20 octobre 1725, quelque part dans la région des Cinq Pics, dans l'Empire du Milieu
L'endroit n'était pas bien luxueux, mais la pluie tombant à grosses gouttes, le comte de Stroheim pouvait s'estimer heureux d'avoir un toit pour s'abriter, lui, sa femme enceinte, ainsi que ses domestiques. Ce propriétaire terrien de Prusse était connu pour son caractère original, aussi avait-il décidé d'entreprendre un long voyage jusqu'à Pékin, fasciné par cet empire qui aurait eu, disait-on, dans les temps anciens, une civilisation aussi riche et prospère que l'Europe, et peut-être plus. Après avoir laissé la surveillance de ses domaines à son frère cadet, il avait entrepris son long périple, nonobstant le fait que sa femme était enceinte de plusieurs mois et pouvait bien accoucher d'un instant à l'autre, une chose qu'avaient du mal à comprendre ses domestiques qui l'accompagnaient. A l'heure actuelle, les deux époux étaient dans deux pièces différentes, Stroheim se trouvait avec ses domestiques, sa femme, elle, était avec la bonne. Regardant par la fenêtre de la maison abandonnée où il s'était abrité, le comte soupira :
"La pluie ne veut pas s'arrêter... J'espère que nous n'aurons pas à attendre trop longtemps, nous n'avons presque plus de vivres !"
"En effet, approuva un domestique. C'est ennuyeux, monseigneur, votre femme pourrait bien donner naissance à votre enfant dans les jours qui viennent... Sans compter qu'elle a semblé souffrir d'étranges douleurs abdominales qui l'ont privée de sommeil durant une grande partie du voyage..."
"Au moins est-elle encore en vie... Sans doute un miracle de Dieu... J'ignore quand notre enfant viendra au monde, mais mon intuition me dit que ce sera un beau et robuste garçon !"
"Nous l'escomptons aussi, monseigneur !" approuva un autre domestique.
L'aristocrate sourit d'aise, puis se tourna vers un autre serviteur, qui était plus en retrait :
"Ne m'approuves-tu pas, Moloch ?"
Le dénommé Moloch, un homme d'une quarantaine d'années au visage taciturne et au caractère introverti, se contenta de répondre :
"Si vous le dites..."
"Je sais ce que je dis, Moloch ! insista Stroheim. Tu as toujours montré un tant soit peu de scepticisme à l'égard de certaines de mes pensées, je le vois ! C'est bien dommage... tu devrais te fier à la parole de ton maître ! Prends exemple sur Ernst et Viktor !..."
Tout à coup, la femme de chambre de la comtesse, une femme du même âge que Moloch, entra en coup de vent dans la pièce et cria à son maître :
"Monseigneur ! Votre... Votre femme... Elle... De l'eau semble couler de son intimité !"
Stroheim répliqua en joignant ses deux mains :
"C'est là le signe que le nourrisson va venir au monde dans quelques heures ! Je me dois d'être aux côtés de mon aimée ! Ernst ! Viktor ! Moloch ! Tant que je ne serai pas sorti de la pièce où ma femme va mettre au monde ma descendance, vous devez demeurer ici ! Est-ce entendu ?"
Ernst et Viktor répondirent par un "Oui !" vif, mais Moloch se contenta de hocher la tête en signe d'accord. Trop occupé à penser au futur nouveau-né, le comte s'en alla rejoindre sa femme, qui poussait de violents cris. Les deux domestiques profitèrent alors du fait qu'ils étaient seuls pour s'adresser à leur compagnon sur un ton perplexe :
"Tu n'avais pas l'air de montrer beaucoup d'enthousiasme, Moloch... Plus généralement, j'ai le sentiment que ce voyage ne te plaît guère !"lança Ernst.
"Et vous, trouvez-vous cela amusant ?"rétorqua le taciturne serviteur.
"Nous trouvons cela... original ! expliqua Viktor après un court temps de réflexion. Au moins, cela nous fait voir du pays !"
"Façon détournée de dire que vous faites avec ce que le comte Stroheim vous impose... nous impose !"rectifia Moloch.
