FAQ
![]()
Saint Seiya
![]() Figurines
![]() Fanfics
![]() Fan Arts
![]() |
Cette fiche vous est proposée par : Alwaïd La Trilogie Gaïa
Putain mais c’est pas vrai… c’est pas vrai… c’est pas une armée devant nous, c’est la mort ! Putain mais ils sont des millions ! Aller Enok, flanche pas, tiens l’coup mon gars. Mais merde pourquoi je m’retrouve en première ligne ? Regarde pas les autres, montre pas qu’tu flippes. Mais je flippe bordel, non sérieux j’suis pas là, j’suis pas là, c’est un pauv’ cauchemar ! Mais l’odeur de sueur et la peur autour de moi, pauvre cinglé, en moi, est bien réelle. Pourquoi moi ? Avec c’te vielle armure et cette lame pourrie… Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? Vous les entendez pas beugler ? Non sérieux, on va pas y aller, on va pas y aller. ’Tain tout le monde s’agite, eh ! poussez pas derrière ! Qu’est-ce qui se passe ? Oh non, là, sur les murailles… Bayer, le Caméléon. Vas-y au combat, vas-y, protège-nous, je t’en prie, fonce vers eux, le temps de retrouver un peu de courage. Je t’en prie Bayer, laisse-nous pas y aller… Non, non, t’incline pas vers nous ! Putain ça y est. Mais merde tout le monde s’élance autour de moi. Arrêtez de pousser ! Tout le monde court ! Eh mais vous allez me faire tomber ! OK je cours, tant pis j’me fais dessus, qui sentira ma pisse quand on sera couvert de sang ? Aller cours, cours, mais brandis ton épée bordel, défend-toi !! Cours, cours ou tu seras piétiné. Ils s’en foutent de toi, cours et tue, tue, c’est ta seule chance. Y s’rapprochent… non… pleure pas boulet, regarde en face. Vas-y il arrive, aller tend ton épée, vas-y frappe ! Fra… Le crâne d’Enok fut fracassé par un glaive asséné sans hésitation. Les lances se fichèrent en les armures, les cris d’agonie s’élevaient déjà, et une fois l’impact des armées amorti, deux marées s’affrontaient sur les hauteurs croissantes de cadavres entassés. Nul qualificatif ne pouvait exprimer cette boucherie. L’humanité faisait ici défaut, les hommes étaient bêtes et rien ne comptait sinon tuer, survivre. Combien d’hommes à terre virent leur face écrasée par les bottes de ses alliés livrés au combat. La moindre chute assurait la mort, ainsi que la moindre inattention, la moindre hésitation. Trancher, enfoncer, broyer. Il n’y a que ça. Tuer, tuer ! Les hommes d’Arès trouvaient dans cette bouillie une certaine satisfaction tandis que les Athéniens libéraient la violence développée par Adolf et la rage inculquée par Tito. Et si les ennemis hurlaient, galvanisés par un amoncellement de chairs, les soldats d’Athéna demeuraient silencieux malgré leur terreur, malgré l’exaltation salutaire à puiser au combat. Et leur silence fut récompensé. Les premières percussions arrivèrent à leurs oreilles ; dès lors la ligne de front se focalisa sur la défense et sur l’écoute, en attente de musique. Elle serait leur salut. There’s a natural mystic glowing through the air, Avec une rapidité reptilienne Bayer avait rejoint une caverne de la montagne sacrée où l’attendaient femmes et enfants. L’endroit constituait une parfaite caisse de résonance. Avant l’ouverture du bal, Bayer eut volontiers savouré un bon joint, cependant son dernier splif datait de sa joute avec Zeuxis. Ah, quelle belle occasion de célébrer l’ultime ivresse artificielle face à Zeuxis qui la décriait tant. Grâce à la musique des enfants et à la chorale des femmes, Bayer avait découvert la voie de l’euphorie naturelle. Y avait-il meilleure drogue que l’expression communautaire du plaisir ? Oui, cet abandon d’un peuple était grisant. Lorsque le Caméléon fut pour la première fois en présence de ce sentiment, il absorba cette volupté en sa mémoire et en ses chairs afin de retrouver aisément le porche vers de nouvelles extases. Et l’entrée en ce monde si étonnement unifié recelait finalement une certaine évidence. Sous la portance des trompettes, des basses, des percussions, des saxophones, des voix féminines, la transe familière subjugua bien vite le saint. Bouche de la montagne, la caverne jouait et chantait jusqu’à atteindre la plaine. Alors, les yeux portés sur l’ensemble des combats, Bayer se mit à danser. Ou se mouvoir, pour être plus exact. Les parties de son corps désynchronisées s’accordaient chacune au rythme, à l’émotion d’un instrument particulier. Et lorsqu’il se fut accordé aux musiciens, ce fut leur tour de suivre Bayer. De réceptacle musical le Caméléon se mua en chef d’orchestre sur lequel chaque regard était rivé. Le moindre de ses gestes recelait un message, une intonation. Son corps devenait une carte, une partition où chaque interprète trouvait le cheminement personnel qu’il devait suivre. Même le mouvement des dreadlocks servait de parole, car leur direction, leur vitesse et leur densité indiquaient aux femmes ruptures ou reprises, obscurité ou clarté, intensité. Et le lyrisme féminin lui répondait parfaitement. Les enfants jouaient en véritables professionnels. Mais pouvait-on parler d’enfants ? S’ils puisaient en ce jeu l’amusement de suivre un clown, leurs rigueur et investissement se montraient dignes d’adultes. Andvari pensait avoir tout vu. Ce spectacle le surprit à tel point qu’il ne trouvait matière à formuler une hypothèse quant à cet étrange manège. Pire, il sentait son corps contracter des muscles inhabituels qu’il contenait de son mieux. Bon sang mais… il avait envie de danser ! Allons, il n’allait pas se ridiculiser. Assez de ces foutaises. Andvari boucha ses oreilles mais au sein de la caverne, comme certainement à l’extérieur, il n’y avait nul moyen d’échapper à l’omniprésence musicale. Andvari céda, il nécessitait sa concentration pour autre chose qu’éviter de danser. Alors il dansa. Doucement, certes, mais perceptiblement. Le guerrier fut rassuré de voir que personne ne prêtait attention à lui. Tous scrutaient Bayer, et si leur regard pouvait ronger, Bayer eut été dévoré. C’est donc balancé d’un rythme sensuel qu’Andvari observa la plaine, et enfin il comprit. Il ne put s’empêcher de regarder de nouveau Bayer, puis les musiciens, puis la plaine. Oui, c’était bien ça… c’était bien lui… incroyable ! Relayée jusqu’aux combattants, la partition musicale devenait celle des affrontements. Instruments et voix relayaient parfaitement les consignes de Bayer. Là les sonorités graves d’une basse faisaient reculer les Athéniens en défense, là les trompettes généraient la formation d’une lance humaine plantée dans la masse adverse en ses points de faiblesse. Les instruments dictaient les actes ; l’unicité de chaque femme tenait le rôle du chœur parfaitement muable et divisible adressant à telle ou telle troupe le message des musiciens. Evidemment pas de refrain, pas de régularité sur laquelle s’appuyer. Selon le visage de la guerre Bayer dansait, les musiciens traduisaient et les guerriers dansaient leur violence dans une chorégraphie toujours changeante, toujours unie. Les Athéniens gagnaient en confiance devant leur percée. Ils grignotaient du terrain et ne piétinaient maintenant que les soldats d’Arès morts ou vivants. La musique les grisait, leur apportait une énergie renouvelée, leur cœur battait avec les percussions dont les à-coups accompagnaient la vibration cellulaire, car oui, les hommes se fondaient en une unique entité sous l’harmonie humaine. Ils se savaient liés, sentaient la présence et le soutien de chacun. Une saine émulation les gagnait, extrayant d’eux la quintessence de leur haine guerrière et l’essence de la symbiose. Les glaives de la Guerre tranchaient les membres, perçaient les chairs, pourtant l’épiderme athénien croissait sans relâche, se contractant pour prendre l’élan de se dilater en martelant le front adverse, phagocytant ici un noyau d’ennemis, digérant là un mur de boucliers. Malgré leur désavantage, les soldats de la Guerre se battaient seuls, ignorant ainsi la déroute générale. Leur fierté les insultait, eux si faibles devant une armée si misérable. Non, la victoire serait leur, et mieux, la gloire. Ils devaient briller, décimer les rangs, et impressionner Deimos lui-même. Doux rêve effacé par la mort, sous une musique insupportable.
