Peu avant cet événement tragique, Ganymède pénétrait à nouveau dans le temple des Poissons. Inquiet pour le Pope, il se hâta d’aller à sa rencontre. Malheureusement, ce fut une Sapho épuisée qui l’accueillit.
- Tu arrives un peu tard, dit-elle. Ton seigneur et maître n’est plus que charpie !
Ne percevant pas le cosmos de son dirigeant, le Saint ne put que se plier aux allégations de la princesse Amazone. Il s’était résolu à lui faire expier ce crime impie quand elle s’écroula. Délire de mourante, elle finit sa seconde vie en déclamant les serments inflexibles qu’elle avait elle-même créés.
- Gan… Ganymède…
Ce faible murmure emplit le Saint de joie. Le Pope gisait à proximité de Sapho, bien décidé à ne pas laisser de sitôt son poste vaquant.
- Grand Pope !! Ne bougez pas, je vais vous soigner !
- Ne t’inquiète pas… J’ai côtoyé si souvent la mort… Qu’elle a fini par ne plus se déranger pour… ma personne… Va récupérer… le bouclier sacré…
- Inutile ! Lawrence et les autres sont revenus ! La victoire nous acquise à moins que…
- Qu’est ce qui te trouble… mon jeune ami… ?
- L’homme ayant affronté Niemand est encore au Sanctuaire ! Je pressens son cosmos ! Qui est-il exactement ?
- Un ami… Ou tout du moins, je l’espère…
Selon la croyance populaire, Dohko, de qui parlait ce dialogue, aurait dû entendre siffler à ses oreilles. Rien de tel ne se produisit pourtant quand, après une course poursuite haletante, il rejoint Evora sur le perron de la maison de la Balance.
- C’est terminé, déclara-t-il. Trois Saints d’or s’approchent de nous à grandes enjambées ! Je te conseille de te rendre et de parlementer avec eux !
Evora, l’air ailleurs, défit son lourd fardeau et se massa tranquillement les épaules. Des cinq Amazones, elle était la plus courte vêtue avec son décolleté échancré et sa légère jupette, qui laissait deviner un galbe magnifique des hanches. Son armure se résumait à deux cuissardes, finement ciselées, deux gantelets travaillés à l’identique et un bustier qui la mettait assurément bien en valeur. Cette nymphette accomplie possédait, de surcroît, une épaisse chevelure brune, dont deux mèches asymétriques jouaient avec l’ovale parfait de son visage. Elle s’adressa à Dohko de sa voix sucrée :
- Tu ne fais pas partie de l’armée du sanctuaire, n’est-ce pas ?
- C’est exact ! Mon seul mérite est de me retrouver constamment au mauvais endroit au mauvais moment !
- Tu ne sais donc pas ce qu’est la babiole que je transporte !?
- J’ai cru comprendre qu’il s’agissait du bouclier d’Athéna ! Beaucoup de monde cherchant à mettre la main dessus, je suppose qu’il doit être d’une très grande valeur !
- La vérité est bien au-delà de toute imagination ! C’est le bouclier de la justice, la légende dit qu’il a le pouvoir de repousser n’importe qu’elle attaque ! Sans distinction de critères tels que « le bien ou le mal » ! C’est l’arme de défense absolue !!
- Je suis très content de le savoir ! Mais… Que fais-tu !?
L’Amazone, dissimulée derrière le bouclier, fonça sur l’homme de Rozan. Il évita de justesse ce véritable bélier humain.
- Ca suffit, hurla-t-il. Je ne tiens pas à me bagarrer avec toi ! Attends donc les Saints d’or, je suis certain qu’ils t’aideront à dépenser ton surplus d’énergie !
- Désolé mon mignon ! Mais pour le moment, c’est avec toi que je vais m’amuser ! Comprends-moi, j’aurai bientôt à affronter trois des plus puissants guerriers de ce domaine ! Je veux juste m’assurer de la véracité des rumeurs courant sur ce bouclier !
- De mieux en mieux ! Après le statut de sujet d’étude, je passe à celui de sacrifié ! J’aimerais qu’au moins une fois on me demande mon avis !
L’Amazone, taquine, repartit à l’assaut. Elle se jeta de tout son poids sur Dohko et, d’un revers, le toucha sévèrement au visage.
- Tu l’auras voulu, cria-t-il. COLERE DU DRAGON !!!
Comme de coutume, un dragon chimérique jaillit littéralement du poing du futur vieux maître. Evora, ravie, jugea l’occasion opportune de tester sa nouvelle acquisition. Le bouclier, enfin sollicité, absorba l’essence de l’attaque et la recracha, amplifiée, sur son créateur.
- Fantastique, s’émerveilla la princesse. Je n’ai pas même senti le moindre frémissement ! Le bouclier n’a agit que comme un miroir réfléchissant !
Dohko, se remettant debout, ne partagea pas la joie de l’Amazone. Supputant qu’elle ne ferait que peu de cas de sa vie, il se dit qu’il devrait réagir au plus tôt.
- Il faut lui arracher ce bouclier des mains, planifia-t-il. Le danger vient de lui, plus que d’elle !