"Mesure tes paroles, Moloch !fit Ernst. Le comte Stroheim est un homme riche et puissant, parce qu'il..."
"... s'est donné la peine de naître ! l'interrompit Moloch. Hormis ça, je ne vois dans son caractère aucune aptitude au commandement des hommes ! Il en va d'ailleurs de même pour son frère cadet !"
"Tu ne sais pas ce que tu dis ! protesta Viktor. Toi-même, Moloch, aurais-tu l'audace de prétendre savoir commander ?"
L'espace d'un instant, le taciturne domestique se tut, puis répondit :
"Je l'ignore dans les faits... Mais en théorie, je sens que j'ai en moi cette aspiration, cette... cette volonté de puissance ! Mais je ne suis pas bien né, contrairement à Stroheim..."
"Moloch ! s'insurgea Ernst. Aie au moins la décence de dire comte Stroheim !"
"Peu importe ! rétorqua Moloch. Ce que je constate, c'est que le comte ne semble pas avoir cet instinct, cette fougue... Ce désir de commander !"
"Quelle est cette lubie, Moloch ? demanda Viktor. Le comte l'a naturellement ! Cela se transmet par la naissance, l'on nous l'a toujours répété !"
Moloch, qui commençait à perdre son sang-froid, voulut répondre une fois de plus, mais les hurlements de la comtesse, qui étaient devenus plus aigus, l'en empêchèrent. De leur côté, Ernst et Viktor ne semblaient pas inquiets, bien au contraire :
"Cela se rapproche... Visiblement, la comtesse ne va pas mettre beaucoup de temps pour accoucher !"
"Son nouveau-né est sans doute pressé de venir au monde !"
Depuis la chambre où elle se trouvait, la comtesse hurla encore à plusieurs reprises, puis ce fut la voix de Stroheim qui se fit entendre :
"Mon aimée, courage ! Vous allez bientôt mettre au monde notre descendance !"
Pour toute réponse, la comtesse poussa un cri encore plus bruyant, puis Stroheim lâcha :
"Oui... Vous allez y arriver... Vous allez..."
Soudain, ce ne fut pas le premier cri d'un nouveau-né qui se fit entendre depuis la chambre, mais bien trois cris épouvantables, pareils à ceux de gens que l'on égorgerait. Ernst et Viktor, horrifiés, reculèrent précipitamment et se mirent à trembler de tous leurs membres, tandis que Moloch empoigna nerveusement le dossier d'une chaise proche de lui. Les cris durèrent quelques secondes, puis un silence morbide s'installa, ce qui n'était pas pour rassurer les domestiques :
"Que... Qu'a-t-il donc bien pu arriver ?"fit Ernst.
"Je l'ignore, mais... J'ai comme un mauvais pressentiment..."laissa échapper Viktor.
"Il a dû se passer quelque chose d'anormal, suggéra Moloch. Peut-être faudrait-il que l'un de nous trois aille jeter un coup d'oeil dans la chambre de la comtesse..."
Dans la seconde qui suivit, Ernst et Viktor se regardèrent, puis regardèrent leur camarade avant de lui dire :
"Justement... Puisque c'est toi qui as fait cette proposition, autant que tu y ailles !"
Avant que le taciturne domestique n'ait pu dire un mot, Ernst et Viktor le saisirent par les épaules, puis le poussèrent au-delà du seuil de la porte de la chambre où se trouvait la femme de Stroheim. Pris au dépourvu, Moloch perdit l'équilibre et tomba sur les genoux. Quelques secondes s'écoulèrent, puis il constata qu'il n'y avait a priori rien d'anormal. Il leva aussitôt les yeux et bondit en arrière : il venait de voir le comte, son épouse et la femme de chambre tous raides morts. Le serviteur de Stroheim mit encore quelques secondes à réaliser ce qui venait de se produire, puis cligna des yeux et s'aperçut de quelque chose d'encore plus étrange : bien que la comtesse se trouvât dans la position d'accouchement, aucun nouveau-né ne se trouvait dans la pièce. Incrédule, Moloch secoua la tête, mais se souvint qu'aucun premier cri ne s'était fait entendre. Finissant par se ressaisir, il se remit debout et appela ses deux camarades :
"Ernst ! Viktor ! Le comte, la comtesse et sa femme de chambre sont morts mystérieusement ! Et je ne vois aucun nouveau-né dans la chambre !"