« Je le savais ! » s’écria Lilith en voyant les monts de l’est noircir d’une vie grouillante. « Archers, tirez dès qu’ils sont à portée ! » Lilith sauta du rempart, s’agrippa à mi-hauteur sur une surface pourtant lisse, et telle une gargouille elle observa les arrivants. « Des arthropodes, gémit-elle, pff, rien de quoi se mettre sous la dent ! » Elle s’élança des murailles, ailes déployées, alors que plusieurs centaines de flèches fusaient déjà au-dessus d’elle. Elle survolait une invasion d’araignées entraînées par une vitesse qui leur permettrait bientôt d’atteindre les remparts. Les flèches chutaient au hasard, incapables d’appréhender la trajectoire animale. Rares étaient les araignées victimes des traits. Lilith volait à raz du sol. Jambes et bras écartés, ailes et queues déployées au maximum, Lilith présentait toutes les griffes de son surplis et remontait le courant ennemi en laminant des rangées d’araignées. « Trop nombreuses » râla le spectre. Les premiers arachnides entamaient leur ascension des murailles. Nombre d’entre elles furent alors transpercées et sombraient, mais autant surgissait et crachait un fil inamovible et empoisonné. Toute épée tentant de trancher la toile se voyait engluée, ainsi que tout corps humain maladroitement pris. Les archers se voyaient noyés de fils mortels, leurs tirs en devenaient plus incertains, encore moins efficaces qu’ils ne l’étaient déjà. Des pics jaillirent alors des murailles. Sensible au contact des araignées, la muraille générait autant de pics que d’assaillants. Les gargouilles courbées se dressèrent pour se laisser tomber, crocs et griffes en avant, nettoyant les murailles de présence adverse avant de retrouver leur emplacement et leur immobilité. « Cottos, pensa Lilith, tes mains faisaient décidemment des merveilles… » Arachné fit son entrée derrière ses guerrières. Elle leur intima l’ordre de ne plus escalader la muraille. Rien de tel qu’un filet pour capturer ses proies. Les araignées tissaient sans discontinuer pour projeter leur toile contre les murailles. Leur objectif était évident : édifier une passerelle visqueuse entre la plaine et les créneaux pour éviter les murailles. - Zeuxis, Andvari, qu’est-ce que vous foutez ? L’archer ne répondit pas. Sa bouche obstruée de sécrétion arachnide ne parlerait plus.
*** Saon gravit avec aisance le Mont Etoilé pourtant inaccessible aux hommes. Il contourna à pas de loup le temple isolé et trouva celle qu’il cherchait au bord du précipice, perdue dans l’observation de la guerre : le saint de l’Aigle. La tentation d’une petite frayeur fit céder Saon. Il avança furtivement jusqu’au dos de Marine et approchait déjà sa main pour lui donner une secousse certainement source d’un peu d’adrénaline, mais alors qu’il atteignait son but Marine se retourna vivement, saisit le poignet du saint, et lorsqu’elle le reconnut soupira : - Toi et tes blagues à deux balles…
*** A pas lents, Zeuxis avait rejoint le temple du Cancer après son échec contre Katharsis. Comme si cela ne suffisait pas, Bayer avait ensuite lancé les hommes contre l’armée d’Arès par des paroles emplies de bon sens et effectivement stimulantes. Il entendait maintenant la musique du Caméléon et son intuition lui dessinait assez bien l’ordre, la fougue et l’espoir que celle-ci transmettait. En rien il n’en voulait au saint ; au contraire il lui était reconnaissant de pallier ses propres insuffisances. Cependant cela faisait luire plus vivement encore la vanité du Peintre. Qu’avait fait Zeuxis pour les hommes sinon briller de mille couleurs inutiles dans l’arène du Colisée ? Et alors que les combats faisaient rage il restait terré dans un temple vide. Tête baissée, genou à terre au milieu de ses peintures silencieuses, Zeuxis se mordit les lèvres. Il aurait perdu sans l’intervention de Thanatos. Ses chairs meurtries le lui rappelaient chaque instant. Quelle humiliation. Pourquoi ? Pourquoi l’avoir sauvé alors qu’il échouait ? L’antre de l’Averne réapparut à son esprit. Il y revit Thanatos arracher le pinceau du cœur de Morphée puis le jeter à ses pieds. « Tu en auras besoin » lui avait-il asséné sans que Zeuxis comprenne, sans même qu’il réalise le symbole de la rétribution de son arme : la Mort le désirait puissant. Et bien ce fut vain car je ne sers pas la Mort. Et ma puissance est illusion puisque j’ai failli à Athéna. A quel instant ai-je pensé à vous, Déesse, durant mon combat ? Quelle force ai-je puisé de ma foi, moi qui ne cherchais qu’en moi-même ? L’éclat de mes couleurs a terni votre aura trop lointaine, j’ai perdu Athéna dans mon reflet d’argent. Puis-je être encore surpris de ma défaite, de mon asphyxie d’orgueil enfin soignée par ma mort volée ? Le Peintre serra les poings. Des larmes sans âge échouèrent sur les dalles. Athéna, pardonnez-moi.
