Bienvenue sur Saint Seiya Animecdz
  




Cette fiche vous est proposée par : Alwaïd


La Trilogie Gaïa

Tout se déroulait comme prévu. Il avait découvert celui qui unissait les troupes du Sanctuaire et venait de le faire tomber. Il avait ensuite profité de sa fuite pour ouvrir les portes sud au duo mystérieux ; sa carte maîtresse restait à jouer. Son cadeau aux dieux lui assurait le salut après les combats, et même un poste de choix au sein de la nouvelle gouvernance.


Le temps d’isolement qu’Andvari allait s’accorder serait mis à profit. Il restait à définir la chute des nouveaux conquérants, et alors les dieux évincés laisseraient le trône au guerrier de Delta. Il demeurerait le seul homme doté d’une armure et s’imposerait ainsi en Souverain des Hommes. Oui, c’était là un bon début. Andvari souriait à la perspective de sa réussite.


Il longeait la mer caressant maintenant les murailles du Sanctuaire. Entre un silence de mort et une eau calme, Andvari apercevait déjà les reliefs à l’ouest où il irait se réfugier.


Un hennissement le fit sursauter. Un cavalier approchait à vive allure. Son cheval galopait sur les eaux avec la légèreté de l’écume. Andvari se retint de fuir. Il avait été repéré à en croire le changement de direction de la monture marine. Prendre la fuite le trahirait, ainsi il se concentra sur le mensonge à délivrer. Il le trouva lorsqu’il aperçu le visage féminin.


La cavalière dévoilait des yeux pourpres entrecoupés de mèches d’ébène. Le soleil révélait des constellations de tâches de rousseur. Un diadème égyptien cernait sa tête, pas de doute, Andvari rencontrait Neferia. « Pourtant cette armure… elle ne rappelle en rien le Dauphin. » Des veinures d’orichalque cernaient les innombrables écailles parcourues de filets d’eau. Des ailes d’or blanc saillaient des omoplates, les teintes orangées de l’Ecaille brillaient de reflets marins.


Parcouru d’un doute, Andvari se risqua tout de même :


- Bienvenue Neferia, je t’attendais, dit-il en se courbant légèrement. Andvari de Megrez, pour te servir. Zeuxis ne s’est pas trompé en devinant ta venue. Je suis son messager.

- Parle, je t’écoute.

- Les combats ont cessé, pourtant Zeuxis ressent encore la présence de Deimos. Ton aide lui est nécessaire. Le temps presse, il t’attend au plus tôt.

- Bien, j’irai, mais avant cela, toi qui vient du Sanctuaire, dis-moi comment est mort Bayer. J’ai senti son aura à l’intérieur de l’enceinte sacrée. Que s’est-il passé ?


Andvari décela en la voix de l’Egyptienne une affliction étouffée. Ainsi ils étaient proches… Simulant la tristesse, Andvari répondit :


- Son dernier mot fut ton nom, à ce que m’a dit Zeuxis. A part cela je défendais les murailles à l’est contre les amazones, j’ignore donc les causes de sa mort.

- C’est illogique. Si tu as revu Zeuxis après la mort de Bayer, il t’aurait indiqué son assassin, ou même se serait battu contre lui. De plus Bayer est un chevalier d’une grande puissance, je ne peux concevoir qu’il ait succombé sans combattre. A moins… qu’un traître ne l’ai surpris. Andvari, je commence à douter de ta bonne foi.

- Ben quoi, railla le guerrier dans un changement soudain de ton, Zeuxis imaginait que tu t’ferais bronzer sur la plage, il m’a donc envoyé botter les fesses à la traînarde qu’arrive après les combats.


La patience d’Andvari n’y tenait plus. Assez de courbettes et de faux sourires. Il faisait partie de ces mortels qui écrivent l’histoire. Une donzelle qui débarque à la bourre en rien n’affecterait ses plans. Ses méfaits précédents témoignaient d’une force largement suffisante pour venir rapidement à bout de cette femme. Alors pourquoi jouer la comédie quand on peut simplement soumettre ?


- Bayer a crevé la bouche ouverte. Regarde ma lame, il doit y rester de sa chair.


Ce disant, Andvari abattit sa lame sur Celeris. La jument blessée se cabra ; Neferia la quitta d’un bond. Celeris plongea dans les eaux, laissant derrière elle une onde bien vite lénifiée.


- T’es plus petite que j’imaginais.

- Profite d’imaginer, cracha Neferia, bientôt les ténèbres seront ta seule lumière.

- Essaie donc de…


Andvari ne termina pas sa phrase. Son souffle coupé par un violent coup dans le ventre l’en empêcha. Sa surprise trouva pour réponse une succession de frappes brutales dans lesquelles Andvari décelait une haine libérée, une tristesse mêlée de colère dont il était seul réceptacle de l’intensité. Entrainées par des mouvements fluides, les genoux, les coudes et les pieds de la danseuses cherchaient les points vulnérables d’Andvari, heurtant tour à tour son ventre, son torse, son visage.


Les coups réveillaient les plaies qui comme un signal d’alerte hurlaient au guerrier de réagir. Il simula une faiblesse résignée, guetta une attaque dépourvue de défense pour dégainer vivement son épée et en balayer le torse féminin. L’Ecaille présenta une fine entaille. L’effet n’était pas à la hauteur de l’attente d’Andvari à en croire son air désappointé. Neferia en profita pour lui décocher un coup de tête puis l’envoya au loin d’un coup de pied tout aussi peu délicat.

 

- Tu sors les griffes, lança Andvari, le nez en sang. Je vais refroidir tes ardeurs.

- Seule ta souffrance me calmera, être ignoble. Même ta mort serait trop douce.

- Ok. Essaie déjà de me toucher de nouveau. La surprise n’est plus de ton côté.

- Te toucher ? Je me suis assez souillée à ton contact. Tu seras toi-même ton bourreau.

- Puisque tu veux jouer à ça… ta force sera ton sarcophage.


Andvari planta Surtal puis écarta les bras. L’améthyste de son armure scintilla telle une nuit constellée d’étoiles. A l’agitation cristalline succéda une harmonie dont l’armure semblait se gorger. Puis les yeux sadiques d’Andvari s’écarquillèrent brusquement sur celle qu’il imaginait déjà décharnée. « Quel le Cercueil d’Améthyste se referme sur toi ! »


Dans le même temps Neferia avait délogé de son Ecaille une flûte d’orichalque. Quelques notes suffiraient, reflets de sa parole inexorablement menées aux oreilles d’Andvari. Litanie égyptienne proférée en sons marins, le chant s’adressait au guerrier de Delta, et s’il n’y entendait que des sons, aussi doux soient-ils, son âme en fut bouleversée. Plongé dans la perplexité, il parvint tout de même à terminer son incantation. Autour de Neferia la fraîcheur océane céda peu à peu au froid de l’améthyste. Le cercueil se referma sur l’Egyptienne. Son regard se figea dans l’immobilité, ses lèvres ne bougeaient plus, aucun souffle n’y courait.


Satisfait, Andvari se para d’un sourire discret bien vite transformé en rire suffisant. « Voilà, mon chaton, ce qui arrive à ceux qui par folie s’attaquent à moi. »


Andvari recula de deux pas. L’améthyste brillait anormalement. Le cercueil se gavait d’énergie, logique puisqu’il devait absorber celle de Neferia afin de s’endurcir, seulement l’énergie s’accumulait à une vitesse déconcertante. L’Ecaille de l’Egyptienne scintillait d’éclats marins, son cosmos brûlait au sein du cristal et à y regarder plus précisément c’est de l’armure et non de la femme dont le cristal se gorgeait. Andvari recula encore. La cosmo-énergie océane se répandait au sein de failles internes, gagnait chaque instant en puissance et le cristal ainsi submergé s’effrita, craquela. L’Ecaille et le cercueil volèrent en éclat, laissant Neferia parée de sa seule tunique de lin mais le regard plongé dans celui de son opposant. « Voilà, sale rat, la surprise pour ceux qui par folie me croient faible. Maintenant vas-y, saisis ton épée puisque tu me penses dénudée. »


Evidemment qu’il allait récupérer son arme et trancher aisément les chairs de l’Egyptienne. Lorsqu’il se tourna vers son épée, son regard se figea. « Surtal… » chuchota-t-il. Elle était là, à quelques pas de lui. Le soleil jouait sur la lame et la rendait magnifique, unique, inestimable. Arme divine et source de victoire, instrument de domination, jamais Surtal n’apparut plus indispensable à Andvari. A tel point qu’il s’en voulut de l’avoir laissée ne serait-ce qu’un instant hors de ses mains.