"Que dis-tu ?"lança Ernst depuis l'autre bout de la pièce.
"Je dis la vérité ! Venez voir par vous-mêmes !"
Viktor demanda d'un ton mal assuré :
"Moloch... es-tu sûr qu'il n'y a aucun danger ?"
"J'en suis sûr et certain ! Sinon, je ne serais pas en train de vous parler à l'heure qu'il est !"
Ernst et Viktor se regardèrent, haussèrent les épaules et se décidèrent à rejoindre leur compagnon, qui les vit arriver. Ils voulurent alors s'adresser à lui de nouveau, mais à peine avaient-ils franchi le seuil de la chambre que leurs regards blémirent, puis tous deux tombèrent à plat ventre sur le sol. Moloch, encore plus stupéfait, accourut ensuite vers eux, prit leur pouls, mais ne put que constater leur trépas brutal. Cette fois-ci, une angoisse palpable commença à gagner le taciturne serviteur, qui se mit à balbutier :
"Co... Comment cela se... se peut-il... Nous... Nous serions-nous égarés dans une maison démoniaque ?..."
"Nullement,[:i] fit une voix qui semblait sortir de nulle part. [i]Tu ne t'es pas égaré, mais tu te trouves là où ton destin te disait d'aller."[:i]
"QUOI ?!"
Moloch, bien que de nature sombre et secrète, semblait perdre son sang-froid face à ces événements qui semblaient surgir de l'Enfer en personne. Il regarda tout autour de lui, puis constata qu'il n'y avait personne d'autre que lui, hormis les cinq cadavres du comte, de la comtesse, ainsi que ceux de la femme de chambre et ses deux compagnons. N'y tenant plus, il se précipita dans l'autre pièce, se saisit d'un couteau qui se trouvait sur la table, puis le pointa vers sa gorge... mais un mouvement invisible le fit sauter de ses mains. Se sentant fébrile, le serviteur de feu le comte Stroheim recula précipitamment en arrière, mais se trouva vite adossé à un pan de mur. Il trembla brièvement sur ses jambes, puis tomba à genoux, l'air incrédule :
"Je... Je n'y comprends plus rien... Tout... Tout le monde est mort, hormis moi... Et cette présence invisible... Serais-je... Serais-je en train de perdre la raison ?"
L'étrange voix retentit alors à nouveau :
[i]"Absolument pas, Moloch. Tu es tout à fait sain d'esprit. Faute de quoi, jamais je ne t'aurais choisi."[:i]
Le domestique se mit à balbutier :
"Moi ?... Me... Me choisir ? Mais que... Qui...Qui êtes-vous ?"
La réponse ne se fit pas attendre :
[i]"Je suis une divinité que l'on surnommait "l'Invisible" dans les temps anciens. Je suis le fils aîné de Cronos, père de tous les dieux de la Grèce antique, mais parmi toutes ces divinités, moi seul mérite le titre de Dieu ! Je suis Hadès, l'Empereur des Ténèbres !!"[:i]
Etant donnés les circonstances et le contexte de l'époque, n'importe quel individu aurait crié de terreur, se serait enfui, voire aurait péri d'une crise cardiaque devant une telle présentation. Pourtant Moloch, bien qu'éberlué à l'idée que c'était une divinité mythologique qui lui avait adressé la parole, ne trembla, ni ne cria d'horreur. Il resta impassible, certes crispé, mais il semblait reprendre progressivement le contrôle de soi. Quand le serviteur de feu le comte Stroheim sembla avoir retrouvé son calme, Hadès lui dit :
[i]"J'apprécie cette faculté que tu as à ne point crier au blasphème ou au paganisme... Bon nombre d'êtres humains, aveuglés par les préceptes des monothéismes, me voient comme une divinité maléfique, simplement parce que j'incarne les ténèbres et la mort !"