Au galop dans la plaine, Altaïr et Smyrna entraînaient derrière eux un flot de guerrières. Ils approchaient par l’unique zone dégagée, la partie nord-est, petit espace épargné entre les griffes des hommes et celles des araignées. L’indien orienta sa monture vers l’armée d’Arachné mais il entendit les destriers de ses compagnes suivre une autre direction. Smyrna les menaient contre les Athéniens. « Pauvre naïf, lança la reine, tu as oublié que nous sommes les filles de la Guerre. Tu croyais vraiment que nous allions te suivre ? » Ce disant elle ajusta une flèche et la décocha immédiatement vers Altaïr. L’Indien la dévia d’un geste. - Ma vie ne t’appartient plus, Smyrna. Choisis ta voie, puisque tu veux rester sourde, mais tes guerrières disposent aussi du libre arbitre. Amazones, cria-t-il, vous connaissez les vertus que je défends. Vous en entendez maintenant l’expression communautaire et découvrirez bientôt la force de cette union. Aujourd’hui ce choix est vôtre. Suivez Smyrna et la Guerre sans comprendre pourquoi vos sœurs rendent l’âme ou suivez-moi et participez à l’émancipation des femmes et des hommes, à la liberté d’expression de leurs passions, à la construction d’un monde où la fierté prend source de nos embellissements et de nos joies plutôt que des fontaines de sang offertes à vos épées. Lançant sa monture en direction des araignées, Altaïr clama : « Avec moi, Amazones ! » Près de la moitié des amazones, soit quelque trois cent guerrières quittèrent les rangs. Le choix eut été plus délicat si Altaïr leur avait proposé une paix immédiate, toutefois la perspective des combats conte Arachné conforta les amazones dans leur décision. Aussi le souvenir de Penthésilée était encore frais et plusieurs n’avaient pas eu le temps de s’attacher ou de trop trembler devant leur nouvelle reine. Smyrna ragea. Elle saisit une flèche de son carquois, l’envoya à main nue et l’accéléra par son esprit avant de la scinder en dizaines de flèches dirigées vers les traîtresses. Altaïr prit appui sur sa selle et fit un salto arrière pour atterrir derrière les cavalières. Il pointa du bout de son arc un point sur le sol où vinrent se ficher l’ensemble des flèches irrépressiblement attirées. - Nous sommes libres, Smyrna, tes flèches n’y changeront rien. Je retrouve en présence du Sanctuaire le souvenir de mes compagnons. C’est pour eux que je me bats désormais. Et j’ai promis à un ami qu’il n’arriverait rien à Asae avant son retour, alors si vous êtes les ennemis d’Athéna, vous devenez les miens. Mais ne m’obligez pas à vous tuer, vous qui avez contribué à mon épanouissement. J’ai pire démon à affronter. L’Indien soutint longuement le regard haineux de la reine. Emprunt d’un profond calme il ne cillait pas, malgré Eole jouant dans ses habits, dans sa chevelure. Smyrna cracha à terre. « Attend un peu qu’on se retrouve, Altaïr. » Elle lança ses centaines de guerrières en direction des Athéniens.
« Pas trop tôt ! » s’exclama Lilith à la vue d’Altaïr. Déjà les traits fusaient avec une précision et une rapidité parfaitement maîtrisée. La cadence de tir impressionnante des amazones se manifestait par une chute massive d’araignées. Leurs cadavres couvrirent rapidement le sol. Les tisseuses abandonnèrent leur ouvrage pour s’attaquer aux cavalières, cependant les montures rivalisaient de vitesse avec le déplacement des arachnides. A projectiles autant menaçants et célérités similaires, le combat virait à un ballet d’attaques et d’évitements où seules de rares inattentives trouvaient la mort. Lilith profita de la confusion pour survoler et laminer les corps bien trop poilus. Altaïr gravit la toile avec une légèreté telle que ses pieds n’y restaient pas pris. Au sommet des remparts il fit s’élever les flèches des archers gisants et les lança sur ses adversaires. Arachné joignit ses mains afin d’engendrer une vaste toile capable de stopper la course des projectiles. Elle s’employa ensuite à paralyser Altaïr par des salves de sécrétions gluantes. Il sautait de toiles en créneaux avec l’agilité d’un aigle. Chacune de ses flèches rencontrait un jet arachnide annihilant la menace. Il lui fallait donc se rapprocher. Au bas des murailles après un vol aisé, Altaïr courut vers Arachné, dague à la main. Une ombre née du ciel passa sur lui fugitivement. Altaïr la reconnut, et comprit. Arachné fit mouche. L’élan de l’Indien fut stoppé brutalement. Les toiles ne cessèrent de fondre sur lui que lorsqu’il eut entièrement disparu sous le cocon tissé au plus serré. De ses pattes Arachné attirait le mortel à elle, crochets tendus en prévision du corps si facilement pénétrable. Bientôt le poison digestif s’écoulerait en ses veines. Le corps d’Arachné fut littéralement transpercé. Lilith s’était projetée toutes griffes dehors dans le dos du monstre afin de le traverser de part en part. Tête et pattes volèrent sous le choc. Lilith vira et d’une caresse des moins romantiques vint déchirer le cocon d’Altaïr. - Merci dit-il, j’ai eu peur un instant de m’être trompé. Dans un bruissement funèbre la Succube s’éleva au dessus de l’Acropole pour disposer d’un aperçu des combats opposants hommes contre hommes. La musique battait son plein. La fête était bien là. L’attaque des amazones forçait les Athéniens à des éruptions humaines tentant d’engloutir les cavalières. C’était peine perdue, et il ne restait plus d’archers pour tirer des hauteurs. Les traits féminins grignotaient progressivement le flanc droit des Athéniens. Heureusement ces derniers disposaient d’une avance confortable sur l’armée d’Arès. Nombre de corps pourrissaient déjà derrière eux. Certes les amazones piquaient leur organisme mais il y survivrait. Ils doutèrent pourtant de leur survie lorsqu’ils entendirent des clameurs derrière eux. La dernière ligne se retourna et découvrit d’innombrables hommes levés et en pleine forme. Ils s’étaient écroulés, simulant l’agonie ou la mort, et dans le chaos personne ne leur prêtait plus attention. L’attente et les piétinements furent fructueux : plusieurs milliers de soldats prenaient en tenaille les guerriers d’Athéna, et ils n’attendirent pas pour se jeter contre eux. En pleine transe, Bayer fronça les sourcils. Musiciens et chanteuses firent preuve d’une attention particulière. Depuis plusieurs heures leurs doigts et leurs souffles n’avaient trouvé repos, et l’inquiétude du Caméléon signifiait une intensité nouvelle à libérer. Lui ne témoignait d’aucune fatigue, sinon la perte de son sourire. Il devenait difficile de voir en Bayer un véritable humain. Secoué de spasmes, la voix aux sonorités instables, ésotériques, le saint semblait inspirer les sons et expirer la fougue de ses à-coups. C’est sans doute portés en transe qu’enfants et femmes le suivaient à travers une telle osmose, une évidence retrouvée où la force des uns nourrissait celles des autres. Sous les rythmes doublés et les voix couvrant une gamme plus large, l’entité humaine solidifia ses défenses arrière et latérales. Les faux morts se heurtaient à la même résolution que celle de la première ligne. Les hommes du Sanctuaire prirent conscience que dos à dos, ils se protégeaient mutuellement. Cela ne fit que renforcer leur détermination et leur foi en l’unité, ainsi l’effervescence envahit les Athéniens. Tous lancés au combat, leurs cœurs battaient au même rythme. Unis parmi leurs différences, ils ne craignaient plus rien. Dépassés par tant de confiance et de vitalité, les soldats de la Guerre n’avançaient plus. A l’est un toit de boucliers recevaient les flèches des amazones et répondait par la formation d’un fouet fauchant quelques femmes surprises par le mouvement. Devant l’inutilité affligeante – et pourtant prévisible – des mortels, Deimos se décida à envoyer sa quarantaine de berserkers finir les deux cent milles Athéniens. Il était temps d’en finir. Sans les hommes le Caméléon ne valait certainement rien, quant aux autres saints ils avaient démontré leur faiblesse devant les berserkers. « Assez des hommes, dit Deimos. Décimez-les dans une mer de sang et marchons sur le Sanctuaire. » « Enfin ! » s’excita Lilith lorsqu’elle vit les berserkers trouer la membrane, s’insérer en les Athéniens tel un virus. Le corps athénien souffrait d’hémorragies internes, et il semblait qu’à l’épanchement du sang répondait la folie meurtrière des berserkers. Lilith plongea vers l’un d’eux. Elle atterrit dans son dos, se fit légère comme une ombre et d’un geste preste trouva un chemin à travers la Sueur pour atteindre du guerrier le membre le plus inutile à la guerre. Elle constata avec plaisir la proportionnalité entre l’armure et sa capture. Dans un murmure, Lilith gémit une invocation langoureuse. Le guerrier fut pris d’une violente secousse. Sa virilité ainsi aliénée, le berserker se sentit d’une faiblesse inconnue. Sa furie venait de tomber et pour la première fois sensible à la fatigue des combats, il n’aspirait qu’à dormir. La main couverte des fruits de sa victoire, Lilith vola vers sa prochaine victime. Les hommes quant à eux découvrirent vite l’apaisement du berserker. Tous ceux le cernant se jetèrent sur lui pour le frapper sans relâche jusqu’au dernier soupir de la bête.