Au premier pas vers l’épée, Andvari se tordit de douleur. Chaque nerf de ses pieds venait de se contracter autour des os et conservait une tension atrocement douloureuse. Le pas suivant fut difficile. Dès le pied au sol, ce fut au tour des mains d’être prises de crispation. La souffrance était si aigue qu’il semblait maintenant impossible à Andvari de resserrer ses doigts. Mais qu’importe, son épée, sa victoire, il devait la récupérer. Seulement, un pas du guerrier l’en rapprochait autant qu’il l’en éloignait. « Surtal, me fuis-tu ? Reviens à moi… »


Chaque pas tordait son corps d’une douleur complémentaire et continue. De plus il transpirait abondamment, si bien qu’il se déshydrata rapidement. Sa bouche sèche lui apprenait le malaise de la soif ; ses membres réduits se flétrissaient telle une plante brûlée par le soleil.


Abattu, Andvari ne pouvait plus qu’admettre qu’un grain de sable, une arrivée hasardeuse et inopportune parmi les rouages de ses plans, venait de tout ruiné. Il ne pouvait se résoudre à accepter la fuite si soudaine de sa victoire, pourtant la douleur chaque instant plus intense lui confirmait qu’un plan exceptionnel pouvait s’écrouler sous une mauvaise brise.


D’un ton neutre, Neferia lui parla : « Tu es maudis, au sens propre du terme. Pour l’instant ta douleur est uniquement physique. Bientôt, quand tu commenceras à comprendre que tu ne peux plus atteindre ton épée mais que ton avidité te poussera toujours vers elle, ta conscience s’éveillera à l’atrocité des crimes que tu as commis, à la culpabilité jusqu’à aujourd’hui refoulée. Tu vas souffrir, Andvari, plus que tu ne le crois. Le poids de tes péchés sera bientôt plus dur à supporter que ta consomption. Et tu ne mourras pas. La malédiction t’en protège, afin que tu geignes éternellement dans ton incessante affliction. Tu aimes ce genre de torture, n’est-ce pas ? A ton tour d’y goûter, et d’espérer en vain que la mort t’y arrache. »


A genoux, Andvari poursuivait difficilement son chemin. Ses dents crispées s’émiettaient sous la pression crescendo. Les racines lui rentraient dans les gencives, ses yeux se voilaient de sang, pourtant il continuait, le bras figé vers son épée.


Celeris sortit des eaux. Guérie par la mer, elle se présenta à Neferia qui ne tarda pas à l’enfourcher. Avant de lancer Celeris vers le Sanctuaire, l’Egyptienne cracha sur ce qui ne ressemblait plus à un être humain.


 


Elle trouva Zeuxis assis sur les murailles, Lilith à ses côtés, allongée contre une gargouille, les mains derrière la tête. Elle ne reconnut le Peintre qu’une fois la surprise de l’armure d’or passée. Après tout le saint avait tôt pris la voix qui le mènerait haut dans la chevalerie. Son ascension apparaissait bien naturelle. En revanche son apparente tristesse était plus surprenante. Aucun ennemi alentour, le Sanctuaire semblait sauvé, pourtant Zeuxis tenait sa tête dans ses mains, le regard vers le sol.


- Désolée d’arriver si tard, entama Neferia.


Zeuxis hocha la tête sans relever les yeux.


- Que se passe-t-il, tu parais bouleversé ?


Lilith pris la parole :


- Le pauvre bichon s’en remet pas d’avoir été aidé par Hadès ; à moins qu’il ait du mal à digérer les milliers d’hommes qu’il vient d’assassiner. A moins que l’absence d’Athéna…

- Suffit Lilith ! coupa Neferia d’un ton péremptoire. Tu sauras quand je te parlerai.

- Par Hadès quelle autorité ! railla Lilith. Mais pour m’impressionner il aurait fallu faire tes preuves sur le champ de bataille avant de jouer les dures.

- L’occasion se présentera bientôt, intervint Zeuxis. Deimos est proche et va attaquer. De plus il y a autre chose. Un danger plus diffus, latent. Soyez sur vos gardes, Athéna est loin d’être épargnée.

- Une armée me suit, informa Neferia. Vois les navires égyptiens accoster. Six mille prêtres en sortent à l’instant et autant de guerriers veillent sur l’artillerie lourde. Nous sommes prêts au combat.


Comme pour la faire mentir, les flots s’agitèrent. Une détonation, comme le tonnerre jeté sur les eaux, puis celles-ci se fendirent depuis l’ouest. Elles s’ouvraient, déchirées, dans un torrent élevé vers les cieux. Un cri effrayant parvenait de la faille ; un cri de guerre où suintait le plaisir des souffrances.


Deimos fondit sur les bateaux. De son poing il fendait les coques, plissait les yeux pour faire exploser les embarcations puis voletait dans les cieux, fauchant tour à tour les guerriers propulsés par le choc. Nombre d’hommes tombaient dans la mer et l’agitation des flots assurait leur noyade. Les derniers prêtres se jetaient des navires dans l’espoir d’atteindre la côte.


Celeris pris son élan, se lança contre les murailles et s’y éleva jusqu’à atteindre Neferia pour l’accueillir sur son dos. D’un vol plané la monture rejoignit les eaux en direction du combat.


Déjà le spectre aux ailes déployées survolait le carnage. Lilith localisa Deimos, sortit les griffes et plongea vers lui. Le dieu alerté balaya Lilith d’une salve énergétique. Il la vit choir dans les eaux et disparaître parmi les remous.


Un unique bateau restait à flot. Deimos fusa vers lui, estimant déjà le choc pour envoyer dans les airs le plus de guerriers à la fois. A peine eut-il le temps de distinguer une cavalière qu’un mur d’eau jaillit de la mer devant le navire. A pleine vitesse, Deimos tenta de le percer mais il se heurta à une cohésion aqueuse inébranlable. Le choc le sonna un instant, suffisamment pour que Lilith surprenne son adversaire. Elle sortit des eaux exactement au-dessous de lui, et c’est les lèvres encore humides qu’elle incanta : « Septième Ciel ! »


La tornade entraîna Deimos dans les airs, cependant le dieu restait insensible à la volupté qui accompagnait généralement cette ascension. Les adversaires se retrouvèrent dans les hauteurs du ciel. Mains jointes, Lilith frappa le dieu mais il avait toute sa présence d’esprit pour parer aisément. Aux mouvements de son opposante Deimos comprit qu’elle désirait l’éloigner du Sanctuaire. « Tu veux un tête à tête ? » interrogea Deimos. « Tu connais mon menu… Dame de Fer ! »


Un cercueil garni de pointes apparut autour de Lilith, et comme pour Phidias, les montants se rabattirent lentement. Lilith eut beau forcer, elle comprit rapidement qu’elle ne résisterait pas à l’étreinte d’un dieu. Elle relâcha donc ses muscles et laissa le cercueil se refermer sur elle.


 


***


Une procession de silhouettes sinuait entre d’éparses flammes verdâtres. Courbées, vaines, elles avançaient en continu vers la bouche de la mort, gouffre définitif.


Le Yomotsu Hira ne connaissait ni jour ni silence. De sombres clameurs y exprimaient la dernière vanité des hommes. Les innombrables guerriers ne brillaient d’aucune lumière. Déjà résignés, déjà morts. De rares pourtant conservaient leur conscience durant ce cheminement. De rares, dont Shun d’Andromède.


L’ange marchait parmi la foule, au même rythme, vers la même funèbre destinée. « Mes amis, pensa-t-il, je vous rejoins. J’ai finalement suivi les pas d’Andromède, et ai terni la guerre grâce à mon sacrifice. Pour les hommes, et pour vous. »


Une main saisit celle de Shun. Il sourit en pensant imaginer, cependant les doigts serrèrent avec douceur la main de Shun. Il réalisa alors qu’il connaissait cette étreinte et que son contact était bien réel. Il tourna les yeux. Son cœur se serra, sa gorge se noua. Ses yeux s'embuèrent. « Ikki » émit-il, presque timidement.


L’ange du Phénix souriait. Il semblait heureux. Apaisé comme jamais Shun ne l’avait encore vu. Ils se tenaient la main et Shun comprit à son bonheur le plaisir partagé. Il ignorait comment son frère avait pu trouver la mort, mais cette question avait maintenant si peu d’importance. Ils se regardaient avec amour.


Leurs pas les rapprochèrent inéluctablement du gouffre. D’une voix douce, Ikki dit :


- Avec toi, mon frère.


Ensemble ils se laissèrent entraîner par le vide. Dans leur chute leurs bras se rencontrèrent, ils se blottirent l’un contre l’autre.


 


Arès reconnut bien vite le Yomotsu Hira. Il sourit à l’idée de l’inutilité du sacrifice d’Andromède. Lors de précédentes guerres contre Athéna, alors qu’Hadès était encore son allié, ce dernier avait accordé à Arès et ses berserkers la faculté de ressortir de ce lieu afin de poursuivre les combats. Ainsi la Guerre connaissait les passages entre cette dimension et la Terre et y mena ses guerriers, mais ils trouvèrent les issues closes. Hadès avait fermé les portes vers la lumière.


