrer leur courage et leur bravoure. C’est ainsi que je veux être considéré et qu’importe ce que Numa ou les autres peuvent dire ! Ils m’ont choisi, moi, comme Dieu, maintenant qu’ils assument !
            Dieu… quand j’y pense… Ça me tourne un peu la tête quand même… Comment est-ce possible ? Qu’est-ce que j’ai de plus que les autres ? Pas grand chose finalement… enfin quand on sait que les hommes ont adoré pendant des millénaires des statuettes, pourquoi ne me vénèreraient-ils pas ?… Et on m’y a forcé, je n’ai rien demandé ! Au moins, je serais vivant et plus juste que leurs idoles de pierres et de bois !
            Allons-nous préparer… Je suis un Dieu, je me dois d’être impressionnant… Par contre je ne porterai pas leurs maudites toges et tous leurs accoutrements ridicules ! 


 


La forteresse de Saxahuaman

 


Lysippée n’en revenait pas. L’entretien entre l’Empereur et la dénommée Shina avait tout au plus duré quelques minutes. Cette dernière ne lui avait dévoilé que son nom, Shina et pourtant l’Empereur avait obtenu d’elle toutes les informations. Etait-ce du bluff de sa part, où savait-il vraiment tout ce qu’il désirait ?
L’entretien s’était fini ainsi. Ils avaient retraversé tunnels, couloirs et escaliers puis étaient ressortis des souterrains de Choquequirau. Il s’était ensuite excusé en laissant Lysippée seule au palais de Raziel, sa femme. Pendant quatre heures des serviteurs étaient venus s’enquérir de ses besoins avant Lysippée ne se décide à sortir se balader dans Choquequirau. C’était partout cette extraordinaire animation de personnes affairées et joyeuses, alors que le soleil baissait à l’horizon nappant la cité de couleurs exotiques.
Bientôt Lysippée irait trouver sa Majesté et lui remettrait le message de l’Empereur de Thémiscyra. Cette rencontre la laissait indifférente ; Lysippée n’avait jamais peur de personne. Elle était bien plus qu’une simple femme, tout comme cette prisonnière Shina, avec son masque. Toutes deux étaient des femmes, mais des guerrières, des combattantes, invincibles, plus fortes que la plupart des hommes sur Terre.
            L’Empereur de Thémiscyra était également une femme guerrière. Lysippée n’avait eu l’occasion de la rencontrer personnellement qu’une fois, lorsque cette dernière lui avait remis cette mission. Mais Morrigan n’avait absolument rien à voir avec Ayar Manco. Sa voix était plus dure, son expression figée, créant une distance avec les autres. On ressentait cependant en sa présence une aura majestueuse identique. Tous deux étaient des êtres extraordinaires, hors du commun ; Lysippée en avait conscience.


            La Combattante remontait les rues de Choquequirau vers une imposante construction surplombée d’une tour rectangulaire, enracinée dans la montagne. Elle aurait bientôt son entrevue avec leur chef à tous, mais avant, elle devait accomplir une dernière tâche. Y était-elle obligée ? Certes non, aucune indication ne lui avait été donnée en ce sens, et pourtant elle devait s’assurer de la réputation qui entourait les combattants de cette enclave.
            Lysippée remontait les rues sans s’arrêter, sans un regard aux passants qu’elle doublait. Nul ne lui prêtait attention. Qu’allait-elle découvrir dans cette forteresse ? Un sentiment étrange s’emparait d’elle, une pointe d’anxiété mêlée d’excitation, celle de pouvoir enfin passer à l’action.
           
            Lysippée parvint au pied de la citadelle. La tour était bien plus imposante qu’on ne l’aurait pensé depuis Choquequirau. Elle prenait pied directement dans la montagne, ne faisant plus qu’une avec elle et s’élevait haute et droite vers le ciel, plus haute que la plupart des cimes environnantes. Lysippée était parvenue à la fameuse forteresse de Saxahuaman protégeant l’entrée de Choquequirau faisant d’elle une cité imprenable. Elle n’avait pas eu le temps de s’y attarder à son arrivée. Elle n’en avait d’ailleurs toujours pas le temps, il faudrait faire vite.