Avec les berserkers en jeu, la tâche de Bayer devenait ardue. Il lui devenait difficile de danser plus vite. La priorité revenait donc à l’élimination des fous de guerre affaiblis par Lilith. Nombre d’hommes y étaient nécessaire mais ce sacrifice demeurait indispensable. La musique devenait assourdissante. Les mains des enfants saignaient mais chacun tenait bon, encore un peu, jusqu’à la victoire en laquelle ils croyaient. A côté de Bayer, Andvari dansait tel un africain déchaîné. Dans son extase il s’était même rapproché de Bayer. Pourtant ses mouvements se calmèrent peu à peu et il regagna son immobilité. La comédie avait assez duré. Soudain la musique stoppa, les femmes cessèrent de chanter, les Athéniens s’arrêtèrent un instant de combattre, Bayer ne dansait plus. L’instant d’attente de l’armée d’Athéna offrit l’occasion aux hommes d’Arès de briser la membrane solidaire. Berserkers et amazones s’en donnaient à cœur joie. Le corps d’Athènes explosait et les regards perdus des guerriers du Sanctuaire cherchaient en vain dans la perplexité de leurs pairs la complicité perdue. Il n’y résidait plus que la terreur. Bayer baissa les yeux. De son torse saillait une lame d’améthyste. Lorsque Andvari retira son épée, Bayer se retourna lentement. Plus que l’incompréhension, son regard reflétait la tristesse. « Pity… » lâcha-t-il dans un flot de sang. Ses genoux cédèrent, Bayer s’écroula sous le regard hébété des artistes. Une auréole de dreadlocks cernait le visage du saint. Dans un geste difficile il ramena sa main à sa bouche, l’embrassa puis souffla un baiser vers la danseuse de son cœur. Son sang devint linceul. Son sourire fut adieu.
*** Ki-lin reprit connaissance après le choc du Ragnarök. La main sur le front, il demanda : - Tout va bien Hyoga ? Pas de réponse. Ki-lin fut soudain envahit d’une intuition inquiétante. Il se tourna vers le chêne mais ne vit personne à sa cime. Après réflexion, le saint réalisa qu’il n’avait plus vu Hipparque depuis la libération des hécatonchires. Il escalada prestement le chêne pour confirmer l’absence de son compagnon. Pas de trace d’Hipparque, sinon sa plume plantée dans l’écorce, et fichée par la plume d’écriture, son carnet. Avec anxiété Ki-lin s’en saisit. « Hipparque, pensa-t-il, qu’as-tu fait ? » Il ouvrit le carnet et entama la lecture lorsque l’Altis s’arrêta net, comme s’il venait de heurter un mur. Ki-lin manqua de chuter. Il rangea le carnet puis d’un bond rejoignit le pont. - Que se passe-t-il ? La planète occupait maintenant presque tout le champ de vision des Altinautes. Ki-lin regarda alentour et distingua au loin un petit satellite. Cela suffit à confirmer ses doutes. - Zéthès, Calaïs, regardez à gauche, voici Io. C’est le corps solide le plus actif du système solaire. Sa surface est couverte de volcans. D’ici on peut deviner l’une des colossales éruptions qui ont cours régulièrement sur ce satellite. Après un temps, Ki-lin répondit : - Je crains qu’il nous ait quitté. Hyoga et Sheliak se gardèrent de tout commentaire. Ils connaissaient le prix des guerres et leur cortège de tragédies dont le sens se perdait dans la confusion des combats.