« Bien Hadès, tu veux jouer à ça ! Qu’est-ce qu’il te faut pour payer mon passage ? Du sang humain, tu veux des sacrifices, c’est ça ? Je vais te satisfaire. »


Arès déploya un cosmos sanguin. Bien que dépourvu de la Sueur de la Guerre restée sur Terre, l’aura du dieu eut fait frémir le plus courageux des guerriers. Ses points prirent pour cibles les jonctions entre les dimensions, ainsi lorsqu’il les heurtait, la Terre en frémissait par résonnance. Arès volait littéralement, concentrait sa force dans ses mains pour secouer portes, failles ou reliefs de déflagrations dévastatrices. De nombreux séismes parcoururent la Terre. Des volcans s’éveillèrent, leur lave couvrait des villes ; des tsunamis générés par les séismes rasaient toute civilisation côtière. Les innombrables liens entre la Terre et le Yomotsu Hira laissaient aux chairs de Gaïa des plaies en de multiples endroits. De toutes parts le ciel s’assombrirait, voilant le soleil au point qu’il sembla disparaître de nouveau.


Alors qu’Arès préparait une nouvelle attaque, un sifflement vint interrompre sa concentration. Un tel son en ce lieu le surprit, ainsi il se retourna pour distinguer un homme cerné d’une cape verte. Ses cheveux gris témoignaient d’un âge avancé, son regard reflétait les forêts oubliées dans la nuit ou brûlées au soleil.


- Je te reconnais bien là, dis l’inconnu, le Guerre arrive dès qu’on la siffle.

- Qui vais-je avoir la joie de tuer ? demanda Arès.


Le saint laissa sa cape s’ouvrir sur une armure argentée dont les étoiles dessinaient une coupe ancestrale.


- Myrddin d’Avalon, saint de la Coupe, au service d’Athéna.

- Tu as dû t’éveiller au huitième sens pour être ainsi libre de l’emprise des Enfers, pourtant tu n’es qu’un chevalier d’argent. Je vais vite corriger cette erreur. Berserkers, montrez à cet insolent la puissance de la guerre !


Les berserkers s’élancèrent sans attendre, pourtant des rires innombrables vinrent briser leur élan. Les quarante-et-un guerriers se regroupèrent, prêts à faire face à un assaut prévisible. Ce à quoi ils ne s’attendaient pas était de découvrir tant d’adversaires. Sur les reliefs du Yomotsu Hira apparut une centaine de spectres dont les surplis rayonnaient de lueurs terrestres et célestes. Leurs armures se garnissaient souvent d’armes, de pointes agressives et toujours d’une aura appelant à la décrépitude, inéluctable chemin vers la mort.


D’une envolée commune l’armée d’Hadès fondit sur les berserkers. Ceux-ci se grisaient de l’approche des combats, hurlaient à s’en déchirer les cordes vocales, les yeux exorbités de haine, les muscles bandés et entièrement dévoués à détruire les arrivants.


Plus d’un guerrier vola sous l’impact, plus d’une paire d’ailes fut arrachée aux spectres. Sueurs et surplis volaient dans le chaos des combats. Les cris terribles de la mêlée achevaient les âmes errantes à proximité. 


A l’écart des combats, Arès serrait les poings autant de rage que de prélude à son assaut. Son doigt se tendit vers le saint pour faire jaillir un flux énergétique annihilant toute roche sur son passage et dont le sillon laissait pour plaie un gouffre béant.


- C’est donc la guerre et le carnage que tu m’envoies, dit le Celte. Je répondrai à ton attente.


Myrddin se courba. Son armure, bien que d’allure inexpugnable, couvrait ses mouvements tel un drap sur un corps. Myrddin tendit la main, galvanisé par le flot d’énergie fondant sur lui. Il s’en nourrit jusqu’à ce que la sphère l’atteigne dans un vrombissement assourdissant. A cet instant il ouvrit sa paume, le cosmos y glissa pour gagner encore en vitesse le long de ses bras ouverts puis s’élança sur la rampe d’accélération du bâton de chêne. L’attaque d’Arès fondit au cœur des berserkers. Plusieurs fous de guerre périrent sous la puissance du coup, ainsi que quelques spectres surpris par le détournement de Myrddin.


Arès brûlait de colère. A peine le sang de son aura coulait-il sur son visage et sur son corps qu’il s’évaporait sous la hargne du Dieu. Une brume sanguine cernait la déité. Il fondit sur Myrddin, projeta sa lance sur le druide qui prit la position de défense adéquate, mais au dernier moment Arès rattrapa l’extrémité du manche pour donner à la lance un mouvement circulaire. Le druide eut à peine le temps de reculer la tête. Sa jugulaire fut tranchée et déjà un sang abondant en jaillissait.


Arès sauta, lance tendue vers le corps agenouillé de Myrddin. Celui-ci plaça son bâton sur la trajectoire de la lame qui vint s’y enfoncer… d’à peine deux centimètre. Myrddin recula. Arès ne put extraire son arme de sa prison de bois. Il voulut briser le sceptre forestier d’un coup de pied mais il ne l’ébranla même pas.


Myrddin profita de l’acharnement du dieu pour invoquer la Coupe. « Abondance. » Ses mains unies en jarre déversèrent en sa bouche l’inspiration de sa guérison. Les senteurs florales en cascade autour du druide pénétraient son armure en sève nourricière, de fines particules s’empreignaient dans les chairs de Myrddin pour lui offrir la complémentarité des forces d’une vie.


Arès trancha sa lance afin de la raccourcir en épée. Il en saisit le manche et l’arracha du bâton immédiatement rappelé par Myrddin. Arès passa au corps et corps. Sa dextérité impressionnante avait d’égal la puissance délivrée en chaque coup. Grisé par sa rage et son incommensurable force nourrie de hargne et de folie, le dieu s’abattait comme une comète contre un arbre. Myrddin parait grâce à son chêne cependant nulle percée ne lui était possible. L’étreinte d’Arès ne laissait place qu’à la défense, et une défense partielle à en croire les chairs lacérées de Myrddin et son armure déjà fissurée. Bientôt l’armure de la Coupe s’effrita totalement puis céda en une pluie argentée.


Myrddin fit un bon en arrière pendant lequel ses mains jointes invoquèrent l’Abondance. Son corps cicatrisa dans l’instant, mais son armure ne réapparut pas.


- A armes égales maintenant, asséna Arès. Cette fois c’est ton corps que je vais mettre en pièces.


L’épée tendue au-dessus de sa tête Arès sauta sur Myrddin qui agenouillé se protégeait de son bâton. Le saint apparaissait résigné, ainsi le dieu comptait bien trancher le minéral et l’organique en même temps. « Vorpale !  » La lame du dieu devenue noire sombra sur le druide. Au dernier instant Myrddin se dégagea. Portée par son élan, la lame d’Arès creusa le sol d’un profond précipice. En un mouvement aussi rapide que la lumière, Myrddin se releva et brandit son bâton. Devant l’apparition éphémère du Capricorne, le druide pria : « Excalibur ! ». Le bâton de chêne se dispersa soudain, dévoilant sous ses chairs végétales une lame acérée. Le vent lui-même saignait à son contact. L’épée trancha le bras armé du dieu. Myrddin s’en saisit dans l’instant pour le jeter jusqu’au gouffre de la mort.


Arès resta pétrifié par la surprise. C’est en voyant son bras et son arme disparaître qu’il retraça les événements, et comprit enfin que le chêne n’était autre que le fourreau d’Excalibur.


- Tu payeras ça de ta vie ! cracha Arès.

- Je m’attendais à un discours plus élaboré de la part d’un dieu. Il semblerait que tu guides mieux les hommes que tu ne te guides toi-même. Je ne suis pas surpris. La guerre est beaucoup plus fragile qu’on a tendance à le croire.

- Voyons pour la fragilité.


Arès tourna le dos à Myrddin, s’éleva dans les airs et fondit sur les spectres. Il en saisit un à la gorge qu’il s’employa à broyer d’un coup sec. Il prit la tête d’un autre et la lui arracha. Il attrapa une jambe d’un spectre et le fit tournoyer à une vitesse vertigineuse avant de l’envoyer contre un autre. Le choc brisa les surplis et les corps. Enfin Arès saisit un surplis encore intact et en arracha une jambière ressemblant à s’y méprendre à une masse d’arme. Alors il replongea vers Myrddin pour l’asséner de coups. Du plat de sa lame le druide détournait les attaques.