            Deux colosses gigantesques armés de boucliers et de lances croisées barraient l’accès de la citadelle. Ils toisaient Lysippée depuis son arrivée mais elle n’avait que faire de sous-fifres dans leur genre. Plus vite que l’éclair, elle bondit au milieu d’eux leur portant un coup d’estoc à la nuque qui les laissa inconscients devant l’entrée qu’ils étaient sensés protéger. Ils n’avaient même pas eu le temps de réagir.
            A l’intérieur régnait une profonde obscurité. Il ne semblait pas y avoir âme qui vive dans cette forteresse et pourtant il était dit que les combats n’y cessaient jamais et qu’ici s’entraînaient les plus valeureux guerriers de la cité.
            Lysippée ressentait une pointe d’excitation. Combien de temps lui faudrait-il pour atteindre le sommet ? Des ouvertures qui s’offraient à elle, Lysippée n’avait pas la moindre idée de laquelle choisir. Toutes semblaient identiques, gravées des mêmes signes incompréhensibles, les mêmes symboles incas.


            Le temps de la réflexion n’était pas écoulé que les murs se mirent à trembler ! Des passages s’ouvraient de chaque côté de la pièce et déversaient des dizaines d’assaillants. Ils n’étaient bien évidemment pas de taille à s’opposer à elle, encore que tous possédaient une mince aura. Aussi rapidement qu’elle était parvenue jusqu’ici, Lysippée se jeta sur ses adversaires, heureuse d’avoir enfin un peu d’exercice. D’ailleurs ces derniers semblaient plus farouches que prévu. La guerrière prenait bien soin de n’en blesser aucun et de seulement leur porter des coups suffisants pour les mettre hors d’état de nuire. Ils devaient bien se rendre compte qu’ils n’étaient pas de taille et pourtant, ils revenaient à l’attaque sans sourciller. Quand Lysippée croyait en avoir fini avec eux, ils se relevaient et des nouveaux arrivaient toujours. Une seconde d’hésitation de trop et elle était retenue dans la première salle de la forteresse !
            Ce jeu ne pouvait plus durer, Lysippée devait ensuite se présenter devant sa Majesté ! Elle n’eut d’autres recours que d’augmenter son aura pour libérer une partie de son cosmos : Tous les gardes qui étaient sur elle furent tous balayés et heurtèrent piliers et murs endommageant légèrement les splendides bas-reliefs.


            Lysippée n’eut cette fois pas d’hésitation avant de se lancer vers la porte la plus proche. Elle entendait déjà les gardes se relever derrière elle et se lancer à sa poursuite. Ils n’étaient vraiment pas assez rapides pour elle. Lysippée s’élança vers les marches qui montaient en colimaçon. Elle remarqua un léger filet de sang qui coulait le long de son bras gauche. Etrange, elle n’avait pourtant pas le souvenir d’avoir été touchée.
            Sa folle aventure pour découvrir la bravoure des guerriers de Choquequirau ne s’arrêtait pas là. Elle parvint devant une porte de bois alors que l’escalier continuait à monter. Elle prit son parti de continuer l’ascension, il serait agréable de voir Choquequirau de là-haut…
            Les marches se faisaient de plus en plus étroites. Après être plusieurs tours, Lysippée se rendit compte qu’elle ne pouvait plus avancer. La taille des marches s’était tellement rétrécie que même un enfant aurait eu du mal à continuer, et Lysippée était assez intelligente pour reconnaître s’être faite prendre dans un vulgaire piège.
            Elle devait faire demi-tour et ce le plus vite possible avant que de nouveaux adversaires n’apparaissent devant elle. Ceux-ci ne se firent d’ailleurs pas attendre. Elle les entendait monter à sa rencontre, une bonne dizaine. Lysippée n’avait plus le choix. Finalement cette forteresse méritait bien son nom, en plus d’être imprenable, elle était truffée de pièges en tout genre.
            La jeune femme se tapit contre un mur, arrêtant son souffle et tous ses mouvements. L’obscurité du couloir n’était pas pour elle un handicap, elle y voyait comme en plein jour et son sixième sens était suffisamment aiguisé pour lui permettre de repérer qui que ce soit. Et pourtant, elle s’était laissée prendre à ce piège enfantin. Quelque chose clochait. Son adversaire ne pouvait pas être ces simples gardes à demi conscients de leur cosmos. Non il était quelque part dans cette tour, tapi lui aussi.
            Lysippée ne fut pas longue à trouver la source qui l’avait ainsi égarée et qui était responsable de son état évasif.
           