A portée du satellite, Ki-lin salua ses compagnons et sauta du navire. Zéthès vint le soutenir et l’emmena à pleine vitesse vers Io. Ils voguèrent entre les hauts volcans, survolèrent plusieurs lacs de lave et se posèrent dans une plaine aussi morne que les terres de l’Hadès. L’odeur de souffre était omniprésente et suffocante. « Reste à l’écart des combats, ordonna Ki-lin. Trouve un accès aux entrailles de l’astre pendant que je m’occupe d’Héphaïstos. » Zéthès s’exécuta. Il abandonna le saint pour parcourir le satellite. Ki-lin n’attendit pas longtemps. A trois endroits autour de lui le sol s’ouvrit et autant de plateformes en ascension firent apparaître trois silhouettes colossales dont le rire servit de présentation. Leur unique œil était rivé sur le chevalier qu’ils encerclaient. Les cyclopes, hauts comme dix hommes, s’amusaient déjà à l’idée de jouer avec cet amuse-gueule de mortel. Outres leurs muscles forgés aussi assurément que leurs armes, les cyclopes disposaient respectivement d’un pieu rougeoyant, d’un fouet enflammé et de gants garnis de pointes incandescentes. Ki-lin ne broncha pas. Il restait droit, le regard rivé sur le cyclope face à lui. - Je n’ai pas de temps à perdre avec la piétaille. Où est Héphaïstos ? Le monstre lança avec vigueur son arme vers Ki-lin. Ce dernier se contenta de tendre les mains, et un instant entouré d’un fin cosmos, le saint arrêta le pieu sans mal et le renvoya à son expéditeur. - Vous avez donc aussi peu dans les muscles que dans la tête ? Ne voyez-vous pas que je suis un chevalier d’or ? Il faudra vous énerver plus que ça pour espérer m’inquiéter. Le tour de vos bras est la mesure de votre force, n’est-ce pas ? Sachez que je me bats avec une aide qui vous sera toujours étrangère et vous assure la défaite. Pauvres ignorants, ne savez-vous pas que je ressens et utilise l’énergie du cosmos ? L’univers vous est extérieur, il m’est intérieur. Vous ne pouvez rien contre moi. Allez, je vous donne une deuxième chance de me donner tort, mais ce sera la dernière. En colère, le cyclope brandit de nouveau son pieu, contracta ses muscles jusqu’à les faire éclater en éruption de lave puis projeta son arme avec la force d’un volcan trop longtemps contenu. La suite se passa si vite qu’il fallut un temps aux ennemis pour comprendre ce qui venait de se dérouler. Dès le pieu lancé, le regard du Bélier s’était tourné vers le cyclope au fouet, le plus robuste des trois. Le front du saint libéra une éphémère lueur et dès lors le cyclope fut téléporté entre Ki-lin et le pieu lancé à pleine vitesse. Le colosse fut transpercé par le coup mortel de son compagnon. Il mourut dans un râle, dévisageant son meurtrier avec haine. - C’est déjà mieux ! nargua Ki-lin. Encore un effort et on pourra peut-être appeler ça un combat. Exaspéré par tant d’insolence, le cyclope aux gants chargés de pointes tendit les bras et cria « Eruption ! ». Des flots de lave jaillirent de ses mains. Cette décharge massive de magma n’avait rien à envier aux volcans alentour tant il semblait impossible de contenir une telle une puissance. « Mur de Cristal » invoqua calmement le Bélier devant qui apparut un mur invisible dont la présence était révélée par de discrets reflets cristallins. La fine protection ne se contenta pas d’arrêter l’attaque, elle renvoya la lave parée d’une vitesse lumineuse. Le cyclope croisa les bras afin de se protéger. Ainsi il ne vit pas le Bélier s’élancer derrière le flot de magma, et c’est au dernier moment, lorsqu’à bout portant il apparut au sein des vapeurs brûlantes, que Ki-lin en appela aux étoiles : « Stardust Revolution ! » Une pluie d’étoiles filantes fondit sur le cyclope, s’enfonça en ses chairs, cribla son corps de brûlures consommant jusqu’aux os. Pulvérisé par l’assaut, il ne restait du cyclope que des amas pantelants. Ki-lin se tourna vers le dernier adversaire. Il plaça les bras au repos le long de son corps et releva doucement la tête pour plonger son regard dans l’unique œil du cyclope. Le fouet de ce dernier restait inerte ; visiblement le colosse hésitait, ne pouvant quitter Ki-lin du regard et n’osant encore prendre la fuite. Il suffit au saint d’élever un bras pour faire céder son opposant qui prit ses jambes à son cou. Mais le fuyard se heurta vite à une armure plus large que lui. Il dut lever la tête pour découvrir le visage en colère d’Héphaïstos. « Tu devrais savoir que je n’aime ni les faibles ni les lâches ! » gronda le dieu en enfonçant son poing dans l’œil du cyclope avant de lui broyer le cerveau. Puis, à l’attention de Ki-lin : - Ta petite armure fait des merveilles. Je suis impatient de l’ajouter à ma collection de jouets. Un ballet d’étoiles naissantes prit vie autour des mains de Ki-lin avant de se jeter sur le dieu. La cosmo-énergie libérée fut telle que son éclat d’or fut visible de l’Altis. Héphaïstos ouvrit les bras pour offrir à tout son corps les coups du Bélier. Et le dieu souriait, car il sentait à chaque assaut son armure se gorger d’une force cosmique en constante expansion. C’était prévisible, comme en avait présagé leur combat au Vésuve : l’armure du dieu absorbait toute attaque. Combien d’énergie avait-il pu y cumuler durant ses millénaires d’existence ? « Commençons doucement… décréta Héphaïstos. » A mesure que le cosmos d’Héphaïstos croissait, Io semblait y réagir par son tremblement. Des coulées de lave et des fissures apparaissaient en de nombreux endroits, formant autour des combattants un maillage de lave de plus en plus serré. « Nuée Ardente ! » A l’appel du dieu plusieurs volcans entrèrent en éruption. Les projections de lave et de gaz prirent Ki-lin pour cible et s’abattirent sur lui. Le saint s’était téléporté, mais dès qu’il réapparut la nuée ardente fonça de nouveau sur lui. S’il se contentait de bouger pour esquiver la nuée, celle-ci se divisait pour mieux encercler Ki-lin. Alors il se téléportait de nouveau pour gagner un maigre sursis. Tant d’énergie se voyait dispensée dans la défense que l’attaque demeurait inenvisageable, d’autant que l’armure divine d’Héphaïstos rendait toute offensive favorable au dieu uniquement. Ki-lin avait craint cette éventualité mais s’y était préparé. Ainsi perdu dans ses réflexions, Ki-lin se laissait aller à la facilité d’un schéma de téléportation le menant souvent sur la plus large des plateformes cernées de lave. Cela n’avait pas échappé à Héphaïstos. L’analyse des mouvements de son adversaire lui permit de prévoir la matérialisation du saint et c’est d’un violent coup de marteau qu’il l’accueillit. Ki-lin fut projeté contre une montagne dans laquelle il s’enfonça de plusieurs mètres. Sans son armure d’or il n’aurait jamais survécu à un tel coup. Déjà la nuée se jetait sur Ki-lin, alors en un clin d’œil le saint se téléporta de nouveau. « Zéthès, j’ai besoin de toi. » Héphaïstos abattait son marteau sans discontinuer, et pour la seconde fois Ki-lin fut surpris par une attaque portée dès sa réapparition. Il s’apprêta à recevoir le coup, anxieux pour sa vie, cependant le marteau fut dévié par une bourrasque aussi soudaine que puissante. Le vent saisit