Arès suintait l’agressivité. Ses coups ébranlaient le Yomotsu Hira, générant des failles issues du gouffre de la mort. Le bouche infernale craquelait et emportait dans sa déchirure nombre d’ombres processionnaires.


Lors d’un face à face, Arès se retourna brusquement pour se jeter de dos dans les bras de Myrddin. Le druide eut un mouvement de recul mais déjà la tête du dieu venait de percuter celle du saint. Un coup de pied arrière força Myrddin à reculer, et dans cet aveuglement et cet élan, Myrddin se laissa surprendre. Arès lâcha sa masse, empoigna la main armée de Myrddin, son genou lui brisa le bras puis il arracha la lame des mains du Celte. Par une volteface invisible Arès guida Excalibur à travers le cou de Myrddin.


Le saint ne bougeait plus. Son cou ne saignait pas. De l’entaille à peine discernable naquirent des papillons ; peu à peu le corps entier du druide se mua en d’innombrables papillons luminescents. Ils voletaient ci et là, épars mais proches, individualisés mais solidaires. Une voix dispersée dit au dieu :


- Penses-tu m’avoir tué uniquement car mon corps n’est plus ? Chaque papillon est une âme qui par ma voix réclame vengeance. Tes morts me nourrissent, Arès, et assureront mon salut tant que tu vivras.

- En attendant je préfère avoir des muscles que des ailes si facilement arrachées.


Ce disant Arès harponna un papillon auquel il arracha les ailes. Son corps chu puis explosa sous le talon de la Guerre. D’une voix caverneuse, Myrddin prévint :


- Tu veux jouer avec les âmes, Arès. Prends garde, elles brûlent. O Ghel an Heu !  (5)


Les âmes du Yomotsu Hira, jusqu’alors inéluctablement poussées vers la bouche de l’Enfer, s’immobilisèrent un instant. Pour la première fois depuis une éternité leur procession cessait. Ils se tournèrent vers l’exclamation qui les appelait, qui les invoquait. Eux, autrefois et bientôt fertiles, reconnaissaient le chant des moissons, l’appel de la régénérescence, le souvenir de la floraison. Eux aussi avaient fleuri, avant de suivre les pas de millions d’autres. Eux aussi avaient dégusté la sève de la vie, aussi amer puisse-t-elle être. Au final, avaient-ils aspiré à autre chose que la paix pour eux, et pourquoi pas pour les autres ? Au final, leurs traumatismes et leurs peurs envolées, oui, ils connaissaient déjà un soupçon de la paix par l’approche de la mort, et comprenait maintenant sa saveur intouchable.


Voir la Guerre en ce lieu souillait les consciences retrouvées. D’un mouvement collectif les âmes se dirigèrent vers le dieu, l’encerclèrent et allèrent jusqu’à le toucher, le frapper de leurs chairs flétries, le condamner de leurs regards absents, lui crier leur colère par des cris issus de bouches vides.


Arès brûla un cosmos suffisant pour éliminer toute ombre une centaine de mètres à la ronde, et répéta le mouvement lorsque les âmes l’assaillirent de nouveau. Pourtant l’immensité du Yomotsu Hira amenait toujours de nouvelles victimes. Indéfiniment, inlassablement les silhouettes sombres s’acheminaient vers Arès tels des vers sur un fruit. Leur régulière étreinte se compliqua pour Arès lorsque les papillons de Myrddin vinrent jouer devant son visage. Le dieu tentait de les trancher de sa lame mais une aura blanche portait avec dextérité et assurance ces êtres fragiles. Plusieurs papillons se collèrent à sa main et sous la brûlure intense Arès lâcha Excalibur.


Des milliers d’âmes ombragées s’agglutinaient maintenant autour de la Guerre jusqu’à empêcher le cosmos divin de percer la masse. Arès les repoussait sans trop de mal cependant leur force augmentaient sous la libération d’une ultime flamme de colère.


Les papillons se rejoignirent en un battement d’aile. Leur cohésion redonna forme à la silhouette de Myrddin dont le mouvement sec eut les allures d’un spasme. Mouvement unique et suffisant. Excalibur traversait Arès du menton au sommet du crâne. Les yeux du dieu se désynchronisèrent, tournés vers l’une ou l’autre direction en de glauques convulsions.


L’éphémère Myrddin observa le dieu agonisant. Plus que susciter sa colère, il lui faisait pitié. Les papillons parlèrent à l’esprit du dieu.

 

- Ce n’est pas moi qui te tue, Arès, mais les âmes des hommes unies contre la Guerre. Ce sont des mortels, ce sont tes morts, qui se sont lassés de toi et ont signé ta perte.


Les ombres se dispersèrent, recroquevillées, peureuses, redirigées vers la bouche des Enfers, c'est-à-dire ici même. Leur départ révéla en effet à deux pas des duellistes le gouffre de la Mort.


La figuration de Myrddin délogea Excalibur du crâne d’Arès. Se sentant chuter, le dieu voulut saisir le cou du chevalier pour l’entraîner avec lui. Sa main se referma sur un unique papillon. Le dieu chuta, s’effaça parmi l’obscurité de la mort, la main serrée sur une âme inconnue.  


 


Un spectre vola jusqu’aux papillons. Il savait Myrddin sur le point de s’éteindre. 


- C’est une belle victoire, Myrddin.

- Combien ont survécu ?

- Vingt-huit spectres.


Dans le silence qui suivit, les papillons commencèrent à se disperser. Les âmes vengées retournaient à leur errance. Avant leur départ, le spectre interrogea :


- Quelles sont les consignes ?


Une voix évanescente lui répondit :


- Restez ici au cas où d’autres adversaires vous seraient envoyés. Le Sanctuaire a ses protecteurs, et je leur fait confiance. Ils trouveront en eux la même unité qui nous a octroyé la victoire. Adieu.


 


***


Aux abords de Jupiter, Calaïs fut vite gagné d’inquiétude. Depuis l’explosion d’Io, l’Altis était entraîné par la force gravitationnelle de Jupiter dans une accélération constante. A la proue du bateau, Calaïs tentait en vain de freiner le navire. Rien à faire, il gagnait chaque instant en vitesse.


Jupiter formait un ciel face à eux tant elle s’étendait, vaste et insondable. Les nuages formaient des rideaux gris et ocres en mouvance autour de l’astre. Ci et là des tornades naissaient, mêlant les couleurs, prêtant à la planète l’apparence de la vie.


Un dernier obstacle séparait les Altinautes de la planète, et c’est vers cette barrière qu’était attiré l’Altis. Autour de Jupiter flottait un unique anneau, cerne blanche dont les froides exhalaisons parvenaient déjà aux voyageurs.


« Nous allons nous écraser ! » prévint Calaïs avant de quitter le navire. L’Altis percuta de plein fouet l’anneau de glace. Nikè n’y résista pas, elle vola en éclats. L’olivier et le chêne furent déracinés du pont. Sheliak et Hyoga furent précipités sur l’anneau avec une force telle qu’ils perdirent connaissance.


 


Bien loin de là, Ki-lin ouvrit lentement les yeux pour découvrir un spectacle auquel il s’attendait : la noirceur de l’espace, quelques astres éloignés, et surtout, un silence palpable tant rien ne venait le perturber. A l’instar d’Héphaïstos il errait au hasard de l’espace, projeté dans une direction inconnue par l’explosion d’Io. Sa sensibilité au cosmos lui permettait de puiser en l’espace l’air nécessaire à sa survie. Ainsi allait-il flotter jusqu’à l’extinction de son cosmos, jusqu’à ce que son cœur décide de mettre un terme à cette vie si belle, si triste, tellement chargée de mélancolie, ô combien savoureuse. Ki-lin observait sa vie d’un œil satisfait. Les aléas de sa longue existence valait toutes les richesses du monde, et s’il nourrissait naturellement une maigre déception quant à ne pas savoir ce qu’il adviendra de la cause pour laquelle il se sacrifie, son amour de l’existence lui permettait de placer ce regret au rang de souvenir terni par l’éclat du reste de sa mémoire.


L’un des soleils de son humanité vint d’ailleurs visiter son esprit. Neferia apparut, perdue dans une de ces danses voluptueuses auxquelles Ki-lin avait assisté en secret.   


Ah, douce Egyptienne, jamais tu ne sauras combien mon cœur s’est attaché à ta présence. Comme j’ai aimé retirer ce masque qui cachait ta beauté, comme je me berçais de ta voix malgré son intonation haineuse, et quel combat tu m’as offert lorsque enfin, amoureux de ta danse, je pus y mêler la mienne, me fondre en tes effluves, imaginer un temps que nous dansions le ballet que je souhaitais construire avec toi. Te voilà libre, Neferia, libre de ta haine, et de cette étincelle d’amour étouffée par notre incompréhension. Puisses-tu être aimée autant que ton cœur le réclame.