            Les gardes qui montaient l’escalier ne se rendirent pas compte de ce qui se produisit. Arrivés au niveau de Lysippée, celle-ci bondit sur eux de son recoin dans un puissant flash de lumière. Tous furent aveuglés l’espace d’un instant, Lysippée était passée sans qu’ils ne s’en rendent compte.
            Désormais, elle ne se tromperait plus de chemin. Son adversaire, le vrai, était non loin d’elle, elle le savait comme le félin sent sa proie. Il ne paraissait pas avoir une aura extrêmement puissante, mais sans doute la dissimulait-il. Lysippée traversa différentes salles d’armes, sans plus faire attention aux soldats qui se mettaient sur son passage.
Pourtant un d’entre eux l’intrigua, il dégageait une véritable énergie. Si elle avait été moins occupée à chercher celui qui l’avait égarée, elle aurait volontiers passé un peu plus de temps avec ce soldat. Ce dernier eu tout juste le temps de concentrer son énergie et de la propulser contre la jeune femme qui arrêta la boule de feu et la renvoya vers le garçon. Son visage afficha une surprise extrême et il eut du mal à contenir sa propre attaque. Finalement cet opposant ne l’intéressait pas, Lysippée poursuivit sa course effrénée.


            Après avoir parcouru la moitié de la citadelle (Cette forteresse semblait un véritable labyrinthe !) la jeune femme déboucha enfin sur une estrade à l’extérieur de l’enceinte. Aucun garde ne l’y avait suivi. La cité de Choquequirau qui s’étendait en contrebas offrait une vue magnifique. Un imposant lac se détachait derrière le temple du Soleil. Lysippée eut le temps d’apercevoir une brillante statue qui l’aveugla un moment avant de porter son regard sur l’homme qui se tenait accoudé sur la rambarde, le dos tourné.
            Il avait les cheveux noirs, coupés courts, nuque dégagée et portait une tunique blanche comme la plupart des habitants de la ville.


            « Bonjour étrangère ! Heureux de voir que tu es parvenue jusqu’à moi après cette incroyable course dans Saxahuaman. Que viens-tu chercher ici ? J’ai pu me rendre compte que tu es une très puissante combattante. Pourquoi perdre ton temps ici où il n’y a rien à voir ?
_ Détrompe-toi ! Je voulais admirer la cité de Choquequirau depuis ces hauteurs ! »


            Le jeune homme eut un sursaut et se retourna, le visage étonné.


            « Il aurait suffit d’en demander la permission plutôt que de t’introduire ici comme une espionne… Je suis sûr qu’on ne t’eût pas refusé ce privilège.
_ Il faut croire que c’est le temps des espions en ce moment ! »


            Lysippée gardait une attitude mi froide, mi ironique. Elle tenait son adversaire et n’allait pas le laisser s’échapper maintenant. Au loin la statue brillait encore d’avantage sous les reflets du soleil couchant. Elle illuminait toute la cité.


            « Je vois que l’on t’a parlé de notre visiteuse. C’est moi qui aie dû l’arrêter alors qu’elle tentait de pénétrer dans le temple du Soleil. Comme toi, elle courait plus vite qu’une ombre et aucun garde n’a pu la bloquer. J’ai dû y remédier. Mais dis-moi qu’elle est ton nom ?
_ Lysippée de Thémiscyra. Mais je ne suis pas montée ici pour faire la causette. J’aime contempler le paysage en silence. Et un peu d’exercice ne me ferait pas de mal non plus !
_ Je m’appelle Loque Yupanqui puisque cela t’intéresse, le jeune homme tourna à nouveau le dos à la jeune femme et lui désigna la cité. Choquequirau est vraiment magnifique, non ? Vois-tu la statue qui brille ? comme elle éclaire toute la ville.. Et pourtant personne ne la voit du bas. Elle y est invisible. Comme un gardien inconnu de la grande Cité. »


            Lysippée ne voyait que trop ce flot de lumière qui commençait même à l’indisposer sérieusement. C’est alors qu’elle comprit. Elle jeta un coup d’œil furtif à son bras d’où perlaient toujours quelques gouttes écarlates…


            « Que m’as-tu fait ? »


            Le garçon ne se retourna pas.


            « Oh, heureux que tu t’en rendes compte ! Normalement nos adversaires meurent sans s’en apercevoir !
_ Réponds ! »


Lysippée s’était déjà mise en position d’attaque, décidée à ne pas perdre une minute de plus en discours inutiles.


« Il s’agit d’une légère piqûre.
_ Tu m’as empoisonnée ? Mais quand ? Je ne t’ai jamais vu avant !
_ Détrompe-toi, je n’ai rien fait. Pourtant j’étais là en bas, alors que tu te démêlais avec mes gardes. Ils ont bien fait leur travail si ma présence t’est passée inaperçue. Il faut dire que je cultive ma capacité à me camoufler…
_ Alors qui ?
_ Les deux gardes à l’entrée. Leurs lances sont imprégnées d’une substance permettant d’arrêter les cinq sens de ceux qui pénètrent à l’intérieur en force. Bientôt tu les perdras donc tous.
_ Ils n’ont pas eu le temps de me toucher ! J’étais beaucoup trop rapide pour eux !
_ A croire que non. J’avoue les avoir un peu aidés…
_ Ce n’est pas très chevaleresque comme procédé, ni très honorable! Je croyais que les combattants de Choquequirau défendaient l’honneur au combat ! »


            Il se retourna, mais son regard ne riait ni n’était en colère. Il était d’une parfaite impassibilité, impénétrable, comme la cité.