Ki-lin au passage pour l’entraîner au loin. La nuée comme Héphaïstos localisaient sans mal le cosmos du chevalier ainsi ils s’élancèrent immédiatement à sa poursuite, et le trouvèrent. Ils distinguèrent l’aura solaire du Bélier immobile au sommet de la plus haute montagne. D’un bond le dieu la gravit pour abattre son marteau au moment où la nuée ardente étouffait l’aura. L’arme se heurta aux cornes d’un Bélier d’or. La nuée ardente ne trouva chair à consumer ainsi elle se dissipa. L’armure d’Athéna gisait, seule, face à Héphaïstos perplexe. Ki-lin apparut plus bas sur le versant opposé, visible depuis les hauteurs d’un piton rocheux. - Encore vos techniques de lâche, geignit Héphaïstos. Mais dis-moi, tu crois aller loin sans armure ? Indifférent au dieu du feu, Ki-lin s’agenouilla et ferma son regard. - Ô, mystérieux Hadès, gardien des hommes et des richesses de la Terre, je brûle un autel en ton nom pour m’accorder ta grâce. Reçois le symbole de ma dévotion, je t’offre le Bélier d’Athéna. L’habit sacré se consuma dans une libération d’énergie digne du soleil. L’armure évanescente irradiait le feu solaire dont elle s’était gorgée des générations durant. Héphaïstos hurlait de douleur, les mains sur les yeux. Il n’avait pu détourner son regard du fragment de soleil, et en devint aveugle. En rage, Héphaïstos cria : - Tu vas me le payer ! Ki-lin profita de la confusion pour faire un signe de tête à Zéthès. Le vent vint le saisir et l’emporta. Les dents serrées, les muscles bandés, Héphaïstos demeurait sur la montagne. Il faisait appel à ses souvenirs pour dessiner Io à son esprit. Son intuition divine le guiderait ensuite vers ce morveux auquel il arracherait membre après membre. Seulement le cosmos de Ki-lin était déjà loin. Héphaïstos pesta. « Soufflet Astral ! » Le manteau d’Io craquela de toutes parts sous l’assaut d’un magma vivifié. Bien vite le fin manteau se disloqua. Les montagnes devinrent îles parmi des flots brûlants. Il était inutile de vaincre le dieu pour ouvrir la voie à l’Altis, et Ki-lin le savait. Io en tant qu’entité astrale générait le champ de force à annihiler. Mais si pour vaincre une conséquence il faut en supprimer la cause, Ki-lin n’avait plus le choix. Zéthès avait découvert un antre par lequel s’enfoncer jusqu’au cœur du satellite, là où le métal régnait en maître. Ils étaient déjà à couvert dans cet atelier des profondeurs lorsque la surface d’Io devint océan de lave. Au milieu de la vaste caverne, Ki-lin concentra son dernier flamboiement. Nimbé de cosmos, l’esprit calme, il présenta ses mains ouvertes paume devant paume. Il ferma les yeux pour mieux ressentir les pulsations d’Io et les reproduisit entre ses mains. Puis il rapprocha lentement ses paumes pour comprimer l’astre miniature. « Extinction Stellaire…» Io fut secouée de son ultime frisson. Son explosion secoua l’Altis et le cœur des Altinautes. Les corps d’Héphaïstos et de Ki-lin furent projetés dans l’espace. Au cœur de la déflagration, la cohésion des vents de Zéthès ne fut plus assurée et il fut dispersé parmi l’univers. La route vers Jupiter était ouverte, pourtant c’est sans joie que Hyoga, Sheliak et Calaïs sentirent l’Altis reprendre son avancée.
*** Le corps d’Asae lui parut soudain d’une légèreté incroyable. A observer son corps, la jeune femme réalisa qu’elle était redevenue enfant. L’Asae des cinq Pics, dont la peau lisse reflétait l’insouciance, l’innocence. Parée de sa conscience de femme, l’enfant marchait dans l’obscurité d’une forêt d’oliviers. De lourds nuages ne laissaient pénétrer aucune lumière. Seuls les éclairs dévoilaient les formes décharnées des arbres. « Athéna ! » appela la voix d’une enfant. Pallas courait vers Asae, réjouie, l’envie de jouer imprimée sur les lèvres, le plaisir déjà dans les yeux. Asae tendit sa main pour la recevoir, mais aveuglée par un éclair, elle ne vit que par son ombre ses doigts raidis se ficher dans le cœur de Pallas. L’enfant se mit à pleurer, chuta et perdit souffle. Son corps se transforma en statue de bois qu’Asae ramassa et serra de toute force. Une écharde trancha la paume de sa main d’où s’écoula du sang. Une douleur de l’enfance d’Athéna venait de la submerger. Elle devrait désormais vivre avec le même poids, le même alourdissement de sa conscience, la même culpabilité. A moins… d’oublier. Pour avancer, pour construire sur d’autres fondations que celles du reproche. Croire en sa pureté afin de la développer pour le salut des hommes. Asae lâcha la statue et poursuivit son avancée. Quelques années supplémentaires dessinaient de fins reliefs sur son visage. Ses doigts plus longs se féminisaient timidement. Au pied d’un olivier, une adolescente tissait. Intriguée de trouver une personne célébrant son art, Athéna approcha, un doux sourire aux lèvres. L’adolescente ne prêtait pas attention à la déesse, entièrement absorbée par sa création, par le dessin magnifique dont elle était à l’origine et qui fit pâlir Athéna. Furieuse de trouver une œuvre digne des siennes mais émanant d’une mortelle, la colère d’Athéna généra un souffle de vent et un éclair. Une branche d’olivier vint lacérer la joue d’Asae alors que son ombre proférait une malédiction à l’adolescente. Dans un cri abominable, celle-ci se transforma en araignée. Sa souffrance se lisait en chacun de ses yeux, en chaque tressaillement de ses pattes. Arachné subissait la torture d’Athéna. D’un revers de main Athéna essuya le sang de sa joue. Elle venait de faire preuve d’un orgueil bien indigne des vertus prônées par son cœur. Mais après tout, n’était-elle pas la guerre ? Oui mais une guerre raisonnée, dont le but est la prospérité pour ceux qui chérissent la justice et savent faire fleurir la Terre. Athéna reprit sa marche. Son âme était troublée. Bien des faux pas l’accompagnaient. Comment pouvait-elle agir ainsi à l’encontre de son cœur ? Asae commença à ressentir la peur d’elle-même, de ses actes incontrôlés. L’oppression de cette forêt ajoutait au malaise d’Asae. Puisse-t-elle en trouver rapidement la sortie. En attendant, Asae s’évertuait à repousser ses pêchés jusqu’à son inconscient. Hélas cela procurait d’autant plus de force à l’aura sombre et invisible d’Asae. Son ombre semblait s’accroître à chaque éclat de lumière. Le temps d’un éclair, Athéna entendit : « Tu es cette forêt, tu n’en sortiras donc jamais. » Puis les éclairs se succédèrent et Asae localisa enfin son interlocuteur. A ses pieds dansait son ombre émancipée de sa source. Ombre tournait autour d’Asae, apparaissait et disparaissait au rythme des éclairs. Asae courut. Elle voulait fuir, tourner le dos à l’obscurité d’Athéna, la rejeter pour mieux recommencer. Elle courait mais Ombre ne s’éloignait jamais de son corps. « Cours, Athéna, cours aussi loin que tu le voudras, ton chemin te mènera toujours sur la voie des hommes que tu as fait souffrir. » Asae buta contre un corps agonisant. Oisin. Ombre planta une lance d’obscurité dans le mourant. Le tranchant de l’arme ouvrit les chairs du bras d’Asae. La déesse se remit à courir. Elle enjambait les cadavres qu’elle avait menés au combat. Ombre