 


Des hauteurs des murailles, Neferia se sentit envahie d’une émotion indéchiffrable. Pourquoi pensait-elle tout à coup à Ki-lin alors qu’aucun enchaînement de pensée ne l’y avait menée ? Son intuition embua ses yeux. Il pensait à elle, et ce ne pouvait être que pour lui faire ses adieux. Mais pourquoi ? Comment ? Neferia observa le ciel et n’y distingua rien. Que s’était-il passé là-haut ? Où en étaient les Altinautes, et surtout, leur capitaine les guidait-il toujours ?


L’étrange tristesse enserrant Neferia lui répondait assez clairement, et la troublait tout autant. Longtemps le saint du Dauphin avait souhaité la mort de Ki-lin, mais sa maturité naissante lui avait dévoilé l’aveuglement de sa haine et de son incompréhension à l’égard de Ki-lin. Elle avait depuis substitué à son désir de meurtre un avide désir de connaissance. Son impatience à retrouver Ki-lin se nourrissait du temps perdu à l’avoir haï. Et qui sait, peut-être découvrir Ki-lin lui ôterait-il cette culpabilité dont Neferia se sentait entachée. Et puis, lui montrer que son enseignement avait porté ses fruits. Lui montrer qu’en effet, Neferia était femme, quel que soit son titre par ailleurs. Décidément non, elle ne pouvait se résoudre à savoir Ki-lin disparaître. Elle refusait l’évidence, et pour s’en convaincre l’Egyptienne arracha le pendentif d’Atlantis de son cou et le brandit en l’air dans un mélange de colère et de larmes, proclamant :


« Nous avons une affaire à régler tous les deux, tu n’as pas le droit de fuir notre duel, tu me dois une revanche ! Ki-lin, entends-moi ! Tu ne peux pas abandonner, pas toi ! Ki-lin, si tu m’entends, prends ce pendentif ! Je t’en prie, prends-le, montre-moi que tu vis. KI-LIN !! »


La jeune femme criait son nom avec force, comme pour pallier son impuissance à sonder les cieux et lui porter secours. « Ki-lin… murmura-t-elle, je veux savoir qui tu es. »


Au creux de la main de Neferia le pendentif perdit consistance, clignota un instant puis disparut. Les chairs de l’Egyptienne tressaillirent. Ce ne pouvait être que Ki-lin. Il l’avait entendue. Il est en vie.


 


Lorsque Ki-lin serra dans son poing le pendentif d’Atlantis, l’eau se libéra du cristal et humidifia sa main. Le saint porta un doigt sur ses lèvres. Le sel y pénétra, au goût partagé entre mer et larmes. Porté par sa dérive, il ferma les yeux puis plaça les mains sur son torse, bercé par ce qu’il croyait être sa dernière pensée.


Ses mains heurtèrent un objet qui se délogea de sa tunique. Le carnet d’Hipparque. La relique flottait dans l’espace face au visage de Ki-lin. Ouverte, elle semblait hésiter à dévoiler les écrits. Ki-lin envoya un léger souffle qui fit défiler les pages jusqu’à la dernière. Familier avec l’écriture miniature du saint, il put lire :


 


Je regarde la vie laissée derrière moi et n’y vois finalement rien. J’ai l’impression de m’éveiller à la vanité humaine cruellement représentée par ma propre inutilité. Qu’ai-je réalisé ? En quoi ai-je contribué à l’harmonie de ce monde ? Je me suis enivré d’imaginaire pour m’échapper du présent, pour le voir de loin en croyant y trouver le recul nécessaire à la contemplation passive d’un monde que je condamnais. Mais le seul que je condamnais, c’était moi. Etranger à la réalité par choix, je me suis emprisonné dans des réflexions et des raisonnements qui parfaisaient l’égarement de mon esprit. Et aujourd’hui, alors que je prends enfin conscience que jusqu’ici j’ai longé une voix sans issue, je me retrouve dans une nouvelle impasse qui me mène sur des routes auxquelles je ne suis en rien préparé.


Ma nudité me permet-elle de conserver assez de chaleur pour nourrir une foi qui m’a échappée ? Ma prétendue sagesse née d’opinions diverses ne se fondait que sur l’incertitude et celle-ci me rattrape pour mieux faire exploser à ma vue ma douloureuse ignorance. Dans quel cachot de mon âme puis-je découvrir la sensation de m’orienter selon mes propres choix et non en fonction des tribulations de mon expérience ?


Je ne sais plus en qui accorder ma confiance, ayant perdue celle que je me vouais ; je ne sais plus si mes actes et mes pensées sont hérétiques face à un prétendu Destin ou si la vie où tout se joue dans le présent réclame notre investissement sincère et entier, auquel cas je n’ai pas construit les bases nécessaires pour pouvoir y répondre.


L’univers qui m’entoure vient de m’envahir. J’y vois les possibilités illimitées qui lui sont offertes mais cette infinité ne me laisse aucune roche où poser mes pieds, où je pourrais respirer en me disant que le pas suivant me portera selon la certitude d’avancer. Non, je flotte, vide, dans le doute dont je fus épris, et je ne sais plus ni qui je suis, ni ce à quoi j’aspire. Je rêvais de percer les mystères du Vivant, je n’ai même pas résolu l’énigme de ma propre personnalité.


Chacun autour de moi s’agite, s’enflamme, se bat et se sacrifie ; chacun a osé laisser faner des parts de son être pour développer ce qui lui permettrait de défendre une cause louée par un cœur en mouvement. Mon cœur ne répond plus, et la peur de mal faire se fond en celle de simplement faire.

A quoi bon continuer dans ces conditions ? Ce courage dont je ne me sens en rien familier, je ne le découvrirai pas maintenant qu’au pied du mur il faudrait déployer ma quintessence. A quoi bon être un poids pour les autres, leur instiller un doute qui ne ferait que ralentir un épanouissement mis en œuvre depuis le plus jeune âge ? Ai-je un jour cessé d’être poussière ? 


Ô, Univers, toi qui m’a donné vie, je me suis montré bien indigne de toi. Toi qui m’as réuni, je n’ai employé le miracle de l’existence qu’à me disperser. Puisque ma conscience s’est fragmentée jusqu’à ne plus trouver aucune cohésion en mon être, il ne me reste qu’à laisser mon corps se dissoudre à son tour ; redistribuer les particules qui me composent dans l’espoir que mes atomes contribueront à constituer une nouvelle entité qui cette fois pourra peut-être faire jaillir une étincelle de vie digne de la création.


Je me jette en toi, Univers. Je me rends à la merci du hasard et m’abandonne à ton étreinte intangible.


Adieu, mes amis, vous à côté de qui je suis passé. Puissiez-vous garder l’illusion de vous battre pour l’avancée d’un monde éphémère.


Hipparque


 


« Hipparque… » chuchota Ki-lin. Emprunt de souvenirs du Sextant, son esprit perçut sa présence lointaine, perdue parmi l’immensité.


- Alors tu es toi aussi perdu dans l’espace, pensa Ki-lin à haute voix.

- Mais c’est le destin que j’ai choisi, contrairement à toi, dit Hipparque à travers sa pensée. Ta dérive est le fruit de ton sacrifice, non celui de ta volonté.

- Me sacrifier était ma volonté. Tu comprends de quoi je parle.

- Ki-lin… je n’avancerai pas plus avant dans les pensées dont tu as pris connaissance, cependant si je me perds en âme et conscience, ta perte est absurde. Tu as toujours lutté pour tes idéaux, et même si ceux-ci me restent obscurs, je respecte ce courage que tu plaçais au cœur de tes actions. Un être si déterminé n’a pas le droit de disparaître vainement. Désires-tu vivre, Ki-lin ?

- Plus que jamais.

- Alors permet à ma vie de s’honorer d’une vie sauvée avant d’être effacée par l’oubli. Brûle, Bélier, brûle ton cosmos que je te localise, je te renvoie sur Terre.   


Ki-lin intensifia sa cosmo-énergie. A nouveau tout s’enchaînait plus vite qu’il ne s’y attendait. Condamné un instant plus tôt, il croisait un cœur, conversait avec une âme et se trouvait maintenant à invoquer l’énergie cosmique du Bélier.


Depuis une distance inimaginable naquit un faisceau lumineux. Ki-lin vit la lumière s’éloigner de lui selon une trajectoire parabolique avant qu’elle ne revienne fondre sur lui pour l’entraîner dans son sillage. Le coup entraîna le saint à une vitesse vertigineuse dans la direction d’un astre encore indiscernable… Gaïa.