Moloch demeura silencieux, bien qu'encore un peu éberlué par ce qui venait d'arriver. Puis, levant les yeux au ciel, il murmura :
"Dites... Dites-moi... Que... Que s'est-il passé ?... Comment se fait-il que vous soyez arrivé ici, et que tous ceux qui se trouvaient dans la chambre soient morts, à part moi ?"
La réponse de l'Empereur des Ténèbres ne se fit pas attendre longtemps :
"Tu as le droit à de longues explications, en effet... L'heure était venue pour moi de sortir de mon inaction de presque deux siècles... Pour cela, il me fallait passer par l'intermédiaire d'un mortel, en l'occurrence le nouveau-né du comte Stroheim... Et au moment de la naissance d'un dieu, tous ceux qui se trouvent dans les environs perdent la vie... La naissance d'un dieu passe par la mort d'êtres humains, car un dieu ne peut être vu des hommes... Encore moins quand la divinité en question est surnommée "l'Invisible" !"
Bien que commençant à reconstituer les pièces de ce qui lui semblait être un véritable casse-tête chinois, Moloch avait toutefois le sentiment que quelque chose lui échappait :
"Mais... Mais moi ? Pourquoi... Pourquoi ne suis-je pas mort ?"
Le Dieu des Enfers répondit sur un ton moins dur :
"Il s'agit là d'un privilège dont je t'ai fait don, Moloch... Je t'ai choisi pour être mon serviteur !"
"Votre serviteur ?"
"Oui... Mais tu trouveras ton compte dans cette position, car tu auras un grand pouvoir, qui ne dépendra que de moi... A l'inverse de quand tu n'étais que le domestique du comte Stroheim... Un rang qui ne te plaisait guère..."
Surpris par l'omniscience de son interlocuteur, Moloch demanda :
"Comment... Comment savez-vous... ?"
"Je suis Dieu, rien ne m'est inconnu, Moloch. Je sens que quelque chose bout en toi, et que tu l'as refoulé à cause de ta condition de domestique... Tu as une grande ambition en toi, tu brûles de pouvoir commander, la volonté de puissance sommeille en toi et elle ne demande qu'à se réveiller... Ai-je tort, Moloch ?"
Le quadragénaire se concentra un moment sur les battements de son coeur, qui se faisaient plus nombreux et plus bruyants, puis il répondit en hochant la tête :
"En effet... Je suis frustré depuis bien trop longtemps de ne pas être bien né... Le comte Stroheim l'était, mais il n'était pas digne de son rang, il n'avait aucun mérite... Mes compagnons, Ernst et Viktor, acceptaient lamentablement leur sort, ainsi que toutes les fantaisies de cet incapable et de sa famille (la voix de Moloch augmenta d'un ton) !! Ils se fiaient trop à la naissance, à la place occupée par chacun dans la société, à l'ordre soi-disant naturel... Mais moi... Je rongeais mon frein et espérais vraiment qu'une occasion me serait donnée pour que l'on reconnaisse mon mérite !"
"Et tu as bien fait d'attendre, Moloch... Avec ma résurrection, tes maîtres incapables et tes compagnons simples d'esprit ne sont plus."[:i]
Moloch laissa encore quelques secondes s'écouler, puis demanda à l'Empereur des Ténèbres :
"Majesté Hadès... Pourquoi êtes-vous revenu en ce monde ?"
Le fils aîné de Cronos répondit longuement :
[i]"Il y a presque deux siècles de cela, j'ai voulu avec l'aide de mes 108 guerriers, qui portent le nom de Spectres, prendre le pouvoir dans ce monde corrompu par le péché et la bêtise, et le transformer en paradis nommé Utopia, où les élus auraient la vie éternelle, à commencer par mes serviteurs, qu'ils soient tombés au combat ou aient survécu... Malheureusement, mon ennemie de toujours, ma propre nièce, Athéna, déesse grecque de la guerre et de la sagesse, a pris le parti du genre humain, et s'est opposée à mes desseins... L'un après l'autre, mes Spectres sont tombés au combat, et j'ai moi-même été vaincu, condamné à rester hors du monde pendant deux siècles... Mais aujourd'hui, l'heure de ma revanche est venue, et tu seras l'un de ses orfèvres, Moloch !!"[:i]
"Vraiment ?! Et... Et en quoi ?"demanda Moloch, qui commençait à sourire.