laissait apparaître sur sa route les victimes d’Athéna dont Asae provoquait de nouveau la chute. Alcinoé à l’amour condamné, Méduse maudite puis assassinée, ces femmes soumises à une tragique Envie sous les ordres d’Athéna, les troyens décimés sous sa fierté bafouée, et tant d’autres humains châtiés par celle qu’ils devaient vénérer. L’Ombre était le bourreau, Athéna le commanditaire silencieux. Ombre se mit à rire devant la peur d’Asae. Elle ouvrait les cachots de son âme et la noirceur se répandait pour diluer l’ichor divin. Chaque révélation, chaque souvenir ressuscité blessait Asae dont la souffrance devenait trop lourde. Elle avait peur d’avancer, de croiser plus de monde. Dans son immobilité, Ombre tournoyait autour d’elle et continuait de griffer ses chairs et sa conscience. Des éclairs embrasèrent les oliviers alentours, générant autant d’ombres. Dans un élan sauvage Asae voulut se relever et décimer sa propre personnalité. Elle voulait laminer son reflet sans teint, le broyer entre ses mains, le déchiqueter de ses dents, le piétiner dans une gerbe de sang, le perdre dans le chaos puis l’oubli. Cependant la seule victime de ces attaques serait elle-même. Alors Asae eut peur. Tremblante, elle cherchait la cause de cette voie de sang. Pourquoi ses mains donnaient la mort alors que son cœur poursuivait l’amour ? Ainsi c’était cela. Oui, Athéna se connaissait assez pour savoir qu’elle rêvait d’amour. Mais celui-ci lui avait été interdit ; elle n’en connaissait plus le chemin. La tolérance, l’humilité, l’équilibre de l’amour devinrent étranger à Athéna. La Guerre en prenait d’autant plus d’importance et devenait source de schizophrénie. L’Amour de la Guerre, la Guerre de l’Amour. Puisqu’elle avait rejeté son amour comme elle refoulait ses crimes, elle trouva le premier parmi les seconds. Ses cicatrices vivifiées témoignaient chacune d’un manque d’amour. Ce sentiment manquait à Athéna pour qu’elle puisse se targuer d’être déesse de justice, déesse protectrice des hommes. La perspective amoureuse lui faisait défaut, elle s’en trouvait incomplète, sauvage, solitaire. Solitaire… Sheliak assaillit le cœur d’Asae. Ô oui, avec lui mon cœur enflammé est ouvert à l’amour. Mes bras s’étendent et deviennent doux, mon regard apaisé dévoile la beauté de chaque être, je suis miséricorde, je pardonne aux inconscients. A être si heureuse, je veux partager cette joie et voir les hommes sereins. Sheliak mon doux Sheliak, tes mots comme tes yeux savent extraire de moi le meilleur de mon âme… Comme tu me manques… Asae se releva. Ombre stoppa. La déesse scrutait son inconscient personnel. Si elle aimait Sheliak, Saori avait précédemment aimé Seiya, et les autres incarnations d’Athéna avaient certainement aussi été sujettes à l’amour. Cela signifierait-il qu’Athéna elle-même fut éprise ? Asae s’en convainquit. Elle se berçait de l’idée qu’Athéna put aimer librement. Après tout, puisqu’elle était aujourd’hui Athéna, et puisque Hadès avait rompu son serment d’abstinence, rien n’empêchait désormais Athéna d’aimer. Les yeux sur ses ombres, Asae finit par accepter ses fautes. Impossible de revenir en arrière, certes, mais l’avancée demeurait contrôlable. Puisqu’elle marchait vers l’amour, elle le chercha en elle-même et retrouva les valeurs qui toujours avaient réchauffé son cœur. Oui, Asae se sentait femme de bien, et devinait Athéna de même. Enfin rassérénée, les chairs d’Asae s’emplirent d’amour propre. Lorsqu’elle tendit la main, ses ombres l’imitèrent. « Mes erreurs passées, ma honte et ma névrose, puisque nous sommes uns, marchons ensemble. Je n’ai plus peur de vous puisque je vous sais miennes. Allons, mon Ombre, j’ai appris à t’aimer, car sans toi je ne serais pas Athéna. La douleur que tu m’infliges illumine mon désir pacifique, alors nourris-moi de ta mémoire lancinante pour que je n’oublie pas quelle mousse mes pieds recherchent. Accompagne-moi, Ombre, sois l’obscurité qui tracera ma lumière. » Les oliviers finirent de se consumer. A travers les nuages en dispersion, la lune fit son apparition. Ses rayons dessinaient derrière Asae une ombre unique. La déesse leva lentement les bras, son ombre fit de même. Elle pensa à Sheliak, et le cœur gonflé d’amour, elle se mit à danser avec lenteur, caressant la terre de son ombre docile, balayant le ciel de ses mains amoureuses.
*** « Les amazones ont l’avantage » pensa Altaïr. Il pouvait donc les laisser achever les araignées pendant qu’il retournait au Sanctuaire afin de secourir Bayer, si secours restait possible. A peine eut-il contourné la montagne sacrée qu’il ressentit un grand vide. Paralysé par cette sensation, il hésita un instant mais trop intrigué il retourna vers l’est. Seul le vent apportait son et mouvement. La plaine était sans vie. Amazones comme araignées gisaient dans un silence angoissé. « Comment… ? » chuchota l’Indien, le regard pénétré de douleur. D’un bond svelte il rejoignit les cadavres. Femmes et animaux semblaient avoir été balayés en un coup. Leurs corps tranchés en plaies similaires présentaient des membres épars. Vigilance. L’ennemi était certainement proche. L’Indien scruta les environs, les murailles du Sanctuaire, le ciel, mais n’y découvrit rien. Ses sens ne détectaient aucune présence alentour. Le regard rivé au sol, l’odorat en alerte, Altaïr marchait, scrutait le sol, enjambait les cadavres, totalement absorbé dans sa concentration sur le sol. Il fallut du temps à l’Indien pour découvrir ce qu’il espérait trouver : des traces qui n’appartenaient ni aux amazones ni aux araignées. Qui plus est une suave odeur tissée en les airs provoquait une incroyable sensation d’apaisement. Pas de doute, il tenait sa piste. L’empreinte au sol dévoilait deux pieds nus. Cette constatation le surprit. Après étude plus détaillée Altaïr réalisa que plus que nu, les pieds étaient décharnés. Ces traces étaient celles d’un squelette. A force d’observation sa vision s’éveilla à une autre empreinte, légère comme Eole, caresse à la Terre, tout juste un effleurement déjà disparu mais jamais oublié. Et l’odeur venait de ces pas. Une odeur de fleur, à côté de celle de la mort. La piste longeait les murailles. Au sud, Altaïr releva les yeux. La mer poursuivait son ascension. Une centaine de mètres séparaient maintenant l’eau et le Sanctuaire. Au loin, une silhouette s’activait à suivre les eaux en direction de l’ouest. Altaïr distingua une armure aux reflets d’améthyste. L’homme paraissait fuir. « Qui est-ce ? » se demanda Altaïr. Quoiqu’il en soit les traces ne provenaient pas de lui et Altaïr rechigna à quitter cette empreinte de laquelle il se sentait étrangement familier. Il ne prêta donc plus attention à l’inconnu et poursuivit sa route jusqu’à la porte sud du Sanctuaire. Le sol nu laissait place au marbre. La piste prenait fin. La vue du domaine sacré ainsi vide fit frémir Altaïr. Tous étaient au combat, et à entendre leurs cris, à sentir le poids de la mort de Bayer, tous semblaient condamnés. « Un squelette et une femme… » L’Indien vola jusqu’au sommet d’une tour. « Où sont-ils ? » dit-il dans un plissement de paupières.