 


***


Si les intrus étaient capables de décimer une armée, pensait Altaïr, leur entrée au Sanctuaire prenait un sens évident. Ils ne s’attaqueraient pas aux saints mais à un ennemi bien plus puissant, à un adversaire à leur taille, Thanatos. La montée du Zodiaque leur était ainsi indispensable. Altaïr fondit vers le temple du Bélier. Il en scruta la terre et retrouva la suave odeur précédemment perçue. L’ascension avait commencée. Le saint traversa les maisons à tir d’ailes imaginaires. Ce n’est qu’aux portes du Lion qu’il rattrapa les inconnus. Ceux-ci semblaient l’attendre.


Altaïr stoppa. Aucun ne disait mot. Le trio s’observa un instant, peu prompt à la parole. Devant l’Indien se trouvaient deux silhouettes contrastées et enserrées dans une cape. L’une d’elle se tenait droite, haute, digne. Altaïr se sentit inexplicablement rasséréné. Bien qu’il ne distingue pas son visage, il la savait femme. Légère comme une plume, discrète et pourtant si évidente, si familière et étrangère à la fois. Altaïr eut du mal à en détacher ses yeux.


La deuxième silhouette se révélait courbe, difforme, presque animale. Aucune respiration ne troublait l’immobilité de la cape. La seule chose devinée fut le reflet d’un cristal au niveau du front. Au-delà de l’apparence surprenante, l’absence d’aura troublait Altaïr. Il eut pu saisir du cosmos quelques éléments, quelques indices quant à l’âme de l’inconnu, pourtant rien n’émanait de lui. L’Indien eut l’intuition d’une dissimulation volontaire, mais dans ce cas, pour cacher qui ? Le doute ne subsistait plus. Altaïr avait déjà croisé la route de ce… de cette créature. « Alors qui ? » s’interrogea-t-il.


La femme mit fin à son questionnement. Elle s’était approchée sans même qu’Altaïr la remarque. Soudain à son côté, imprévue et source d’un sourire irrépressible. Les mains féminines s’émancipèrent de la cape. Un cheveu d’or glissa le long de son poignet. Elle caressa la main de l’Indien et tourna légèrement la tête pour qu’un rai de lumière vienne éclairer le bleu éclatant de ses yeux.


- Doux jeune homme, tu irradies tant d’amour. Merci… Les battements de ton cœur célèbrent la vie, je suis heureuse de les entendre. Alors vois, ce qu’en retour je peux t’offrir. Regarde autour de toi comme ce monde est beau malgré sa souffrance. Le Zodiaque nimbé de soleil, les plaines un jour fertiles, et ce sentiment unique que nous partageons à l’instant. Nos yeux savent dessiner la beauté. Puisse-tu conserver ce regard, et tu resteras en mon cœur. Rares sont les hommes tel que toi, Altaïr. Permets que je t’embrasse avant de te quitter.


Des lèvres fines, douces et parfumées frôlèrent le front de l’Indien. Après un sourire, la femme fit volte face dans un effluve floral puis pénétra dans le temple. Altaïr semblait paralysé. Son émotion empêchait son corps de bouger, de se concentrer sur autre chose que la sensation évanescente du sillage de la femme. Femme ? Altaïr esquissa un sourire. Déesse…  


Son sourire ne dura pas. Ses yeux se tournèrent vers l’autre inconnu. Cette fois la volupté n’interviendrait pas. L’Indien chassa la belle de ses pensées afin de se focaliser sur son adversaire. D’un ton neutre il demanda :


- Vous êtes un squelette, n’est-ce pas ?

- Squelette est un bien faible mot. Liche serait plus approprié.

- Je vois. En tant qu’entité magique, vous possédez donc une aura. Pourquoi la résorber, auriez-vous peur de vous mettre à nu comme en témoigne cette cape ?

- Tu me fais pitié avec tes palabres. Les mots sont aisés tant il s’envolent facilement. Les cicatrices, elles, restent gravées. Tu veux voir les miennes, bien ! Regarde, l’Indien, et vois comme ta nudité est risible face à mon dépouillement.


La liche déchira sa cape. Ses os traçaient une silhouette intermédiaire entre celle d’un homme et d’un félin. Une crinière d’améthyste ceignait ses vertèbres et sur son crâne luisait un cristal similaire. Son bras gauche était absent, amputé. Sa main droite et ses pieds présentaient des os allongés en griffes. Altaïr frémit.


- Comme on se retrouve, Altaïr. Ennemis d’un jour, ennemis toujours, il faut croire. Agonie Sanglante !


L’assaut fut fulgurant. Projeté en arrière, Altaïr vit le sang jaillir de son corps, lacéré. Il s’effondra et se surprit à respirer. L’attaque l’avait volontairement épargné.


- Tito…

- Tu te rappelles mon nom ? Pas moi. Il ne signifie plus rien.

- Que t’es-t-il arrivé ? demanda Altaïr.

- Tu le saurais si tu ne m’avais pas oublié sitôt mon agonie.

- J’étais prisonnier.

- J’étais mourant. Mon bras se consumait. Je me suis amputé pour sauver mon corps du poison. Blême de faiblesse, je n’ai reçu aucun secours de ceux qui se prétendaient mes frères, de celle qui se clame notre déesse. Le seul à m’avoir trouvé fut un guerrier d’Asgard. Je pensais qu’il m’achèverait. Au lieu de cela il m’a enfermé dans un cercueil d’améthyste, et j’entends encore sa voix me prévenir : « Les saints t’ont déjà oublié. Tu verras que tu n’as pas de frère, pas d’ami. Tu vas pourrir dans l’indifférence de ceux qui prônent l’amitié. » Il avait raison. Mes chairs se sont flétries, les derniers soupçons de mon espoir en vous s’est brisé. Et vous n’avez rien fait. Sans avoir déjà croisé la mort, je ne serais plus de ce monde. Et j’aurai préféré. Cette putain de vie pèse trop lourd. Et une seule a su l’alléger. Elle m’a trouvé et alors que j’attendais la mort, elle m’a libéré du cercueil. Dès lors ma haine pour vous s’est déchaînée et crois-moi, Athéna va payer pour son hypocrisie, pour sa fausse utopie.

- Tito… je… je suis désolé.

- Tu espères me soulager ? Regarde tes belles phrases, elles passent à travers ce corps que je n’ai plus. La douleur seule assure ma cohésion, et je ne vous permettrai plus de promettre douceur quand même la mort des hommes n’arrache aucune larme à vos yeux. Je vous hais, d’autant plus intensément que j’ai eu la faiblesse de croire en vous. Meurs, chien, toi et ta déesse ne méritez pas mieux. Agonie Sanglante !


Cette fois Altaïr s’envola pour esquiver. Mais les griffes naissaient des alentours de l’Indien et fusaient vers lui. Altaïr eut beau se protéger, il fut expédié jusqu’aux colonnes du Cancer que son corps fracassa. 


Tito reprit son ascension. Sa course le faisait déjà sortir du temple du Lion.


 


D’un vol léger, la compagne du Lynx arriva au Parthénon dont les portes s’ouvrirent. La salle des trônes fut bientôt illuminée d’une aura aussi brillante que la rosée matinale. Thanatos se leva, descendit les marches le long du tapis rouge pour faire face à son hôte. Un rameau d’or dans une main, une plume du Phénix dans l’autre, la femme salua :


- Bonjour à toi, créature des Enfers.

- La belle a fini par rejoindre la bête.

- Toujours amoureux des jeux mots à ce que je vois. Mmm… c’est bien d’être amoureux, aurais-tu finalement un cœur ?

- Quel dommage qu’à ton charme ne se mêle un esprit fin. Tu eus fait succomber même les dieux.

- J’en ai eu bien assez, crois-moi.

- Si tant t’ont vu nue, pourquoi te cacher à mes yeux ? Puisque je n’ai pas de cœur, te voir ne suscitera aucun émoi.


Un instant d’attente. Puis la femme esquissa un sourire et fit glisser sa cape jusqu’à ses pieds. Le soleil perçait les vitraux. Le flot de lumière portait les couleurs, déployait la lumière jusqu’aux habits chatoyants de la déesse. Vêtue d’une tunique à l’éclat de rose, à la douceur de pétales, la déesse de l’Amour arborait un sourire à faire chanter les Muses. Des rais de soleil se libéraient de sa chevelure, ses lèvres semblaient un lit où régnait le plus doux des conforts. Ses yeux vibraient des vagues de sa naissance, l’écume y jouait comme autant d’appels à la légèreté. Aphrodite…


- Il y a bien longtemps que nous ne nous étions plus croisés, dit la déesse. Les circonstances en tracent pourtant l’évidence, et je m’amuse à penser que nous représentons assez fidèlement le combat d’Hadès et d’Athéna.

- Tu verras donc à l’issue du combat comment se conclura la guerre des Olympiens.

- Seulement il faudrait que je gagne pour te satisfaire. Allez, admets que tu m’attendais pour me livrer tes protégés.