            « Ça ne l’est pas non plus pour une alliée de venir attaquer Saxahuaman !
_ En garde chevalier ! J’ai une mission ici ! Je dois juger de votre art du combat ! »


Cette nouvelle n’était pas du goût de Loque qui grimaça…


            « Pourquoi donc combattre ! Je n’en ai pas envie ! Et puis le poison que tu as dans les veines t’aura bientôt réduit à néant. Tu ferais mieux de m’accompagner pour soigner ça. Je possède l’antidote. Tu ne seras sinon pas capable de voir sa Majesté !
_ Chevalier je suis désolée mais je ne peux accepter ta proposition. Prépare-toi à l’attaque ! »


            Lysippée fondit sur son adversaire plus vite encore qu’elle n’avait traversé la forteresse. Loque ne sourcilla pas le moins du monde. Il n’essaya pas de se défendre et encaissa les multiples coups que Lysippée lui portait. Sa tunique fut réduite en lambeaux et du sang commençait à couler sur tout son corps. Il ne se défendait pas et prenait les attaques de Lysippée de front. Cette dernière s’arrêta, de rage, devant un adversaire lui refusant le combat.
            Loque s’écroula au sol, le regard voilé. Il avait perdu connaissance et gisait sur le sol, inerte, face contre terre.


            Lysippée se pencha au dessus de lui. Il avait cherché cette punition. Pourquoi aussi ne pas s’être protégé ! La colère déformait le visage de la jeune femme. Elle était vexée. En même temps elle sentait dans ses veines le poison faire son effet. Sa vue se troublait et la statue au loin n’était plus qu’un centre lumineux brûlant qui ne lui permettait plus de distinguer les alentours. Malheureusement pour elle, Otrere n’était pas là qui pourrait la soigner. Sa camarade avait développé les arts de la guérison presque autant que ceux du combat. Elle était devenue leur guérisseuse, mais se trouvait à Thémiscyra. Lysippée pourrait-elle la contacter à cette distance ? Ses pouvoirs étaient immenses…


            Son aura se concentra autour d’elle. Cette fois, elle utilisait tout ce qui lui restait d’énergie pour créer un contact avec Otrere. La citadelle de Saxahuaman se mit à luire.
            La jeune femme intensifia encore son aura ! Un contact s’établit rapidement entre les deux femmes, à plusieurs milliers de kilomètres l’une de l’autre. Otrere comprit immédiatement le problème de Lysippée, à Thémiscyra une nouvelle aura s’enflamma. La jeune femme ressentit l’aide que lui apportait Otrere. Lysippée se concentra sur son sang pour y stopper l’effet du poison. Elle y détectait la moindre molécule nocive pour la détruire, guidée par Otrere dans sa rémission…
            Lysippée se rendit compte que sa vue perçante revenait. La statue qu’elle fixait pendant sa guérison retrouvait sa teinte et son éclat normal. Le soleil qui s’y reflétait commençait lui-même à diminuer d’intensité, le soir approchait rapidement. Otrere déclara que Lysippée était guérie. Cette dernière l’avait également ressenti. Elle remercia son amie et la liaison psychique entre les deux femmes cessa.


            Lysippée se sentait en pleine forme, son corps était libéré de toutes les toxines qui s’y trouvaient. À ses pieds Loque était toujours inconscient et continuait à perdre abondamment son sang. Lysippée se mit à genoux près de lui et prit sa tête sur ses cuisses. Il allait mourir si on ne faisait rien pour arrêter ses multiples hémorragies. Lysippée n’était pas aussi douée qu’Otrere, mais pour ce cas, elle savait pouvoir aider le jeune garçon. Elle regardait son visage, paisible, un homme qui attend la mort. Avait-elle déjà tenu un homme ainsi sur elle ? Certainement pas. Mais celui-là était beau dans son inconscience. Oserait-elle ?


            La question n’avait pas de réponse. Lysippée se pencha sur Loque et imprima un doux baiser sur ses lèvres. Tout en se faisant, son aura s’enflamma, englobant le jeune homme, s’attaquant aux plaies du garçon.


            Lorsque Lysippée détacha ses lèvres du jeune homme, celui-ci la regardait avec surprise.


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