« Bayer… » souffla Zeuxis. Le Peintre esquissa un rictus qui ressemblait plus à un sourire. « Voici ton lègue, heureux chevalier, tu parviens même à me faire sourire. Je me nourrirai de ton inspiration, de ton enseignement. Merci… » Zeuxis releva la tête. Ses plaintes n’avaient que trop durées. Athéna a besoin de sa protection. « Déesse, pria le saint, donnez-moi la force. » Une aura d’or se dégagea soudainement du temple du Cancer. La peinture de l’armure s’éveilla, tel un soleil matinal. Des flammes de cosmos jaillirent du mur et cernèrent bientôt l’habit sacré du Cancer. La surface de l’armure s’amusait de reflets, des frissons de cosmos jouaient entre l’or inébranlable lié par les étoiles. L’habit se fragmenta, Zeuxis ouvrit les bras et sa tête portée en arrière révéla son extase lorsqu’il revêtu l’armure du Cancer. Des pinces prolongeaient ses mains, des pointes ceignaient son casque comme autant de menaces. Les formes torturées du Cancer habillaient le Peintre d’une force limpide. « Pour vous, Athéna » prononça Zeuxis d’une voie d’or. Il s’élança jusqu’à la porte Nord. Les Athéniens se faisaient massacrer. Leur nombre avait diminué comme peau de chagrin. Leur ferveur précédente s’était muée en horreur. Pas un ne survivrait. Lilith se débattait tant bien que mal. Les berserkers alertés de sa stratégie prenaient garde à la Succube, répondant même par l’attaque à la moindre de ses approches. Des groupes de berserkers se rassemblaient en vue d’atteindre le spectre. Il paraissait impossible de sauver les hommes. Cela eut signifié décimer en un temps minime l’armée d’Arès, et celle-ci demeurait trop importante, même pour un chevalier d’or. Les berserkers avaient par le passé prouver leurs prodigieuses puissance et résistance. Pourtant l’énergie au zénith du Peintre appelait ce dernier à l’action. La béatitude de la découverte inspirait à Zeuxis des forces illimitées, et il lui fallait les mettre en œuvre pour le salut d’Athéna. L’espace se déchira dans un grondement éclatant. Shun traversa les airs, devancé par ses chaînes qui ouvrirent un nouveau passage dimensionnel dans le ciel. Il eut juste le temps de crier : « Maintenant, Zeuxis ! » Dans un râle haineux Arès poursuivit Shun, sa lance brandie. Son passage dans les airs déversa sur les hommes un crachin de sang qui colora les combattants. L’ouverture dimensionnelle se referma sur les duellistes, laissant Zeuxis seul face à son interprétation. L’humilité de Zeuxis le poussa à chercher les réponses non dans sa réflexion mais dans son intuition. Et la solution découverte ne l’emplit pas de joie. Il contint un soupir, se convainquit qu’il agissait pour le salut d’Athéna, et dans la pensée d’un pardon, il leva un doigt en l’air. « Les Cercles d’Hadès ! » Cinq berserkers et plusieurs centaines d’hommes furent engloutis par l’attaque, aspirés dans les Cercles d’Hadès et projetés sur le chemin de la Mort. Zeuxis se mordit les lèvres. Le Destin était cruel. Il n’existait pas d’autre alternative pour se débarrasser des berserkers et des amazones que de profiter de la mêlée pour les faire tous disparaître, les Athéniens compris. Après tout, les hommes n’étaient-ils pas déjà condamnés ? Cette douloureuse décision s’imposait. Zeuxis croisa le regard de Lilith. Surprise, elle lui adressa un hochement de tête approbateur qui ne fit qu’ajouter à la douleur de Zeuxis. Qui plus est la réalité de son attaque inquiétait Zeuxis. A ce rythme il lui faudrait incanter une dizaine de fois. Il n’en avait pas le temps. Déjà nombre de berserkers fondaient vers les murailles. Séparés, ils s’assuraient de ne pas succomber en même temps à l’attaque suivante. Les reflets du soleil sur l’armure des berserkers vinrent nourrir Zeuxis d’une inspiration solaire. Il portait un habit d’or, Athéna l’accompagnait, il viendrait à bout d’eux tous, en une fois. Les cheveux du Peintre ondoyèrent sous la brise de cosmos. Les yeux fermés au monde, Zeuxis parcourait ses ténèbres. Lentement il éleva le bras, tendit un doigt. Son aura d’or s’altéra sous l’émergence d’un cosmos divin. « Divine présence, merci de ton soutien » chuchota Zeuxis à l’attention d’Athéna. « Les Cercles d’Hadès ! » Le bleu du Peintre vira au violet. Une divinité prêtait sa force à ce cosmos mortel pour le galvaniser. Cependant la statue diaphane derrière la lumière de Zeuxis ne figurait pas Athéna mais un homme assis sur son trône, impassible. Le souverain des Morts, Hadès. Gaïa elle-même frissonna sous l’ampleur de l’ouverture du ciel. La Terre semblait projetée dans une dimension inconnue. Une goutte perla de cet univers et vint choir au milieu des combattants. Son explosion révéla le dénouement d’un duel. Immobiles, les visages de Shun et d’Arès étaient presque l’un contre l’autre. Arès dégageait cette haine incommensurable qui lui donnait l’apparence d’un fou. Shun quant à lui regardait son adversaire avec calme, avec sérénité. Les chaînes d’Andromède cernaient la Guerre d’une étreinte ensanglantée. Il lui était impossible de bouger. Arès ne pouvait se dégager, ni retirer sa lance du cœur de l’ange. A cet instant les piliers du temple du Lion s’embrasèrent. Des flammes de colère jaillirent puis disparurent bientôt, laissant place au silence. Shun savourait les derniers battements de son cœur qu’il dédia à son frère. Ikki le protecteur, Ikki l’espéré, Ikki l’aimé. Mon frère… Merci pour notre amour. « Chien ! » hurla Arès en comprenant le piège d’Andromède. Le sang de l’ange sacrifié empêchait la Guerre de fuir. Comme ses guerriers, comme les simples mortels il fut pris au sein des Cercles d’Hadès. Hommes, berserkers, amazones, ange et dieu disparurent de la plaine. Seule Lilith, spectre émancipé par la Mort, put échapper à l’étreinte. Il n’y eut plus de clameur, plus de plainte. Plus rien, sinon une vaste étendue de cadavres silencieux.
~----~----~----~----~----~----~ Note :(4) Paroles de la chanson ‘Natural Mystic’ de Bob Marley.
|
![]() ![]() |
© 2002-2010 Animecdz. Tous droits réservés. Saint Seiya © Toei Animation, Bandai et Masami Kurumada | ||
![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() |