- Aphrodite, la mort te reste décidemment bien étrangère. Tu trouves tant de plaisirs en la vie que tu ignores ceux de la mort. Ils sont pourtant bien réels, et toi-même ne resterait pas insensible au silence des Enfers. Si tu voyais les plaines du royaume souterrain, ses collines et montagnes, ses fleuves, aussi rouges soient-ils. Si tu voyais combien la souffrance alimentée depuis l’aube des temps par le sacrifice d’Hadès sait embellir les Enfers d’une douleur née des plus belles émotions, tu pâlirais face à ta vision réduite de la beauté. La haine est le négatif de l’amour, mais pour qui sait regarder, les mêmes traits s’y révèlent, et pour qui sait lire, les sentiments délétères dessinent une foi nourrie d’espoir.

- L’espoir d’un monde sombre où la force domine.

- Pauvre ignorante. As-tu aussi été leurrée par l’histoire mille fois contée ? Tu étais là pourtant, tu connaissais l’enjeu. Tu sais ce qui fut interdit puis plongé dans l’oubli, et c’est toi, Aphrodite, qui me parle de noirceur ? Comment peux-tu ainsi te mentir à toi-même et condamner ce dont tu fais l’apologie ? Tu ne vaux pas mieux que les mortels, j’en réalise d’autant mieux combien servir Hadès est un honneur. Oui je suis un dieu, et personne ne saurait m’ordonner à part Hadès, car j’accompagne le souverain des morts, le philosophe sans âge, avec la certitude d’œuvrer pour le bien.

- J’aurai tout entendu ! Ta solitude t’a rendu fou, Thanatos. Puisque la raison t’a abandonné, je vais devoir t’écarter avant de rejoindre l’Erechthéion.

- Il t’est impossible de me vaincre.

- L’Amour est plus fort que la Mort, je suis bien placée pour le savoir.

- Mais il reste une arme contre laquelle tu n’es rien. Quelque chose capable de te faire pâlir, quelque chose dont furent victimes les dieux de votre courroux, de votre intolérance, de votre peur. Prépare-toi à disparaître, Aphrodite !


La déesse eut un mouvement de recul. Elle caressa sa nuque, plongea ses doigts dans ses cheveux qu’elle agita pour libérer des bourgeons. Ils éclorent dans l’instant, s’épanouirent en fleurs puis les pétales se libérèrent pour venir danser autour d’Aphrodite. L’aura d’Aphrodite s’y lovait, se gorgeait de senteurs, de volupté, puis revenait voleter autour de la déesse, densifiant sans relâche une cosmo-énergie protectrice. Les yeux d’Aphrodite étaient fleurs ouvertes, elle irradiait une paix inexpugnable. Jamais la mort ne pénètrerait le cocon floral, sous peine d’y prendre vie dans l’instant et d’y disparaître.


Thanatos ouvrit les bras. Les ailes de son surplis s’écartèrent, s’agrandirent afin de toucher les murs en lesquels elles se fondirent. La noirceur du surplis se répandit jusqu’au plafond, le long des piliers, sur l’ensemble du sol, elle couvrait les vitraux, annihilant toute lumière. Le Parthénon s’assombrit jusqu’à la nuit. Toute issue avait disparu. Aucune porte ni fenêtre, partout la froideur de l’emprise de la Mort. Aphrodite s’inquiéta. Cernée, elle voyait sa prison se refermer lentement sur elle. L’étreinte se resserrait autour des pétales. Sa protection devenait son cachot. Vite, il fallait agir. Aphrodite devait attaquer pour briser ce carcan. La Mort ne lui en laissa pas le temps. Thanatos referma les ailes sur l’amour dans un chuchotement : « Oubli »


Les dieux se métamorphosèrent alors, se condensèrent, s’amoindrirent. Ils prirent la forme d’une fleur aux pétales insondables. Si la forme restait évocatrice, un regard sur ses pétales suffisait à plonger tout observateur dans l’oubli de son observation. Partout, sauf à sa vision. Ailleurs, étranger à l’immensité car perdu dans la vaste cellule de ses pensées. Fleur d’oubli, relique ignorée dans le temple esseulé à nouveau lumineux.


 


***


Au sommet d’une montagne ensoleillée, le cercueil s’ouvrit sous le regard blasé de Deimos. La Dame de Fer était efficace, parfois trop à son goût. La plupart du temps ses victimes succombaient à l’enserrement et aucune torture n’était possible. A l’étonnement du dieu suivit un sourire : le cercueil était vide. Une voix féminine se fit alors entendre à quelques pas :


- Que tes pointes me pénètrent, certes, mais ne gâchons pas les préliminaires, veux-tu ?


Les yeux injectés de désir de douleur, Deimos saisit le bras de Lilith d’une étreinte impérieuse. Il la plaqua contre la montagne avant d’invoquer les cordes qui vinrent retenir le spectre. Bien. Le dépeçage pouvait commencer. Deimos approcha son ongle du ventre découvert de la Succube. Cette dernière disparut alors pour se rematérialiser sur les épaules du dieu. « Quelle impatience, se plaignit Lilith en retirant son surplis pour se présenter nue. Ce n’est pas de sang que je désire être humide. »


Après avoir repoussé son parasite, Deimos plissa les sourcils. Les liens de la Terreur prévenaient toute téléportation et nul habituellement ne parvenait à s’en libérer. Lilith utilisait une autre technique. Les sens en alerte, Deimos saisit de nouveau Lilith, avec tant de facilité qu’il la devinait consentante. Il la sangla et dès son doigt trop proche le spectre réapparut plus loin.


- Je vois, dit Deimos. Tu es une succube, créature des rêves et donc immatérielle. Tu utilises mes fantasmes pour accéder aux songes, domaine à partir duquel tu peux revenir dans le monde matériel en un endroit différent. Intéressant. Et désormais inutile. Que mon esprit se ferme à ton regard.


Cette fois Lilith ne put se libérer de l’attache divine. A jouer avec le feu elle venait de se brûler ; les cicatrices restaient à naître. Un rictus aux lèvres, Deimos enfonça son ongle dans le ventre féminin. Du sang s’en écoula en rivière pourpre. Le dieu chercha dans les yeux de sa victime la naissance de la crainte. Ce fut peine perdue, et il se trouva fort décontenancé. Un gémissement de bien-être s’échappa du spectre. Il vit Lilith prendre une lente et lascive inspiration avant de passer sa langue le long de ses lèvres. Elle ouvrit des yeux plein de désir qu’elle dirigea vers le dieu.


Lorsque Deimos enfonça son ongle dans l’œil droit de Lilith, celle-ci se mordilla l’intérieur des joues. « Encore… » gémit-elle. Lilith profita de la surprise de Deimos pour trouver une faille jusqu’à son inconscient. Cela lui permit d’émanciper une main et d’amener celle-ci contre la joue de Deimos. « J’aime la souffrance. Et toi, y as-tu déjà goûté ? »


Ce disant elle lacéra la joue du dieu. Un filet de sang coula jusqu’à ses lèvres. Une goutte perla du menton pour atteindre la bouche du spectre. A côté de la curiosité du dieu se devinait un plaisir encore inexpliqué. Lilith mena son doigt jusqu’à l’oreille de Deimos, l’y glissa et appuya jusqu’à écraser le tympan. Deimos grimaça en même temps qu’il lâcha un râle, ou un soupir. Porté par une saveur nouvelle, il désira ajouter à cela la souffrance de Lilith. Sa main se fraya un passage à travers la peau pour atteindre la rate. Il la compressa, savourant déjà son explosion.


« Pauvre fou ! s’emballa Lilith en se libérant totalement de ses liens. Tu veux me faire souffrir ! Alors prends-moi comme une bête, fais-moi hurler de tes vices ! Guerroie en moi, Deimos ! »


Il n’en fallut pas plus pour que l’excitation nouvelle de Deimos se mue en désir de l’entendre crier. Il la saisit par les cheveux et l’envahit tel un astéroïde percute la Terre. Lilith hurla. Les griffes de ses ongles vinrent se planter dans les épaules du dieu. Grisé, il poursuivait son exploration aussi pacifique que la conquête des colons. Ses mains s’enfoncèrent dans le dos délicat. L’une d’elles coupait les liens entre organes, l’autre serrait le cœur pour ressentir ses battements convulsifs entre ses doigts.


Avec une souplesse de féline, Lilith se lova pour amener ses pieds sur la nuque du dieu dans laquelle elle inséra l’extrémité de ses griffes. Deimos commençait à trembler de plaisir. Ce jeunot débutait après tout… Il était donc temps avant l’effervescence fanée. Les griffes de Lilith jaillirent soudainement, finirent de perforer le cou de Deimos et l’arrachèrent d’un coup sec. La tête du dieu voleta un instant avant de choir sur les roches qu’elle dévalait pitoyablement.