[i]"Tu seras à la tête de mes 108 Spectres, y compris les trois plus puissants d'entre eux, les trois Juges des Enfers, dont la puissance dépasse celle des douze chevaliers d'or, les guerriers les plus puissants d'Athéna !"
Le Dieu des Enfers marqua une pause, avant de concéder :
"Toutefois, lors de la dernière guerre sainte, j'ai sous-estimé l'un des douze chevaliers d'or, qui était bien plus puissant que ses frères d'armes, à tel point qu'il m'a humilié en éliminant tour à tour les trois Juges des Enfers... Mais oublions le passé, et pensons à l'avenir... Veux-tu sortir de la pièce et aller dehors, Moloch ?"
Sans bien réfléchir, l'homme obéit et sortit de la maison. Quand ce fut fait, Hadès lui ordonna :
"Regarde la flaque d'eau à tes pieds et dis-moi ce que tu y vois."
Intrigué, Moloch jeta un coup d'oeil à la flaque d'eau et vit qu'elle se troublait peu à peu. Au bout d'une dizaine de secondes, il vit un jeune nourrisson qui devait avoir deux ans et dormait paisiblement dans son berceau. Il demanda aussitôt :
"Votre Majesté, qui... qui est cet enfant ?"
Hadès répondit aussitôt :
"Ce très jeune enfant se nomme John Roligny. Il est né il y a deux ans à New Rochelle, petite colonie fondée dans le Nouveau Monde par des calvinistes français qui ont fui leur royaume, suite à la révocation de l'édit de Nantes..."
"J'ai ouï parler de cela, Votre Majesté... Je devais avoir l'âge de ce nourrisson à l'époque, mais je sais que bon nombre de ces hommes et femmes se sont aussi réfugiés en Brandebourg et en Prusse à cette époque... Cela avait contribué à dégrader l'image du roi de France Louis le Quatorzième..."
"Tu es bien informé, Moloch... Mais là n'est pas le problème. John Roligny, je le sais, sera un jeune homme au coeur bon et répugnant à la violence... A ce titre, il est l'être le plus légitime pour devenir le refuge de mon âme !!"
"Le refuge de votre âme ? Majesté Hadès, que... qu'entendez-vous par là ?"fit un Moloch fort étonné.
"Après avoir emprunté le corps d'un mortel pour pouvoir renaître, je dois m'emparer d'un autre corps pour mener mes desseins à bien... Un corps qui n'est autre que celui de l'être le plus pur existant en ce monde... Et ce corps sera celui de John Roligny !"
"Votre Majesté... Comptez-vous vous emparer de ce corps à cet instant ?"
"Non, pas encore, répondit l'Empereur des Ténèbres... Athéna n'est pas encore revenue sur Terre, bien que cela ne saurait tarder, et John Roligny n'est encore qu'un petit enfant fragile... J'ai attendu presque deux siècles pour renaître, je peux attendre encore un peu de temps avant de me réincarner... Plus précisément, je compte attendre jusqu'au jour du vingtième anniversaire de John Roligny... A ce moment-là, je te prédis qu'il se trouvera avec ses parents et son précepteur au Sanctuaire d'Athéna, après avoir fait naufrage... Un naufrage que ma volonté divine aura provoqué, afin de mieux narguer cette stupide Athéna sur ces propres terres !"
L'air ébahi, Moloch balbutia :
"Votre Majesté... Co... Comment pouvez-vous en êtes sûr ?"
Hadès rétorqua aussitôt d'un air plus sévère :
"Je suis Dieu, Moloch. Dieu est omniscient et tout-puissant, rien ne Lui est impossible. A l'inverse des chimères issues des monothésimes, je suis une divinité bien réeelle, bien qu'invisible, et qui possède la véritable puissance... Je te recommande de ne jamais l'oublier, Moloch."