Joignant le geste à la pensée, Dohko se précipita sur Evora. Se calfeutrant derrière son inébranlable protection, elle ne compris que trop tard l’enjeu de cette manœuvre. L’ermite des cinq pics, curieusement, déclencha sa technique au-dessus de son opposante, en pleine visée du temple de la Balance.
Une chape de marbre, surplombant la sortie du temple, et accessoirement les belligérants, se décrocha dangereusement. Réflexe malheureux, la princesse se protégea de cette menace en plaçant le bouclier au dessus de sa chère personne. C’est alors que Dohko lui décocha un somptueux coup de pied fouetté au visage. Cependant, la plaque de marbre écrasa l’Amazone avant qu’il ne s’empare du bouclier.
- Pardonne-moi, s’excusa-t-il en contemplant les décombres. Mais c’était toi ou moi ! Mais…
Pulvérisant les débris, le bouclier susnommé décolla du sol et faucha, sans prévenir, Dohko. Comme un boomerang, il décrivit un arc de cercle et revint à son point d’origine. Evora, couverte de plaies et d’ecchymoses, le rattrapa au vol et, à bout de souffle, triompha :
- Pensais-tu t’être déjà débarrassé de moi !? Grossière erreur, je ne mourrai pas avant te t’avoir fait découvrir man attaque fétiche !!
Dohko, à terre, analysa rapidement la situation. Autant qu’il pouvait en juger, le bouclier, lors du choc, lui avait brisé le bras gauche et quelques côtes. Paradoxalement, ce n’était pas cher payer compte tenu de la violence réelle de l’impact. Le problème était que son organisme, trop occupé à soigner les dégâts inhérents à ses fractures, ne pourrait plus lui fournir suffisamment d’énergie pour combattre au maximum de ses possibilités. Par fierté, l’homme de Rozan se remit debout, non sans mal, et admit que seule la défaite l’attendait.
- Toujours au mauvais endroit au mauvais moment, plaisanta-t-il. Cette fois, c’est la fin !
Sans rapport aucun, une image se forma en son subconscient. Il se revit gamin, courant après deux enfants plus âgés que lui. A l’horizon, une maison se dessinait. C’était une simple masure de paysans mais, sous le soleil couchant, elle paraissait irradiée de mille feux. Devant la maison attendait un couple, souriant paisiblement. Dohko reconnut la femme, c’était elle qui hantait ses cauchemars. Cette réminiscence se brouilla et s’effaça de son esprit, le laissant déconnecté de toute réalité.
- Tu n’es plus très loquace, observa Evora. Ne m’en veux pas de ne pas poursuivre cette agréable entrevue ! Les trouble-fêtes arrivent ! Je dois en finir ! ENDLESS GALOPP !!!!
Dohko, se ressaisissant un peu tard, n’eut plus de possibilité d’esquive. Se voyant déjà mort, il fut ô combien surpris que son corps s’enveloppe d’une lueur doré. Devant lui, une armure d’or venait de stopper l’offensive de l’Amazone. Dépassé par les événements, il ne résista pas lorsque l’armure se décomposa et se greffa à lui. Parcouru d’une énergie nouvelle, il dévisagea Evora qui était aussi incrédule que lui.
- Un Saint d’or, maugréa-t-elle. Tu t’es bien moqué de moi…
Dohko, se laissant guider, saisit une des armes stockées dans l’armure. C’était un nunchaku, dont chaque déplacement déclenchait un flot d’étoiles. A l’identique de Shun, lors de son prochain combat au royaume sous-marin, il garda un battant du nunchaku en main et projeta l’autre sur son adversaire.
La chaîne de l’arme, par un phénomène surprenant, sembla s’allonger à l’infini. Evora, bien entendu, se protégea derrière le bouclier, convaincue qu’elle était de sa supériorité.
De l’autre coté de la demeure, Shion et ses partisans, percevant les affres du combat s’étonnèrent :
- Vous aussi vous l’avez ressenti, demanda Lawrence.
- Oui, répondit le Saint du Bélier. L’armure de la Balance s’est éveillée ! Il ne peut y avoir qu’une seule explication à un tel miracle !
Les Saints d’or pressèrent encore le pas, impatients qu’ils étaient de vérifier que leurs sens ne leur jouaient pas un tour pendable. Pendant ce temps, le duel tant attendu entre les deux objets sacrés n’avait pas eu lieu. Dohko, donnant une impulsion à son arme, avait modifié sa trajectoire. D’une courbe, le battant du nunchaku dépassa Evora et vint la frapper, assez traîtreusement, il faut le dire, en pleine colonne vertébrale. Foudroyée, l’Amazone s’écroula sans un mot.
- Le loup dans la bergerie, remarqua Niemand qui, avec Calahël, découvrait la scène.
Shion, Auroch et Lawrence arrivèrent au même moment. Ils questionnèrent du regard leurs congénères. Ceux-ci, dans un synchronisme parfait, haussèrent sourcils et épaules. Le Saint du Scorpion ramassa le bouclier de la justice et dit :
- Le destin est tel la mer, capricieux et surprenant ! Parfois, il serait de bon ton qu’il nous laisse le temps de nous y retrouver avant d’agir à nouveau…
L’armure de la Balance, ayant remplie son office, quitta le corps de Dohko et se recomposa. Au mont étoilé Athéna, confiante, scruta le ciel et se baigna dans la lueur de la lune naissante.