Lilith dégagea le cadavre du dieu puis s’allongea de tout son long, exténuée. Le soleil frappait ses chairs et ses organes mis à nu. Des larmes s’arrachèrent difficilement des yeux du spectre. « J’ai mal… » D’un élan désespéré elle porta les mains sur ses blessures, hélas le simple contact de la peau ravivait une douleur déjà omniprésente.


« Hadès, mon souverain, je t’implore de m’achever. »


Lilith ferma les yeux. Ses muscles se relâchèrent. Elle ne souffrait plus. 


 


***


A la forêt fit suite une vaste plaine nimbée de soleil et parée de fleurs. Une couverture d’herbe baignait les pieds d’Asae, ainsi que les jambes d’une jeune femme agenouillée. Ses cheveux noirs se mêlaient aux herbes qu’elle caressait. Le murmure d’un chant parvint à Asae. Cette femme semblait sereine. A contempler sa grâce, Athéna la reconnut. Où était-elle, pour croiser ainsi la route de Perséphone ?


Soudain le ciel s’obscurcit. Perséphone fut gagnée d’une vive inquiétude en voyant les fleurs faner entre ses doigts. Le sol s’ouvrit à côté d’elle. Des émanations souterraines vinrent noircir le ciel dans un grondement caverneux. Porté par des chevaux noirs, un char sortit de la Terre. Mené par la main d’un dieu au sombre regard, l’attelage fondit vers la vierge. Hadès tendit son bras pour saisir Perséphone par la taille. Celle-ci cria, hurla le nom de sa mère. Déjà Hadès retournait dans les profondeurs des Enfers, sa prisonnière fermement serrée. Le sol se referma, les nuages se dissipèrent, il ne restait rien des fleurs, rien de l’herbe.


Les roches nues se délogèrent de leur mère, s’élevèrent et s’agencèrent en un temple similaire à celui d’Eleusis. Déméter se trouvait à son porche, voilée d’une cape dissimulant ses pleurs, la main appuyée contre le mur, la tête basse. Sa fille enlevée la laissait inconsolable. La Terre dépérissait à hauteur de la tristesse de Déméter.


En se rapprochant, Asae fut remarquée. Déméter observa un instant Athéna. Son regard exprimait un étrange mélange de reproche et de compassion qu’Asae ne sut interpréter. Puis la déesse entra dans le temple, chassant du doigt sa dernière larme. Cette dernière tomba au sol, s’infiltra et engendra un épi de blé dont la luminosité contrastait avec les ternes alentours.


A son tour Athéna entra. Le temple lui rappelait l’initiation aux mystères d’Eleusis, aux cycles de la vie, de la mort et de la renaissance. Elle eut prolongé le parcours de sa mémoire si ses pensées n’avaient été interrompues par la vision d’un homme au beau milieu du temple. Son visage lui était étrangement familier. Ses cheveux mordorés, son regard sylvestre… oui, cela ne faisait plus de doute. L’Asae masculine venait de s’incarner en homme.


- Animus, pour te flétrir.

- Nous ne sommes qu’un, Animus. Laisse-moi passer.

- Et bien passe, écarte-moi de ton chemin, mais si nous sommes un, comment prendre un chemin différent ? Je serai toujours avec toi désormais, jamais laissé derrière à l’abandon. Alors, tu marches à côté de moi ou tu tentes la schizophrénie ?

- Tu marcheras en moi et non à mes côtés. Le soleil n’éclairera qu’un corps.

- Dans ce cas choisissons le corps qui résiste le mieux !


Animus se lança tel un guépard vers Asae. Son poing fermé s’abattit sur le ventre d’Asae projetée contre le mur. Animus ramassa Asae par le col, la souleva d’une main et de l’autre la martelait de coups.

 

- Es-tu si peu féminine, ironisa Animus, que tu ne pleures pas sous mon poing ?

- Mon âme seule souffre, car elle ne te connait pas.

- Connaître, toujours connaître, comprendre… L’instinct ne suffit-il donc pas ?


Animus profita de cette phrase pour décocher un coup de pied au visage d’Asae. Il la souleva ensuite de ses deux mains, prit son élan et l’envoya la tête la première sur une colonne. Asae s’évanouit presque. Jamais auparavant son corps n’avait connu telle douleur. En vérité elle ignorait tout des combats physiques. Elle avait cependant appris à y résister. Bien qu’Animus continue de la martyriser en ne retenant rien de sa force d’homme, Asae se relevait sans relâche, les jambes un peu plus faibles, les épaules un peu plus basses, la tunique un peu plus rouge.


Lorsqu’à terre elle devait réunir le courage de se relever, Asae rappelait à sa mémoire l’entraînement de Shiryu. Elle se souvenait de ce jour où soumise à la neige, elle pensait qu’elle ne tiendrait plus tant le froid était vif. Shiryu lui ordonna de se baigner et à son retour, l’eau gela sur les chairs d’Asae, amplifiant la souffrance. Alors elle réalisa combien sa douleur précédente était risible et combien si elle avait eu cette perspective avant la baignade elle eut pu tenir sans problème dix minutes. La douleur pouvait toujours être pire, notre condition plus misérable, notre corps plus brisé. Si Asae souffrait, elle réunissait aujourd’hui tout ce qu’elle savait puiser de cet état, elle cristallisait toute force disponible.


- Frappe autant que tu voudras, Animus, je me relèverai toujours.

- Pourquoi ne pas m’attaquer ? Tu comptes me calmer en m’inspirant pitié ?

- J’ai promis à Shiryu de ne pas brûler de cosmo-énergie agressive, c’est là ton seul salut.

- Autant que c’est ta perte !


Animus avait raison. Asae le comprenait à mesure de son affaiblissement sous les assauts brutaux d’Animus. Elle ne mourrait pas mais Animus pourrait bien la rejeter du palais de Mémoire et ainsi l’empêcher de résoudre l’énigme d’Athéna. Il en était hors de question.


 


Shiryu, ton abandon malgré ta promesse constituait-il aussi un enseignement ? Tu es devenu parjure à mes yeux, et si j’en ignore la cause, je te connais assez pour savoir que cela était indispensable, que tu répondais à la nécessité. Ainsi les promesses d’un jour sont-elles tributaires de l’évolution du monde et des pensées ? Dans ce cas, Shiryu, tu comprendras que pour mon salut, je dois rompre ma promesse, et cela ne renie en rien le respect et l’amour que je  te porte.

Oui, il est temps que je sois mâle, que j’accepte cet homme de tous temps refusé. Puisqu’à mon corps le contact d’un homme restait interdit, comment aurais-je permis à mon âme de savourer cette complémentarité ? Il m’aura fallu devenir parjure afin de combler cette lacune. J’ai nommé mon amour, oui je désire un homme, je suis amoureuse et rêve de sentir nos sèves couler d’un flot commun. Pour cela je dois livrer ce que mes attentes plaçaient en lui. Cette force, cette assurance, je les veux miennes. Et mes douleurs parmi celles de Sheliak s’évanouiront en bonheur.

Approche, Animus. Mon amour m’accompagne, mes peurs gisent au sol sous mon désintérêt, je n’ai de parole à respecter plus que celle de te vaincre. Approche, embrasons-nous.


Animus se jeta sur Asae, le poing serré et nimbé de cosmos. Ce coup là serait meurtrier. Athéna plissa les yeux. Elle avança légèrement les épaules, joignit les mains desquelles naquirent des fines étoiles, recula les bras puis projeta ses mains en avant, hurlant d’une voie nouvelle : « Athéna Exclamation !  »


Animus fut englouti sous une lumière immaculée. Le temple, la plaine, le ciel, tout fut brisé, épuré. L’Athéna Exclamation mêla toute matière en un mélange de couleur source d’un blanc pur. Seule subsistait cette parfaite blancheur, omniprésente. Au milieu d’elle, Asae, portée par sa plénitude.


Après cette libération masculine, jamais la jeune femme ne s’était sentie plus proche de Sheliak. Leur amour manifeste ne peut que fleurir. Il est impossible à une telle évidence de ne pas voir le jour. Cette évidence prend les atours du Destin. Ce sentiment d’amour plonge jusqu’aux abysses, vole jusqu’à l’espace, s’enfouie jusqu’aux racines du monde. Son avènement est certain. Bien qu’unique, l’amour d’Asae résonne avec celui d’Athéna. Ils ne font qu’un, se galvanisent l’un l’autre, s’espèrent, se cherchent, et se retrouvent.


 


~----~----~----~----~----~----~


 


Note :


(5) "O Ghel an Heu" : En celte, cela signifie « La moisson se lève »


chapitre précédent - chapitre suivant







Recopier le nombre avant d'envoyer votre formulaire.




© 2002-2010 Animecdz. Tous droits réservés. Saint Seiya © Toei Animation, Bandai et Masami Kurumada