Moloch frissonna bien malgré lui, puis répondit en baissant la tête :
"Jamais je ne l'omettrai, Votre Majesté."
"Cela vaudrait mieux pour toi..."
Le nouveau serviteur d'Hadès releva la tête et se sentit subitement empli d'une force remarquable et qu'il n'avait jamais ressentie auparavant. Sentant néanmoins qu'il était devenu différent en peu de temps, il demanda à l'Empereur des Ténèbres :
"Majesté Hadès... Quelle est cette force qui vient... qui vient de m'envahir ?"
"C'est un pouvoir dont je t'ai fait don... Un pouvoir que tu peux considérer comme étant un privilège émanant de Dieu !"
"Un privilège émanant de Dieu ?"
"Oui... Grâce à ce pouvoir, tu pourras te rendre dans le Meikai, mon empire, en restant en vie, ce qui est impossible pour le commun des mortels... Hormis ce maudit chevalier d'Athéna dont je t'ai parlé auparavant... Mais oublions-le... Par ailleurs, tu pourras également faire appel à une puissance dévastatrice, le [Power Lightning, qui t'élèvera au-delà de la force d'un simple mortel, bien au-delà de tout ce que tu peux imaginer, Moloch !"
Un grand sourire sur les lèvres, Moloch demanda :
"Votre Majesté... Qu'attendez-vous de moi ?"
"Pour l'heure, je ne te demande que peu de chose... Rends-toi dans le monde des ténèbres où tu demeureras en attendant la résurrection des 108 étoiles maléfiques... Et quand cela aura lieu, la guerre sainte commencera, et je m'emparerai ensuite du corps de John Roligny... Alors je ressusciterai pour de bon, je vaincrai Athéna et le monde reviendra entre les mains de Dieu !!"
Hadès marqua ensuite une nouvelle pause, avant de conclure :
"Je pars sur l'heure pour la Giudecca, la quatrième sphère du monde des ténèbres... Je t'y attendrai... Grâce aux pouvoirs dont je t'ai fait don, tu connaîtras facilement sa localisation... Je t'attends, Moloch, et ne traîne pas !"
Deux secondes plus tard, Moloch sentit que la présence invisible de l'Empereur des Ténèbres avait pris fin ; le fils aîné de Cronos devait avoir effectivement regagné la Giudecca. Le serviteur de feu le comte Stroheim s'assit alors sur une pierre et se remémora tout ce qui lui était arrivé : l'accouchement qui avait été fatal au comte et à son épouse, l'influence d'Hadès qui avait ôté la vie de ses camarades, la conversation avec le Dieu des Enfers, qui avait perçu ses frustrations et son ambition, la guerre sainte à venir, le bébé qui devrait accueillir dans dix-huit ans l'âme d'Hadès, les projets du sombre monarque...
Moloch repensa à tout ceci, puis il dit, un grand sourire sur les lèvres :
"Cet imbécile de Stroheim n'avait pas vraiment tort... C'est bien Dieu qui nous a guidés ici... Mais au final, c'est moi qui en profiterai... Grâce à la sagesse de Sa Majesté Hadès, je suis enfin débarrassé de tous ces parasites qui me frustraient dans mes ambitions..."
Le nouveau serviteur de l'Empereur des Ténèbres se leva d'un bond, leva le poing et lança d'une voix haute :
"Dans dix-huit ans, une guerre opposera Sa Majesté Hadès à la déesse Athéna... Et je ne doute pas un seul instant que Sa Majesté Hadès en sorte victorieuse ! Alors, le monde sera dominé par l'Empereur des Ténèbres, et moi, le grand Moloch, chef des 108 Spectres, je goûterai pleinement au pouvoir, moi qui ai la volonté de puissance !!"
Sans bien réfléchir à ce qu'il faisait, Moloch éclata d'un rire sardonique et bruyant, si bruyant que l'écho le répandit plusieurs mètres au loin...